La prise en charge de la production par les syndicats
Cette tendance a été
clairement discernée en Espagne. Les permanents syndicaux peuvent disposer de
l'appareil de production. Ils ont aussi une influence décisive sur les affaires
militaires. L'influence des ouvriers dans la vie économique ne va pas plus loin
que l'influence qu'ont leurs syndicats; et le fait que les mesures syndicales
n'aient pas réussi à menacer sérieusement la propriété privée, illustre bien
les limites de cette influence. Si les ouvriers prennent en charge
l'organisation de la vie économique, un de leurs premiers actes sera dirigé
contre les parasites. Le pouvoir magique de l'argent, qui ouvre toutes les
portes, qui réduit tout à l'état de marchandises, disparaîtra. Un des premiers
actes des travailleurs sera donc, sans doute, la création d'une sorte de bons
de travail. Ces bons ne pourront être obtenus que par ceux qui accomplissent un
travail utile (Des mesures spéciales concernant les vieillards, les malades,
les enfants, etc., s'imposeront certainement.)
En Catalogne, cela ne s'est
pas produit. L'argent demeure le moyen d'échange des biens. On a introduit un
certain contrôle sur la circulation des marchandises, qui n'a profité en rien
aux travailleurs : ils se sont vus contraints d'apporter leurs maigres
possessions au mont-de-piété, pendant que les propriétaires fonciers, par
exemple, touchaient des rentes qui se montaient à environ 4 % de leur capital
(«L'Espagne antifasciste», 10 octobre).
Évidemment, les syndicats ne
pouvaient pas prendre d'autres mesures sans menacer l'unité du front
antifasciste. On peut aussi penser, comme y incite le caractère libertaire de
la C.N.T., que les syndicats regagneront certainement le terrain perdu, une
fois qu'ils auront vaincu les antifascistes et accompli toutes les réformes
nécessaires. Mais raisonner de cette façon, c'est commettre les mêmes erreurs
que les différentes variétés de bolcheviks, qu'elles soient de gauche ou de
droite. Les mesures accomplies jusqu'à présent prouvent clairement que les
ouvriers n'ont pas le pouvoir. Qui prétendra que le même appareil qui
aujourd'hui domine les ouvriers, leur donnera volontairement le pouvoir le jour
où le fascisme aura été écrasé?
Sans doute, la C.N.T. est
libertaire. Même si nous supposons que les permanents de cette organisation
sont prêts à abandonner leur pouvoir dés que la situation militaire le
permettra, qu'est-ce que cela changera réellement ? Le pouvoir, en effet, n'est
pas aux mains d'un quelconque leader, il appartient au grand appareil, composé
d'innombrables « chefaillons » qui détiennent les positions clés et les postes
secondaires. Ils sont capables, si on les chasse de leurs postes privilégiés,
de bouleverser complètement la production. Voici soulevé le problème qui eut un
rôle si important dans la révolution russe. L'appareil bureaucratique sabota la
vie économique entière tant que les ouvriers eurent le contrôle des usines. Il
en est de même pour l'Espagne.
Tout l'enthousiasme que
manifeste la C.N.T. en faveur du droit à l'autogestion dans les usines,
n'empêche pas que ce sont les comités syndicaux qui, en fait, assument la
fonction de l'employeur et qui, par conséquent, doivent jouer le rôle
d'exploiteurs du travail. Le système salarial est maintenu en Espagne. Seul
l'aspect en a changé : auparavant au service des capitalistes, le travail
salarié est maintenant au service des syndicats. En voici comme preuve quelques
citations extraites d’un article de « l’Espagne antifasciste », n° 24, 28
novembre 1936, intitulé « La Révolution s’organise elle-même » :
« Le plénum provincial de
Grenade s’est réuni à Cadix, du 2 octobre au 4 octobre 1936; et a adopté les
résolutions suivantes :
5) Le comité d'union des
syndicats contrôlera la production dans son ensemble d'agriculture comprise.
Dans ce but, tout le matériel nécessaire aux semailles et à la moisson sera mis
à sa disposition.
6) Comme point de départ de la
coordination entre régions, chaque commission doit rendre possible l'échange
des marchandises en comparant leurs valeurs sur la base des prix en cours.
7) Pour faciliter le travail,
le comité doit établir le relevé statistique de ceux qui sont aptes au travail
afin de savoir sur quel potentiel il peut compter et comment doit être
rationnée la nourriture en fonction de la taille des familles.
8) La terre confisquée est
déclarée propriété collective. Par ailleurs, la terre de ceux qui ont des
capacités physiques et professionnelles suffisantes, ne peut être saisie. Ceci
pour obtenir une rentabilité maximale. »
(En outre, la terre des petits
propriétaires ne peut pas être confisque. La saisie doit être accomplie en
présence des organes de la C.N.T. et de l'U.G.T.)
Ces résolutions doivent être
comprises comme une sorte de plan d'après lequel le comité d'union des
syndicats organisera la production. Mais en même temps, nous devons
faireremarquer que la direction des petites exploitations, aussi bien que celle
des grandes où doit être garantie une rentabilité maximale, restera aux mains
des anciens propriétaires. Le reste de la terre doit servir à des buts
communautaires. En d'autres termes, elle doit être placée sous le contrôle des
commissions du syndicat. De plus, le comité d'union des syndicats obtient le
contrôle sur la production dans sa totalité. Mais pas un mot n'indique le rôle
que doivent jouer les producteurs eux-mêmes dans ce nouveau type de production.
Ce problème ne semble pas exister pour l’U.G.T. Pour eux, il ne s'agit que de
l'établissement d'une autre direction, à savoir la direction du comité de
l'union des syndicats qui fonctionne encore sur la base du travail salarié.
C'est la question du maintien du salariat qui détermine le cours de la révolution
prolétarienne. Si les ouvriers demeurent des ouvriers salariés comme
auparavant, même au service d'un comité établi par leur propre syndicat, leur
position dans le système de production demeure inchangée. Et la révolution
s'écartera de son orientation prolétarienne à cause de la rivalité inévitable
qui surgira entre les partis ou les syndicats pour s'assurer le contrôle de
l'économie. On peut donc alors se demander jusqu'à quel point les syndicats
peuvent être considérés comme les représentants authentiques des travailleurs;
ou, en d'autres termes, quelle influence ont les ouvriers sur les comités
centraux des syndicats qui dominent la vie économique tout entière.
La réalité nous enseigne que
les ouvriers perdent toute influence ou tout pouvoir sur ces organisations,
même si, dans le meilleur des cas, tous les ouvriers sont organisés dans la
C.N.T. ou l'U.G.T. et s'ils élisent leurs comités eux-mêmes. Car les syndicats
se transforment graduellement dés qu'ils fonctionnent en tant qu'organes
autonomes du pouvoir. Ce sont les comités qui déterminent toutes les normes de
production et de distribution sans en être responsables devant les ouvriers qui
les ont élevés à ces postes, mais qui n'ont en aucun cas la possibilité de les
révoquer à leur gré. Les comités obtiennent le droit de disposer de tous les
moyens de production nécessaires au travail, et de tous les produits finis,
tandis que le travailleur ne reçoit que le montant du salaire défini d'après le
travail accompli. Le problème pour les ouvriers espagnols consiste donc,
jusqu'à présent, à préserver leur pouvoir sur les comités syndicaux qui règlent
la production et la distribution. Or, on voit que la propagande
anarcho-syndicaliste s'exprime dans un sens tout à fait contraire; elle
maintient que tous les obstacles seront surmontés quand les syndicats auront en
mains la direction totale de la production. Pour les anarcho-syndicalistes, le
danger de formation d'une bureaucratie existe au niveau des organes de l'État,
mais non des syndicats. Ils croient que les idées libertaires rendent
impossible un tel processus.
Mais au contraire, il a été
démontré – et pas seulement en Espagne – que les nécessités matérielles font
rapidement oublier les idées libertaires. Même les anarchistes confirment le
développement d'une bureaucratie. « L’Espagne antifasciste », dans son n° 1 de
janvier, contient un article extrait de Tierra y Libertad (organe de la
F.A.I.), dont nous citons ce qui suit :
« Le dernier plénum de la «
fédération régionale » des groupes anarchistes en Catalogne a exposé clairement
la position de l'anarchisme face aux exigences présentes. Nous publions toutes
ces conclusions, suivies de brefs commentaires. »
L'extrait suivant est tiré de
ces résolutions commentées :
« 4) Il est nécessaire
d'abolir la bureaucratie parasitaire qui s'est grandement développée dans les
organes de l'État. A tous les échelons.
«L'État est l'éternel berceau
de la bureaucratie. Aujourd'hui, cette situation devient critique au point de
nous entraîner dans un courant qui menace la révolution. La collectivisation
des entreprises, l'établissement de conseils et de commissions ont favorise
l'épanouissement d'une nouvelle bureaucratie d'origine ouvrière. Négligeant les
tâches du socialisme et n'ayant plus rien de révolutionnaire, ces éléments qui
dirigent les lieux de production ou les industries en dehors du contrôle
syndicat, agissent fréquemment comme des bureaucrates disposant d'une autorité
absolue, et se comportent comme de nouveaux patrons. Dans les bureaux nationaux
et locaux, on peut observer le pouvoir croissant de ces bureaucrates Un tel
état de choses doit prendre fin. C'est la tâche des syndicats et des ouvriers
que d'enrayer ce courant de bureaucratisme. C'est l'organisation syndicale qui
doit résoudre ce problème. Les « parasites » doivent disparaître de la nouvelle
société. Notre devoir le plus urgent est de commencer la lutte sans plus tarder
avec détermination. »
Mais chasser la bureaucratie
par l'intermédiaire des syndicats revient à vouloir chasser le démon par
Belzébuth car ce sont les conditions dans lesquelles s'exerce le pouvoir, et
non des dogmes idéalistes, qui déterminent le déroulement des événements.
L'anarcho-syndicalisme espagnol, nourri de doctrines anarchistes, se déclare
lui-même pour le communisme libre et opposé à toutes les formes de pouvoir
centralisé ; cependant, son propre pouvoir se trouve concentré dans les
syndicats et c'est donc par l'intermédiaire de ces organisations que les
anarcho-syndicalistes réaliseront le communisme « libre ».
L’anarcho-syndicalisme
Ainsi, nous avons vu que la
pratique et la théorie de l'anarcho-syndicalisme diffèrent totalement. Cela
était déjà manifeste quand la C.N.T. et la F.A.I., pour consolider leur
position, durent renoncer peu à peu à leur « antipolitisme » passé. Le même
décalage s'observe maintenant dans la « structure économique » de la
révolution.
En théorie, les
anarcho-syndicalistes se prétendent l'avant-garde d'un communisme « libre ».
Toutefois, pour faire fonctionner les entreprises « libres » dans l'intérêt de
la révolution, ils sont contraints d'arracher leur liberté à ces entreprises et
de subordonner la production à une direction centralisée. La pratique les
contraint d'abandonner leur théorie ce qui prouve que cette théorie n'était pas
adaptée à la pratique.
Nous trouverons l'explication
de ce décalage en nous livrant à une critique radicale de ces théories du
communisme « libre » qui sont, en dernière analyse, les conceptions de
Proudhon, adaptées par Bakounine aux méthodes de production modernes.
Les conceptions socialistes
avancées par Proudhon il y a cent ans, ne sont que les conceptions idéalistes
du petit-bourgeois qui voyait dans la libre concurrence entre petites
entreprises le but idéal du développement économique. La libre concurrence
devait automatiquement supprimer tous les privilèges du capital financier et du
capital foncier. Ainsi, toute direction centrale devenait superflue : les
profits disparaîtraient et chacun recevrait le « fruit intégral de son travail
», puisque, d'après Proudhon, seuls les monopoles réalisent le profit. « Je
n'ai pas l'intention de supprimer la propriété privée, mais de la socialiser;
c'est-à-dire, de la réduire à de petites entreprises et de la priver de son
pouvoir. » Proudhon ne condamne pas les droits de propriété en tant que tels;
il voit la « liberté réelle » dans la libre disposition dés fruits du travail
et condamne la propriété privée seulement en tant que privilège et pouvoir, en
tant que droit du maître. (Gottfried Salomon : Proudhon et le socialisme, p.
31). Par exemple, pour éliminer le monopole de l'argent, Proudhon avaitimaginé
l'établissement d'une banque de crédit central pour le crédit mutuel des
producteurs, supprimant ainsi le coût de l'argent-crédit. Cela rappelle
l'affirmation de « L’Espagne antifasciste » du 10 octobre : « Le syndicat
C.N.T. des employés de la banque de crédit de Madrid propose la transformation
immédiate de toutes les banques en institutions de crédit gratuit pour la
classe ouvrière, c'est-à-dire contre une compensation annuelle de 2 %... »
Cependant, l'influence de
Proudhon sur la conception des anarcho-syndicalistes ne se limite pas à ces
questions relativement secondaires. Son socialisme constitue fondamentalement
la base de la doctrine anarcho-syndicaliste, avec quelques révisions
nécessitées par les conditions modernes de l'économie hautement industrialisée.
Dans sa perspective du «
socialisme de libre concurrence », la C.N.T. conçoit simplement les entreprises
comme des unités indépendantes. Il est vrai que les anarcho-syndicalistes ne
veulent pas revenir à la petite entreprise. Ils proposent de la liquider, ou
bien de la laisser mourir de mort naturelle quand elle ne fonctionne plus assez
rationnellement. Pourtant, il suffit de remplacer les « petites entreprises »
de Proudhon par les « grandes entreprises » et les « artisans » par les «
syndicats ouvriers », pour avoir une image du socialisme vu par la C.N.T.
La
nécessité d'une production planifiée
En réalité, ces théories sont
utopiques. Elles sont particulièrement inapplicables à la situation espagnole.
La libre concurrence, à ce stade de développement, n'est plus possible, et
encore moins dans un contexte de guerre et de chaos comme en Catalogne. Là où
un certain nombre d'entreprises ou de communautés entières se sont libérées et
sont devenues indépendantes du reste du système de production – en réalité avec
pour seul résultat d'exploiter leurs consommateurs – la C.N.T. et la F.A.l.
doivent maintenant subir les conséquences de leurs théories économiques. Elles
y sont contraintes pour éviter l'éclatement du front uni antifasciste, qui
serait très dangereux en un moment où la guerre civile exige l'union de toutes
les forces. Les anarcho-syndicalistes n'ont d'autre issue que celle déjà
adoptée par les bolcheviks et les sociaux-démocrates, à savoir : l'abolition de
l'indépendance des entreprises et leur subordination à une direction économique
centrale. Que cette direction soit assumée par leurs propres syndicats ne
diminue en rien la portée d'une telle mesure. Un système centralisé de
production où les ouvriers ne sont que des salariés, reste, n'en déplaise à la
C.N.T., un système fonctionnant sur les principes capitalistes.
Cette contradiction entre la
théorie des anarcho-syndicalistes et leur pratique est due en partie à leur
incapacité à résoudre les problèmes les plus importants que pose la révolution
prolétarienne dans le domaine de l'organisation économique, à savoir : comment,
et sur quelle base, sera déterminée la répartition de la production sociale
totale entre tous les producteurs? D'après la théorie anarcho-syndicaliste
cette répartition devrait être déterminée par les entreprises indépendantes
formées d'individus libres, grâce à l'intervention du « capital libre », le
marché restituant par l'intermédiaire de l'échange la valeur intégrale de la
production mise en circulation. Ce principe fut maintenu alors que la nécessité
d'une production planifiée – et par conséquent d'une comptabilité centrale –
s’imposait depuis longtemps. Les anarcho-syndicalistes reconnaissent la nécessité
de planifier la vie économique et pensent que cela est irréalisable sans une
centralisation comptable impliquant un recensement statistique des facteurs
productifs et des besoins sociaux. Cependant, ils omettent de donner une base
effective à ces nécessités statistiques. Or, on sait que la production ne peut
être comptabilisée statistiquement ni planifiée sans une unité de mesure
applicable aux produis
Mode
de production bolchéviste contre mode de production communiste
Le communisme règle sa
production sur les besoins des larges masses. Le problème de la consommation
individuelle et de la répartition des matières premières et des produits semi[1]finis
entre les diverses entreprises ne peut être résolu grâce à l'argent, comme dans
le système capitaliste. L'argent est l'expression de certains rapports de
propriété privée. L'argent assure une certaine part du produit social à son
possesseur. Cela vaut pour les individus comme pour les entreprises. Il n'y a
pas de propriété privée des moyens de production dans le communisme; néanmoins,
chaque individu aura droit à une certaine part de la richesse sociale pour sa
consommation et chaque usine devra pouvoir disposer des matières premières et
des moyens de production nécessaires. Comment cela doit-il s'accomplir ? Les
anarcho[1]syndicalistes
répondent vaguement en se référant aux méthodes statistiques. Nous touchons là
un problème très important pour la révolution prolétarienne. Si les ouvriers se
fiaient simplement à un « bureau statistique » pour déterminer leur part, ils
créeraient ainsi un pouvoir qu'ils ne pourraient plus contrôler.
Nous abordons ici la question
suivante : comment est-il possible d'unir, d'accorder ces deux principes qui
semblent contradictoires à première vue, à savoir : tout le pouvoir aux ouvriers,
ce qui implique un fédéralisme - (concentré) et la planification de l'économie,
qui revient à une centralisation extrême? Nous ne pouvons résoudre ce paradoxe
qu'en considérant les fondements réels de la production sociale dans sa
totalité. Les travailleurs ne donnent à la société que leur force de travail.
Dans une société sans exploitation, comme la société communiste, le seul étalon
pour déterminer la consommation individuelle sera Ia force de travail fournie
par chacun à la société.
Dans le procès de production,
les matières premières sont converties en biens de consommation par la force de
travail qui vient s'y ajouter. Un bureau statistique serait complètement
incapable de déterminer la quantité de travail incorporée dans un produit donné
Le produit est passé par de multiples stades, en outre, un nombre immense de
machines, outils, matières premières et produits semi-finis ont servi à sa
fabrication. S'il est possible à un bureau statistique central d'assembler
toutes les données nécessaires en un tableau clair, comprenant toutes les
branches du procès de production, les entreprises ou les usines sont bien mieux
placées pour déterminer la quantité de travail cristallisée dans les produits
finis, en calculant le temps de travail compris dans les matières premières et
celui qui est nécessaire la production de nouveaux produits. A partir du moment
où toutes les entreprises sont reliées entre elles dans le procès de
production, il est facile à une entreprise donnée de déterminer la quantité
totale de temps de travail nécessaire pour un produit fini, en se basant sur
les données disponibles. Mieux encore, il est très facile de calculer le temps
de travail moyen social en divisant la quantité de temps de travail employé par
la quantité de produits. Cette moyenne représente le facteur final déterminant
pour le consommateur. Pour avoir droit à un objet d'usage, il devra simplement
prouver qu'il a donné à la société, sous une forme différente, la quantité de
temps de travail cristallisée dans le produit qu'il désire. Ainsi se trouve
supprimée l'exploitation. Chacun reçoit ce qu'il a donné, chacun donne ce qu'il
reçoit : c'est-à-dire, la même quantité de temps de travail moyen social. Dans
la société communiste il n'y a pas de place pour un bureau statistique central,
ayant le pouvoir d'établir « la part » revenant aux différentes catégories de
salariés.
La consommation de chaque
travailleur n'est pas déterminée « d'en haut »; chacun détermine lui-même par
son travail combien il peut demander à la société. II n'y a pas d'autre choix
dans la société communiste, tout au moins pendant le premier stade. Des bureaux
statistiques ne peuvent servir qu'à des fins administratives. Ces bureaux
peuvent, par exemple, calculer les valeurs moyennes sociales en accord avec les
données obtenues à partir des usines; mais ils sont des entreprises au même
titre que les autres. Ils ne détiennent pas de privilèges. Il est absurde
d'imaginer qu'une société communiste pourrait tolérer un bureau central doté
d'un pouvoir exécutif; en effet, dans de telles conditions, il ne peut exister
que I'exploitation, l'oppression, le capitalisme.
Nous voulons mettre ici
l'accent sur deux points :
1. S'il en résultait une autre
dictature, celle-ci ne ferait que refléter les rapports fondamentaux de production
et de distribution dominant dans la société.
2. Si le temps de travail
n'est pas la mesure directe de la production et de la distribution, si
l'activité économique est seulement dirigée par un « bureau de statistiques »
établissant la ration des travailleurs, alors cette situation conduit à un
système d'exploitation.
Les syndicalistes sont
incapables de résoudre le problème de la distribution. Ce point n'est abordé
qu'en une seule occasion, dans la discussion sur la reconstruction économique
parue dans « L'Espagne antifasciste » du 11 décembre 1936 : « Au cas où on
introduirait un moyen d'échange qui n'aurait aucune ressemblance avec l'argent
actuel et qui ne servirait qu'à simplifier l'échange, ce moyen d'échange serait
administré par un « conseil du crédit ». »
On ignore complètement la
nécessité d'une unité comptable qui permette l'évaluation des besoins sociaux,
et, par-là même, la mesure de la consommation et de la production. Dans ce cas,
le moyen d'échange a pour seule fonction de simplifier le procès d'échange.
Comment cela se réalise, reste un mystère.
On ne nous dit rien non plus
sur la manière de calculer la valeur des produits à partir d'un tel moyen
d'échange; on n'établit aucun critère pour évaluer les besoins des masses; on
ne sait si la répartition sera déterminée par des conseils d'usines ou des
organisations de consommateurs, ou bien par les techniciens des bureaux
administratifs. Par contre, l'équipement technique de l'appareil productif est
décrit avec force détail. C'est ainsi que les syndicalistes ramènent tous les
problèmes économiques à de simples problèmes techniques.
Il existe dans ce domaine une
étroite ressemblance entre les syndicalistes et les bolcheviks; le point
central pour eux, c'est l'organisation technique de la production. La seule
différence entre les deux conceptions est que celle des syndicats est plus
naïve. Mais toutes les deux essaient d'éluder la question de l'élaboration de
nouvelles lois de fonctionnement économique. Les bolcheviks sont seulement
capables de répondre concrètement à la question de l'organisation technique, en
prônant une centralisation absolue sous la direction d'un appareil dictatorial.
Les syndicalistes, de leur côté, dans leur désir « d'indépendance des petites
entreprises », ne peuvent même pas résoudre ce problème. Lorsqu'ils s'efforcent
de le faire, ils sacrifient en réalité le droit à l'autodétermination des
ouvriers
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