vendredi 16 avril 2021

On bosse ici on reste ici de Nicolas Jounin

 "Fils de haut fonctionnaire, l'énarque Thierry Coudert, cinquante ans, compte alors vingt-cinq années d'alternance entre des fonctions préfectorales et des cabinets, dont celui du secrétaire d'état socialiste aux affaires sociales et à l'intégration, Kofi Yamgnane, en 1991. De 2005 a 2007, il est directeur de cabinet du ministre délégué aux collectivités territoriales Brice Hortefeux, qu'il accompagne lors de la création du ministère de l'"immigration. Adhérant pleinement aux objectifs quantitatifs d'expulsion, il se veut aussi promoteur d'une politique utilitariste, prônant par exemple de recourir à des immigrés philippins ( qu'il suppose moins enclins au regroupement familial) ou bien d'octroyer directement une carte de dix ans aux étrangers fortunés."

"Le lendemain, c'est Nicolas Sarkozy lui-même qui doit traiter le sujet lors d'une interview télévisée. D'abord, il utilise l'argument classique du chômage des étrangers en règle:" on exploite des malheureux dans des cuisines ou dans des sous-sols sans payer un certain nombre de charges alors qu'il y a 22% d'étrangers qui ont des papiers ( au chômage) , qu'on pourrait parfaitement embaucher et qui travailleraient dans les mêmes conditions" Les sans-papiers seraient donc l'instrument d'un odieux dumping social qui pénalise les étrangers réguliers qui, d'ailleurs, l'endureraient tout aussi docilement...

Pourtant, après avoir ainsi tenté d'opposer différentes catégories d'étrangers, Nicolas Sarkozy fait comme si la revendication des grévistes était l'acquisition de la nationalité française. "On ne devient pas français uniquement parce qu'on a un travail dans la cuisine d'un restaurant, aussi sympathique soit-il. " sermonne-t-il. Erreur grossière ou manipulation consciente? Elle est en tout cas rééditée plusieurs fois durant l'interview, et c'est l'occasion de se cacher derrière le paravent de la loi, comme si celle-ci ne donnait pas toute lattitude aux préfets pour accorder des titres de séjour ( et non ici la nationalité...) selon leur bon vouloir: " Je suis pas un roi, moi. Il y a une loi. La loi prévoit un certain nombre de critères pour devenir français...Ou alors il faut que le parlement vote une loi qui consiste à dire: " toute personne qui a un contrat de travail en France a vocation à être française." Il ne suffit pas qu'un des adhérents de M. Daguin donne un contrat, dans des conditions par ailleurs qu'il faut qu'on examine, pour devenir français. La nationalité, la citoyenneté se plient à des règles, et le président de la république, fut-il président de la république, n'a pas à s'exonérer de ces lois."

"L'incantation du "cas par cas" a une longue histoire dans le mouvement des sans-papiers. Equivoque, elle recouvre deux oppositions distincts mais qui , dans les discours, peuvent être stratégiquement confondues: d'une part, entre régularisation sur la base de l'examen des dossiers individuels encadrés par des critères précis et contraignants, et examen où le pouvoir de décision de l'administration reste plein et entier pour chaque dossier ( aucun cas ne constitue un précédent, si bien que deux cas équivalents peuvent connaitre des issues différentes."

"Selon le lieu, les enjeux, les relations entre syndicats et administrations ( non seulement avec les préfectures mais aussi avec les directions départementales du travail qui se prononcent sur les autorisations de travail) ne sont pas exactement les mêmes. En seine saint denis, le nombre d'étrangers, avec ou sans papiers, est particulièrement élevé, ce qui permet à la fois de remplir les quotas d'expulsions ( notamment grâce aux Roumains, particulièrement présents et ciblés., de refuser beaucoup de titres de séjour...mais aussi d'en accorder un certain nombre. De plus, les responsables locaux de la CGT et ceux de la direction départementale du travail, et même de la préfecture, ont l'habitude de se rencontrer pour divers sujets. Dès les premiers jours du mouvement, ils se réunissent à la préfecture et mettent au point ce qu'un haut fonctionnaire local nomme un accord de méthode, fixant la manière dont les dossiers seront déposés - collectivement- les pièces qu'ils doivent comporter et surtout leur nombre, qui approchera les milles. Il n'y a pas encore vraiment de critère: " on a eu une vision un peu plus souple." qu'au niveau national, poursuit le haut fonctionnaire, car c'est un "arbitrage entre à la fois des impératifs politiques de l'état et un lcal particulier. Tandis que l'UD CGT 93 négocie un traitement spécifique pour les dossiers des grévistes, la préfecture entend circonscrire le mouvement."

"A Paris en revanche, le climat est différent. Au cours des deux années précédentes, le service des étrangers a été secoué par des affaires de corruption. Le directeur de la police générale, Yannick Blanc, a par ailleurs été limogé le 16 janvier 2008. Connu pour avoir annoncé plusieurs milliers de régularisations de parents d'enfants scolarisés en juillet 2006 en vertu de la circulaire du 13 juin, Yannick Blanc avait été publiquement désavoué par le ministre de l'intérieur de l'époque: le directeur prétendait appliquer les critères édictés alors que pour Nicolas Sarkozy ceux-ci n'étaient valides que s'ils permettaient de contenir le nombre de régularisations dans les limites fixées d'avance? De plus, en 2007, la préfecture de police n'a pas atteint l'objectif d'expulsions qui lui était assigné. Yannick Blanc est donc remplacé, quelques mois avant le début des grèves par Jacques Quastana, venu du ministère de l'intérieur."

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