samedi 17 novembre 2018

Capitalisme & Djihadisme par Michel Surya





« Du fait, le capitalisme n'a de cesse de ne pas passer pour ce qu'il est, quand le djihadisme n'a de cesse de passer pour ce qu'il n'est pas : politique pour l'un, religieux pour l'autre ».

« Je précise, 1 le capitalisme ne vaut pas ici pour « la démocratie », dont il ne procède par aberration et à laquelle il échappe de part en part ; 2 « la religion » ne vaut pas ici pour la mystique, qui s'en excepte avec superbe, un peu à la façon dont il arrive que l'amour s'excepte de la reproduction ».

« On peut en dire ceci cependant, ert ce sera fait pour constituer ou contestable : « capitalisme et djihadisme sont l'un et l'autre une variante du puritanisme « ; mieux : ils sont l'un comme l'autre une variante violente d'un même puritanisme à son stade terminal ».

« Puritains, en ceci qu'ils obéissent chacun à une « passion » ( il ne faut pas moins que la passion pour que le puritanisme s'exerce sans reste) : la « passion ascétique » ( le djihadisme), « la passion narcissique » ( le capitalisme). »

« Au contraire de ce qu'il semble en effet, le capitalisme est un puritanisme aussi, et violent, dont le commandement est : « Jouis ! » Pas de commandement plus violent, quand on sait que nul ne jouit, au juste, a fortiori aux conditions du capital. »

« De ces dichotomies de principe, qui complètent les représentations autant qu'elles les opposent, celles-ci se déduisent :

  • La guerre sainte est ensorcelante quand le capitalisme n'est qu'hypnotique.
  • Jouir ne s'échange que contre la transe, quand tuer/mourir s'échange contre une délivrance ( transe artificielle contre délivrance réelle).
  • Dieu se mesure à l'amour ( par principe immodéré) quand l'argent n'atteint tout au plus qu'au plaisir ( par définition compté).
  • Les emblèmes emphatiques de la vie qu'arbore l'une, contre l'autre ceux de la mort, qui ne sont pas cependant, à terme, en nature sinon en degré, l'une moins que l'autre mortifères.
  • L’exubérance de la mort partout répandue de l'une, cruelle à l'excès, contre la parcimonie pour finir de la jouissance, abrutissante, de l'autre...(à ceci près qu'on ne suffit pas davantage à satisfaire l'irrassasiable appétit de consumation que de consommation).
  • L'extase de l'instant, ici, contre la latence de la répétition, là, létales dans un cas comme dans l'autre ( à ceci près cette fois que la mort est sans commune mesure plus extasiante que la jouissance).
  • -ETC. »

« On le déduirait à tort : la passion narcissique serait par le fait «  progressiste », quand le puritanisme qui l'anime et la nourrit est réactif ou régressif aussi, comme l'est celui qui anime et nourrit la passion ascétique » .

« Nul ne sait d'ailleurs encore de l'opposition structurelle réelle du djihadisme et capitalisme. Les pays (du golfe par exemple) ne manquent pas déjà où les formes exacerbée de l'un s’accommode sans mal de la forme outrancière de l'autre ( de même que le national-socialisme). »

« Et c'est parce que la désaffection et la désagrégation des pulsions ne seraient plus nulle part révolutionnaires que la passion ascétique serait à peu près tout ce qu'il resterait de l'anticapitalisme ( pérenne) et de antifascisme ( circonstanciel). Ou, parce que le capitalisme serait sans dehors qu'il ne resterait d'anticapitalisme qu'ascétique. Autrement dit, il n'y aurait plus d'anticapitalisme conséquent que religieux, seul à s'opposer à la figure enfin achevée et canonique du marché. La question qui se pose aux anticapitalistes serait dès lors la suivante : auquel de ces deux mondes mortifères faut-il qu'ils s'allient pour qu'au moins l'un d'entre eux disparaisse ? Et lequel le premier – deuxième question.
Il n'y a eu, longtemps, qu'un seul nihilisme. U n autre en est né qui, surenchérissant, lui conteste le nihilisme lui-même. Lequel l'emportera ? Quoi leur opposer pour qu'aucun des deux ne l'emporte ? » »

« Le capitalisme : soit le soutenir dans sa totalité, soit le nier – y remédier ou lui nuire est devenu durablement impossible ( tendance lourde du capitalisme : sa consolidation définitive). Le soutenir ne souffre plus ni détail ni condition. Il en est ainsi depuis 1989. Et c'est depuis 1989qu'à peu près tout le monde le soutient. »

« Consolation que le communisme ( entre autres révolutionnarismes)à a paru pouvoir satisfaire, le temps court – tout au plus quelques petites dizaines d'années – entre le moment où l'on n'a plus douté de la mort de Dieu, et celui où l'on s'est convaincu que la naissance de l'argent ( pour tous, en toute hypothèse) était de nature à le remplacer avantageusement. »

« Tueries qu 'on n'aura pas entendu les révolutionnaires ou les « insurrectionnalistes prendre si peu que ce soit en considération, encore moins déplorer, leur préférant d('autres victimes, susceptibles celles là de consolider leurs alliances stratégiques ou de principe ( ainsi que le veut l'irénisme auquel la situation défensive les réduit). Et leur permettant d'accuser d'abord les conséquences il est vrai liberticides et discriminatrices de l'antiterrorisme : »Ce que je vois dans le 11 janvier, c'est d'abord une manœuvre gouvernementale obscène pour s'approprier un choc, pour s'approprier un état d'extrême vulnérabilité générale et la tentative, réussie à ce jour, de retourner en instrument de domination de la population un événement terrible » »

« Ceci est possible aussi : qu'il entre dans cette mansuétude inattendue de l'anticapitalisme un étonnement, qui sait une envie, ici, assez de pensée ou assez de passion de passion pour mourir pour la révolution. La révolution se cherche martyrs, quand la religion n'en marque pas. »

Boyan Manchev : «  Il est grand temps de dépasser l'état immature du romantisme révolutionnaire et d'opposer la tendance à concevoir l'insurrection en tant que structure vide, la structure vide de l'événement ( messianique, eschatologique ). Il n'y a pas de politique sans substance, et la substance historique est toujours complexe, elle relève d'un champ de forces où la dynamique des partages et des déchirures excède toute hypostase de la logique de la négativité, et de sa figure majeure – l’événement de la sortie. »

« L'éventualité que le vide de la structure événementielle ( insurrectionnell ou révolutionnaire) se remplisse de représentations et d'actualisations régressives et fascinantes est en effet la plus grande aujourd'hui en Europe et en France. Lesquelles ne sont pas moins que les représentations et actualisations de l'islam politique radical susceptibles de produire un romantisme aussi, explicitement contre-révolutionnaire, d'un pouvoir d'attraction-répulsion analogue, sinon aussi efficace. »

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