dimanche 11 novembre 2018

Note sur la suppression générale des partis politiques De Simone Weil


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« L'usage même des mots de démocratie et de république oblige à examiner avec une attention extrême les deux problèmes que voici :
Comment donner en fait aux hommes qui composent le peuple de France la possibilité d'exprimer parfois un jugement sur les grands problèmes de la vie publique ?
Comment empêcher, au moment où le peuple est interrogé, qu'il circule à travers lui aucune espèce de passion collective ?
Si on ne pense pas à ces deux points, il est inutile de parler de légitimité républicaine.
Des solutions ne sont pas faciles à concevoir. Mais il est évident, après examen attentif, que toute solution impliquerait d'abord la suppression des partis politiques.
Pour apprécier les partis politiques selon le critère de la vérité, de la justice, du. .bien public, il convient de commencer par en discerner les caractères essentiels.
On peut en énumérer trois :
Un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective.
Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres.
La première fin, et, en dernière analyse, l'unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite.
Par ce triple caractère, tout parti est totalitaire en germe et en aspiration. S'il ne l'est pas en fait, c'est seulement parce que ceux qui l'entourent ne le sont pas moins que lui.
Ces trois caractères sont des vérités de fait évidentes à quiconque s'est approché de la vie des partis. »
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« Mais aucune quantité finie de pouvoir ne peut jamais être en fait regardée comme suffisante, surtout une fois obtenue. Le parti se trouve en fait, par l'effet de l'absence de pensée, dans un état continuel d'impuissance qu'il attribue toujours à l'insuffisance du pouvoir dont il dispose. Serait-il maître absolu du pays, les nécessités internationales imposent des limites étroites. »
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« Le tempérament révolutionnaire mène à concevoir la totalité. Le tempérament petit-bourgeois mène à s'installer dans l'image d'un progrès lent, continu et sans limite. Mais dans les deux cas la croissance matérielle du parti devient l'unique critère par, rapport auquel se définissent en toutes choses le bien et le mal. Exactement comme si le parti était un animal à l'engrais, et que l'univers eût été créé pour le faire engraisser. »
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« Les partis sont des organismes publiquement, officiellement constitués de manière à tuer dans les âmes le sens de la vérité et de la justice. »
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«Supposons un membre d'un parti — député, candidat à la députation, ou simplement militant — qui prenne en public l'engagement que voici : « Toutes les fois que j'examinerai n'importe quel problème politique ou social, je m'engage à oublier absolument le fait que je suis membre de tel groupe, et à me préoccuper exclusivement de discerner le bien public et la justice. »
Ce langage serait très mal accueilli. Les siens et même beaucoup d'autres l'accuseraient de trahison. Les moins hostiles diraient : « Pourquoi alors a-t-il adhéré à un parti ?» — avouant ainsi naïvement qu'en entrant dans un parti on renonce à chercher uniquement le bien public et la justice. Cet homme serait exclu de son parti, ou au moins en perdrait l'investiture; il ne serait certainement pas élu. »
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«  On en est arrivé à ne presque plus penser, dans aucun domaine, qu'en prenant position « pour » ou « contre » une opinion. Ensuite on cherche des arguments, selon le cas, soit pour, soit contre. C'est exactement la transposition de l'adhésion à un parti. »
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« Même dans les écoles on ne sait plus stimuler autrement la pensée des enfants qu'en les invitant à prendre parti pour ou contre. On leur cite une phrase de grand auteur et on leur dit : « Êtes-vous d'accord ou non ? Développez vos arguments. » A l'examen les malheureux, devant avoir fini leur dissertation au bout de trois heures, ne peuvent passer plus de cinq minutes à se demander s'ils sont d'accord. Et il serait si facile de leur dire : « Méditez ce texte et exprimez les réflexions qui vous viennent à l'esprit ». »

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