lundi 8 avril 2019

FAMILLE Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Dans son beau livre La Femme et le Socialisme, le grand sociologue allemand, Auguste Bebel fait dater l'amour des Croisades. Je n'ai jamais compris au Juste ce qu'il a voulu insinuer par là. Élisée Reclus, par contre, écrit dans son œuvre monumentale, L'Homme et la Terre, que les Égyptiens des premiers âges avaient parfaitement compris le langage de l'amour.
J'estime, quant à moi, que l'amour est la flamme vivifiante de l'Univers illimité et éternel, qui, d'après Goethe, serait « Kern und Schaale, aller mit Einemmale », c'est-à-dire cause et effet à la fois et que, dans le cosmos incréé, l'amour, force d'attraction, aurait encore le plus de droit de proclamer : le but de l'existence c'est moi, geste créateur de vie et de conscience !
Dans « Nouvelles de nulle part », le poète anglais William Morris conclut que l'homme du XIXème siècle hait la vie et redoute la mort, tandis que l'homme affranchi de l'avenir aimera la vie et saura faire face à la mort. Je crois qu'il en sera également ainsi de ce coin du ciel, volé par la religion qu'est l'amour, trait d'union entre le passé et l'avenir, lorsque Éros se sera enfin dégagé de la gangue des souillures et des préjugés spiritualistes. Alors, jalousies et meurtres passionnels disparaîtront et, dépouillé de l'égoïsme morbide qui l'annihile et du péché originel qui le dégrade, son auréole lumineuse éclipsera jusqu'à la mort elle-même dans son rayonnement de douce et bienfaisante volupté...
Tous les socialistes conscients, communistes relevant de l'idée anarchiste ou de la méthode marxiste et convaincus, comme Montaigne, que le geste de l'amour, qui crée la vie est aussi respectable que la pensée qui véhicule l'humanité vers plus de bien-être et de conscience, pensent, avec Victor Hugo, qu'il faut briser les barreaux de la cage familiale pour mettre en liberté l'Amour.
Certes, à moins d'être insensé ou fou, il ne viendra jamais à l'esprit d'une personne équilibrée de vouloir séparer les parents et les enfants, si leur vie commune est basée sur l'affection mutuelle.
Mais, neuf fois sur dix, pour ne pas dire quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, il n'en est pas ainsi. La femme, qui doit obéissance à son mari (§§ 213, 214, 215 du Code Civil) est sa subordonnée ; les enfants qui, à tout âge (§ 371 du Code Civil) doiventhonneur et respect aux parents, sont leurs sujets, et notre famille hiérarchisée constitue l'embryon de la monarchie.
Dans la Rome antique, grande et odieuse, filles et garçons pouvaient, avec le consentement de leur famille, se marier dès 12 et 14 ans, mais il fallait à tout âge, pour contracter « les justes noces », le consentement du chef de famille, du grand père, et s'il était décédé, du père.
En France, à Abbeville, en 1610, Jeanne Duret fut condamnée à être fouettée publiquement par « trois dimanches de suite », sur le marché en face de l'église, pour s'être laissé épouser clandestinement, elle, fille du peuple, par un jeune chevalier qui fut quitte pour un an de prison.
Sous nos quarante rois qui, en mille ans ont fait, d'après Maurras, l'unité française, l'homme ne pouvait se marier contre la volonté de ses parents qu'à 30 ans, et après trois sommations respectueuses, et cela sous peine d'exhérédation pour lui et huit années de galères pour le prêtre qui aurait béni son union.
Par le décret du 16 août 1790, la Grande Révolution française supprima tout consentement des parents pour se marier à partir de 21 ans pour les deux sexes, et la Convention, de glorieuse mémoire, fixa l'âge minimum pour se marier à 13 ans pour les filles et à 15 ans pour les garçons.
Bonaparte, assassin de la République et fléau de l'Europe, exigea par le Code qui porte son nom maudit, 21 ans pour la femme et 25 ans pour l'homme, afin de pouvoir se marier contre la volonté des ascendants, et encore fallait-il, depuis cet âge jusqu'à 25 ans pour la femme et 30 pour l'homme, faire trois sommations respectueuses, réduites à une pendant toute la vie après 25 ans pour la première et 30 pour le second.
La loi du 21 juin 1907 autorise tous les français, hommes et femmes, à se marier à 21 ans contre la volonté de leurs parents, et, après 25 ans, sans qu'on soit obligé d'avertir ses ascendants de ses projets matrimoniaux.
Tous les pays de l'Europe et de l'Amérique ainsi que la Chine et le Japon nous ont précédé dans cette voie, et partout aujourd'hui on peut se marier à 21 ans contre la volonté de la famille. En Russie, la majorité matrimoniale, politique et économique a été fixée à 18 ans, et aux états de New-York, New-Jersey, Pensylvania, Kentucky, Louisiana, Virginia, Floride, Maryland, Rhode Island, Tennessee, Colorado, Idaho, Maine, et Mississippi de l'Amérique du Nord, les mineurs de 18 et même de 16 ans peuvent se marier sans aucune autorisation préalable. Dans ces pays où l'âge minimum pour contracter mariage est de 12 ans pour les filles et de 14 ans pour les garçons, il y a, à l'heure qu'il est, 667.000 personnes qui ont été mariées à cet âge.
Au point de vue sexuel, la famille est généralement une honte, une torture, une horreur.
En enseignant aux enfants que le geste de la vie est impur et criminel, la famille, par la contrainte sexuelle qu'elle impose, propage l'onanisme qui fait des êtres sans volonté, des déviés et des crétins. Les pratiques lesbiennes et la pédérastie sont aussi, pour la plus grande part, dues à la chasteté exigée par notre infâme morale spiritualiste.
La famille, qui veut et doit être un bon placement de père de famille, est l'ennemi de l'amour. Elle contrarie cette sélection naturelle, la mésalliance heureuse, et est la cause première qui pousse la jeune fille dans la voie de la prostitution... un bon et honnête père de famille devant se faire un cas de conscience de répudier sa fille quand elle s'est « déshonorée », en se donnant hors du mariage, librement, sans calcul, au « premier venu » qui a su lui plaire.
La polygamie et la monogamie sont toutes les deux des chaînes forgées par le régime de la propriété, et nullement conformes à la nature humaine. La première, privilège des hommes riches, n'a jamais existé qu'à l'état d'exception malfaisante, et cela pour la bonne raison qu'il nait sur terre environ autant d'individus d'un sexe que de l'autre. La seconde est aussi tyrannique pour l'homme que pour la femme, le désir inavoué mais général de la plupart des êtres humains étant pour que les rapports sexuels, fondés sur l'amour ou la sympathie mutuelle, puissent être aussi libres, variables et multiples que les rapports intellectuels ou moraux entre les individus. L'incompatibilité absolue de la monogamie avec la physiologierésulte, du reste, de ce seul fait, que la plupart des adolescents aiment des femmes plus âgées qu'eux, que les hommes de vingt à trente ans convolent avec des femmes de leur âge et qu'après quarante ans, les hommes recherchent les jeunes filles. Par surcroit de malheur dans notre société d'antagonisme économique et d'hypocrisie sexuelle, la prostitution est une nécessité de fer, parce que soupape de sûreté de la famille et de sa responsabilité artificielle.
Le prolétariat d'amour est aussi indispensable à la sécurité de l'honnêteté bourgeoise que la misère de l'ouvrier à l'opulence du capitaliste.
Le mariage n'est pas une solution.
D'essence indissoluble, il est une association qui engage non seulement les intérêts matériels, mais encore les personnes mêmes des associés, et devient souvent ainsi la plus odieuse des prostitutions, la prostitution patentée par l'État et bénie par l'Église.
Irrésiliable à la seule volonté d'un des contractants, le mariage est purement et simplement un esclavage.
Il est le pire des esclavages, car il dispose de l'avenir après avoir enchaîné le présent et projeté son ombre funeste jusque sur ce qu'il y a de plus beau et de plus grand : les unions librement amoureuses.
L'institution du mariage est aussi nuisible à l'intérêt des parents qu'à celui des enfants.
En violant les lois de la sélection naturelle, elle attente à la liberté et à la dignité de l'homme et de la femme. En faisant de la paternité conventionnelle, au lieu de la maternité certaine, le pivot du groupe affectif, elle crée, artificiellement, trois catégories d'enfants, inégaux en droits, selon qu'ils naissent légitimes, naturels ou adultérins.
Seuls les enfants légitimes héritent de leur père et jouissent, comme tels, de tous les avantages que leur famille peut leur procurer.
La situation des enfants illégitimes, c'est-à-dire des enfants nés d'un homme et d'une femme non mariés entre eux et non mariés en dehors, se règle d'après celle de leur mère, et est généralement déplorable.
Le père d'un enfant naturel n'est pas tenu par la loi de pourvoir à ses besoins, à moins d'une recherche de paternité hérissée d'obstacles. S'il reconnait ses enfants naturels et à condition qu'ils ne soient en concurrence avec aucun enfant légitime, les enfants dits « naturels » ont les mêmes droits que les enfants légitimes. Dans le cas contraire, ils n'ont plus droit qu'à la moitié de ce qu'ils auraient eu s'ils étaient légitimes. Sous l'Empire, ils n'avaient droit qu'au tiers.
Cette criante injustice qui frappe les enfants naturels n'est nullement accidentelle. L'infériorité sociale que le Code leur assigne est étroitement liée au maintien du mariage. En disqualifiant les enfants nés en dehors du mariage, la société a voulu garantir l'existence de cette institution néfaste. Le châtiment qu'elle inflige aux enfants issus de l'union libre est par conséquent une mauvaise action voulue, un crime social prémédité.
Quant aux enfants adultérins, la situation qui leur est faite par le mariage, se retourne, dans sa souveraine injustice, aussi bien contre l'enfant que contre le mari.
Que le mari soit en état de prouver ‒ce qui ne saurait être qu'extrêmement rare ‒que l'enfant de son épouse n'est pas de lui, la loi lui donne le droit de ne pas le reconnaître. Dans ce cas, il est, sans doute, dispensé de l'obligation de subvenir aux besoins de l'entant de sa femme légitime, mais l'enfant qui ne devrait pas être rendu responsable des actions de sa mère, est un paria. Si, au contraire, le mari reconnait l'enfant adultérin de sa femme, l'injustice ne frappe plus l'enfant, mais le mari.
Pour sortir de ce labyrinthe d'iniquités et réaliser l'égalité de l'homme et de la femme, ainsi que l'égalité de tous les enfants, il n'y a qu'un moyen : Socialiser l'Éducation et faire de la mère le pivot de la famille, ou mieux du groupe affectif.
La famille décline. Le nombre des unions libres et des enfants naturels augmente, et nous constatons que partout la société et la famille sont dans des rapports inverses, et que cette dernière est appelée à diminuer en raison de la marche ascendante de l'humanité.
Les enfants étant élevés par et pour la famille, c'est le passé qui empiète sur l'avenir et lui dicte la loi.
Les familles n'ont, en outre généralement, ni les loisirs ni les capacités pour être de bonnes éducatrices, elles sont, relativement aux enfants, des groupements passagers, tandis que la société, elle, est éternelle et peut trouver dans son sein des femmes et des hommes de vocation et d'aptitudes nécessaires pour l'éducation rationnelle.
En attendant que la société communiste libertaire (mise en commun de toutes les richesses sociales et organisation de la production sur la base de l'équivalence des travaux) ait intégralement émancipé la femme, libéré l'homme et sauvegardé l'enfance, nous demandons :
1° L'abrogation de tous les articles du Code établissant l'infériorité de la femme vis-à-vis de l'homme. Abolition de cet esclavage dégradant : la police des mœurs ;
2° La mise à la charge de la société de l'éducation et de l'instruction de tous les enfants ;
3° L'égalité absolue pour tous les enfants, quelle qu'en soit la provenance ;
4° La suppression totale du consentement des parents pour se marier, ainsi que l'abaissement, pour les deux sexes, de la majorité à dix-huit ans ;
5° L'assimilation de l'union libre au mariage ;
6° Le divorce par consentement mutuel et sur la volonté d'un seul.
Frédéric STACKELBERG

Aucun commentaire: