Le
capitalisme comme religion par Serge Margel
« Benjamin décrit ici les
trois formes religieuses élémentaires du capitalisme : 1/
C'est une religion purement cultuelle, ou relève d'un culte sans
dogme ni théologie, donc sans croyance, sans débat ni controverse.
Ce culte pur relève d'un utilitarisme, qui prescrit d'agir de façon
à maximiser les biens, qu'ils soient matériels ; 2/ Ce culte
est permanent. Il est sans pause, sans trêve, sans fêtes ni repos.
Toute irruption produit immédiatement et nécessairement une
réduction catastrophique de l'accroissement des biens ; 3/ Ce
culte permanent est culpabilisant. Ce dernier point est sans doute le
trait le plus caractérisant du capitalisme comme religion. Même si
benjamin n'utilise pas ici le terme, la fonction culpabilisante du
culte relève de cette morale ascétique et puritaine, analysée par
Weber. Benjamin parle de monstruosité, d'excès ou de démesure. Le
système religieux du capitalisme est pris dans un mouvement
monstrueux ( eine ungeheure bewegung). C'est la monstruosité
religieuse du puritanisme, qui procède en deux temps. D'un côté,
« elle fait entrer de force » la culpabilité dans
la conscience. Einhaämmern veut dire inculquer, imposer,
introduire avec pression, et hämmern signifie frapper à
coups de marteau. Comme un clou, la culpabilité s'enfonce dans la
conscience, pour la conditionner et la constituer en conscience
morale, en faire une machine à (se) culpabiliser. Et d'un autre
côté, ce culte culpabilisant des consciences n'a pas pour fonction
d'expier cette culpabilité, dit benjamin, mais bien au contraire de
l'universaliser. »
« La « domination
sacerdotale » du capitalisme agit par les moyens d'une
morale eschatologique. C'est le culte de la fin, non par le désir de
la fin du monde, mais l'acceptation que la fin est déjà arrivée,
que le monde est fini par essence et que l'avenir lui-même ne fait
plus partie des futurs contingents. Cette morale eschatologique ne
relève pas d'une économie des valeurs, des différences, des
contradictions, des hiérarchies et des niveaux d'échelle, pour
laisser faire la « machine à produire du gain ».
cette machine ne peut fonctionner, produire de la dette à coups de
marteau, sans « repuritaniser » continuellement les
consciences, du rapport à soi aux rapports sociaux. Cette machine à
puritaniser ne peut endetter les consciences qu'à pouvoir en occuper
chaque instant de vie, en préoccuper le temps conscient comme
inconscient à régler sa dette, ses dettes, ou à faire de son temps
le temps d'une dette. La domination sacerdotale du capitalisme comme
religion est un culte permanent à la recherche du temps perdu, au
Dieu Mammon, au Dieu Pluton, Dieu des trésors, Dieu des richesses,
dieu de l'argent : billets de banque avec ses petits saints
cupidons... »
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