Doctrine
philosophique qui attribue tout au destin, considère que tous les
événements sont fixés à l'avance par une cause surnaturelle et
doivent fatalement s'accomplir. Conséquemment, le fatalisme nie le
libre arbitre, c'est-à-dire la doctrine philosophique qui présente
l'individu libre de ses gestes et de ses actes et, en conséquence,
responsable de ceux-ci ; mais il combat également le déterminisme
qui conditionne une chose à une autre et prétend que toutes les
actions de l'individu sont les résultantes d'effets et de causes qui
s'enchaînent les unes aux autres. A notre avis, et s'il est vrai que
les problèmes philosophiques exercent une influence sur la vie
sociale des hommes, nous pensons que le fatalisme est une doctrine de
paresse, d'impuissance et de mort, surtout en ce qui concerne le
fatalisme vulgaire des musulmans. Pour ce qui est du fatalisme
panthéiste de Spinoza, nous croyons qu'il a ouvert de larges
horizons au déterminisme. Si nous disons que le fatalisme est une
doctrine de mort, c'est, qu'en effet, si la vie de l'homme est
définitivement réglée, si rien ne peut changer le cours tracé de
son existence, toute lutte est alors inutile et l'individu n'a plus
qu'à attendre les événements puisqu'il ne peut rien contre
ceux-ci. « Dans les âges primitifs, quand un héros était dévoré
par un cancer, on le croyait mangé par un Dieu ; on offrait au Dieu
de la viande fraîche, on supposait qu'il l'aimerait mieux que la
chair du malade et qu'il lâcherait celui-ci » (Renan, Dialogues
philosophiques). Une semblable illusion ne peut être permise au
fataliste. Dans le même cas, il n'a qu'à se laisser mourir et il
n'a même pas la ressource de la prière pour espérer apitoyer son
Dieu sur son sort misérable, puisque c'est ce dieu qui,
irrévocablement, à tracé ce sort ; en cette circonstance, tout ce
que le fataliste peut espérer, c'est la félicité dans un monde
meilleur. Une telle conception philosophique si contraire aux lois
scientifiques annihile inévitablement toute volonté et toute
énergie et ne peut être admise par les anarchistes qui considèrent
la vie comme une lutte continuelle. Pas plus que le fatalisme, nous
ne pouvons admettre le libre arbitre. Nous savons que l'homme n'est
pas libre, qu'il est le produit de circonstances, d'événements,
d'effets et de causes, de l'ambiance et de l'hérédité. « Etre
véritablement libre, écrit Voltaire, c'est pouvoir. Quand je peux
faire ce que je veux, voilà ma liberté ; mais je veux
nécessairement ce que je veux ; autrement je voudrais sans raison,
sans cause, ce qui est impossible. Ma liberté consiste à marcher
quand je veux marcher et que je n'ai point la goutte » (Voltaire, le
philosophe ignorant). Mais, diront les adversaires du déterminisme,
votre déterminisme se rapproche sensiblement du fatalisme vulgaire.
Qu'importe que les causes soient multiples, ou que la cause soit
unique, si le résultat est le même et que l'individu déterminé
par des causes extérieures à lui-même ne peut rien changer à sa
destinée? Argument simpliste, raisonnement à l'absurde. Dans ses
dialogues philosophiques, Ernest Renan fait ainsi parler un de ses
sujets : « Hors de notre planète, l'action de l'homme peut être
considérée comme nulle, puisque notre planète n'agit guère dans
l'ensemble de l'univers que par la gravitation ; or, l'homme n'a pas
changé et ne saurait changer la gravitation de sa planète.
Cependant, la moindre action moléculaire retentissant dans le tout,
et l'homme étant cause au moins occasionnelle d'une foule d'actions
moléculaires, on peut dire que l'homme agit dans le tout d'une
quantité qui équivaut à la petite différentielle qu'il y a entre
ce qu'est le monde avec la terre habitée et ce que serait le monde
avec la terre inhabitée. On peut même dire que l'animal agit
lui-même dans l'univers à la façon d'une cause ; car une planète
peuplée seulement d'animaux verrait se produire à sa surface des
phénomènes naissant de la spontanéité de l'animal et différents
des purs phénomènes mécaniques, où ne se décèle aucun choix ».
Et, en effet, si nous abandonnons le terrain purement philosophique
et abordons le terrain social, nous disons : bien que déterminé,
l’individu apporte dans l'ordre des choses une part de lui-même,
une part qui lui est propre, une part qui lui est individuelle. Et
cette part particulière, associée à celle de ses semblables peut
changer la face des choses, le cours des événements. Lorsque nous
disons que la Révolution est inévitable, qu'elle sera violente, ce
n'est pas parce que fatalement elle doit être violente. S'il plait
aux hommes qui détiennent la richesse sociale d'abandonner leurs
privilèges et de participer à l'organisation d'une société plus
humaine, la violence ne s'exercera pas ; ce n'est pas parce que nous
croyons au fatalisme que nous disons que la Révolution sera
violente, mais justement parce que cette violence sera déterminée
par le refus des classes oppressives d'accéder aux désirs du
populaire. Le capital a le pouvoir parce que lui aussi est déterminé
et détermine de même que le peuple a possibilité de transformer du
tout au tout l'ordre social actuel. Cette possibilité n'est pas
seulement consécutive aux causes qui déterminent le peuple, mais
aussi aux effets dont le peuple est la cause. Il y a un fossé entre
le fatalisme et le déterminisme, et nous pouvons dire que le
déterminisme est l'antidote du fatalisme. Au mot déterminisme, on
trouvera une explication plus étendue de ce que nous entendons par
déterminisme, mais pour nous, il n'exclut pas la responsabilité. Il
est simpliste de prétendre que l'homme étant déterminé, il est
entièrement irresponsable. S'il en était ainsi, je ne serais pas
déterministe. Chaque individu a une part de responsabilité. Le juge
qui condamne, le bourreau qui exécute sont peut-être le produit de
la société, ils sont les effets d'une foule de causes, c'est
entendu ; mais ils apportent aussi un peu d'eux-mêmes dans chacun de
leurs actes et en conséquence, leur responsabilité, si elle n'est
pas absolue, est tout au moins partielle. Et puis, la lutte sociale
ne permet pas de s'arrêter à de telles subtilités. Sur le terrain
philosophique, il est permis de se livrer à une gymnastique
intellectuelle pour rechercher la part de responsabilité de chacun ;
sur le terrain social, il faut batailler pour vivre et arracher à
ceux qui nous oppriment la part de bonheur à laquelle nous avons
droit. Eloignons de nous cette idée que rien ne peut changer, que
tout ce qui arrive est fatal, que tel événement ne pouvait pas ne
pas se produire, que les fléaux sont inévitables, et pensons avec
Louis Blanc que « jusqu'à présent » la civilisation a fait fausse
route ; et dire qu'il n'en saurait être autrement, c’est perdre le
droit de parler d'équité, de morale, de progrès.
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J. CHAZOFF
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