Ce mot a une
popularité relativement récente, et ce n'est que depuis la « paix
» qu'il a pénétré dans le peuple. Ce mot « se dit, nous enseigne
le Larousse, de valeurs fictives fondées sur la confiance de celui
qui les émet ». La monnaie fiduciaire ; la circulation fiduciaire.
En principe, chaque billet de banque mis en circulation par un
gouvernement est une valeur fictive, et doit avoir son équivalent en
or dans les caisses du Trésor. C'est-à-dire que si un Etat a une
encaisse or de 5 milliards de francs, il ne doit pas y avoir une
circulation fiduciaire supérieure à 5 milliards de francs, de
manière à ce que les détenteurs de billets soient en mesure de les
échanger à leur gré contre la valeur équivalente en or. On
comprendra donc facilement que la circulation fiduciaire repose
uniquement sur la confiance d'une population, car si celle-ci est
supérieure à l'encaisse or et que la population en réclame - ainsi
qu'elle en a légalement le droit - le remboursement, l'Etat serait
acculé à la plus sombre faillite. Avant la guerre, il y avait déjà
dans de nombreux pays une circulation fiduciaire supérieure à
l'encaisse or de l'Etat, mais cette monnaie fictive s'est accrue,
pendant et après la guerre, dans de telles proportions, qu'elle a
déséquilibré toute l'organisation économique du système
capitaliste et les gouvernants de plusieurs nations sont obligés de
recourir à des pisaller pour tenter de retrouver une stabilité,
tout au moins provisoire. Nous allons, afin de bien déterminer la
situation financière des divers états du monde, après la guerre,
dresser un tableau indiquant leur encaisse or et leur circulation
fiduciaire en 1923 :
On
remarquera que, seule, de tous les états du monde, la République
des Etats-Unis d'Amérique du Nord a une encaisse or supérieure à
la valeur des billets en circulation. Tous les autres pays et
particulièrement ceux qui eurent à souffrir directement de la
guerre ont une encaisse or terriblement inférieure à la somme de
billets de banque jetés sur le marché par des gouvernements à
court d'argent. Il en résulte fatalement un désaxage dans les
finances publiques, et c'est le travailleur qui, le premier, souffre
d'un semblable état de choses. On s'étonnera peut-être, en
constatant, sur le tableau que nous avons tracé, l'énormité de la
circulation fiduciaire de l'Allemagne en 1923. C'est qu'au lendemain
de la guerre, l'Allemagne poursuivit une politique financière
particulière. N'ayant que peu de dettes extérieures, elle considéra
qu'elle pouvait jouer sur une monnaie dépréciée, jetée sur le
marché pour les besoins de la cause, et de cette façon se libérer
assez rapidement des lourdes charges contractées durant ce carnage.
Cette opération accula le prolétariat allemand à la famine. La
valeur du mark changeait avec une rapidité inconcevable en 1922, et
entraînait une augmentation continuelle du coût de la vie. Cette
augmentation était si rapide qu'un ouvrier qui, le samedi, touchait
le salaire de la semaine écoulée, ne pouvait pas, le lundi, avec le
nombre de marks qu'il possédait, acheter ce qui était nécessaire à
la vie d'une journée. Il faut dire que la situation de l'Allemagne
était exceptionnelle et voulue par les dirigeants. Car, si la
situation fiduciaire joue directement un rôle sur la valeur des
produits d'importation, en ce qui concerne les produits de provenance
intérieure, un gouvernement qui a la faculté d'imposer une valeur à
une monnaie fictive, aurait, s'il n'était pas intimement lié à
toute entreprise financière commerciale et industrielle, la
possibilité - et le devoir - d'imposer de la même façon le prix
des marchandises. Nous avons dit qu'en France, la circulation
fiduciaire était, en 1923, de 40 milliards de francs, Si l'on ajoute
à cette somme toutes les autres valeurs fictives lancées par
l'état, et qui, n'ayant pas directement une puissance d'achat,
peuvent être échangées contre des billets de banque, la
circulation fiduciaire augmente immédiatement, et nous allons voir
que la position financière d'un état ou d'un gouvernement est, de
la sorte, subordonnée aux grandes entreprises d'exploitation
financière ou industrielle. En 1923, la dette française par tête
d'habitant était de 8.250 francs, et la valeur du franc était de 80
francs à la livre sterling. A 40 millions d'habitants, la dette
totale de l'Etat français était donc de 330 milliards de francs.
Cette dette totale se répartit en dette à court terme et dette à
long terme (voir le mot dette). Dans la dette à court terme, on
comprend les Bons de la Défense nationale, les Bons du Trésor, dont
le remboursement peut être exigé presque immédiatement par ceux
qui les détiennent. Or, ces bons, directement ou indirectement, sont
entre les mains des grosses associations financières ; et, selon
l'attitude du gouvernement, ils les renouvellent ou en réclament
l'échange contre des billets de banque qui ont une puissance directe
d'achat. Lorsque l'Etat n'est pas en mesure de rembourser, il a
recours à l'inflation, c'est-à-dire qu'il fait imprimer à nouveau
de la monnaie fiduciaire ; mais on conçoit que ceci ne s'opère pas
sans inconvénient, et que la panique s'empare assez rapidement de la
population, lorsque la monnaie se déprécie. La haute finance
spécule sur ce sentiment populaire, et la crainte de l'ouvrier ou de
l'épargnant de voir la puissance d'achat de son argent s'affaiblir,
permet à la finance et à l'industrie de tenir sous leur coupe les
gouvernements, à quelque parti qu'ils appartiennent. D'autre part,
un gouvernement ne peut se livrer à l'inflation sans le concours et
la complicité des maîtres de la finance. En effet, comme nous le
disons plus haut, la circulation fiduciaire repose sur la confiance ;
or, la finance qui détient le monopole de la presse, qui a un
pouvoir de propagande formidable, aurait tôt fait de briser cette
confiance, si un gouvernement lui résistait. Et une population
refusant les billets mis en circulation acculerait l'Etat à la
banqueroute, La population d'un pays est généralement impressionnée
par la hausse ou la baisse de la devise nationale, sans saisir
exactement les causes de ces fluctuations continuelles. Certains
économistes démocrates conseillent la stabilisation de la monnaie
pour mettre fin à la spéculation facilitée par une monnaie
instable ; mais sur ce terrain, les groupes financiers ne sont pas
d'accord, leurs intérêts étant différents et, impuissant, le
peuple assiste à une bataille financière dont il paie tous les
frais. En réalité, si certains groupes de financiers sont
adversaires d'une revalorisation ou d'une stabilisation de la
monnaie, ce n'est que provisoire. Ils en seront partisans le jour où,
avec cette monnaie dépréciée, ils auront acquis une plus grande
puissance économique en la transformant en propriétés. Une revue
française signalait en décembre 1926, le cas d'un syndicat
financier international, qui se porta acheteur de 8 à 10 milliards
de francs, ce qui provoqua la hausse de cette valeur de 50 p. 100. «
Quel est donc l'intérêt qui fait agir le syndicat international?
demandait cette revue. Il est peu probable que ce soit dans l'unique
but d'améliorer la cote du franc sur le marché mondial, ou, d'autre
part, de provoquer une crise économique, industrielle et commerciale
en France? C'est uniquement l'espoir d'une opération fructueuse qui
l'a décidé à acheter ces masses de francs... Il est possesseur
d'une masse considérable de francs, mais s'il fait monter notre
devise en l'achetant, ne risque-t-il pas de l'anéantir au jour où
il voudra dénouer l'opération? » D'autre part, cette masse de
monnaie fiduciaire permet aux groupes de capitalistes qui la
possèdent d'accaparer les richesses sociales, et l'on peut être
certain qu'au jour où leurs opérations seront terminées, ils ne
s'opposeront plus à la revalorisation ou à la stabilisation. Ces
vastes questions financières sont complexes et peu accessibles à
l'esprit populaire qui n'en ressent que les contrecoups, sans en
connaître les causes ; cependant, la large circulation fiduciaire
nous aura démontré ceci : c'est que l'argent où la monnaie en soi
n'a aucune valeur réelle, mais simplement une valeur spéculative.
Lorsque le peuple s'inspirera de cette idée que la monnaie est une
entrave à la vie, et que, loin d'améliorer les procédés
d'échange, elle les complique, un grand pas sera fait vers
l'organisation d'une société économique plus libre. Supprimer
toute la monnaie, c'est permettre à chacun de vivre selon ses
besoins, et c'est le but le plus près que nous devons atteindre.
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