Tourner
en sens contraire, écarter, éloigner, faire prendre une autre
direction. Détourner la tête, détourner les oreilles. « Il n'est
plus aveugle que celui qui ne veut pas voir, ni plus sourd que celui
qui ne veut pas entendre » dit le proverbe, et ils sont en effet
nombreux ceux qui détournent la tête et les oreilles lorsqu'on veut
leur parler de questions qui les intéressent cependant au plus haut
point. C'est avec facilité que les maîtres arrivent à détourner
l'attention de leurs esclaves ; il faut si peu de choses pour les
distraire et les préoccuper, que ces derniers ne s'aperçoivent même
pas qu'un fait divers banal et grossier, autour duquel la grande
presse fait un impressionnant tam-tam, n'a d'autre but que de
détourner les regards du peuple d'un événement social dont dépend
tout son avenir. Chacun peut avoir une conception particulière du «
devoir », mais pour nous, anarchistes, nous pensons qu’abandonner
la direction de la chose publique entre les mains de politicaillons
rapaces et intéressés, se laisser accaparer par des incidents
d'ordre secondaire, et ne pas s'intéresser à tout ce qui est la
vie, présente et future de la société, c'est se détourner du
droit chemin, c'est manquer à tous ses devoirs. Et c'est justement
parce que le peuple se détourne volontairement de tout ce qui
pourrait lui être utile que, par paresse, il accorde sa confiance à
ses pires ennemis, qu'on lui soustrait frauduleusement, sous formes
d'impôts directs et indirects, des sommes formidables, qui,
détournées de l'objet auquel elles étaient destinées, vont
enrichir une armée de parasites spéculant sur la naïveté et la
bêtise humaines et vivant grassement du produit de leurs forfaits. «
Les grands sujets lui sont défendus ; il se détourne sur de petites
choses », (La Bruyère). Telle est la figure du peuple, il portera
toute son attention sur un Landru quelconque, criminel de bas étage,
inventé peut-être de toutes pièces pour les besoins de la cause et
accusé à tort ou à raison d'avoir tué une demi-douzaine de
femmes, mais ne remarquera pas qu'après avoir sacrifié sur le champ
de bataille plusieurs millions d'êtres humains, les potentats et les
ploutocrates, autour du tapis vert diplomatique, discutent des
meilleurs moyens à employer pour asservir ce qui reste de sain et de
productif dans la population du monde. Il serait temps que le peuple
se détournât de toutes ces distractions mesquines qui lui font
perdre sa dignité et, qu'il se tournât enfin vers la vérité,
source de lumière et de bienfaits. Le peuple peut faire de grandes
choses ; sa force, sa puissance, son intelligence, son activité, son
travail le lui permettent. Il lui manque une chose : la volonté.
Qu'il sache l'acquérir, et alors il pourra détourner l'humanité de
la route boueuse et sanglante qu'elle a suivie jusqu'à ce jour et la
diriger sur le chemin de la liberté.
 
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