lundi 8 avril 2019

FAMILLE (du latin familia) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Ce mot sert à désigner, d'une façon générale, tout groupement de personnes ou de choses ayant une même origine, ou présentant, pour le moins, des caractères d'analogie, ou de solidarité, en conformité avec ceux qui sont ordinairement le résultat d'une commune origine. Grammaticalement parlant, une famille de mots représente l'ensemble des mots possédant la même racine, tels les mots : société, sociétaire, social, sociologie, etc... Les animaux, les végétaux et les minéraux sont classés par familles, par les naturalistes, en raison des ressemblances qu'ils présentent avec tel ou tel type bien nettement déterminé. Le chat est, par exemple, l'animal type correspondant à la famille des félidés. Dans la société humaine, on dit communément de catégories sociales qui ont des intérêts ou des mœurs identiques, qu'elles constituent une grande famille. Ainsi l'ensemble des travailleurs manuels, sans distinction de sexe ni de nationalité, constitue « la grande famille ouvrière. ». Dans l'antiquité romaine et au Moyen-Age, étaient compris dans la famille tous les serviteurs dépendant d'un seul maître et vivant dans sa maison.
À notre époque, le mot famille est surtout usité dans le sens d'association de personnes unies par les liens de la parenté. La famille actuelle est ordinairement composée du père, de la mère, des enfants, des petits-enfants et des grands-parents, c'est-à-dire d'une lignée directe, à laquelle s'ajoutent, en second plan, les collatéraux : oncles, cousins, etc...
Dans les groupements à caractère primitif, comme chez les indigènes de la Polynésie, où le partage des moyens de subsistance offerts par la nature est de règle, la plupart de ces distinctions comptent peu. D'abord, en raison du régime de la polygamie, sinon de la promiscuité sexuelle, d'après lequel la progéniture peut être issue d'un même père et de mères diverses, ou réciproquement. Ensuite, parce que tout ce qui n'est point étroitement associé par le désir, en vue de la procréation, ou par l'instinct des géniteurs, en vue de la protection de l'enfance en bas-âge, tend à se confondre pour autrui avec le reste de la tribu. Il est probable que les premiers hommes ne vécurent point autrement, et que les hordes qui les réunissaient étaient, à l'exemple des troupeaux, de plus en plus rares, vivant à l'état sauvage, dans la brousse équatoriale, ou les prairies américaines.
L'importance donnée au mariage et à la parenté, même très éloignée, est en rapport étroit avec le développement de la propriété individuelle, laquelle comporte le partage des biens, à l'occasion des héritages, et reporte, s'il le faut, sur de vagues alliés, en l'absence de notoires consanguins, ce qui eût dû être le lot d'une directe et légitime descendance. Ne pouvant compter sur l'ensemble de la société pour assurer sa subsistance et celle de ses enfants, la femme est nécessairement portée à rechercher, dans le contrat légal avec un homme capable de pourvoir à son entretien, des garanties de sécurité que les liaisons de hasard ne lui confèrent pas. L'homme, de son côté, veille sur son épouse avec un soin d'autant plus jaloux que les enfants qu'elle pourrait avoir avec d'autres galants seraient pour son budget, pendant des années, une lourde charge. Quant aux parents, ils ne peuvent se désintéresser totalement de la conduite de leurs filles dès l'instant que, conservées vierges jusqu'aux épousailles, et bien casées, elles peuvent devenir pour eux une source de beaux revenus, ou que, jetant par-dessus les moulins leurs bonnets, elles risquent de rester au foyer paternel de coûteux laissés-pour compte, avec sur les bras des « bâtards » dont, à part l'Assistance, ou quelque brave cœur, personne ne voudrait.
La constitution de la famille actuelle n'est donc pas seulement une question de préjugés. Elle est liée à une situation économique, dont les exigences sont beaucoup trop graves pour que l'on puisse songer à modifier très sensiblement les mœurs familiales, tant que cette situation économique n'aura point été elle-même soumise à de profondes modifications, grâce à des assurances sociales mutuelles, que seule peut garantir l'exploitation, par la collectivité tout entière, des moyens de production et de consommation. Ce retour vers le communisme primitif, quoique avec des formes considérablement différentes, ne nous ramènerait point forcément à la promiscuité brutale, et aux habitudes de rapt, du troupeau contemporain de la pierre polie. L'être humain s'est, depuis cette époque, affiné suffisamment par le culte de la science et des arts, et les préoccupations intellectuelles de tout genre, pour s'être rendu apte à de plus courtoises et poétiques relations.
La famille, qui représente un petit état dans l'État, est ordinairement à l'image de la société dont elle est une partie constitutive. Le père y fait fonction de souverain. Despotique jadis, jusqu'à conférer le privilège de disposer de ses enfants et même d'avoir sur eux droit de vie et de mort, son rôle est devenu plus modeste, à mesure que la femme prenait dans la vie publique une importance plus grande, et que la jeunesse s'émancipait au souffle des conceptions démocratiques et révolutionnaires.
Quand auront disparu les contraintes d'ordre économique et juridique qui liaient les uns aux autres, souvent bien malgré eux, des êtres d'aspirations incompatibles, il est probable que les humains se réuniront en raison de leurs sympathies intellectuelles et sentimentales, beaucoup plus qu'en vertu d'autres motifs, et qu'ils vivront librement par groupes où la consanguinité sera d'une importance secondaire.
Jean MARESTAN.

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