Se dit de
l'état de ceux qui s'occupent des revenus d'une nation ou qui
traitent des grandes affaires d'argent. Un homme de finance. Etre
dans la finance. Les finances de l'Etat. Un ministre des finances.
Gérer, administrer ses finances. Se dit aussi pour désigner l'état
de fortune d'une personne. Somme d'argent, que dans le passé, on
payait au roi pour la levée d'une charge. Bref, la finance est
l'ensemble des questions et des opérations relatives à l'argent. Le
culte de l'argent et de la propriété ont donné à la finance une
puissance formidable. C'est elle qui dirige le monde, c'est elle qui,
dans la société bourgeoise, est le moteur de toute l'activité
sociale. Le développement du commerce et de l'industrie
capitalistes, les progrès du machinisme, l'intensification de la
production ont encore ajouté à sa force et à sa puissance, car son
sort est intimement lié à celui de ces deux formes d'exploitation
bourgeoise. La concentration du capital s'accentue chaque jour, car
les moyens et les procédés de production modernes sont tels qu'il
n'est pas permis à la petite industrie de lutter contre la
concurrence des puissantes organisations industrielles et, tout
naturellement, la petite industrie s'éteint avec rapidité. Il en
est de même en ce qui concerne le petit et le gros commerce, ou
plutôt la petite et la grosse entreprise commerciale. Mais aux
vastes entreprises il faut de gros capitaux, et quelle que soit la
richesse d'un groupe d'individus, elle ne suffirait pas aux
nécessités du mouvement industriel et commercial des sociétés
modernes. C'est alors qu'entre en jeu la finance. Son rôle est de
fournir au capitalisme les capitaux nécessaires à ses
exploitations. « Le développement de la production capitaliste, dit
Karl Marx, enfante une puissance tout à fait nouvelle : le crédit,
qui, à ses origines, s'introduit sournoisement comme une aide
modeste de l'accumulation, devient bientôt une arme nouvelle et
terrible de la guerre de la concurrence, et se transforme enfin en un
immense appareil social destiné à centraliser les capitaux ». Afin
de bien faire comprendre le puissant facteur qu'est la finance, dans
la société capitaliste, il nous faut souligner le passage que nous
citons ci-dessus. Avant que la finance ne fût puissamment organisée,
le développement industriel et commercial était subordonné à
l'accumulation. L'accumulation est « l'augmentation graduelle du
capital » d'un individu ou d'un groupe d'individus. « Mais il est
évident, dit encore Karl Marx, que l'accumulation, l'augmentation
graduelle du capital, au moyen de sa reproduction sur une échelle
croissante, n'est qu'un procédé lent, comparé à la
centralisation, qui, en premier lieu, ne fait que changer
l'arrangement quantitif des parties composant le capital social. Le
monde se passerait encore du système des chemins de fer, par
exemple, s'il eût dû attendre le moment où les capitaux
individuels se fussent assez arrondis par l'accumulation, pour être
en état de se charger d'une semblable besogne, que la centralisation
du capital, au moyen des sociétés par actions, a accomplie pour
ainsi dire en un tour de main » (Karl Marx, Le Capital). La finance
est donc en un mot l'organisation du crédit en faveur du
capitalisme. Aucun capitaliste, en effet, ou aucun groupe de
capitalistes ne seraient susceptibles, comme le fait si
judicieusement remarquer le grand sociologue allemand, de se livrer à
de grandes entreprises industrielles et commerciales sans le concours
de capitaux extérieurs. Les capitaux disséminés sont impuissants ;
centralisés, ils sont une force, mais une force surtout pour ceux
qui les gèrent, qui les administrent, et c'est la finance qui
remplit ce rôle. Nous disons donc que plus une société est
industrialisée, et plus son commerce est étendu, plus la
circulation de l'argent est nécessaire, plus sa centralisation est
indispensable et plus le règlement des affaires exige - en société
capitaliste naturellement - le concours de la finance. Il fut un
temps où le petit commerçant, le petit artisan, le petit paysan,
qui avaient réalisé quelques économies, les conservaient
jalousement au fond de leur « bas de laine ». Ce temps n'est plus.
Aujourd'hui, et surtout depuis la guerre, chacun veut jouir
brutalement, rapidement, et goûter les plaisirs que procure la
richesse. C'est la course à l'argent, et la finance offre aux avides
des possibilités de s'enrichir... ou de se ruiner. Avec l'espérance
de toucher de gros dividendes, chacun se démunit de son pécule, le
livre à la finance, qui en dispose, qui le gère, qui l'exploite. Du
jour où l'individu s'est séparé de son argent pour le remettre
entre les mains du financier, ce dernier devient à ses yeux un Dieu.
Toucher à l'argent est un crime, toucher au financier en est un
autre. Conçoit-on alors la puissance de cette organisation, qui est
soutenue par tous ceux qui possèdent en leur portefeuille - et ils
sont nombreux - une valeur de 100, de 1.000, ou de 10.000 francs? En
1896, Urbain Gohier écrivait un pamphlet sur l'argent, dont nous
extrayons ces lignes : « Le Parlement peut tout ; mais il ne peut
toucher à l'argent. Les citoyens soumettent à mille investigations
humiliantes tous les actes de leur vie et toutes les parties de leur
foyer ; mais ils dissimulent leur argent avec une indomptable
énergie. Ils ouvrent leurs caves et leurs magasins aux gabelous, aux
rats de caves ; leurs habitations, leurs meubles, aux juges et aux
mouchards ; ils déclarent leurs mariages, la naissance de leurs
enfants, le décès de leurs proches, leurs ventes, leurs achats ;
ils énoncent leurs voitures, leurs chevaux, leurs chiens, leurs
billards, leurs bicyclettes ; placés pendant vingt-cinq ans sous la
surveillance de la haute police, et numérotés sur des registres,
comme des forçats, ils ne peuvent quitter leurs maisons sans avertir
les gendarmes ; ils écrivent sur les feuilles du recensement leur
confession générale. Mais le chiffre de leur revenu doit demeurer
impénétrable... ...On a pu violenter ce qui leur restait de cœur
et de conscience ; outrager leur Dieu, traquer leur religion,
détruire leurs libertés essentielles, décimer leurs enfants : ils
n'ont rien dit ; on a voulu mettre un impôt sur la rente et
connaître le chiffre des fortunes : ils ont résisté. Leur corps
n'a point de pudeur, et leur âme point de dignité ; ils ne gardent
le respect ni de leur personne, ni de leur foyer ; mais ils
respectent leur argent ; la dignité de leur argent, la pudeur de
leur argent ne sauraient souffrir une atteinte ». Et c'est, hélas,
vrai. Or, tout cet argent, est entre les mains de la finance. Il
n'est donc pas étonnant que la finance soit chose sacrée et qu'elle
exerce une influence considérable sur la vie économique des
sociétés. Nous avons dit plus haut que la finance était
étroitement liée au commerce et à l'industrie. C'est elle, en
effet, qui engage dans les entreprises industrielles et commerciales
de haute envergure les capitaux qu'elle recueille en se réservant,
naturellement, une part de bénéfice. Est-il utile d'ajouter que
c'est la part du lion? D'autre part, la liaison est tellement étroite
entre la finance, le commerce et l'industrie, que nous retrouvons à
la tête de ces trois institutions les mêmes dirigeants, les mêmes
groupes de capitalistes. Dans l'étude de J. Poirey Clément, sur
Schneider et le Creusot, nous lisons ceci : « Les grands industriels
de la sidérurgie française, les Schneider et les de Wendel, ont
compris que, malgré leurs capitaux personnels, ils devaient, pour se
garantir dans leurs entreprises et donner de l'extension à
celles-ci, s'appuyer sur les financiers. C'est pourquoi ils
s'allièrent à l'Union Parisienne, cette autre banque du Comité des
Forges, qui permit à Schneider la mainmise sur les entreprises
minières et métallurgiques de l'Europe Centrale et aux de Wendel,
déjà propriétaires des « Steinhohlenzeche », de Ham
(Westphalie), d'acquérir le contrôle de la Hohenlohe Werke A. C.,
située en Silésie, dans les districts Nord et Sud de Kattowitz et
designer un contrat avec H. Stinnes, pour le coke. Ce qui se produit
en France, se produit également dans les autres nations, sur la même
échelle, car la finance n'a d'autre but que de centraliser, - nous
l'avons déjà dit -, les capitaux, au profit et au bénéfice de
certains groupes capitalistes. Comment s'opèrent ces bénéfices?
Chacun sait ce qu'est une société par actions. Les sommes sont
souscrites dans le grand public par les établissements financiers et
la répartition des bénéfices se fait chaque année, chaque
souscripteur recevant une somme de dividende relative au nombre
d'actions souscrites. En soi, l'opération n'a rien d'irrégulier ni
d'amoral - si nous nous plaçons sur le terrain de la bourgeoisie et
serait honnête si elle s'accomplissait avec la simplicité signalée.
Mais ce n'est pas ainsi que l'opération se traite. Toujours dans la
brochure de Poirey Clément, nous puisons un exemple sur le trafic
des requins de la finance : « Récemment, le capital des
Etablissements Schneider et Cie, qui était de 50 millions, a été
porté à 100 millions, par la création de 125.000 actions de 400
francs, dont une moitié est souscrite par divers groupes. (Lisez :
réservée aux administrateurs et à certaines banques et firmes
industrielles, qui recevront des titres, sans fournir de capitaux, et
l'autre offerte aux actionnaires actuels à 1.150 francs, à titre
irréductible ou à titre réductible, à raison d'une action
nouvelle pour deux anciennes possédées, et ultérieurement, au
public, à titre réductible, dans la mesure des disponibilités
laissées par l'exercice des droits des actionnaires actuels). Ce qui
revient à dire que l'augmentation de capital de 50 millions de
francs équivaut à un apport de 25 millions de francs d'argent neuf,
et qu'en réalité, si 50 millions de francs de titres ont été
distribués, 25 millions de francs de ces titres ont été donnés à
certaines banques ou à certains administrateurs, qui, sans avoir
versé un sou, participeront à la répartition des bénéfices.
C'est légal, c'est normal, il n'y a rien à dire, c'est
l'escroquerie autorisée. Si le commerce et l'industrie ont besoin de
la finance pour exercer leur exploitation, la finance n'a pas moins
besoin du commerce et de l'industrie, pour se livrer à ses louches
entreprises. Dans l'organisation du vol légal, ces éléments
d'activité capitaliste se complètent. Il n'existe pas un individu,
aussi dépourvu de bon sens, aussi naïf soit-il, qui consentirait,
par exemple, à échanger un billet de 100 francs pour une somme de
50 francs. Pour faire accepter une telle opération à son client, la
finance est obligée de se reposer sur le commerce et l'industrie et
de faire entrer dans ses opérations le facteur marchandise. «
Echanger, dit Karl Marx, 100 louis, je suppose, contre 100 louis,
serait une opération assez inutile, le mouvement
(argentmarchandise-argent) ne peut donc avoir une raison d'être que
dans la différence quantitive des deux sommes d'argent. Finalement,
il sort de la circulation plus d'argent qu'il n'en a été jeté ; la
forme complète de ce mouvement est, par exemple (100 louis - 2.000
livres de coton - 110 louis) ; il aboutit à l'échange d'une somme
d'argent, 100 louis, contre une somme d'argent 110 louis » (Marx, Le
Capital). Ce principe élémentaire du commerce donne, par son
développement, naissance à une foule de combinaisons d'ordre
financier, dont le profane n'a aucune idée. Cependant, il ne suffit
pas à la finance de trouver des capitaux ; encore faut-il, pour que
le mouvement de circulation d'argent et de marchandise s'opère
régulièrement et produise une plus value, que ces capitaux soient
utilisés industriellement ou commercialement. « Le mouvement :
vendre pour acheter, qui vise à l'appropriation de choses propres à
satisfaire des besoins, écrit encore Karl Marx, rencontre, en dehors
de la circulation, une limite dans la consommation des choses
achetées, dans la satisfaction des besoins ». Ce qui revient à
dire que pour vendre, il est indispensable que la production s'écoule
indéfiniment, sans quoi la production s'arrête et les capitaux ne
trouvent pas leur emploi. Et c'est alors que la finance, l'industrie
et le commerce pénètrent dans le domaine politique, à la recherche
de débouchés propres à satisfaire aux besoins d'écoulement des
marchandises produites, lorsqu'il s'agit d'une surproduction
nationale, ou encore pour acquérir des privilèges territoriaux dans
des contrées possédant des richesses non encore exploitées. Nous
savons que les puissances d'argent, pour se livrer en toute liberté
à leurs manœuvres, dépensent des sommes formidables et que ce sont
elles qui dirigent, par l'intermédiaire d'hommes de paille, les
grandes institutions d'une nation. Nous avons démontré, d'autre
part, (voir Capital, Capitalisme), que la plupart des parlementaires
étaient des agents de la finance et de l'industrie, et personne
n'ignore que toutes les élections législatives ou municipales sont
subordonnées à la propagande dont l'argent est le nerf principal.
Pourtant, il est une chose qui pourrait gêner, dans ses opérations,
le monde de la finance : c'est l'opinion publique. On peut acheter
100, 200, 500, 1.000, 10.000 personnes, on ne peut acheter toute une
population. Cette population, il faut donc la tromper, l'aveugler de
façon qu'elle ne se rende pas compte comment on la dépouille. Pour
accomplir cette œuvre, la presse était tout indiquée, et elle
remplit son rôle à merveille. La publicité financière alimente
les caisses des grands journaux, à condition que ceux-ci se taisent
sur le dessous des opérations auxquelles se livre la finance. On
peut dire qu'en 1927, il n'y a pas en France et de par le monde, un
seul journal quotidien qui puisse vivre par les ressources qui
proviennent de sa vente et qu'il est obligé d'avoir recours à la
publicité. Vers la fin de 1926, une petite révolution de palais
éclata au sein d'un grand quotidien parisien, et ce journal publia
une petite brochure, dans laquelle il tentait d'expliquer ce qu'est
la publicité financière. Nous en extrayons ces lignes : «
Publicité financière », est une expression vague, qui, dans le
monde des journaux, en est venue à englober toutes sortes de
publicité, bien différentes les unes des autres. Le tarif que vous
voyez figurer quelquefois à la sixième page des journaux, pour les
coffres-forts que louent les établissements de crédit, on appelle
cela de la publicité financière. Or, ces réclames n'ont rien de
financier. Pas plus que le tarif des différents genres de parapluies
que vend un marchand. Elles sont payées par les établissements
financiers, qui les font insérer, voilà tout. L'annonce des
assemblées générales des grandes sociétés anonymes, la liste des
numéros gagnants dans les tirages de valeurs à lots, on appelle
cela de la publicité financière. Mais, qu'y a-t-il là de
spécifiquement financier ? Rien ... ...C'est que, voilà : ces
réclames sont assez fréquemment le moyen par lequel certaines
entreprises, certains services publics, essayent de se concilier la
presse, de façon à ce qu'elle ne s'avise jamais de signaler leurs
abus. Autre danger : les textes de cette publicité, publiés
quelquefois en placard, dans les annonces, quelquefois dans le
Bulletin financier, peuvent, en exerçant d'adroites pesées sur les
esprits, créer des courants favorables aux pires opérations de
finance ou de politique. Ceux qui dirigent un journal, quelque avisés
et vigilants qu'ils soient, ne peuvent pas être toujours sûrs de
discerner les idées de derrière la tête de ceux qui payent ces
insertions ». Est-ce clair ? La finance, par le truchement de la
publicité, asservit la presse. Mais cela ne lui suffit pas. Comme ce
n'est pas une garantie suffisante, toutes les grandes entreprises de
crédit ont leurs journaux à eux ; chaque groupe de gros financiers
a son journal. Ayant dans des coffres l'argent de la population,
ayant entre ses mains les principaux organes d'information et de
propagande publique, est-il besoin de dire que la finance fait
l'opinion publique, que c'est elle qui dirige la politique, et que
les gouvernements, quelles que soient leurs couleurs ou leurs
tendances, ne sont que les plats valets des puissants établissements
de crédit et des vastes entreprises d'exploitation sociale? Comment
s'étonner alors, qu'un ministère, qu'un gouvernement, qu'un
parlement, soit par essence même conservateur et qu'ils agissent
dans l'intérêt du Capital? Il fut des gouvernements qui tentèrent
de résister à l'emprise de la finance sur la politique. Ils furent
brisés. Même, s'il était possible de supposer qu'un gouvernement
fût honnête, il serait dans l'incapacité absolue de faire quoi que
ce soit ; car, immédiatement, se dresseraient contre lui toutes les
forces coalisées du capital : finance, commerce et industrie, qui
détiennent toutes les richesses économiques et actionnent tous les
rouages de la machine sociale. Les conséquences de cet état de
choses sont désastreuses pour les classes asservies, cela se
conçoit. Toutes les actions politiques d'un Etat, sont orientées
vers la conservation des privilèges à ceux qui les détiennent et à
la poursuite de l'exploitation de l'homme par l'homme. Les finances
d'une nation qui, si la démocratie n'était pas un trompe-l'œil, un
mensonge, une erreur, devraient être alimentées par ceux qui
détiennent la fortune, le sont par les misérables travailleurs,
honteusement exploités par les forces de régression sociale (Voir
impôt). L'argent que recueille un gouvernement, en pressurant la
classe ouvrière, ne sert, en sa grande partie, à perpétuer des
institutions susceptibles de défendre et de soutenir les privilèges
acquis par la rapine, le vol et l'assassinat. C'est pour la finance
que sont entretenues, dans tous les pays du monde, des armées
colossales. C'est pour la finance que s'organisent les expéditions
coloniales. C'est pour la finance que se font tuer, sur les champs de
bataille, des millions de travailleurs. Monstre tricéphale qui a
déjà englouti tant de générations d'êtres jeunes et forts,
combien de temps encore le capital accomplira-t-il ses méfaits? Le
peuple n'en a-t-il pas assez et ne se résoudra-t-il pas bientôt à
mettre fin, par la révolution, à cette triple aberration que sont
le commerce, l'industrie et la finance? Ce n'est, cependant, qu'à ce
prix qu'il peut espérer vivre un jour libre et heureux au sein d'une
société où le travail sera enfin libéré de tous les parasites
inhérents au capitalisme.
- J. CHAZOFF
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