lundi 12 novembre 2018

Lignes N°57




Le capitalisme comme religion par Serge Margel

« Benjamin décrit ici les trois formes religieuses élémentaires du capitalisme : 1/ C'est une religion purement cultuelle, ou relève d'un culte sans dogme ni théologie, donc sans croyance, sans débat ni controverse. Ce culte pur relève d'un utilitarisme, qui prescrit d'agir de façon à maximiser les biens, qu'ils soient matériels ; 2/ Ce culte est permanent. Il est sans pause, sans trêve, sans fêtes ni repos. Toute irruption produit immédiatement et nécessairement une réduction catastrophique de l'accroissement des biens ; 3/ Ce culte permanent est culpabilisant. Ce dernier point est sans doute le trait le plus caractérisant du capitalisme comme religion. Même si benjamin n'utilise pas ici le terme, la fonction culpabilisante du culte relève de cette morale ascétique et puritaine, analysée par Weber. Benjamin parle de monstruosité, d'excès ou de démesure. Le système religieux du capitalisme est pris dans un mouvement monstrueux ( eine ungeheure bewegung). C'est la monstruosité religieuse du puritanisme, qui procède en deux temps. D'un côté, « elle fait entrer de force » la culpabilité dans la conscience. Einhaämmern veut dire inculquer, imposer, introduire avec pression, et hämmern signifie frapper à coups de marteau. Comme un clou, la culpabilité s'enfonce dans la conscience, pour la conditionner et la constituer en conscience morale, en faire une machine à (se) culpabiliser. Et d'un autre côté, ce culte culpabilisant des consciences n'a pas pour fonction d'expier cette culpabilité, dit benjamin, mais bien au contraire de l'universaliser. »

« La « domination sacerdotale » du capitalisme agit par les moyens d'une morale eschatologique. C'est le culte de la fin, non par le désir de la fin du monde, mais l'acceptation que la fin est déjà arrivée, que le monde est fini par essence et que l'avenir lui-même ne fait plus partie des futurs contingents. Cette morale eschatologique ne relève pas d'une économie des valeurs, des différences, des contradictions, des hiérarchies et des niveaux d'échelle, pour laisser faire la « machine à produire du gain ». cette machine ne peut fonctionner, produire de la dette à coups de marteau, sans « repuritaniser » continuellement les consciences, du rapport à soi aux rapports sociaux. Cette machine à puritaniser ne peut endetter les consciences qu'à pouvoir en occuper chaque instant de vie, en préoccuper le temps conscient comme inconscient à régler sa dette, ses dettes, ou à faire de son temps le temps d'une dette. La domination sacerdotale du capitalisme comme religion est un culte permanent à la recherche du temps perdu, au Dieu Mammon, au Dieu Pluton, Dieu des trésors, Dieu des richesses, dieu de l'argent : billets de banque avec ses petits saints cupidons... »

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