« L'usage
même des mots de démocratie et de république oblige à examiner
avec une attention extrême les deux problèmes que voici :
Comment
donner en fait aux hommes qui composent le peuple de France la
possibilité d'exprimer parfois un jugement sur les grands problèmes
de la vie publique ?
Comment
empêcher, au moment où le peuple est interrogé, qu'il circule à
travers lui aucune espèce de passion collective ?
Si
on ne pense pas à ces deux points, il est inutile de parler de
légitimité républicaine.
Des
solutions ne sont pas faciles à concevoir. Mais il est évident,
après examen attentif, que toute solution impliquerait d'abord la
suppression des partis politiques.
Pour
apprécier les partis politiques selon le critère de la vérité, de
la justice, du. .bien public, il convient de commencer par en
discerner les caractères essentiels.
On
peut en énumérer trois :
Un
parti politique est une machine à fabriquer de la passion
collective.
Un
parti politique est une organisation construite de manière à
exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres
humains qui en sont membres.
La
première fin, et, en dernière analyse, l'unique fin de tout parti
politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite.
Par
ce triple caractère, tout parti est totalitaire en germe et en
aspiration. S'il ne l'est pas en fait, c'est seulement parce que ceux
qui l'entourent ne le sont pas moins que lui.
Ces
trois caractères sont des vérités de fait évidentes à quiconque
s'est approché de la vie des partis. »
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« Mais
aucune quantité finie de pouvoir ne peut jamais être en fait
regardée comme suffisante, surtout une fois obtenue. Le parti se
trouve en fait, par l'effet de l'absence de pensée, dans un état
continuel d'impuissance qu'il attribue toujours à l'insuffisance du
pouvoir dont il dispose. Serait-il maître absolu du pays, les
nécessités internationales imposent des limites étroites. »
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« Le
tempérament révolutionnaire mène à concevoir la totalité. Le
tempérament petit-bourgeois mène à s'installer dans l'image d'un
progrès lent, continu et sans limite. Mais dans les deux cas la
croissance matérielle du parti devient l'unique critère par,
rapport auquel se définissent en toutes choses le bien et le mal.
Exactement comme si le parti était un animal à l'engrais, et que
l'univers eût été créé pour le faire engraisser. »
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« Les
partis sont des organismes publiquement, officiellement constitués
de manière à tuer dans les âmes le sens de la vérité et de la
justice. »
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«Supposons
un membre d'un parti — député, candidat à la députation, ou
simplement militant — qui prenne en public l'engagement que voici :
« Toutes les fois que j'examinerai n'importe quel problème
politique ou social, je m'engage à oublier absolument le fait que je
suis membre de tel groupe, et à me préoccuper exclusivement de
discerner le bien public et la justice. »
Ce
langage serait très mal accueilli. Les siens et même beaucoup
d'autres l'accuseraient de trahison. Les moins hostiles diraient : «
Pourquoi alors a-t-il adhéré à un parti ?» — avouant ainsi
naïvement qu'en entrant dans un parti on renonce à chercher
uniquement le bien public et la justice. Cet homme serait exclu de
son parti, ou au moins en perdrait l'investiture; il ne serait
certainement pas élu. »
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« On
en est arrivé à ne presque plus penser, dans aucun domaine, qu'en
prenant position « pour » ou « contre » une opinion. Ensuite on
cherche des arguments, selon le cas, soit pour, soit contre. C'est
exactement la transposition de l'adhésion à un parti. »
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« Même
dans les écoles on ne sait plus stimuler autrement la pensée des
enfants qu'en les invitant à prendre parti pour ou contre. On leur
cite une phrase de grand auteur et on
leur
dit : « Êtes-vous d'accord ou non ? Développez vos arguments. » A
l'examen les malheureux, devant avoir fini leur dissertation au bout
de trois heures, ne peuvent passer plus de cinq minutes à se
demander s'ils sont d'accord. Et il serait si facile de leur dire : «
Méditez ce texte et exprimez les réflexions qui vous viennent à
l'esprit ». »
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