Dans son
beau livre La Femme et le Socialisme, le grand sociologue allemand,
Auguste Bebel fait dater l'amour des Croisades. Je n'ai jamais
compris au Juste ce qu'il a voulu insinuer par là. Élisée Reclus,
par contre, écrit dans son œuvre monumentale, L'Homme et la Terre,
que les Égyptiens des premiers âges avaient parfaitement compris le
langage de l'amour.
J'estime,
quant à moi, que l'amour est la flamme vivifiante de l'Univers
illimité et éternel, qui, d'après Goethe, serait « Kern und
Schaale, aller mit Einemmale », c'est-à-dire cause et effet à la
fois et que, dans le cosmos incréé, l'amour, force d'attraction,
aurait encore le plus de droit de proclamer : le but de l'existence
c'est moi, geste créateur de vie et de conscience !
Dans «
Nouvelles de nulle part », le poète anglais William Morris conclut
que l'homme du XIXème siècle hait la vie et redoute la mort, tandis
que l'homme affranchi de l'avenir aimera la vie et saura faire face à
la mort. Je crois qu'il en sera également ainsi de ce coin du ciel,
volé par la religion qu'est l'amour, trait d'union entre le passé
et l'avenir, lorsque Éros se sera enfin dégagé de la gangue des
souillures et des préjugés spiritualistes. Alors, jalousies et
meurtres passionnels disparaîtront et, dépouillé de l'égoïsme
morbide qui l'annihile et du péché originel qui le dégrade, son
auréole lumineuse éclipsera jusqu'à la mort elle-même dans son
rayonnement de douce et bienfaisante volupté...
Tous les
socialistes conscients, communistes relevant de l'idée anarchiste ou
de la méthode marxiste et convaincus, comme Montaigne, que le geste
de l'amour, qui crée la vie est aussi respectable que la pensée qui
véhicule l'humanité vers plus de bien-être et de conscience,
pensent, avec Victor Hugo, qu'il faut briser les barreaux de la cage
familiale pour mettre en liberté l'Amour.
Certes, à
moins d'être insensé ou fou, il ne viendra jamais à l'esprit d'une
personne équilibrée de vouloir séparer les parents et les enfants,
si leur vie commune est basée sur l'affection mutuelle.
Mais, neuf
fois sur dix, pour ne pas dire quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent,
il n'en est pas ainsi. La femme, qui doit obéissance à son mari (§§
213, 214, 215 du Code Civil) est sa subordonnée ; les enfants qui, à
tout âge (§ 371 du Code Civil) doiventhonneur et respect aux
parents, sont leurs sujets, et notre famille hiérarchisée constitue
l'embryon de la monarchie.
Dans la Rome
antique, grande et odieuse, filles et garçons pouvaient, avec le
consentement de leur famille, se marier dès 12 et 14 ans, mais il
fallait à tout âge, pour contracter « les justes noces », le
consentement du chef de famille, du grand père, et s'il était
décédé, du père.
En France, à
Abbeville, en 1610, Jeanne Duret fut condamnée à être fouettée
publiquement par « trois dimanches de suite », sur le marché en
face de l'église, pour s'être laissé épouser clandestinement,
elle, fille du peuple, par un jeune chevalier qui fut quitte pour un
an de prison.
Sous nos
quarante rois qui, en mille ans ont fait, d'après Maurras, l'unité
française, l'homme ne pouvait se marier contre la volonté de ses
parents qu'à 30 ans, et après trois sommations respectueuses, et
cela sous peine d'exhérédation pour lui et huit années de galères
pour le prêtre qui aurait béni son union.
Par le
décret du 16 août 1790, la Grande Révolution française supprima
tout consentement des parents pour se marier à partir de 21 ans pour
les deux sexes, et la Convention, de glorieuse mémoire, fixa l'âge
minimum pour se marier à 13 ans pour les filles et à 15 ans pour
les garçons.
Bonaparte,
assassin de la République et fléau de l'Europe, exigea par le Code
qui porte son nom maudit, 21 ans pour la femme et 25 ans pour
l'homme, afin de pouvoir se marier contre la volonté des ascendants,
et encore fallait-il, depuis cet âge jusqu'à 25 ans pour la femme
et 30 pour l'homme, faire trois sommations respectueuses, réduites à
une pendant toute la vie après 25 ans pour la première et 30 pour
le second.
La loi du 21
juin 1907 autorise tous les français, hommes et femmes, à se marier
à 21 ans contre la volonté de leurs parents, et, après 25 ans,
sans qu'on soit obligé d'avertir ses ascendants de ses projets
matrimoniaux.
Tous les
pays de l'Europe et de l'Amérique ainsi que la Chine et le Japon
nous ont précédé dans cette voie, et partout aujourd'hui on peut
se marier à 21 ans contre la volonté de la famille. En Russie, la
majorité matrimoniale, politique et économique a été fixée à 18
ans, et aux états de New-York, New-Jersey, Pensylvania, Kentucky,
Louisiana, Virginia, Floride, Maryland, Rhode Island, Tennessee,
Colorado, Idaho, Maine, et Mississippi de l'Amérique du Nord, les
mineurs de 18 et même de 16 ans peuvent se marier sans aucune
autorisation préalable. Dans ces pays où l'âge minimum pour
contracter mariage est de 12 ans pour les filles et de 14 ans pour
les garçons, il y a, à l'heure qu'il est, 667.000 personnes qui ont
été mariées à cet âge.
Au point de
vue sexuel, la famille est généralement une honte, une torture, une
horreur.
En
enseignant aux enfants que le geste de la vie est impur et criminel,
la famille, par la contrainte sexuelle qu'elle impose, propage
l'onanisme qui fait des êtres sans volonté, des déviés et des
crétins. Les pratiques lesbiennes et la pédérastie sont aussi,
pour la plus grande part, dues à la chasteté exigée par notre
infâme morale spiritualiste.
La famille,
qui veut et doit être un bon placement de père de famille, est
l'ennemi de l'amour. Elle contrarie cette sélection naturelle, la
mésalliance heureuse, et est la cause première qui pousse la jeune
fille dans la voie de la prostitution... un bon et honnête père de
famille devant se faire un cas de conscience de répudier sa fille
quand elle s'est « déshonorée », en se donnant hors du mariage,
librement, sans calcul, au « premier venu » qui a su lui plaire.
La polygamie
et la monogamie sont toutes les deux des chaînes forgées par le
régime de la propriété, et nullement conformes à la nature
humaine. La première, privilège des hommes riches, n'a jamais
existé qu'à l'état d'exception malfaisante, et cela pour la bonne
raison qu'il nait sur terre environ autant d'individus d'un sexe que
de l'autre. La seconde est aussi tyrannique pour l'homme que pour la
femme, le désir inavoué mais général de la plupart des êtres
humains étant pour que les rapports sexuels, fondés sur l'amour ou
la sympathie mutuelle, puissent être aussi libres, variables et
multiples que les rapports intellectuels ou moraux entre les
individus. L'incompatibilité absolue de la monogamie avec la
physiologierésulte, du reste, de ce seul fait, que la plupart des
adolescents aiment des femmes plus âgées qu'eux, que les hommes de
vingt à trente ans convolent avec des femmes de leur âge et
qu'après quarante ans, les hommes recherchent les jeunes filles. Par
surcroit de malheur dans notre société d'antagonisme économique et
d'hypocrisie sexuelle, la prostitution est une nécessité de fer,
parce que soupape de sûreté de la famille et de sa responsabilité
artificielle.
Le
prolétariat d'amour est aussi indispensable à la sécurité de
l'honnêteté bourgeoise que la misère de l'ouvrier à l'opulence du
capitaliste.
Le mariage
n'est pas une solution.
D'essence
indissoluble, il est une association qui engage non seulement les
intérêts matériels, mais encore les personnes mêmes des associés,
et devient souvent ainsi la plus odieuse des prostitutions, la
prostitution patentée par l'État et bénie par l'Église.
Irrésiliable
à la seule volonté d'un des contractants, le mariage est purement
et simplement un esclavage.
Il est le
pire des esclavages, car il dispose de l'avenir après avoir enchaîné
le présent et projeté son ombre funeste jusque sur ce qu'il y a de
plus beau et de plus grand : les unions librement amoureuses.
L'institution
du mariage est aussi nuisible à l'intérêt des parents qu'à celui
des enfants.
En violant
les lois de la sélection naturelle, elle attente à la liberté et à
la dignité de l'homme et de la femme. En faisant de la paternité
conventionnelle, au lieu de la maternité certaine, le pivot du
groupe affectif, elle crée, artificiellement, trois catégories
d'enfants, inégaux en droits, selon qu'ils naissent légitimes,
naturels ou adultérins.
Seuls les
enfants légitimes héritent de leur père et jouissent, comme tels,
de tous les avantages que leur famille peut leur procurer.
La situation
des enfants illégitimes, c'est-à-dire des enfants nés d'un homme
et d'une femme non mariés entre eux et non mariés en dehors, se
règle d'après celle de leur mère, et est généralement
déplorable.
Le père
d'un enfant naturel n'est pas tenu par la loi de pourvoir à ses
besoins, à moins d'une recherche de paternité hérissée
d'obstacles. S'il reconnait ses enfants naturels et à condition
qu'ils ne soient en concurrence avec aucun enfant légitime, les
enfants dits « naturels » ont les mêmes droits que les enfants
légitimes. Dans le cas contraire, ils n'ont plus droit qu'à la
moitié de ce qu'ils auraient eu s'ils étaient légitimes. Sous
l'Empire, ils n'avaient droit qu'au tiers.
Cette
criante injustice qui frappe les enfants naturels n'est nullement
accidentelle. L'infériorité sociale que le Code leur assigne est
étroitement liée au maintien du mariage. En disqualifiant les
enfants nés en dehors du mariage, la société a voulu garantir
l'existence de cette institution néfaste. Le châtiment qu'elle
inflige aux enfants issus de l'union libre est par conséquent une
mauvaise action voulue, un crime social prémédité.
Quant aux
enfants adultérins, la situation qui leur est faite par le mariage,
se retourne, dans sa souveraine injustice, aussi bien contre l'enfant
que contre le mari.
Que le mari
soit en état de prouver ‒ce qui ne saurait être qu'extrêmement
rare ‒que l'enfant de son épouse n'est pas de lui, la loi lui
donne le droit de ne pas le reconnaître. Dans ce cas, il est, sans
doute, dispensé de l'obligation de subvenir aux besoins de l'entant
de sa femme légitime, mais l'enfant qui ne devrait pas être rendu
responsable des actions de sa mère, est un paria. Si, au contraire,
le mari reconnait l'enfant adultérin de sa femme, l'injustice ne
frappe plus l'enfant, mais le mari.
Pour sortir
de ce labyrinthe d'iniquités et réaliser l'égalité de l'homme et
de la femme, ainsi que l'égalité de tous les enfants, il n'y a
qu'un moyen : Socialiser l'Éducation et faire de la mère le pivot
de la famille, ou mieux du groupe affectif.
La famille
décline. Le nombre des unions libres et des enfants naturels
augmente, et nous constatons que partout la société et la famille
sont dans des rapports inverses, et que cette dernière est appelée
à diminuer en raison de la marche ascendante de l'humanité.
Les enfants
étant élevés par et pour la famille, c'est le passé qui empiète
sur l'avenir et lui dicte la loi.
Les familles
n'ont, en outre généralement, ni les loisirs ni les capacités pour
être de bonnes éducatrices, elles sont, relativement aux enfants,
des groupements passagers, tandis que la société, elle, est
éternelle et peut trouver dans son sein des femmes et des hommes de
vocation et d'aptitudes nécessaires pour l'éducation rationnelle.
En attendant
que la société communiste libertaire (mise en commun de toutes les
richesses sociales et organisation de la production sur la base de
l'équivalence des travaux) ait intégralement émancipé la femme,
libéré l'homme et sauvegardé l'enfance, nous demandons :
1°
L'abrogation de tous les articles du Code établissant l'infériorité
de la femme vis-à-vis de l'homme. Abolition de cet esclavage
dégradant : la police des mœurs ;
2° La mise
à la charge de la société de l'éducation et de l'instruction de
tous les enfants ;
3°
L'égalité absolue pour tous les enfants, quelle qu'en soit la
provenance ;
4° La
suppression totale du consentement des parents pour se marier, ainsi
que l'abaissement, pour les deux sexes, de la majorité à dix-huit
ans ;
5°
L'assimilation de l'union libre au mariage ;
6° Le
divorce par consentement mutuel et sur la volonté d'un seul.
‒ Frédéric
STACKELBERG
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