Action
de détruire, d'abattre, de démolir, de ruiner, d'anéantir, de
faire disparaître une chose quelconque. La destruction d'une maison,
d'un édifice, d'un palais, d'un empire, d'animaux nuisibles, d'un
régime, etc., etc. … La nature impitoyable, indifférente et
indomptée, accomplit parfois un tragique travail de destruction. Les
tremblements de terre, les éruptions volcaniques, les raz de marée,
les typhons détruisent souvent des villes entières et provoquent
des ravages que les forces et le génie humains sont impuissants à
surmonter. S'il est impossible à l'homme d'arrêter les désastres
et les fléaux naturels, du moins devrait-il s'attacher à ne pas se
joindre aux éléments déchaînés, pour ajouter encore à la misère
humaine ; mais il semble, au contraire, que l'homme se plaît
également à détruire et aussi loin que nous plongions dans son
histoire, nous le voyons poursuivre une oeuvre de destruction.
L'ambition des puissants, la soif de domination engendre les guerres,
et à travers les âges, le grand livre de la civilisation est taché
par le sang versé inutilement, au profit des despotes et des tyrans.
Depuis des siècles et des siècles que l'humanité marche
aveuglément, rien de stable ne fut établi et aussi solides que
paraissaient les bases sur lesquelles s'élaborèrent les grandes
organisations du passé, elles n'étaient cependant construites que
sur des sables mouvants, et furent détruits comme châteaux de
cartes balayés par le vent. Et cela n'étonne nullement lorsque l'on
a compris que l'autorité ne peut rien construire de puissant et que,
loin d'être une source de force, elle est une manifestation de la
faiblesse. Une autorité, quelle qu'elle soit, peut être détruite
par une autorité plus grande, et la force brutale peut imposer
temporairement la volonté d'un individu ou d'un groupe. Tout cela
n'est cependant que du provisoire. Inhérente à l'autorité, la
force ne peut-être que relative, et est contrainte à s'incliner
lorsqu'on lui oppose une force supérieure. Et c'est là l'erreur
séculaire des hommes. Depuis toujours, et de nos jours encore, les
grandes agglomérations humaines ne se sont pas organisées en ayant
soin de se reposer sur la raison et de s'appuyer sur des principes
sociaux susceptibles d'assurer la paix et la stabilité des sociétés,
mais en cherchant et en puisant leur puissance en la force de leurs
guerriers et de leurs armes, sans s'apercevoir que la force, élevée
au niveau d'un principe, d'un symbole, ne pouvait produire de la vie,
mais qu'engendrer de la mort et de la ruine. Nous disons que
l'autorité et la force sont des facteurs de destruction. Quel plus
bel exemple peut-on citer que celui de Carthage, la grande cité :
africaine, restaurée au IXème siècle avant J. C. et qui, en 600
ans de succès ininterrompus, fonda le grand empire maritime de la
Méditerranée. Que reste-t-il aujourd'hui de toute cette richesse,
de toute cette splendeur? Rien. « L'Esclavage divisait la patrie en
castes ennemies ; une constitution
aristocratique
fermait les carrières de la politique aux ambitions légitimes du
peuple ; l'argent, non le patriotisme recrutait les armées. La
production agricole et industrielle ne faisait pas équilibre au
négoce, Carthage était réduite à poursuivre toujours de nouveaux
débouchés, de nouveaux tributs et, quand l'adhésion spontanée
manquait, de les imposer par la guerre. Elle était ainsi amenée à
s'appuyer sur la force, non sur le droit ; sur l'intérêt, non sur
la justice; sur la ruse et la fraude, non sur la loyauté des
échanges. Devenant puissance guerrière et oppressive, elle devait
chanceler et succomber quand elle se heurterait contre plus fort
qu'elle. Cet écueil, elle le trouva en Sicile et en Espagne ;
alliée des Romains pendant plusieurs siècles, elle dut, un jour,
devant des résistances imprévues, engager la lutte et vaincre ou
périr. Elle périt après des efforts gigantesques, par les ordres
implacables de Rome jalouse, l'an 146 avant J. C. Le pillage,
l'incendie, les massacres, châtièrent six siècles d'une domination
insolente, éternel avertissement donné au peuple, qui, abusant de
l'art nautique, fondent une tyrannie sur le monopole maritime : tôt
ou tard ils sont balayés de la scène pour n'avoir pas reconnu à
chaque peuple son rôle et son droit » (Jules Duval). Carthage se
débattit longtemps. Les luttes qu'elle entreprit contre Rome,
connues sous le nom de guerres puniques, sont légendaires. A la
première de ces guerres, de 264 à 242 avant J. C., elle perdit la
Sicile ; à la seconde, de 219 à 202, elle abandonna l'Espagne, et à
la dernière, de 149 à 146, elle fut anéantie. Relevée par César,
elle redevint un centre d'activité mais fut prise d'assaut en 698
par les Arabes et, cette fois, totalement détruite. Il ne reste
plus, actuellement, à quelques kilomètres de Tunis, que quelques
ruines pour aviver le souvenir de l'excursionniste et lui rappeler
les grandeurs de la ville lumière qui rayonna sur le monde durant
six siècles.
Et
pourtant, l'avertissement de Carthage fut inutile et l'histoire se
répète sans imprimer aux hommes un enseignement profitable. En
notre siècle de progrès et de science, où toute l'activité
humaine devrait se dépenser à l'élaboration d'une société
rayonnante de joie et de bonheur, il apparaît que l'oeuvre de
destruction continue et, en regardant dans le passé, on tremble
d'entrevoir un avenir où s'amoncellent les ruines d'une civilisation
féroce et barbare. Vingt et un siècles ont passé depuis la
décadence de Carthage, et la ruine de cet empire ne se comprendrait
pas « si l'on ignorait que, par une loi fatale, toute civilisation
parvenue à son apogée, est destinée à périr, comme un fruit mûr,
si elle ne revêt pas, par sa propre énergie, une forme sociale
supérieure ». Vingt et un siècles ont passé, et l'Europe a
grandi, au milieu des sciences et des arts, donnant naissance à des
puissances qui se disputent à leur tour l'hégémonie du monde.
L'Angleterre, inspirée peut-être par la puissance commerciale et
industrielle de Carthage, aspire à la souveraineté absolue et étend
son domaine en se reposant sur sa force maritime. La France et
l'Allemagne, moins puissantes sur mer, cherchent à consolider leurs
entreprises industrielles et commerciales en s'appuyant sur leur
force année. La colonisation est devenue une nécessité, impérieuse
pour les grandes nations qui n'arrivent plus à écouler leurs
produits et, comme par le passé, la guerre est là, menaçante, pour
ouvrir par la force de nouveaux débouchés, la production et la
consommation n'étant pas équilibrées au sein de ces nations. De
l'autre côté des mers, des puissances neuves s’éveillent.
Economiquement, les Etats-Unis de l'Amérique du Nord ont déjà
presque asservi la vieille Europe. Le Japon cherche sa place.
Industriellement et commercialement, il concurrence sur le marché
colonial les grandes puissances européennes et Nord américaines qui
veulent s'imposer dans le grand empire chinois et y écouler leurs
produits aux 500 millions d'habitants. Et toute cette soif de
domination économique, source d'esclavage et de misère, donnent
naissance à des conflits qui ne peuvent se régler que dans le sang
des peuples. La grande guerre de 1914 n'est peut-être que le
prélude, de nouvelles tueries, plus terribles, plus monstrueuses,
plus barbares que la précédente, et la destruction d'une partie de
la France, sera sans doute suivie de la destruction d'une partie de
l'Europe.
N'oublions
pas, cependant, que ce qui précipita la ruine de Carthage, ce fut
une terrible guerre qu'elle eut à soutenir, entre les deux dernières
guerres puniques, contre les mercenaires qui s'étaient révoltés.
Les mercenaires modernes en auront peut-être bientôt assez, à leur
tour, de verser leur sang, pour des causes qu'ils ignorent, qui
n'offrent pour eux aucun intérêt, et de se sacrifier pour défendre
les privilèges et les biens de leurs adversaires et de leurs
ennemis. Ils détruiront alors, tout ce qui gêne la libre évolution
des individus; mais leur oeuvre de destruction sera saine,
puisqu'elle aura pour but le bonheur de l'humanité. Ayant bénéficié
des expériences du passé, les mercenaires ne détruiront plus pour
détruire, ils ne s'attaqueront plus aux palais, aux châteaux, aux
richesses, à tout ce qui 'est une source de bien-être et de joie,
mais aux vieux taudis infects et misérables dans lesquels ils sont
entassés, aux prisons derrière lesquelles gémissent des parias,
victimes de l'inégalité sociale, aux institutions qui déterminent
tant de calamités ; ils détruiront tout ce qui engendre la misère
et les larmes, et ayant su détruire, ils sauront reconstruire. C'est
à cette seule condition que 1e XXème siècle peut sortir de l'abîme
dans lequel il est tombé. Si les hommes sont incapables de briser
avec le passé, d'élever 'une barrière entre hier et demain, alors,
une fois encore, la civilisation arrivée à son apogée s’écroulera
et ce sera l'éternel recommencement. La liberté, pleine et entière
peut offrir une chance de salut, mais la liberté ne se donne pas,
elle ne se demande pas ; elle se prend ; il faut la conquérir avec
vaillance et courage. La Révolution n'est pas destructive, elle est
constructive, à condition, toujours, d'être animé par un désir de
liberté et non par une soif d'autorité. Sachons donc faire la
Révolution si nous voulons que prennent fin la destruction de
l'humanité et le triomphe du despotisme.
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