Le féminisme
est une doctrine ayant pour objet de faire admettre universellement,
pour les femmes, des droits égaux à ceux des hommes dans la société
humaine. Aucune doctrine n’est plus que celle-ci conformé à un
élémentaire esprit d’équité. Cependant, elle a rencontré, et
rencontre encore, nombre d’oppositions, dictées par la routine, le
fanatisme religieux, ou plus simplement par l’intérêt. Dans
beaucoup, de milieux qui se prétendent « avancés », c’est-à-dire
ayant là prétention de précéder notablement leurs contemporains
sur la voie du progrès, on fait beaucoup de réserves sur la
question de l’égalité des sexes. La crainte de compétitions plus
nombreuses autour des urnes électorales, et de surprises
désagréables quant au résultat du scrutin, paraît être surtout
en jeu. Cependant, on dissimule cette appréhension derrière des
considérations philosophiques : On prétend que la femme est
inférieure à l’homme, physiquement et intellectuellement ;
qu’elle est dépourvue de sens administratif, et incapable de se
diriger elle-même ; enfin, que son éducation sociale n’est pas
faite. Examinons ce que valent ces arguments :
La femme
est, en moyenne, de taille et de musculature plus faibles que
l’homme, c’est exact. Mais ce qui est une condition rédhibitoire
pour des travaux de force, tels le terrassement ou la forge, ne l’est
nullement pour d’autres tâches aussi utiles, telles la couture,
les soins ménagers, l’infirmerie, ou l’enseignement, pour ne
citer que ces exemples. On pourrait même dire que, à notre époque
où, de plus en plus, la puissance mécanique remplace
avantageusement l’effort musculaire, la collaboration des bras
solides est de celles qui offrent de moins en moins d’intérêt
pour la production. Le manœuvre disparaît progressivement devant le
technicien. Et ce qui fait le technicien, c’est le savoir et
l’ingéniosité, non la rudesse de la poigne. Sauf pour ce qui est
de la carrière militaire, on ne demande pas aux jeunes hommes qui
sortent des grandes écoles un minimum de taille et de tour de
biceps. On exige d’eux simplement une suffisante connaissance des
matières du programme. Alors qu’un débile, doué, du sexe
masculin, peut être reçu dans ces conditions, pourquoi la fragilité
féminine, si souvent unie, d’ailleurs, à l’intelligence et à
la beauté, serait-elle une infranchissable barrière ?
La plupart
des grandes découvertes scientifiques, et des magistrales œuvres
d’art, sont dues au sexe masculin. C’est exact encore. Mais leurs
auteurs ne sont qu’une infime minorité dans l’espèce humaine.
L’immense majorité est représentée par des ouvriers, des
artisans, des comptables, aux professions à peu près équivalentes
pour les deux sexes. Au manuel qui sollicite une carte syndicale, on
ne réclame pas le brevet d’une invention. Au citoyen qui se
présente à la mairie, pour avoir sa carte d’électeur, on ne
demande ni un certificat médical d’aptitude, ni même la preuve
qu’il sait lire. Pourquoi donc des travailleuses habiles, des
institutrices, des doctoresses, des poétesses, des artistes de
talent seraient-elles tenues à l’écart, alors qu’est reconnu
digne de prendre part, à la gérance des affaires publiques,
n’importe quel crétin illettré, pourvu que l’état-civil ait
témoigné qu’à son bas-ventre était appendu le douteux ornement
d’un pénis, alourdi de testicules ?
Pourquoi
faut-il que le langage populaire ait fait de ces objets l’emblème
du courage civique, dans le même temps que la discrète entrée des
paradis charnels ne demeurait prise que pour emblème de la stupidité
?
Pour ce qui
est de la thèse de l’incapacité des femmes à régir quoi que ce
soit, et se suffire à elle-mêmes, l’expérience de la grande
guerre en a fait bonne justice. Pendant que des millions d’hommes
étaient mobilisés, des millions de femmes qui, pourtant, n’avaient,
en très grande partie, fait aucun apprentissage sérieux de leurs
nouvelles fonctions, étaient appelées à les remplacer à l’usine,
au bureau, à l’atelier, aux champs, dans les hôpitaux, à la
direction de quantité d’entreprises industrielles et commerciales.
Or, elles surent fort bien s’adapter à ces exigences imprévues de
la vie sociale. Ce qui éloigne surtout la femme de nombre
d’activités, qui semblent devoir être éternellement l’apanage
du sexe masculin, ce n’est ni la débilité mentale, ni la
faiblesse physique, mais bien l’absorbant souci du ménage, et
principalement de la maternité, qui a pour mission de perpétuer la
vie, et devrait, dans une organisation bien construite être à elle
seule suffisante pour conférer, au sein de la société, une place
honorable et des égards.
C’est un
lieu commun de prétendre que, dans la famille, l’épouse
représente, par excellence, l’élément volage, dépensier,
frivole. En vérité, ceci ne résiste pas à l’examen des faits.
L’homme est aussi fréquemment que sa compagne joueur, débauché,
égoïste, prodigue. Il est en revanche, d’ordinaire, beaucoup
moins sobre. Ce qui ne doit point signifier que le sexe féminin
puisse être pris pour modèle des vertus de l’espèce. La
préoccupation de guerroyer pour le droit des plus faibles ne
justifie ni l’injustice ni les contre-vérités !
Cependant,
discuter sur le féminisme en recherchant qui, de l’homme ou de la
femme, a le plus contribué à la prospérité humaine, c’est
discuter à côté de la question. De deux choses l’une : Ou, pour
être admis à défendre ses intérêts et se prononcer dans les
assemblées publiques, on doit être en possession de brillantes
facultés intellectuelles, et d’un minimum de savoir, et alors,
seule, une élite d’hommes et .de femmes, instruits et capables,
aura qualité pour s’occuper de l’organisation sociale, les
autres citoyens des deux sexes n’auront qu’à obéir. Ou bien
seront jugés dignes de défendre leurs droits et d’exprimer une
opinion tous ceux qui participent, à un titre quelconque, à
l’activité de la société, en tant que travailleurs manuels ou
intellectuels, et alors tous ceux qui se rendent utiles, et sont de
bonne volonté, doivent être également pris en considération par
l’ensemble. Ce n’est plus le sexe, masculin ou féminin, qui doit
compter, mais la qualité de travailleur. Ce n’est plus la forme
des génitoires qui doit être retenue, en vue d’une sélection
pour un emploi quelconque, mais l’aptitude physique ou
intellectuelle à remplir convenablement cet emploi.
On prétend
que l’éducation sociale de la femme est en retard. Mais est-elle
bien sérieuse, celle du citoyen « conscient » qui ne possède, en
fait de connaissances, d’autre bagage sociologique que la lecture
de quelques brochures et de son journal préféré ? Les citoyens ne
s’expriment-ils pas en conformité de leurs besoins personnels et
immédiats, beaucoup plus qu’en raison de données historiques
qu’ils ignorent, d’ailleurs, presque tous ? Et si le droit de
prendre part aux décisions dans la collectivité c’est le droit,
finalement, de faire valoir ses revendications et d’exposer ses
doléances, comment pourrait-on admettre, contre toute évidence, que
la femme, même si elle n’avait à s’exprimer qu’en tant que
fille, épouse et mère, serait seule, dans le genre humain, à
n’avoir rien à dire ?
Rien n’a
fait plus de mal au féminisme, rationnellement compris, que cette
sorte de masculinisme de fait, sinon de théorie, dans lequel se sont
complu certaines militantes féministes, en s’efforçant de
contrefaire les hommes presque dans la coupe de leurs vêtements,
jusque dans leurs vices et leurs laideurs, Une telle attitude n’est
pas en faveur du sexe féminin - que l’on semble répudier tout en
se faisant son avocat - mais au contraire tout à la louange du sexe
masculin - dont on paraît regretter de ne point faire partie tout en
le décriant.
Les
véritables féministes sont trop épris des qualités particulières
et des charmes inhérents au sexe féminin, trop convaincus de leur
importance considérable dans les destinées humaines, pour souhaiter
leur disparition, en faveur de quelque type nouveau d’humanité
ridicule et hybride. Prôner l’égalité des sexes, c’est
reconnaître en eux des vertus complémentaires, également
nécessaires au bonheur commun ; c’est vouloir les exalter, sans
accorder aux unes plutôt qu’aux autres la prééminence. C’est,
sans avilir l’homme, rétablir, au profit d’Aphrodite libérée,
un culte disparu.
Jean
MARESTAN.
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