Dévouement
à Dieu ; attachement aux pratiques religieuses. La dévotion a pour
objet l'observation des lois prescrites par les théologiens des
diverses religions, qui au cours des âges, exposèrent, expliquèrent
et vulgarisèrent les dogmes définis par une autorité soi-disant
infaillible. Si la dévotion n'était que ridicule et inutile, il n'y
aurait qu'à laisser les fanatiques se livrer à leurs pratiques et à
leurs simagrées sans plus s'inquiéter d'eux : mais elle est un
danger social et est nuisible à l'individu, comme du reste tout ce
qui se rattache à l'idée de Dieu. Elle est non seulement néfaste à
l'individu en soi, mais elle déteint sur tout ce qui l'entoure, et
exerce une détestable influence sur toute la collectivité, qui
souffre en conséquence des agissements déraisonnables des croyants.
Il est possible qu'en des temps reculés, certains actes de dévotion
aient été édictés par des conducteurs d'hommes ou des savants de
l'époque, en raison de la brutalité, de l'ignorance et de la
bestialité des peuples ou des tribus, et on s'explique aisément
aujourd'hui, pourquoi la loi judaïque par exemple exigeait des
fidèles qu'ils se lavassent les mains deux fois par jour,
c'est-à-dire avant de faire les prières précédant les repas, ou
que, une fois l'an, à la veille de Pâques, ils nettoyassent leurs
maisons du fond aux combles afin qu'il ne puisse y rester une miette
de pain égarée. La loi judaïque prescrivait de même que la femme
devait au moins une fois par mois, après ses menstrues se rendre au
bain, et que tous les fidèles âgés d'au moins treize ans devaient,
une fois par an, jeûner durant 24 heures, et il nous apparaît que
ces dévotions avaient un caractère d'hygiène et étaient inspirées
dans un but pratique. Mais il semble que, de nos jours, et plus
particulièrement dans nos pays occidentaux, il ne soit pas
nécessaire d'obliger par une loi, les individus à se laver et à
nettoyer leur maison, ou de leur apprendre qu'ils doivent de temps à
autre reposer, par une certaine abstinence, les organes intérieurs
de leurs corps, de même qu'ils délassent leurs bras ou leurs jambes
fatigués par un travail trop rude. Il est donc évident que si, à
l'origine, les dévotions ont présenté certaine utilité, depuis
longtemps elles ont été dénaturées par la religion et ne
présentent plus aujourd'hui aucun sens pratique. Le dévot n'a à
présent d'autre but que celui de plaire à Dieu, et d'attirer sur
lui les bienfaits du Très-Haut. Nous disons plus haut que la
dévotion est néfaste à la collectivité, et il n'est pas besoin de
remonter très loin dans l'histoire pour y retrouver les crimes
commis par les dévots. Les autodafés, c'est-à-dire l'exécution
des jugements prononcés contre les savants et les philosophes,
considérés comme hérétiques par l'Inquisition, étaient
considérés comme des actes de dévotion. Le massacre de la
Saint-Barthélemy qui eut lieu à Paris et dans toute la France dans
la nuit du 24 au 25 août 1572, d'après les ordres du roi Charles
IX, fut un acte de dévotion. Plus de 200.000 personnes périrent, au
nom de la religion et de Dieu, en cette nuit tragique, et le Pape
Grégoire XIII eut le cynisme, en apprenant le massacre, de faire
tirer le canon du château Saint-Ange en signe de réjouissance, et
d'envoyer au roi meurtrier un message de reconnaissance, le
félicitant pour l'acte de dévotion qu'il venait d'accomplir. Et
plus près de nous, il y a quelques années à peine, lorsque la
Russie était courbée sous le joug du tsarisme, et chaque fois que,
pour des raisons politiques, il fallait occuper l'esprit populaire,
l'église ne se prêtait-elle pas bénévolement à l'organisation
des pogroms et, sous l'obscure conduite de la prêtraille, de
malheureux inconscients ne croyaient-ils pas accomplir un acte de
piété et s'attirer la reconnaissance du Ciel, en persécutant de
pauvres juifs qu'on leur jetait en pâture? Et en France, pays de
l'irréligion, nous assistons encore, de temps à autre, au triste
spectacle de malades, se livrant sur leurs semblables à des actes de
cruauté, croyant ceux-ci possédés par le diable? N'est-ce pas en
1926 qu'une poignée de déments s'emparèrent d'un prêtre et
exercèrent sur lui des violences, pour faire sortir de son corps le
démon dont il était possédé? Les dévotions, sont donc
manifestement pratiquées par des êtres corrompus
intellectuellement, et maintiennent l'individu dans un perpétuel
état d'asservissement. C'est du reste bien le rôle dévolu à la
dévotion par la religion. Dans Orpheüs, le beau livre de Salomon
Reinach, sur l'histoire des religions, on fera une ample moisson des
erreurs accumulées par des siècles de dévotion, et on est étonné
à la lecture de cet ouvrage, si simple, si clair et si profond, à
la portée de toutes les intelligences et qui devrait se trouver dans
toutes les familles, qu'il y ait encore des gens assez dépourvus de
bon sens, pour se livrer aux hommes d'églises, à quelque religion
qu'ils appartiennent. Ce qui est particulièrement regrettable, c'est
que l'homme du peuple, le paria, l'opprimé, ne soit pas, non plus,
débarrassé du préjugé religieux, et qu'il se livre également à
des actes de dévotion. Il est peu d'individus, même dans la classe
ouvrière, qui se « marient » sans passer devant Monsieur le Curé
; ils sont peu nombreux ceux qui ne font pas baptiser leurs enfants,
ou qui n'envoient pas ceux-ci au catéchisme afin de faire leur
première communion. « C'est sans importance » diton ; et c'est une
profonde erreur. Ce sont toutes ces pratiques qui donnent encore à
l'église une certaine puissance et c'est du reste la raison pour
laquelle les prêtres s'attachent à attirer vers eux les petits et à
leur imprimer le caractère de la dévotion. En apprenant à servir
Dieu, on se prépare à servir ses maîtres sans protester, et on
forge les chaînes qui maintiennent l'humanité en un demi-esclavage.
Il est faux, que la dévotion soit une innocente folie ; c'est une
folie dangereuse, contre laquelle il faut lutter, pour débarrasser
la civilisation d'une plaie, d'une maladie qui a fait déjà de trop
nombreuses victimes. La dévotion est tellement imprégnée en
l'individu, qu'elle se manifeste même en dehors des églises
spirituelles, et l'on rencontre des dévots, qui croient être
libérés de tous préjugés religieux et qui cependant remplissent
certains devoirs ridicules, qui leur sont conseillés par les
théologiens des nouveaux dogmes et des cultes modernes. Ce sont les
patriotes, les nationalistes, et aussi les travailleurs qui ont
découvert un nouveau Dieu et qui ne manquent jamais de lui faire
leurs dévotions. Ignorance et hypocrisie, c'est la seule définition
que l'on puisse donner de la dévotion ; d'une façon comme d'une
autre il faut la combattre. « Un dévot est celui, qui, sous un roi
athée, serait athée ». (La Bruyère). Et, en effet, le dévot est
d'ordinaire un être plat, bas, mesquin, petit, qui cache ses
passions, ses vices et ses tares, sous un voile de piété. « Ne
vous fiez pas, nous dit Balzac, à la sainte humilité ni au mauvais
habillement de ce prêtre directeur de conscience, qui semble se
préparer toujours à la mort ; car au dedans il est tout vêtu de
pourpre, il a l'ambition de quatre rois ; il a des desseins pour un
autre siècle. Mais surtout défiez-vous de ces ouvriers d'iniquité,
de ces hommes puissants en malice, qui lèvent au ciel des mains
impures, et s'approchent des mystères, étant tout sanglants de
leurs parricides. Ils sont cruels ; ils sont monstrueux ; ils sont
sacrilèges et ne laissent pas d'être dévots. Leur dévotion
corrige leurs gestes et reforme leurs cheveux, mais elle ne touche
point à leurs passions ni à leurs vices. Ils ne gagnent rien à la
fréquentation des choses saintes, que le mépris qui naît de la
familiarité et de la coutume de les violer. Ils en deviennent plus
hardis, méchants, et non pas plus gens de bien ; ils perdent le
scrupule et ne perdent pas le mal. Tellement qu'il est à croire
qu'ils ne vont pas tant à l'église pour obtenir le pardon de leurs
fautes, que pour demander permission de les faire et avoir autorité
de pêcher ». (Balzac, le Prince.) Elle serait longue à décrire la
liste des dévots notoires qui se signalèrent à l'histoire, par
leur méchanceté, leur tyrannie et leur despotisme. Louis XI fut un
dévot cruel, Charles IX a à son actif la Saint-Barthélemy,
Richelieu, le cardinal rouge, ensanglanta la France et son nom est
taché de tous les assassinats qu'il
organisa
; Louis XIV, le roi Soleil, fut un dévot ambitieux et hautain, et
ses maîtresses, ne furent pas moins abjectes qu'il ne le fut
lui-même. Madame de Montespan, après avoir supplanté la La
Vallière, et eu du grand roi huit enfants, après avoir trempé dans
l'affaire des poisons qui défraya la chronique parisienne de 1670 à
1680, fut à son tour sacrifiée à la Maintenon, et versa dans la
dévotion la plus basse, comme si la piété pouvait laver toutes les
ignominies dont-elle s'était rendue coupable. La Maintenon ne fut
pas une dévote moins ambitieuse que celle à qui elle succéda. Tour
à tour protestante et catholique, elle abandonna, définitivement le
protestantisme, son intérêt étant intimement lié à sa ferveur.
Après avoir épousé le poète Scarron, elle devint bientôt veuve,
mais l'esprit de son mari lui avait été de quelque utilité, et
cette femme dévote n'hésita pas à accepter d'élever les enfants
adultérins de Louis XIV. C'est probablement toujours en vertu de la
morale, qu'elle se livra à Louis XIV et supplanta Mme de Montespan,
qui avait été sa bienfaitrice. On peut dire que Mme de Maintenon a
une grande part de responsabilité dans les désastres et les
infamies qui signalèrent la fin du règne de Louis XIV. La liste
pourrait s'allonger indéfiniment, mais à quoi bon ; qu'il nous
suffise de conclure par ces sages paroles de La Bruyère : « Faire
servir la piété à son ambition, aller à son salut par le chemin
de la fortune et des dignités, c'est, du moins jusqu'à ce jour, le
plus bel effort de la dévotion du temps ». Cela n'a pas changé, et
cela ne changera pas ; car c'est en cela que consiste la dévotion,
et si elle n'est pas la conséquence de l'intérêt, elle est celle
de la bêtise.
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