La
dette est le contraire de la créance et l'on donne le nom de dette
publique à celle contractée par les gouvernements afin de subvenir
aux besoins de l'Etat. Lorsque les impôts directs et indirects qui
forment l'ensemble des ressources de la nation, ne sont pas
suffisants pour couvrir les frais et les dépenses d'un gouvernement,
celui-ci lance un emprunt, remboursable en un nombre d'années
déterminées à l'avance, et paye à ses créanciers un intérêt
fixe dont le taux varie en raison directe de la confiance inspirée
par la situation des finances gouvernementales. Mathématiquement, à
mesure qu'augmentent les besoins de l'Etat et que grossit son
déficit, la confiance baisse et ses emprunts se couvrent plus
difficilement ; c'est alors que les gouvernements élèvent le taux
de l'intérêt. Avant la guerre de 1914, la France trouvait de
l'argent en payant à ses créanciers un intérêt de 3 à 3,5 % ;
mais, de nos jours, vu la situation déficitaire, il est obligé pour
trouver des créanciers d'offrir un intérêt variant entre 6 et 7 %.
On peut prétendre que le taux élevé de l'intérêt exigé par les
prêteurs, a pour cause unique, la concurrence des entreprises
privées qui offrent à leurs créanciers de précieux avantages et
qu'en conséquence ceux qui possèdent quelques capitaux aiment mieux
les placer dans le commerce et l'industrie que dans les fonds d'Etat.
Il n'y a là qu'une part de vérité et plus particulièrement en ce
qui concerne la France, pays « du bas de laine » où, d'ordinaire,
le petit propriétaire, le paysan, l'employé ou l'ouvrier ayant
réalisé quelques économies, préfèrent faire un placement de «
père de famille », c'est-àdire de toute sécurité, que de se
lancer dans des aventures spéculatives, et être soumis aux aléas,
aux incertitudes, aux fluctuations des affaires industrielles et
commerciales. Déjà avant la guerre, l'entreprise privée offrait à
ses créanciers des avantages supérieurs à l'emprunt d'Etat, ce qui
n'empêchait pas la population d'offrir son argent aux gouvernements,
en se contentant d'un intérêt modique ; il faut donc en conclure
que si, à présent, l'argent déserte les caisses de l'Etat, c'est
qu' aux yeux des créanciers, l'Etat n'offre plus les garanties du
passé. Nous verrons plus loin en étudiant la situation du Trésor
français, que le créancier n'a pas tout à fait tort. En France, la
dette publique se compose : de la rente perpétuelle, désignée
ordinairement sous le nom de dette consolidée ; des rentes viagères
et des pensions. En ce qui concerne la rente perpétuelle, l'Etat ne
rembourse jamais le capital mais verse éternellement l'intérêt de
la somme qui lui a été remise. Exemple : l'Etat vend de la rente à
raison de 5 %, c'est-à-dire, qu'en échange de 100 francs, il remet
à son acheteur un titre de rente qui permettra à ce dernier de
toucher chaque année une somme de cinq francs. Naturellement, ce
titre de rente est remis par son détenteur à ses héritiers qui, à
leur tour, touchent l'intérêt de la somme donnée et transmettent
également le titre à leurs héritiers. Et cela peut durer
indéfiniment. Nous avons dit que l'Etat ne rachetait pas sa rente,
et lorsqu’ un « rentier » veut se débarrasser de son titre il
est obligé de trouver un acquéreur et de le vendre en Bourse par
l'intermédiaire d'un agent de change. Il se produit alors ce fait :
le titre est soumis aux variations de l'offre et de la demande : s'il
y a peu de vendeurs et quantité d'acheteurs, la valeur du titre
monte ; si c'est le contraire qui se produit, sa valeur baisse. Dans
le premier cas le vendeur revend, 110, 120, etc., ce qu'il a payé
100 francs ; dans le second, il subit une perte sèche. A côté de
cette rente perpétuelle que l'Etat est obligé de payer à ses
créanciers et qui grève, et grèvera indéfiniment son budget, il y
a la rente viagère et les pensions qui s'éteignent par le décès
des titulaires. Si, considérée dans le temps, cette dette est moins
lourde à l'Etat, par contre le taux de l'intérêt est généralement
plus élevé, car le titulaire de cette rente sacrifie à l'intérêt
tout son capital et son titre n'est, naturellement, pas transmissible
à ses héritiers. Cela revient à dire, que la dette de l'Etat
envers son créancier s'éteint à la mort de ce dernier. A cette
rente viagère et perpétuelle il faut ajouter la rente amortissable.
Pour inspirer confiance à ses prêteurs éventuels, l'Etat émet
parfois de la rente, qu'elle s'engage à racheter dans un laps de
temps déterminé. A la date fixée le créancier de l'Etat est en
droit de réclamer le remboursement de sa créance, mais il n'a
d'autre ressource, s'il veut s'en débarrasser avant la date fixée,
que de la vendre en Bourse, en se livrant à la même opération que
s'il s'agissait de rente perpétuelle ou consolidée. Ces dettes que
nous énonçons ci-dessus, qu'il est convenu d'appeler « dettes à
long terme », et dont nous donnons le montant plus loin, ne sont pas
les seules. Il y a également la dette flottante, qui s'accroît,
méthodiquement, mathématiquement et dont le remboursement peut être
exigé presque immédiatement par les créanciers de l'Etat. Lorsque
pour faire face à ses dépenses un gouvernement a compté sur les
recettes normales et autorisées et que ses espérances ne se sont
pas réalisées, il émet des bons du Trésor qu'il s'engage à
rembourser dans un temps relativement bref. Cette masse flottante se
renouvelle donc sans discontinuer, car l'Etat emprunte
continuellement pour faire face à ses échéances, et a recours à «
Pierre lorsqu'il lui faut rembourser Paul ». En temps normal le
renouvellement indispensable de la « masse flottante » s'effectue
assez facilement, mais il arrive fatalement un moment où ce petit
jeu doit s'interrompre et où la difficulté apparaît insurmontable.
C'est ce qui se produisit en Allemagne en 1923 et en France en 1926.
L'Etat est alors acculé à la faillite. En étudiant la situation
financière de la France, nous nous rendrons compte facilement des «
bienfaits » engendrés par le désordre capitaliste. La dette
publique de la France se divise en dette intérieure et dette
extérieure. Nous allons étudier, d'abord qu'elle était au 30 avril
1925 la dette intérieure, nous verrons ensuite qu'elle est sa dette
extérieure. Les Fonds d'Etat en circulation à la date ci-dessus
indiquée se
répartissaient
ainsi :
Rentes,
3, 4, 5 et 6% (perpétuelles) ...........Fr. 96.202.116.000
Rentes
3 ; 3,5 et 5 % (amortissables) ..............14.458.715.000
Bons
du Trésor 3 et 5 ans…………................. 8.190.963.000
Bons
du Trésor 3, 6 et 20 ans………............... 9.981.756.000
Obligations
de la Défense Nationale .................1.910.877.000
Bons
de la Défense Nationale…….............… 53.229.285.000
Bons
du Trésor…………………..............…… 2.364.732.000
TOTAL
:………………………...........…Fr. 186.338.444.000
Sur
cette somme formidable de 187 milliards de francs, 96 milliards,
transformés en rente perpétuelle n'auront pas à être remboursés
par l'Etat, mais par contre l'Etat sera tenu de verser indéfiniment
aux porteurs de titres l'intérêt fixé à l'émission ; et une
somme de 90 milliards est amortissable, c'est-à-dire qu'en sus de
l'intérêt l'Etat a pris l'engagement de rembourser dans un temps
déterminé le capital qui lui fut avancé ; et, s'il n'a pas
d'argent, il ne peut rendre ce qu'il doit qu'à la condition
d'emprunter à nouveau et c'est ce qui explique que la dette publique
augmente de jour en jour, de semaine en semaine, d'année en année.
D'autre part, si l'Etat peut gagner du temps et ne rembourser que
dans un temps très lointain l'argent qui lui a été prêté, il est
cependant obligé de payer périodiquement, et régulièrement s'il
ne veut pas perdre son crédit, les coupons représentant l'intérêt
des sommes dont il est débiteur. Pour l'année 1924, l'Etat français
a payé, aux détenteurs des fonds d'Etat, à titre d'intérêt, une
somme de 10 milliards de francs, prélevée sur son budget et dont
nous donnons ci-dessous le décompte :
Rente
3, 4, 5 et 6 % (perpétuelle) ................Fr .4 .882.667.810
Rente
3 ; 3,5 et 5 % (amortissable) ........................664.920.141
Bons
du Trésor 3 et 5 ans…………..................... 493.927.780
Bons
du Trésor, 3, 6 et 20 ans….....................…. 604.951.000
Obligations
de la Défense Nationale ......................96.045.056
Bons
de la Défense Nationale……................... 2.507.099.323
Bons
du Trésor…………………...................…. 106.412.940
TOTAL
:………………………...........…....... 9.356.024.050
En
conséquence, si nous supposons- ce qui est peu probable - que cette
partie de la dette intérieure, contractée vis-à-vis des créanciers
habitant la France, n'augmente pas, il est cependant indispensable
que l'Etat français sorte chaque année de ses caisses une somme de
10 milliards pour payer les intérêts des sommes investies dans les
fonds d'Etat. La France a une population de 40 millions d'habitants.
Si nous tenons
compte
des enfants, des vieillards ct des infirmes, on peut dire qu'il n'y a
en réalité que 30 millions d'habitants qui soient susceptibles de
venir en aide à l'Etat et de subvenir à ses besoins.
Il
faut donc, uniquement pour payer l'intérêt des fonds d'Etat, que
chacun de ces trente millions d'habitants, verse annuellement, sous
forme d'impôts directs ou indirects, une somme de 300 francs. Le
capital restera toujours dû, naturellement.
Et
cela n'est qu'une partie de la dette intérieure, qui dans son
ensemble se répartissait comme suit à la date du 30 avril 1925.
Dette
à long terme (ministère des Finances) Fr. 144.152.494.500
Dette
à long terme (autres ministères)……........Fr. 11.099.774.500
Dette
à court terme……………………….........Fr. 44.274.769.000
Dette
flottante portant intérêt .............................Fr.
81.966.759.000
Dette
à long terme sans intérêts…………….…...Fr. 4.679.897.000
TOTAL………................................….....…...
Fr. 286.173.694.000
La
dette intérieure de la France s'élevait donc au 30 avril 1925 à
DEUX CENT QUATRE-VINGT-SIX MILLIARDS DE FRANCS, et ce n'est pas
seulement 300 Fr., par conséquent, que chaque adulte devrait payer
pour satisfaire aux exigences des créanciers, mais bel et bien 450
francs par an. Mais, à la dette intérieure il convient d'ajouter
maintenant la dette extérieure, ce qui nous donnera le chiffre total
de la dette française ou dette dite publique. Avant de nous livrer à
cette opération il convient de signaler qu'au mois de décembre
1913, la dette totale de la France n'était, en chiffres ronds, que
de 33 milliards de francs, et que si elle s'est élevée à des
sommes aussi fabuleuses, en un laps de temps relativement restreint,
c'est que la guerre est venue engloutir non seulement des millions
d'hommes, mais aussi des fortunes. Pendant quatre ans et demi des
millions ont été évaporés, et si le peuple a consenti à faire
une guerre qui coûta si cher, il est appelé aujourd'hui à en payer
les frais. Etudions maintenant la dette extérieure de la France. Si
nous calculons le dollar à trente francs et la livre sterling à 150
(ils étaient respectivement à 36 et 170 au mois de septembre 1926),
nous obtenons les chiffres suivants. La dette de la France envers les
Etats-Unis se décompose ainsi : Fonds avancés par le Trésor
(capital seul) ...Fr. 87.995.145.480
Matériel
de guerre …………………….......…. 12.220.234.410
Prêts
directs au Gouvernement français :
1920………………………………..............….
2.422.416.000
1921……………………………….............…..
2.107.617.000
1924……………………………….............…..
2.953.485.000
Reste
dû sur :
Emprunts
anglo-français…………….......................... 415.500
Emprunts
5,5 % .....................................................
63.300.000
TOTAL……………............................…
Fr. 107.762.613.390
Nous
disons donc que la dette de la France à l'Amérique s'élève,
intérêts arriérés et à venir non compris, à 108 milliards de
francs. Examinons maintenant la dette de la France à l'Angleterre,
toujours à la date du 30 avril 1925 :
Bons
du Trésor remis au Trésor britannique
joints
aux intérêts composés……….......... Fr. 105.674.200.000
Matériel
de guerre ..............................................
1.008.910.350
Bons
du Trésor émis en Grande-Bretagne….....… 660.000.000
Bons
du Trésor émis à la Banque d'Angleterre.. 7.050.000.000
TOTAL
………………..................……. Fr. 114.393.110.350
La
dette de la France à l'Angleterre est donc en chiffres ronds, de
cent quinze milliards de francs. Et ce n'est pas tout. En outre de
cet argent emprunté de tous côtés pour couvrir les frais de la
guerre, les divers gouvernements français qui se succédèrent de
1924 à 1926, prirent divers engagements envers une certaine partie
de la population, et ces engagements viennent à leur tour grossir le
montant de la dette publique. « A la fin du 1er semestre 1923 on
avait versé : 63.200 millions de francs comme indemnités aux
régions libérées…Les réclamations s'élevaient à 123 milliards
de francs. Sur les réclamations examinées, s'élevant à 106
milliards de francs, les Commissions ont accordé environ 72
milliards d'indemnité représentant seulement 68 % du montant
réclamé ». Il reste encore à examiner des réclamations s'élevant
à 17 milliards ; si nous appliquons à cette somme le pourcentage de
68 %, les indemnités accordées s'élèveraient à 11,5 milliards.
La somme totale des dommages alloués (ou restant à allouer) serait
de 72 milliards, plus 11,5 milliards, soit 83,5 milliards de francs.
Puisque les dommages payés s'élèvent à 63,2 milliards, il reste
encore à payer 20,3 milliards, sans compter l'Alsace et la Lorraine
à laquelle on attribue 550 millions de francs ». (D'après le
mémoire présenté à Washington, le 29 avril 1926 aux membres de la
« War Debt Funding Commission », par M. Henry Bérenger,
ambassadeur de France à Washington). Nous pouvons maintenant
récapituler:
Dette
intérieure…………........................... Fr.
286.173.694.000
Dette
aux Etats-Unis........................................
107.762.613.390
Dette
à la Grande-Bretagne ..............................114.393.110.350
Régions
libérées………….................................
20.000.000.000
Dus
à divers Etats…….................................…..
10.000.000.000
TOTAL
…………..................................... Fr. 538.329.417.740
La
dette publique de la France, d'après les chiffras officiels,
s'élevait donc, à la date du 30 avril 1925, à la somme de CINQ
CENT QUARANTE MILLIARDS DE FRANCS. Il faut encore ajouter à cette
somme les intérêts dus aux Etats-Unis, pour le principal de notre
dette et qui se chiffraient au 15 juin 1925 par 26.430.000.000 de
francs, ce qui remonte le total de la dette à 570 milliards, et à
600 milliards si l'on ajoute également les intérêts dus à
l'Angleterre. A mesure que les capacités de payement d’une
puissance s'affaiblissent, ses créanciers deviennent plus pressants,
et réclament leurs créances, et l'Etat débiteur est mis en demeure
de régler ses dettes ou tout au moins de prendre des arrangements
avec ses créanciers. Nous avons dit que l'Etat n'avait d'autre
alternative pour se libérer de sa dette que de faire pression sur la
population pour en obtenir les ressources nécessaires. Pourtant il
arrive un moment où le poids des impôts directs ou indirects est si
élevé, qu'il devient impossible à un Gouvernement de les
percevoir. La population mise à sec ne peut plus rien donner et le
problème devient alors insoluble. C'est le cas dans lequel se trouve
la France en cette année 1926. Les difficultés qu'elle éprouve
pour faire face à ses engagements sont insurmontables et l'on peut
dire sans crainte de se tromper que, même si par un palliatif
quelconque, un Gouvernement arrivait à gagner du temps, ce ne serait
que partie remise, aucune mesure, propre au régime capitaliste ne
pouvant sauver l'Etat de la ruine financière, de la faillite. On en
jugera par les chiffres des sommes nécessaires à l'Etat pour payer
ses dettes ou simplement l'intérêt de celles-ci. Le budget de
l'Etat français était en 1924, de 41.214.000.000 de francs, or,
cette somme ne fut pas suffisante pour couvrir les dépenses et
l'Etat fut obligé d'emprunter :
En
France……………………………………….Fr 5.444.000.000
A
l'Etranger………………………………...……..
2.122.000.000
Avances
de la Banque de France……………......…. 500.000.000
Emprunts
émis par les soins du Crédit National ......6.860.000.000
Soit
un total de près de quinze milliards de francs, et pourtant en 1924,
les charges de la France n'étaient pas aussi lourdes qu'elles le
sont en 1926 et qu'elles le seront dans les années qui suivront.
Tiraillé par ses créanciers extérieurs, l'Etat français prend des
engagements qu'il ne sera en mesure de tenir que s'il affame sa
population et encore! Cependant, cela n'a pas empêché les
représentants officiels du capitalisme français de traiter avec
leurs confrères américains et, par l'intermédiaire de M. Bérenger,
ambassadeur de France à Washington, de conclure le fameux accord du
29 avril 1926 qui reconnaissait à l'Amérique une créance de (nous
calculons le dollar à 30 francs) CENT VINGT ET UN MILLIARDS DE
'FRANCS remboursables en soixante ans, la première échéance étant
prévue pour le 15 juin 1926 et s’élevant à 900 millions de
francs et la dernière pour le 15 juin 1987 et s'élevant à trois
milliards et demi. Ce qui revient à dire que, durant soixante ans le
travailleur français devra suer 2 milliards de francs
supplémentaires pour remplir les coffres-forts des banquiers
américains et de leurs complices les banquiers français. La classe
ouvrière a en général une sainte horreur des chiffres et elle se
désintéresse des questions financières qui agitent les cercles et
les milieux politiques. C'est un grand tort ; car, à l'étude des
chiffres, on s'aperçoit de la fragilité du régime capitaliste et
du peu qu'il faudrait pour en ébranler les bases. Nous avons donné
plus haut l'état de la dette publique française, et nous avons fait
remarquer qu'il était matériellement impossible à un gouvernement
de se libérer de cette dette. Nous avons dit également que si
l'Etat français ne pouvait rembourser le principal de sa dette, il
était tenu à en payer les intérêts à ses créanciers. Or, il
semble qu'il lui est aussi impossible de payer les intérêts que la
dette elle-même et que les uniques ressources provenant des impôts
directs ou indirects ne sont pas assez élevés pour faire face aux
dépenses utiles et inutiles de la nation. Pour donner à cette
affirmation la force qu'il convient, nous allons rechercher quelle
somme l'Etat est obligé de prélever sur le budget annuel qui lui
est alloué, pour solder l'intérêt de la dette contractée :
INTERETS
A)
A l'Intérieur :
Dette
perpétuelle………….. 4.362.000.000
Dette
à long terme……..….. 4.449.000.000
Dette
flottante…………….. 3.477.000.000
Dette
à court terme……..…. 1.926.000.000
Pensions
civiles et militaires 5.444.000.000
B)
A l'Extérieur :
Etats-Unis
................................540.000.000
Angleterre
………………… 1.200.000.000
TOTAL………………..….21.368.000.000
Soit
près de 22 milliards de francs par an que n'importe quel
gouvernement français sera obligé de trouver s'il veut conserver
son crédit. Il faut faire remarquer que cette somme n'éteindra pas
la dette publique et que si le Gouvernement tient à liquider ou à
consolider sa dette extérieure, en soixante annuités, ainsi qu'il
en est question, il lui faudra en outre verser en moyenne, et pendant
soixante ans, toujours en calculant le dollar à 30 francs et la
livre sterling à 150, environ deux milliards à l'Amérique et
autant à l'Angleterre, ce qui nous donne :
Intérêts
annuels à payer tant à l'Intérieur qu'à l'Extérieur
21.368.000.000
Consolidation
de la dette aux Etats-Unis………………. 2.000.000.000
Consolidation
de la dette à la Grande-Bretagne .............. 2.000.000.000
TOTAL………………………………………..........…25.368.000.000
Soit
un total de 25 milliards de francs par an. Est-ce tout? Non pas. Nous
avons dit en nous reportant aux chiffres officiels présentés par M.
Bérenger à Washington, que l'Etat français avait encore à payer
une somme de 20 milliards pour ses régions libérées. Si nous
supposons qu'il échelonne ses payements en une période de dix
années c'est deux milliards de plus par an que les caisses du
Gouvernement devront sortir. Nous nous arrêterons ici en signalant
que, dans tous les chiffres que nous donnons, nous sommes au-dessous
de la vérité, et que nous n'avons pas tenu compte des dettes
secondaires : des 54 millions de florins dus aux Pays-Bas, du million
de livres dû à l'Egypte, des 20 millions de pesos-or dus à
l'Argentine, etc., etc., et nous dirons que la France a une dette
publique de 570 MIL FRIANCS et que, dans les années qui suivront
celles de 1926, le peuple français devra trouver 25 milliards de
francs par an pour payer l'intérêt de cette dette publique. Un Etat
a cependant d'autres dépenses que celles occasionnées par sa dette,
et il a pour devoir d'y subvenir. En 1913, toujours en nous servant
de données officielles qui ne peuvent être démenties, 70 % du
budget « demeuraient disponibles pour satisfaire aux besoins de la
nation », ce qui revient à dire que ces 25 milliards que l'Etat
demande par an ne représentent que 30 % de la somme qui lui est
nécessaire, pour que son budget soit dans une situation identique à
celle de 1913, ou : 25.000.000.000 x 100 = 83.333.333.333.33
30
soit en chiffres ronds : 83 milliards de francs par an que le
travailleur français doit verser sous forme d'impôt, s'il veut que
sa situation redevienne ce qu'elle était à la veille de la guerre.
Ce n'est pas à la légère que nous prétendons que la dette
publique de la France ne peut aller qu'en s'augmentant et que rien ne
peut permettre à un gouvernement d'échapper à de nouveaux
emprunts. Tous les objets, toutes les matières imposables l'ont été
à leur extrême limite, les denrées de première nécessité ont
été taxés par les divers gouvernements qui se sont succédés
depuis 1919, au point de rendre la vie presque impossible aux
travailleurs, obligés de se restreindre même dans leur nourriture ;
et cependant les impôts directs et indirects du pays n'ont pas
fourni aux gouvernements une somme supérieure à 45 milliards de
francs. Or, les gouvernements, nous l'avons démontré plus haut, ont
besoin pour stabiliser l'état financier de la Nation, de 85
milliards, près du double ; où iront-ils les chercher? Empruntant
une formule chère aux politiciens socialistes, nous pourrions dire :
« Il faut prendre l'argent où il se trouve », mais nous savons
trop que ceux qui détiennent la richesse, entendent ne pas s'en
démunir, et persistent à vouloir faire peser sur le peuple tout le
poids des charges fiscales. 85 milliards d'impôts par an sont
introuvables en France si l'on considère la situation des classes
moyennes et des classes travailleuses. Le peuple a tout donné : son
sang et son argent, et l'Etat l'a si bien compris, que durant les
années antérieures à 1926, comprenant qu'il serait inutile
d'essayer d'en tirer quelque chose de plus, il n'eût d'autre recours
que l'emprunt pour faire face à ses dépenses. Pour l’édification
et la documentation de nos lecteurs, nous allons leur soumettre un
tableau comparatif et des budgets et des emprunts de l'Etat français,
entre les années 1913 et 1926 :
Années
Budgets Emprunts
1913
5.067.000.000
1914
10.371.000.000 6.299.000.000
1915
22.120.000.000 20.708.000.000
1916
36.848.000.000 29.583.000.000
1917
44.661.000.000 35.633.000.000
1918
56.649.000.000 37.668.000.000
1919
54.956.000.000 51.331.000.000
1920
57.501.000.000 42.822.000.000
1921
46.492.000.000 31.120.000.000
1922
37.929.000.000 20.064.000.000
1923
37.929.000.000 27.761.000.000
1924
41.214.000.000 14.926.000.000
On
remarquera que les emprunts de l'Etat français diminuent à dater de
1921. La raison n'est pas, comme on pourrait le croire, que les
gouvernements n'ont plus besoin d'argent, mais bien au contraire
qu'ils ne trouvent plus de créanciers, leur solvabilité étant
douteuse : c'est à dater de ce moment que les difficultés
grandissent et deviennent insurmontables.
*
* *
Maintenant
que nous avons établi avec un réel souci d'impartialité qu'elle
est la dette publique de la France, il faut, pour que la vérité
dans toute sa clarté soit respectée, avouer que la France est à
son tour, créditeur de certaines sommes. La dette publique de la
France s'élève à près de 600 milliards, mais on lui doit :
La
Russie……….…. 6.023.300.000
La
Yougoslavie…… 1.738.566.000
La
Roumanie……… 1.132.000.000
Là
Grèce…………..... 537.514.000
La
Pologne ……….... 895.400.000
La
Tchécoslovaquie ...542.200.000
L'Italie……………....
350.273.000
Le
Portugal……......….. 9.000.000
L'Esthonie………….....
3.500.000
La
Latvie…………...... 9.000.000
La
Lithuanie………..... 2.300.000
La
Hongrie……….......... 800.000
L'Autriche…………
331.926.000
TOTAL……........11.375.799.000
Soit
un peu plus de onze milliards de francs. Est-ce être partial que de
dire, que ce ne sont pas ces onze milliards de créances qui peuvent
sauver le pays de la débâcle? Ajoutons également qu'à titre de
dommages de guerre, la France, dans les années qui suivront 1926,
escompte récupérer de l'Allemagne quelques milliards. II ne semble
cependant pas que ce soit de ce côté que puisse venir le salut.
*
* *
Quelle
conclusion est-il possible de donner à cet exposé? On reproche
fréquemment aux éléments révolutionnaires et plus
particulièrement aux communistes libertaires, de critiquer, de
s'attaquer à des institutions, de détruire idéologiquement toute
l'économie sociale moderne, mais de ne pas apporter de remèdes aux
maux dont souffre la société. Nous avons dit et nous ne pouvons que
répéter qu'il n'y a aucun remède à puiser dans les formes
d'organisations élaborées sur le capital. Le capital est la source
même des maux, et c'est à lui qu'il faut s'attaquer si nous voulons
tous guérir. L'on conçoit que des hommes qui bénéficient du
régime capitaliste cherchent à lui sauver la vie ; mais que des
êtres qui en souffrent, qui en ont reconnu les vices, les tares, les
erreurs, se refusent à se joindre à ceux qui le combattent, cela
est incompréhensible. Nous avons brossé rapidement la situation de
la France, qui sera demain celle de l'Angleterre, de l'Italie, de
l'Espagne, etc.… Même l'Amérique qui semble si bien assise sur
ses monceaux d'or, n'échappera pas un jour à la débâcle et à la
ruine. Les causes indirectes de cette débâcle peuvent ou pourront
être différentes de celles qui affaiblissent la nation française,
mais les causes directes seront les mêmes; c'est le capital qui se
désagrègera. Le capitalisme a à son service des économistes
compétents en matière financière ; ils se sont attelés à 1a
besogne, ils ont cherché tous les moyens possibles et imaginables,
pour sortir le capitalisme français de l'ornière. Ils n'ont rien
trouvé ; ils ne trouveront rien, car il 'n'y a rien, En désespoir
de cause, ils ont accouché cette monstruosité que la cause initiale
des difficultés financières de l'Etat français, était la journée
de huit heures, et que si le travailleur consentait à augmenter sa
production, la situation de la nation s'améliorerait. Le travailleur
français, comme celui du monde entier du reste, a été entraîné
contre son gré dans le cataclysme qui ensanglanta le monde de 1914 à
1918. C'est lui qui a le plus souffert, c'est lui qui a le plus donné
; et affaibli, saigné, il a réintégré son foyer, convaincu qu'il
s'était battu en vain, et que le « droit et 1a liberté » n'était
qu'une formule propre à le tromper et à le sacrifier à la soif des
grands potentats du commerce et de l'industrie. Il ne travaille que
huit heures, et pas toujours encore ; mais loin d'améliorer le sort
de la nation et son sort propre, les plus longues journées de
travail auraient pour conséquence le chômage et par extension la
misère. Nous avons tout près de nous l'exemple de l'Angleterre et
de son million et demi de chômeurs, qui, depuis des années, sont à
la recherche d'une situation. Et puis est-ce au peuple de fournir les
moyens de relever le crédit de l'Etat? Avant 1914, tant bien que
mal, le budget familial était bouclé avec le salaire modeste du
père de famille. Tant bien que mal également le budget de l'Etat
suffisait aux dépenses de la Nation. Ce n'est pas le travailleur qui
a voulu la guerre. Le prolétariat, qu'il soit allemand, français ou
anglais, avait un profond désir de quiétude et de paix. Ce n'est
pas le travailleur qui a contracté les milliards de dettes que le
capitalisme mondial entend maintenant lui faire payer. Il ne payera
pas, il ne peut pas payer. Que ceux sur qui pèse la lourde
responsabilité de la boucherie, que ceux qui ont avec désinvolture
emprunté des milliards pour fournir de la nourriture aux canons et
aux fusils, que ceux qui ont à leur actif le crime affreux qui coûta
la vie à des millions d'êtres humains, s'arrangent ; qu'ils
cherchent et qu'ils trouvent ; ou alors qu'ils tremblent, car la
dette publique, leur dette, s'éteindra dans la Révolution.
-
J. CHAZOFF.
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