LES
IGNORANTINS
25
novembre 1903
Les
ignorantins ! Ce n’est pas nous qui avons donné ce surnom aux
Frères des écoles chrétiennes : ce sont eux-mêmes qui, jadis,
prirent plaisir à se surnommer ainsi, « par modestie », disaient
leurs partisans. Sous Napoléon Ier,
sous Louis XVIII, on disait volontiers : « Les respectables
Ignorantins. »
J’aime
ce nom que se donnent les bons Frères : il marque bien le caractère
et le but de leur pédagogie, qui est de faire des ignorants pour
faire des catholiques.
Et
l’ignorance qu’ils inculquent n’est pas ignorance innocente et
désarmée : c’est une ignorance vicieuse et armée – armée
contre la vérité, contre la raison, contre les idées républicains.
Voyez
surtout comment ils enseignent l’histoire.
Déjà
M. Léon Bourgeois, à la tribune, le 25 mars 1901, a donné des
exemples significatifs de la manière dont les Frères frelatent ou
mutilent la vérité historique, afin de plier les enfants au dogme
catholique par un enseignement civique à rebours. Il a cité des
extraits de devoirs, des extraits de manuels.
On
trouverait bien d’autres exemples, aussi ou plus significatifs.
Ainsi,
on m’a communiqué une communication d’un élève des Frères au
certificat d’études primaires.
Le
sujet était celui-ci : « Que vous rappellent les dates suivantes :
14 juillet 1789, 4 août 1789, 14 juillet 1790 ? Indiquez qui vous
voyez un lien entre les différents faits que ces dates vous
rappellent. »
Voici
textuellement ce qu’a répondu l’élève des Frères. Je
reproduis les fautes d’orthographe, et je ne supprime que le nom de
l’élève :
«
Comme chaques jours j’apprends un peu d’histoire de France il y a
des faits qui se sont graver dans ma mémoire et parmi lesquelles je
pourrais cité l’époque de la révolution Française.
«
Sous Louis XVI roi de France était un prince perverti. Il laissa les
mauvais savants publié les mauvais ouvrages qui blessèrent les âmes
et les poussèrent à la révolte.
«
Sous Louis XVI ces mauvais ouvrages se répandirent et une Grande
Révolution allait éclatée.
«
Parmi les dates les plus terrible il faut nommer le 14 juillet 1790
et le 4 août de la même année et le 14 juillet 1790.
«
La première de ces Dates fut la première de la Révolution.
«
Le 14 juillet des cartiers de Paris se mirent à assiégé la
bastille. Son gouverneur Delaunoy eut la tête tranchée et plusieurs
de ses col-lègues aussi.
«
Le 4 août le peuple de Paris irrité par les menaces du
généralissime Prussiens enfermèrent dans les prisons les prétes
les femmes et les enfant furent enfermée parce qu’il n’aimait
pas la révolution. La nuit des bandes d’assassins massacrèrent
toutes ses pauvres victime.
«
Enfin l’année suivante grande anniversaire 14 juillet se célèbre
par un peut de calme.
«
Ses trois faits principaux s’unissent et partent d’un mêmes
point qui est les erreurs janséniste. »
Je
ne donne point cette composition (bien entendu) comme significative
du degré d’instruction des élèves des Frères : il ne leur
serait pas difficile de m’opposer un devoir d’élève laïque où
il y aurait au-tant de fautes d’orthographe, d’aussi fortes
erreurs historiques
Je
la donne comme significative de la tendance de l’enseignement
historique des Frères.
Voyez-vous
ce pauvre petit qui s’imagine que la Révolution n’a été qu’une
suite de crimes sanglants, et qui attribue ces crimes, non seulement
à la philosophie, mais au jansénisme ! Il y a certes, en histoire,
des sottises laïques ; mais celle-là porte sa marque d’origine :
c’est une sottise cléricale, et on y voit bien les efforts
calculés des Frères pour déformer l’histoire au profit du
catholicisme et spécialement au profit du catholicisme jésuitique.
Si
on veut se faire une idée plus précise et plus complète encore de
la façon dont les Ignorantins enseignent l’histoire aux enfants du
peuple, il faut lire le manuel généralement adopté dans leurs
établissements et que M. Léon Bourgeois a déjà signalé. Il est
signé F. F. et j’ai sous les yeux le cours supérieur, publié
chez Mame et Poussielgue
Je
laisse de côté quelques âneries qui ne sont là que pour mettre
l’enfant en goût d’ignorance, comme quand il est dit (p. 495)
que Barnave et Bailly siégeaient à l’Assemblée législative, ou
(p. 496) que cette Assemblée déclara la guerre à la Prusse. Il y a
aussi, je le répète, des âneries laïques, et les bons Frères
n’ont pas la spécialité de ces bourdes grossières.
Mais
ce qui est bien à eux, je le répète aussi, c’est la tendance.
Ainsi, p. 468, leur auteur dit de Voltaire qu’il fut « le plus
menteur, le plus corrompu, le plus écouté et le plus malfaisant des
philosophes » ; p. 469, il dit de Rousseau qu’il combattit « avec
un haineux acharnement la religion chrétienne » (pauvre Vicaire
savoyard !) ; p. 449, il dit de Turgot : « Il eut le tort de se
montrer dédaigneux de nos traditions nationales et hostile, comme
les philosophes ses amis, à l’influence bienfaisante de l’Église
» ; et de Malesherbes : « Les fausses idées du philosophisme
eurent aussi trop d’influence sur son esprit et l’engagèrent
dans plusieurs des erreurs sociales de ses contemporaines. »
Quel
tableau l’historien des Frères trace-t-il aux enfants de l’ancien
régime ? Un tableau presque riant. La dîme ? C’était un « impôt
minime ». Les privilèges de la noblesse ? ils étaient «
justifiés » par ses charges (p. 475).
Que
faut-il penser de l’Assemblée constituante ? qu’elle « accumula
les ruines » (p. 489). De la confiscation des biens du clergé ?
qu’elle « aggrava la misère des pauvres et la rendit presque
intolérable » (p. 492). De la Convention ? que ses commissaires «
faisaient partout dresser la guillotine », et aussi « qu’un
million d’hommes moururent de misère pendant la Terreur » (p.
520).
Et
ainsi de suite. Tout est à l’avenant !
Qu’est-ce
donc que l’histoire aux yeux des Frères ? La préface du manuel
nous le dit : « L’histoire est le récit des faits accomplis, avec
la permission de Dieu, par l’homme qu’il a créé libre, faits
qui ont influé sur les destinées naturelles et surnaturelle de
l’humanité. »
Ces
faits, « il faut les exposer et les juger à la lumière de
l’Évangile ».
L’histoire
doit convaincre les enfants « que la morale évangélique n’est
pas seulement pour régit la vie individuelle, mais qu’elle
demeure, en dépit de toutes les protestations, la règle souveraine
des gouvernements ». De nombreux évêques ont approuvé et ce
manuel et la définition de l’histoire. Le cardinal Langénieux,
dans son approbation, prend même soin de préciser ainsi cette
définition : « L’histoire, c’est l’évolution providentielle
de l’humanité autour de Jésus-Christ, à qui les nations ont été
données en héritage. » Et il félicite les frères d’avoir conçu
leurs leçons d’histoire « dans cet esprit large et surnaturel ».
L’archevêque
de Tours leur a fait un autre compliment. Ayant lu ce qu’ils ont
dit de la Révolution, il les félicite de leur « impartialité ».
Cela
veut dire que les frères ignorantins, encore aujourd’hui
incorporés à l’Université, de par le décret de 1808, ont mis
l’histoire au service de l’Église catholique – et voilà, les
leçons antirépublicaines qu’ils donnent, avec privilège de
l’État, aux quatre cent mille enfants qui leur sont confiés par
le fanatisme des mères et par l’indifférence des pères !
(Dépêche
de Toulouse du
25 novembre 1903.)
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