Etre
détenu, être prisonnier, être enfermé dans une prison, être
privé de sa liberté. Il y a plusieurs catégories de détenus. On
peut être détenu pour dettes, pour un crime ou délit de droit
commun, pour un crime ou délit politique. La détention pour dettes
ou contrainte par corps, ne se pratique plus en France, sauf en ce
qui concerne les dettes contractées envers l'Etat ou pour les
amendes et frais de justice consécutifs à certains procès. Par
contre, la détention pour délit politique ou de droit commun se
poursuit sans interruption et sans qu'il soit possible d'entrevoir,
pour le plus proche futur, un changement quelconque à un tel état
de choses. En vertu de quels principes se permet-on de priver de sa
liberté un individu ayant accompli un acte aussi blâmable soit-il?
On nous dira que la Société est obligée de se défendre contre les
malfaiteurs et qu'elle les enferme pour mettre les gens honnêtes à
l'abri de leurs méfaits ; c'est une mesure de précaution. Cet
argument ne résiste pas à l'analyse ; car, à part quelques cas
excessivement rares, le crime est un incident ou un accident dans la
vie d'un individu. On n'est pas criminel  de profession. Il y a des
récidivistes, nous objectera-t-on? Les récidivistes sont des êtres
tarés ; mais, en général, ils ne se rendent coupables que de
petits faits presque insignifiants. Il suffit d'avoir étudié tant
soit peu et avec impartialité ce qu'est une prison, pour savoir
qu'elle n'est peuplée ordinairement que par des vagabonds, toujours
les mêmes, et que les grands criminels qui pourraient légitimer uns
mesure de sécurité de la part de la « Société » y sont
relativement peu nombreux. . En vérité, ce n'est pas par mesure de
précaution que l'on détient des prisonniers mais en vertu de l'idée
de sanction qui est à la base de la morale bourgeoise. « Le vice
appelle rationnellement à sa suite la souffrance ; la vertu
constitue une sorte de droit au bonheur ». « Est-il vrai » nous
dit J.-M. Guyau « qu'il existe un lien naturel ou rationnel entre la
moralité du vouloir et une récompense ou une peine appliquée à la
sensibilité? En d'autres termes, le mérite intrinsèque a-t-il le
droit de se voir associé à une jouissance, le démérite à une
douleur? Tel est le problème qu'on peut encore poser sous forme
d'exemple en demandant : - Existe-t-il aucune espèce de raison (en
dehors des considérations sociales) pour que le plus grand criminel
reçoive, à cause de son crime, une simple piqûre d’épingle, et
l'homme vertueux un prix de sa  vertu? L'agent moral lui-même, en
dehors des questions d'utilité ou d'hygiène morale, a-t-il à
l'égard de soi le devoir de punir pour punir ou de récompenser pour
récompenser? » « Nous voudrions montrer combien est moralement
condamnable l'idée que la morale et la religion vulgaires se font de
la sanction. Au point de vue social la sanction vraiment rationnelle
d'une loi ne pourrait être qu'une défense de cette loi, et cette
défense, inutile à l'égard de tout acte passé, nous la verrons
porter seulement sur l'avenir. Au point de vue moral, sanction semble
signifier simplement, d'après l'étymologie même, consécration,
sanctification ; or, si, pour ceux qui admettent une loi morale,
c'est vraiment le caractère saint et sacré de la loi qui lui donne
force de loi, il doit impliquer, selon l'idée que nous nous faisons
aujourd'hui, de la sainteté et de la divinité idéale, une sorte de
renoncement, de désintéressement suprême ; plus une loi est
sacrée, plus elle doit être désarmée, de telle sorte que, dans
l'absolu et en dehors des convenances sociales, la véritable
sanction semble devoir être la complète impunité de la chose
accomplie. Aussi verrons-nous que toute justice distributive a un
caractère exclusivement social et ne peut se justifier qu'au point
de vue de la société : d'une manière générale ce que nous
appelons justice, est une notion tout humaine et relative » (Guyau,
Esquisse d'une Morale sans obligation ni sanction). Or, si nous
pensons avec Guyau que toute « justice distributive a un caractère
exclusivement social et qu'en dehors des considérations sociales »
il n'v a aucune raison, aucun devoir, de punir pour punir, nous
sommes obligés de reconnaître que la détention en soi est
arbitraire, et qu'elle ne trouve sa consécration que dans une forme
de société que nous jugeons injuste et inhumaine. Malheureusement,
la philosophie, la raison, la logique, n'ont rien à voir avec la
justice distributive, et les années de prison pleuvent dru sur les
pauvres délinquants qui se mettent en marge de la loi. Quelle est la
« vie » du détenu? Examinons tout d'abord la situation du prévenu,
c'est-à-dire de l'individu emprisonné, bien que la loi ne l'ait pas
encore reconnu coupable, et qui attend que le magistrat veuille bien
décider de son sort. Il est, d'ordinaire, enfermé dans une cellule
dont les dimensions varient selon les prisons et n'a le droit d'avoir
de relations avec le dehors que par l'intermédiaire des
représentants de l'administration pénitentiaire. Toute sa
correspondance passe à la censure, de même que toute celle qu'il
reçoit, exception faite en ce qui concerne celle de son défenseur.
Obligé de se lever matin de très bonne heure, il a toute la journée
pour se livrer à la méditation, toute distraction lui étant
interdite. Dix minutes par jour, on le sort de sa cellule, pour le
conduire à ce que l'on appelle la promenade et qui n'est en réalité
qu'un long couloir d’une quinzaine de mètres, situé dans la cour
de la prison, et entouré de murs assez hauts et assez larges pour
n'être pas franchissables. Les journaux lui sont interdits et les
livres qu'il a le droit d'acheter, sont comme sa correspondance,
passés à la censure et interdits s'ils sont considérés comme
subversifs par l'administration. La nourriture du prévenu est
identique a celle du condamné, elle se compose d'une « soupe » à
neuf heures du matin, soupe qui n'est en vérité qu'un bol d'eau
chaude recouvert par une couche de graisse ou d'huile et d'une autre
à quatre heures du soir, d'une boule de pain noir et sale d'un poids
approximatif de 600 grammes et, deux fois par semaine, le jeudi et le
'dimanche d'un morceau de viande. Cependant, le prévenu a le droit,
s'il a de l'argent, de se nourrir à ses frais, et, dans ce cas, il
est honteusement exploité par les mercantis qui spéculent sur la
misère humaine. Voilà, brièvement tracée, la vie de l'homme non
encore reconnu coupable par la société et qui, en vertu de la loi
même, devrait être considéré comme innocent. Aussi terrible que
puisse être cette existence, elle est cependant supportable à côté
de celle du condamné. Selon la peine qu'il a à subir, le détenu
est envoyé dans une prison cellulaire, ou dans une centrale. Nous
allons voir quel est le régime de la prison cellulaire de
Fresnes-les-Rangis, qui est une des plus modernes de notre France
républicaine. Le prisonnier doit être levé à sept heures du
matin, au coup de cloche, et a environ une demi- heure pour se livrer
aux soins de sa toilette et à ceux de sa cellule ; à 7 h. 1/2 son
lit doit être plié, sa chambre nettoyée, et il doit être prêt à
travailler. Le travail est obligatoire pour le détenu condamné. Il
travaille seul dans sa cellule et doit accomplir la tâche qui lui
est assignée s'il ne veut pas être puni. On sait en quoi consiste
le travail des prisons, On y fabrique généralement des articles bon
marché que d'immondes exploiteurs ne trouveraient pas à
manufacturer s'ils ne spéculaient pas sur l'incapacité de se
défendre dans laquelle se trouve le prisonnier. Si ce dernier
n'accomplit pas sa tâche, Il est mis au pain sec et, si cette
punition ne produit pas les effets attendus ou espérés, c'est le
prétoire ou le cachot. La nourriture du détenu, nous l'avons dit
plus haut, consiste en deux soupes par jour, une boule de pain et
deux morceaux de viande par semaine. Il a cependant la faculté
d'améliorer son ordinaire, en prélevant une partie du salaire qui
lui est alloué. Supposons un prisonnier gagnant 4 francs par jour,
ce qui est énorme. L'administration pénitentiaire, si le détenu
subit sa première condamnation, en prélève environ la moitié pour
couvrir ses frais ; suit les deux francs qui restent, 1 franc est
conservé au greffe pour que le détenu ne soit pas démuni d'argent
au sortir de prison, et il a droit à dépenser par conséquent un
franc pour sa nourriture. Le tabac n'est pas autorisé, et l'unique
distraction du prisonnier est la messe le dimanche et un livre par
semaine, qu'il ne choisit pas, mais qui est cueilli au hasard dans la
bibliothèque pénitentiaire. Ce que ce livre hebdomadaire représente
pour le détenu, est-il besoin de le dire? Et pourtant la méchanceté
humaine ne connait pas de bornes et il se trouve des gardiens assez
dénués de tous sentiments pour s'amuser encore de la détresse du
détenu. Il nous fut conté que certains gardiens se faisaient un
malin plaisir de choisir pour certains de leurs détenus, des livres
ne présentant d'intérêt que pour des techniciens, etc…, et de
leur rapporter ces volumes trois semaines de suite, malgré les
faibles protestations du pauvre bougre sans défense. Se rend-on bien
compte de ce qu'est la vie misérable du détenu, enfermé dans sa
cage, sans pouvoir jamais prononcer une parole, ne pouvant recevoir
de visites qu'une fois par semaine et encore n'apercevant ses
familiers qu'à travers un grillage, et éloigné de ses proches par
un couloir d'un mètre de large? Nous n'avons pas besoin de
dramatiser. Qu'il nous suffise de dire que, pour faire diversion à
cette vie monotone et mourante, les détenus se mutilent afin de voir
s'opérer un changement d'une minute, d'une seconde, dans leur
existence. Nous savons des détenus qui n'hésitèrent pas à se
faire porter malades et à subir certaines opérations douloureuses,
alors que parfaitement sains, simplement pour sortir de cette maudite
cellule, où jamais ne pénètre un éclair de joie, une lueur de
gaîté. Si le détenu des prisons centrales, ne souffre pas de
l'isolement, car il travaille, mange, et dort en commun, son sort
n'est pas plus enviable que celui du détenu cellulaire. C'est la
promiscuité de tous les instants avec ce qu'elle a de bas, de
bestial et de dégoûtant ; c'est la corruption la plus répugnante,
à laquelle il faut opposer une volonté puissante si l'on ne veut
pas s'écrouler dans l'abjection, qui se manifeste dans la prison
centrale. Dans la cellule on devient fou, de la centrale on sort à
jamais taré. Est-ce cela que désirent nos moralistes? Est-ce de
cette façon que l'on espère régénérer l'humanité? Et encore
nous ne disons rien de la brutalité des monstres qui consentent à
garder les prisonniers. On a tant dit déjà sur les prisons qu'il
n'est pas utile de nous étendre. Du reste le fait est là. Le
criminel ne sort pas guéri de la prison, et la détention n'a jamais
empêché le crime. Alors, nous dira-t-on, que faut-il faire? Lâcher
les prisonniers, les laisser se livrer à leurs méfaits, ne rien
faire pour  empêcher des individus de nuire à leurs semblables?
Posée de cette façon, la question nous semble ridicule. Ce qu'il
faut faire : c'est changer .a forme de la société ; c'est ne pas
permettre le crime, en détruisant les causes du crime. Nous savons
que tant qu'il y aura des lois, il y aura des juges, et tant qu'il y
aura des juges : une justice distributive, des prisons et des
détenus. La loi est un mal engendré par le principe d'autorité sur
lequel reposent les sociétés modernes. Elle est une conséquence du
capitalisme et il faut lutter contre elle, comme contre tout ce qui
fut institué par la puissance de l'argent. Là est le remède, c'est
le seul. Et c'est parce que c'est l'unique remède, et que des hommes
clairvoyants cherchent à l'appliquer, qu'ils sont victimes de la loi
et détenus dans les prisons du monde entier. Dans le monde entier
les révolutionnaires peuplent les prisons, mais rien cependant ne
les arrêtera dans leur désir de vaincre ; car, à leurs yeux, la
société moderne n'est qu'une vaste prison derrière les grilles de
laquelle sont détenus tous les asservis et tous les opprimés, et
c'est en les libérant que les révolutionnaires se libèreront
eux-mêmes.
 
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