Mot
indiquant les fonctions des dictateurs. Par extension, on l'applique
à un régime gouvernemental dans lequel le pouvoir est
despotiquement exercé par un homme ou un groupe d'hommes. D'après
son origine, le mot dictature ne devrait s'appliquer qu'à une
autorité absolue exercée seulement pendant une période limitée et
à l'occasion de
circonstances
exceptionnelles. En fait, la dictature ressemble à toutes les autres
formes d'autorité absolue. Ce qui la distingue le plus
essentiellement, c'est qu'elle surgit dans une période d'agitation
et qu'elle emploie, pour s'imposer, des procédés de terreur. Dans
une période révolutionnaire, au milieu d'un peuple insurgé, il
serait difficile à une autorité normale de fonctionner. Protée
sachant s'adapter merveilleusement aux conditions du moment,
l'autorité prend alors figure révolutionnaire. Sous le couvert de
la dictature, établie soi-disant pour vaincre l'ennemi de
l'extérieur et celui de l'intérieur, les institutions autoritaires,
policières, militaires, judiciaires, administratives, se
réorganisent. C'est au nom de la révolution qu'elles prétendent
agir. Mais au fond, c'est la même organisation de domination que
sous l'ancien régime qui se reconstitue. Un peuple a renversé ses
tyrans. Mais par la terreur dictatoriale, les exécutions sommaires,
le hideux mouchardage, la peur semée partout, par le fer et par le
sang, l'autorité reconquiert son domaine et s'affermit à nouveau.
Une fois que le terrorisme dictatorial a supprimé toute action et
toute idée vraiment révolutionnaires, les institutions de
domination et d'exploitation redevenues maîtresses de la situation,
s'épanouissent à nouveau au grand jour. C'est l'histoire de toutes
les dictatures se renouvelant éternellement et ne variant que dans
les détails. Lorsque les maîtres de la société sentent que leur
situation devient mauvaise, que le mécontentement grandit, que la
révolte est près d'éclater, ils n'hésitent généralement pas.
Ils font fi alors de leur propre légalité et établissent un régime
dictatorial, c'est-à-dire un système de terreur. Dictature et
terreur sont deux mots exprimant le même régime. Il est hors de
toute discussion sérieuse que le régime dictatorial, quel qu'il
soit, ne peut que river davantage les chaînes de l'esclavage.
Interdire toute liberté de réunion, de presse, d'association, de
propagande on d'organisation, ne peut avoir qu'un but et un résultat
: livrer le peuple aux appétits des maîtres du moment. Les
bourgeoisies capitalistes du monde entier ont aujourd'hui, à peu
près toutes, les yeux tournés vers la dictature. Quoique encore
bien ignorants, les peuples aujourd'hui, surtout dans les pays
capitalistes, ont le sentiment très net de l'injustice sociale dont
ils sont les victimes, et de la non-légitimité des privilèges des
gouvernants et possédants. Le mouvement d'avant-garde a grandi dans
tous les pays. D'autre part, la grande guerre mondiale a perturbé
toute l'économie sociale. Des mouvements populaires ont eu lieu : en
Russie, Allemagne, Hongrie, Italie. Ailleurs des grèves. Le monde
bourgeois, sentant que la base normale du régime : l'acceptation de
la société par les déshérités, est minée, tend partout à
organiser la terreur pour maintenir les prolétariats dans
l'obéissance. C'est, en Italie, le féroce régime du bandit
Mussolini, en Espagne celui de Primo de Rivera. En Roumanie, Pologne,
Bulgarie, Grèce, dictatures aussi sanglantes. Dans les autres
nations réputées démocratiques, le pouvoir glisse peu à peu vers
un régime dictatorial. Naturellement, partout, la situation
politique, économique ou financière est prise comme prétexte. Les
dictateurs se présentent toujours comme des sauveurs. En Russie, la
dictature a pris une autre figure, celle dite du prolétariat. Mais
c'est absolument la même chose, la question de terminologie mise à
part. Par une duperie jésuitique, on l'a dénommée dictature du
prolétariat. Comme s'il était possible à des millions d'humains
d'exercer le pouvoir. La dictature du prolétariat est un mensonge au
même titre que la souveraineté du peuple, dans le régime
parlementaire. Le prolétaire de Russie y joue le même rôle que
l'électeur en France, Angleterre, ou ailleurs. On exerce le pouvoir
en son nom, contre lui, en lui supprimant toute liberté, en le
terrorisant systématiquement. Mensonge des formules politiques! En
réalité, cette dictature du prolétariat consiste dans un état
politique où le pouvoir est despotiquement exercé par un petit
groupe d'hommes, de dictateurs, qui se sont arrogé le droit, par la
ruse et la violence, de diriger toute une nation, et n'hésitent pas
à faire supprimer tous ceux qui sont ou pourraient devenir une
menace pour leur pouvoir. On a dit, pour la justifier, presque pour
l'excuse, que la dictature était une nécessité, mais qu'elle
n'était que provisoire. Or, ce « provisoire » dure toujours. Ceux
qui détiennent le pouvoir et s'en servent pour leur profit et
ambition personnels, n'ont garde de le lâcher. Au contraire, ils s'y
cramponnent, et comme toute latitude leur est laissée d'exterminer
leurs concurrents ou adversaires, ils n'ont garde de les laisser se
développer. Comme tout organisme, la dictature tend à se perpétuer
et à se fortifier. Elle ne disparaît jamais d'elle-même. Un retour
plus ou moins long à l'ancien régime ou une autre révolution
peuvent seuls terminer l'ère des dictatures. En réalité, comme
l'expérience nous le démontre, la dictature, régime de transition,
est surtout une transition entre l'époque révolutionnaire qui a
culbuté les institutions autoritaires et la réinstauration de ces
mêmes institutions, plus ou moins camouflées. Dès lors qu'une
dictature peut s'implanter et grandir, c'est que l'esprit
révolutionnaire est en décadence, c'est que la révolution est
finie. Il suffit de comparer ces deux régimes dictatoriaux : celui
de Russie et celui d'Italie pour être frappé de leur ressemblance,
de leur similitude. De part et d'autre, un pouvoir usurpé par la
violence, un pouvoir ne se soutenant que par la terreur. Mêmes
procédés gouvernementaux, même mépris des masses populaires. Les
élections, dans les deux pays, ne sont qu'une farce destinée à
donner le change aux aspirations démocratiques. En réalité, les
élus, les représentants du peuple sont désignés par la dictature.
En Italie comme en Russie, interdiction complète de la liberté
d'opinion : la presse muselée, le droit de réunion supprimé, la
liberté d'association anéantie. Dans les deux pays, répression
féroce contre les adversaires du régime. Grâce à la dictature
mussolinienne, le capitalisme pille impunément la classe ouvrière
italienne. Grâce à la dictature bolcheviste, le capitalisme reprend
pied en Russie, et peu à peu la domine. La révolution russe ayant
été plus profonde et vigoureuse que l'occupation des usines en
Italie, on met un peu plus de temps à refouler l'esprit
révolutionnaire et rétablir le règne de la ploutocratie. C'est la
seule différence. Et puis, en Russie, le retour pur et simple au
capitalisme se complique de questions épineuses : création d'une
nouvelle bourgeoisie au détriment de l'ancienne, légitimation des
nouveaux maîtres, anciennes dettes tsaristes, etc…. A peu près ce
qui s'est passé eu France, après 1789. Les expropriés ne
pardonnent pas aux usurpateurs, et il faut un certain temps à ces
deux catégories pour s'entendre… sur le dos du public. Bref, en
tous pays et à toute époque, la dictature n'a été qu'un régime
d'autorité comme les autres, se distinguant seulement par plus de
brutalité et de violence. Elle est le procédé utilisé par les
classes régnantes pour refouler les peuples dans la soumission,
lorsque les peuples veulent s'émanciper. Tant qu'une dictature sera
possible, c'est que le peuple ne sera pas mûr pour la liberté ;
c'est que la lâcheté et la peur seront encore les déterminantes de
l'esprit social. C'est pourquoi les anarchistes combattent toutes les
dictatures, quelles qu'elles soient, et font tous leurs efforts pour
détruire l’idée d'autorité dans les cerveaux.
-
Georges BASTIEN.
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