Actuellement,
le fascisme est la force contre-révolutionnaire la mieux organisée,
la plus active. Le mot fascisme est italien, mais la chose est
d'ordre international. Comme l'hypocrisie est l'hommage rendu par le
vice à la vertu, le fascisme est l'aveu de l'extrême danger dans
lequel se trouve le régime capitaliste sérieusement menacé par la
révolution. C'est, avec le socialisme dit réformiste, la dernière
cartouche de la bourgeoisie aux abois.
Quand la
bourgeoisie se croit au bord de l'abîme, à la veille d'une victoire
révolutionnaire, elle rejette sa propre légalité, détruit sa
propre démocratie, envoie au diable toutes ses idéologies, toutes
ses « grues métaphysiques » (liberté, droits de l'homme, respect
des formes juridiques, etc.) : elle se met à tuer , à incendier, à
torturer, à détruire illégalement toutes les organisations
légales. Elle congédie le Parlement, supprime ou enchaîne la
presse, même sa propre presse démocratique. La dictature
capitaliste ou bancaire se déshabille publiquement et se promène
dans sa nudité affreuse. Le « mur d'argent » devient un mur
d'airain contre lequel se brisent toutes les velléités réformistes
et démocrates. En un mot, le fascisme, c'est le capitalisme menacé
se défendant par tous les moyens légaux et illégaux. C'est le
gendarme doublé d'un bandit. C'est la violence sans frein, sans
limites.
Déjà, dans
la Rome antique, lorsque les patriciens, les gros propriétaires
étaient menacés de la révolte de la plèbe, la dictature
s'installait en souveraine toute puissante pour mater la classe
exploitée par des représailles impitoyables. Mais les dictateurs
des temps anciens gardaient encore un reste de pudeur. Ils limitaient
leur pouvoir extraordinaire par des délais (six mois, par exemple).
La dictature fasciste ignore la pudeur : elle est illimitée dans le
temps et dans l'espace.
Toute lutte
des classes aboutit aux répressions, à la dictature, masquée ou
ouverte. Thermidor, Bonaparte, les fusillades sous la Restauration et
la Monarchie, les journées sanglantes de juin 1848, le massacre des
Communards en 1871, les lois scélérates représentent, à des
époques et des degrés différents, la dictature des classes
dominantes qui se défendent par tous les moyens.
Mais ainsi
que la dictature de la Rome antique, la dictature bourgeoise a eu
jusqu'ici un certain respect des formes. Elle attendait, pour
s'exercer, le moment d'un soulèvement populaire ouvert quand les
barricades se dressèrent sur les places publiques. Elle se
proclamait alors en état de défense légitime et se déclarait en
état de siège, en état exceptionnel.
Le fascisme
de nos jours, c'est la dictature préventive, le congé brutal donné
à toute légalité régulière. C'est le gouvernement se cachant
derrière une bande de bravi, d'assassins soudoyés. C'est l'alliance
de la férocité organisée avec la lâcheté souterraine, sournoise.
C'est le carabiniere paradant sur la place publique et faisant, à la
dérobée, signe à l'assassin embusqué dans l'ombre pour assaillir
le passant qui ne se doute de rien.
Déjà, le
tsarisme, aux environs de la première révolution russe de 1905,
inaugura ce système de défense clandestine, illégale, doublant et
complétant le formidable appareil légal. La police secrète avait
ses imprimeries, ses organisations et sa littérature illégales, ses
agents provocateurs, ses sicaires. La majesté de l'État et de ses
lois solennelles descend dans les cavernes de Cartouche, d'Ali Baba
et s'abaisse jusqu'à la situation d'un malfaiteur vulgaire...
Mussolini n'a rien inventé. Il a singé Nicolas Raspoutine qui se
trouve hors d'état de lui réclamer ses droits d'auteur.
Même dans
notre République très démocratique, très légaliste, au moment de
la grève générale des cheminots, une théorie fasciste a été
esquissée du haut de la tribune parlementaire. « J'irai jusqu'à
l'illégalité » pour défendre l'ordre capitaliste, a dit le chef
du gouvernement d'alors.
Une autre
caractéristique du fascisme : il érige la violence en système. Il
a le culte de la violence, de la violence en elle-même. C'est en
cela que la violence réactionnaire se distingue, entre autres, de la
violence révolutionnaire. Le révolutionnaire a le respect de la vie
humaine et n'a recours à la violence que forcé par la violence du
régime qu'il combat. Son idéal est la solidarité de tous, de tous
les producteurs, la fin de toute iniquité, de toute exploitation. Le
révolutionnaire ne saurait être un défaitiste du progrès humain.
Il croit en un meilleur avenir de l'humanité, en un avenir sans
classes, donc sans violence de classe.
Le fascisme,
au contraire, défendant le régime de l'exploitation et de la
violence, croit ou feint de croire que la violence est éternelle,
bienfaisante, réconfortante (voir Joseph de Maistre, de Bonald,
Proudhon, Nietzsche, Georges Sorel, Bernhardi, Foch et autres hommes
de guerre et de réaction plus ou moins illustres). Il cherche à
éterniser le régime des classes antagonistes opposées, et, avec
elles, le règne de la violence.
La guerre,
avec son culte de la violence « bienfaisante, nationale et
patriotique », a été la meilleure préparation fasciste. Quand
nous disions et écrivions que la guerre mondiale impérialiste
marquerait le retour à la barbarie du moyen-âge, avec son
Faustrecht, son droit du plus fort, c'était l'exacte vérité, que
le fascisme se charge de justifier à chaque pas.
Nous n'avons
pas le droit de quitter le fascisme sans noter qu'en dehors de la
guerre, c'est le socialisme réformiste qui lui a préparé le
terrain favorable. En effet, en désarmant le prolétariat
moralement, intellectuellement et politiquement par sa propagande des
illusions démocratiques, il a livré les masses aux bandes fascistes
qui savaient d'avance qu'elles ne rencontreraient aucune résistance
effective.
Les
réformistes confondent l'idéal, le but final socialiste avec les
moyens, le point d'arrivée avec le point de départ. Oui, notre but
final est l'harmonie, la solidarité, la paix définitive, la
fraternité même.
Mais
avons-nous le droit d'oublier que nous vivons dans une société
basée sur la lutte des classes, armée jusqu'aux dents, et ne
prêchant la non-résistance au mal qu'aux faibles, qu'aux opprimés
et aux exploités ?
Désarmer le
prolétariat, c'est armer les fascistes. Dire aux prolétaires qu'il
suffit d'attendre le coup des majorités parlementaires, c'est livrer
la classe ouvrière aux coups de main fascistes.
Même si le
prolétariat a la majorité au Parlement, la classe capitaliste ne
cèdera pas. Elle brisera, par la force, sa propre légalité
parlementaire. Le fascisme deviendra mondial. Nous voyons chaque jour
la tache noire fasciste s'élargir, s'étendre sur un grand nombre
d'États. Avec les progrès du prolétariat, le fascisme grandit et
se développe. Le dissimuler, c'est trahir la classe ouvrière ou
être dupe de sa propre ignorance, de ses illusions « démocratiques
». Autre trait du fascisme : il s'adresse de préférence aux
anciens socialistes, en leur confiant la direction. Mussolini est un
ancien militant socialiste. Millerand aussi. Et j'en passe. Le
fascisme, c'est le rendez-vous de tous les crimes, de toutes les
vilenies, de toutes lés trahisons.
Tout en
jetant bas son masque démocratique et légaliste, le fascisme a tout
de même, pour entraîner les foules inconscientes, besoin de se
draper d'un intérêt général. C'est l'ordre. C'est la patrie. Le
coffre-fort se dissimule dans les plis du drapeau national et de
l'ordre sacré.
On peut
aisément démontrer que les autres forces coutre-révolutionnaires,
en soutenant et en préconisant ces mêmes devises : ordre et patrie,
doivent fatalement, qu'elles le veuillent ou non, aboutir aux mêmes
tactiques, aux mêmes actes que le fascisme, qui joue le rôle de
précurseur et de modèle à tous les défenseurs quand même du
régime capitaliste et impérialiste. La contre-révolution est une
et indivisible.
‒ Charles
RAPPOPORT.
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