Celui
qui détrousse, qui vole les passants sur la voie publique en usant
de violence. Il convient d'expliquer l'origine de ce mot. Il fut un
temps où les anciens afin que leur robe ne trainât pas la tenait
troussée à l'aide d'une ceinture, dans laquelle ils portaient
également leur argent. Or, pour les voler on emportait cette
ceinture et la robe se trouvait détroussée, c'est-à-dire pendante,
traînante. On a donc donné le nom de détrousseur à celui qui se
livrait à ce genre d'opérations. De nos jours, la ceinture a
disparu mais hélas, le détrousseur lui a survécu ; toutefois il
n'opère pas de la même façon. Ce n'est pas qu'il manque de
chenapans, d'êtres vils et mauvais, qui n'hésitent pas à vous
attaquer au coin d'une rue pour vous dépouiller de votre maigre
avoir ; mais ces détrousseurs-là, aussi nuisibles soient-ils, sont
de bien faible envergure si on les compare aux détrousseurs de
grande école qui, par l'escroquerie autorisée légalement, vous
affament et vous réduisent à la misère. Ces détrousseurs, que
l'on peut qualifier de bourgeois, mettent une certaine forme pour
vous voler ; ils emploient des formules alléchantes, savent
intéresser leurs futures victimes, et ils seraient vraiment bien mal
inspirés en coupant la ceinture, puisque les portefeuilles s'ouvrent
d'eux-mêmes, et que les poches se vident pour aller remplir leurs
coffres-forts. Laissons à la bourgeoisie ce qui lui appartient.
C'est son rôle de détrousser le peuple puisque ce dernier veut bien
se laisser faire. Lorsqu'il aura suffisamment été détroussé,
peut-être refusera-t-il de se prêter aux entreprises du capital,
mais ce qui est hélas regrettable c'est qu'il arrive souvent que le
peuple se rende complice des méfaits de ses maîtres et fasse aussi
oeuvre de détrousseur. Lorsque toute licence lui est accordée, et
plus particulièrement lorsqu'il a revêtu l'uniforme militaire,
l'homme s'avilit, se dégrade et il semblerait que l'empreinte du
costume le pousse à se livrer à des excès blâmables. C'est
surtout dans les expéditions coloniales, lorsqu'il opère contre des
indigènes sans défense, que se manifestent la brutalité et la
bestialité de certains soldats. « On détrousse les passants, on
fait le contraire aux filles ; on vole, on viole, on massacre »
(P.-L. Courier). Est-ce que ces lignes de Paul-Louis Courier ne
s'appliqueraient pas admirablement aux pauvres inconscients, qui, en
pays conquis, disposent non seulement du bien, mais aussi de la vie
de leurs victimes? Que de travail ne reste-t-il pas à accomplir pour
éduquer tous ces malheureux qui n'ont pas encore compris que tous
les hommes opprimés, qu'ils soient noirs ou blancs, sont leurs
frères de misère, et qu'eux-mêmes ne sont que des jouets entre les
mains de détrousseurs qui ne leur donnent jamais que l'os que l'on
jette aux chiens. Espérons qu'un jour tout cela changera, et que
l'humanité rénovée ne sera plus divisée en détrousseurs et en
détroussés, et que tous les hommes libres et égaux travailleront à
perpétuer le bien-être et la fraternité.
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