Manque
absolu de nourriture dans une contrée, un pays ou une ville. « La
cause la plus générale de la famine, dit le Larousse, est
l'insuffisance de récoltes alimentaires. » Explication simpliste et
complètement fausse de ce fléau qui, de nos jours encore, décime
des populations entières.
La famine a
pour causes directes ou la raréfaction des produits alimentaires
provoquée par la spéculation de quelques affameurs, ou encore la
mauvaise et arbitraire organisation économique du régime
capitaliste en ce qui concerne la répartition de la richesse sociale
et des produits de consommation indispensables à la vie de l'homme.
La misère, qui est une des conséquences du capitalisme, est
également une des causes de famine.
Si l'intérêt
ne jouait pas un rôle primordial dans l'alimentation de la
population, la famine disparaîtrait avec rapidité de la surface du
globe, car la terre est capable de fournir suffisamment de nourriture
pour subvenir aux besoins de tous ses habitants.
Malheureusement,
les possesseurs de la richesse sociale s'inquiètent peu de la misère
et du dénuement de leurs contemporains ; pour eux, l'exploitation de
la terre et de ceux qui la travaillent n'est pas considérée comme
une nécessité sociale, mais comme un moyen propre à leur assurer
tous les privilèges et toutes les jouissances. Or, la famine puise
sa source dans le parasitisme social. Il n'est pas d'exemple plus
frappant de la culpabilité des possédants, en ce qui concerne la
famine, que celui de l'Irlande que ce fléau a dépeuplée. Et
pourtant, l'Irlande n'est pas un pays éloigné, inaccessible. Sa
terre est riche, fertile, susceptible de nourrir la population ; mais
cette terre a été accaparée par les grands seigneurs anglais, et
de vastes étendues furent transformées en terrains de chasse.
Pendant ce temps, aujourd'hui encore, l'Irlandais crève de faim. Si
la famine ne règne plus dans ce pays, du moins la population se
trouve dans un perpétuel état de pauvreté qui ne lui permet pas de
se sustenter normalement.
Dans les
pays occidentaux, la famine, c'est-à-dire le manque absolu de
nourriture n'existe plus, car le capital n'a pas intérêt à ce que
le travailleur meure littéralement de faim. Il a compris que pour
arracher à l'individu le maximum de production, il était
indispensable de lui assurer un minimum de nourriture, et puis, il
faut dire que le progrès, les chemins de fer, la navigation ont
largement contribué à écarter cette calamité. Mais dans les pays
orientaux, la famine subsiste, et il n'est pas une année où elle ne
fait un nombre incalculable de victimes. Une des famines
contemporaines des plus meurtrières fut celle qui sévit aux Indes
en 1900, et qui toucha plus de 50 millions d'Hindous. Le gouvernement
indien ne put en secourir quotidiennement que 3 millions environ. La
mortalité fut terrifiante, et cela se conçoit, puisque le septième
de la population était touché par le fléau. Les causes de cette
famine, affirme-t-on, furent les mauvaises récoltes des provinces
centrales et occidentales. Cela est bien possible, mais ce qui est
inadmissible, c'est qu'aucun remède n'ait pu être apporté pour
soulager le mal. La famine n'est pas un malaise, une épidémie qu'on
ne peut soigner : on sait ce qu'il faut pour la guérir et, si les
affamés ne sont pas secourus, seul le capitalisme est responsable de
cette atrocité.
Comment !
Alors qu'en certaines contrées du monde les récoltes sont d'une
abondance telle qu'on ne sait pas quoi en faire, en d'autres pays,
des humains meurent littéralement de faim sans qu'il soit possible
de faire quoi que ce soit pour mettre un terme à une situation aussi
inhumaine ? Quelque chose est possible, mais non en régime
capitaliste. Et, en effet, lorsque la famine s'abat sur une contrée
quelconque, le premier soin serait d'orienter sur cette partie du
monde la surproduction d'une contrée plus favorisée, sans être
arrêté par de misérables questions d'argent. C'est toujours cette
odieuse monnaie, ce bas intérêt qui dresse des barrières et
empêche l'individu de voler au secours de son semblable. Des hommes
ont faim, là-bas, au centre de l'Asie ou au centre de l'Afrique ;
l'Amérique regorge de vivres. Quoi de plus simple, semble-t-il, de
déplacer cette abondance au profit des déshérités et des
malheureux ? Mais celui qui possède ne donne pas pour rien ce qu'il
possède. Il ne le donne qu'en échange de monnaies bien sonnantes,
et alors la vie des affamés est subordonnée à leur puissance
d'argent. C'est normal et c'est juste en régime capitaliste ; en un
mot, c'est criminel.
Lorsqu'au
lendemain de la guerre et de la Révolution, le peuple russe fut
acculé à la plus noire misère, lors que la famine couchait des
millions de femmes et d'enfants, dans le Sud-Amérique on brûlait du
blé. Les frais de transport étaient trop élevés pour transporter
ce blé dans la Russie affamée et, d'autre part, la Russie n'avait
pas d'argent pour le payer. N'est-ce pas terrible, surtout lorsque
l'on sait que dans une certaine mesure, cette famine fut provoquée
par le capitalisme occidental, qui voulait, par la faim, étouffer le
foyer d'incendie qui s'était allumé à l'Est ?
La famine,
on ne le répètera jamais assez, est un mal social qui découle du
capitalisme, et le capitalisme ne fait rien pour en éloigner les
horreurs. Seule une transformation totale de l'organisation
économique peut mettre fin à une calamité indigne d'un monde
civilisé. Il n'y a pas lieu de se réjouir outre mesure, si la
famine a à peu près disparu de ce que l'on appelle les pays
civilisés. La disette subsiste en plus d'une contrée de l'Europe,
et ils sont nombreux ceux qui, chaque jour, ne mangent pas à leur
faim. Si elle est moins brutale que la famine, la disette n'est pas
moins meurtrière. C'est un mal lent qui fait également de
nombreuses victimes, et qui détruit des générations. Bien souvent,
la rareté des vivres est voulue par les spéculateurs avides, et il
n'est pas inutile de rappeler l'odieux monopole des blés, désigné
sous le nom de « pacte de famine » qui, de 1765 à 1789, désola la
France. Le pacte de famine avait pour but d'acheter à vil prix tous
les blés en période d'abondance, de les exporter, ou même de les
détruire afin de provoquer la hausse durant les années médiocres.
La Révolution a passé ; 48 a succédé à 93, et 71 à 48. La
grande guerre du droit et de la civilisation devait ouvrir une ère
de progrès et de liberté, et aujourd'hui, en France, un nouveau
pacte de famine a été signé par tous les grands mercantis, maîtres
absolus de la République.
Le peuple a
faim, le peuple a faim partout, parce qu'il plaît aux magnats de la
finance, aux rois de l'or de raréfier les produits de première
nécessité, afin de provoquer la hausse. Ce n'est pas la famine,
mais c'est la disette. Le peuple commence à s'habituer à ne pas
manger à sa suffisance. Huit ans après la grande guerre, plus d'un
million de chômeurs en Angleterre se nourrissent imparfaitement. En
Autriche, en Roumanie, en Russie, en Bulgarie, on manque de pain, et
en France, l'année 1927 s'ouvre lourde de menaces. Et pourtant, la
terre est là qui ne demande qu'à être fécondée et à nourrir
l'humanité. Mais la terre appartient à ceux qui l'ont volée, et
les outils sont la propriété d'une bande de malfaiteurs. Et c'est
pour cela que le peuple a faim, qu'il aura faim demain, qu'il aura
faim toujours, s'il ne veut pas comprendre que tout est subordonné à
sa volonté et à son courage, et qu'il ne cessera de souffrir des
affres et des horreurs de la famine que lorsqu'il arrachera à son
exploiteur la terre et la machine.
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