Le libraire est celui qui
tient boutique de livres (voir ce mot) qui fait commerce d'imprimés. C'est
aussi (libraire-éditeur) celui qui achète leurs manuscrits aux auteurs pour les
faire imprimer et vendre. Dans l’antiquité (nous nous bornerons ici à un bref
historique), les libraires dictaient aux copistes le texte des ouvrages et
offraient ensuite ces manuscrits aux amateurs. D'abord assez restreint, leur
nombre augmenta, tant à Rome qu'à Athènes, à mesure que les matériaux furent
moins rares, et les boutiques des libraires devinrent le rendez-vous des
chercheurs et des gens cultivés. Avec le christianisme, la copie des ouvrages -
sacrés d'abord, puis profanes - gagna les couvents. Les invasions, les troubles
des guerres successives y tinrent concentré le travail de transcription des
œuvres intellectuelles et les entreprises extérieures disparurent... Elles se
réveillèrent peu à peu avec la sécurité renaissante. En 1275, une première
ordonnance règlementa le commerce de la librairie. Stationarii (copistes),
librarii (vendeurs de livres) étaient, avec les relieurs et parcheminiers,
incorporés à l'Université dont le contrôle s'étendait au prix comme à la forme
et au fond des ouvrages. Les libraires prêtaient serment, pour être admis à
l'exercice. Longtemps, leur nombre, à Paris ne dépassa pas trente. La
découverte de l'imprimerie transforma la librairie et favorisa merveilleusement
son essor. De Louis XII datent les privilèges de la corporation (1509). C'est
l'âge florissant des Frellon, des Ant. Virard et des Estienne. Mais avec la
prospérité et les facilités de la propagation naquirent les inquiétudes du
pouvoir royal et se manifestèrent ses tracasseries et ses rigueurs.
L'Université, la Faculté de théologie et le souverain en dernier ressort
régnaient, - trinité soupçonneuse - sur la corporation. Brocards, pamphlets et
libelles couraient cependant le public sous la Ligue et la Fronde, malgré que
la pendaison fut parmi les peines qui atteignaient les infractions aux édits...
En 1618 se constitua le syndicat de l'imprimerie et de la librairie. Sous Louis
XIV, la confrérie, reconstituée en corps savant, exigea que les libraires
fussent « congrus en langue latine » et sussent « lire le grec ». Et elle put
citer avec orgueil les Vitré, les Cramoisy... Restrictions diverses, visa, obligation
de dépôt, etc. puis, en 1723, mise sous la férule du lieutenant de police et
des intendants, la librairie connut la dépendance et les difficultés jusqu'à la
Révolution de 1789 qui en proclama libre le commerce... Liberté précaire, comme
tant de conquêtes de l'époque. La censure préalable était, en effet, dès 1811,
restaurée. Les régimes successifs, tremblant pour leur stabilité, surveillèrent
jalousement la librairie, l'entourèrent de mesures vexatoires et tyranniques.
Il fallut le 10 septembre 1870 pour rétablir « la profession libre ». Depuis la
loi de 1881, la vente est affranchie de l'autorisation
et du contrôle, mais le libraire-éditeur ou imprimeur demeure astreint à
l'obligation de dépôt et passible de poursuites. Son commerce est assujetti aux
dispositions répressives qui frappent les imprimés « délictueux » (Voir
imprimerie, livre, etc.). Mais la librairie, par contre, participe aujourd'hui
des mœurs du capitalisme. Elle a, elle aussi, ses lancements sensationnels et
souvent malpropres, et la fortune dore le blason de ses boutiquiers. Formidable
est la production imprimée qui entretient la prospérité sur ses marchés. Du
livre au périodique et aux journaux foisonnent les publications où s’alimente,
beaucoup plus que l'élite cultivée et les gens désireux d'accroître
intelligemment leurs connaissances, la démocratie nourrie du faux savoir de
l'instruction populaire. Aliment, en général d'ailleurs, de nature à fourvoyer
les esprits plus qu'à les libérer et davantage apparenté au ragot scandaleux
qu'à la littérature ; mais c'est à son « rapport » que se jaugent aussi les
qualités de la « marchandise » imprimée... Comme on l'a entrevu au mot lettre,
comme on le reverra à littérature, livre, etc., depuis longtemps il est
autrement lucratif de faire commerce des ouvrages de l'esprit que de pâtir de
longues veilles pour en accoucher. Et Voltaire déjà pouvait dire : « Les libraires
hollandais gagnent un million par an parce que les Français ont de l'esprit ».
Et Etienne : Mais, hélas! je n'ai fait que changer de corsaires, Après les
procureurs, j'ai connu les libraires! Depuis des siècles, en définitive, les
écrivains ont été aux gages des libraires. Avec la position de la librairie
moderne, cette sujétion n'a fait que s'accentuer (depuis quelques décades on
voit des auteurs payer les éditeurs pour qu'ils daignent tenter profit avec
leur effort en jetant leurs œuvres dans la circulation). Les plus beaux fruits
de la réussite vont aux trafiquants du papier noirci (voir Lettres). Et cela
est dans la logique de l'économie immorale de notre temps qui veut que ceux qui
font métier d'intermédiaires monnaient la sueur de ceux qui peinent sur la
production. Des libraires ont été, à diverses époques, d'audacieux serviteurs
de la pensée et ont subi de ce fait des persécutions. Certains ont apporté
aussi jusqu'à des temps proches de nous un amour éclairé des travaux dignes
d'affronter la curiosité publique. Tels les Poulet-Malas lettrés et des savants
et leur discernement a plus d'une fois sauvé de l'obscurité des œuvres
valeureuses. Mais plus que jamais le négoce envahit la carrière et, avant les
ouvrages qui méritent, sont patronnées, par les hommes d'affaires de la
librairie, les médiocrités qui rapportent : « Le libraire est trop souvent
l'exploiteur de l’homme de lettres. A un excellent livre d'un auteur sans
réputation, le libraire, marchand avant tout, préfère un mauvais livre d'un auteur
célèbre ». Incapable d’ailleurs, trop souvent, d'apprécier de nos jours les
vertus d'une œuvre inconnue, il trouve plus pratique de se confier au tapage
prometteur de l'opinion. Son ignorance et son escarcelle y trouvent leur
satisfaction.
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