Inhabitants planétaires par Martin Crowley
"Le fait de se retrouver avec plusieurs autres êtres sur la surface d'une sphère rend la fréquentation de ces autres êtres littéralement inévitable. Si loin qu'on se propose d'aller, jamais il n'y aura d'échappatoire: une sphère n'a ni envers, ni même ailleurs. Tôt ou tard, il faudra bien côtoyer ces autres, également obligés d'arpenter cette surface finie. Mieux vaudra par conséquent se rendre à l'évidence: qu'il faut bien apprendre à vivre ensemble."
"Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes; que les pulsations de l'humanité s'arrêtent aux portes de la négrerie; que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l'on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l'on nous vendait sur les places et l'aune de drap anglais et la viande salée d'Irlande coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l'esprit de Dieu était dans ses actes. Fumier ambulant qui marche sans s'être dressé, "nous vomissure de négrier, nous n'avons jamais été amazones du roi du Dahomey, ni princes de Ghana avec huit cents chameaux."
"Non, pas comme, mais à côté de ; tous ceux qui ne se seront pas projetés un monde princier au-dessus de la presse des autres créatures ( ou qu'on en aura expulsés), qui se côtoient et se heurtent mais ne se ressemblent pas, qui vivent sur la surface de la terre et la traversent sans l'habiter. Dont il y a peu on aurait admiré le nomadisme pour l'épouser en pensée; mais ces temps sont révolus. Les populations nomades prennent aujourd'hui leur place aux côtés des migrants de toutes sortes, au milieu de ces mouvements et de ces conflits qui dessinent une planète en turbulence et sans bords. Migrants dont la plupart ne demandent que cela, pouvoir rester quelque part sans en être chassés par la violence ou par le besoin. Il ne s'agit donc pas plus de dévaloriser la sédentarité que d'épouser un nomadisme de pensée. Il s'agit par contre de valoriser le vivre contre l'habiter, le commerce contre le profit, l'articulation de l'espace contre sa répartition policière, frontalière, nativiste. Contre ceux qui se réclament d'un sol, qui y délimitent une contrée afin d'en tirer profit, de s'y dresser par exception; pour ceux dont les rapports ne cessent de les différencier toujours davantage, et différemment, les uns à côté des autres. Pour un vivre-ensemble enfin cosmopolitique fait de chocs, de heurts moins mortifères. Pour les inhabitants planétaires."
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