samedi 3 avril 2021

Anarchisme et non violence N°4

 La manifestation       Partie II


Pour organiser une manifestation non-violente

 

Une organisation ou un groupe d’individus décident de préparer une manifestation non violente. Le mieux est de créer une commission de cinq ou six personnes qui travailleront plus efficacement qu’une grosse équipe. Si c’est la première fois qu’ils préparent une manifestation non violente, il est nécessaire qu’ils s’y prennent très à l’avance pour préparer  minutieusement l’opération.

 

Différentes possibilités s’offrent à eux :

 

La manifestation autorisée : Toute manifestation de rue est interdite sans autorisation. Il est nécessaire de communiquer le parcours à la préfecture de police pour que celui-ci soit accepté ou refusé : ce que l’on sait vingt-quatre heures, et même des fois moins, avant le jour J. Il est bien évident que neuf fois sur dix la manifestation est interdite et qu’au point de départ un déploiement massif de policiers empêche toute possibilité de regroupement. Certaines organisations qui ne veulent pas sortir de la légalité emploient systématiquement cette méthode. Quant aux anarchistes, ils n’ont que faire de la légalité et ignorent les lois interdisant les manifestations. Ils n’ont donc aucun scrupule elles ne seraient pas observées. Cet « encadrement » peut-être composé des responsables des points de regroupement. Ils ne doivent en aucun cas être « les flics de la manifestation » mais ils ont pour mission simplement de répercuter les consignes venant  des porte-parole et favoriser la bonne marche de la manifestation.

Pour que la manifestation ait un certain retentissement il faut prévenir la presse et la radio vingt-quatre heures à l’avance et leur dicter un court communiqué, mais sans parler du lieu de la manifestation. Prévoir un camarade pour téléphoner à toutes les agences de presse à l’instant où commence la manifestation : elles pourront ainsi envoyer des journalistes. Le procédé permet de ne divulguer le parcours qu’au dernier moment.

 

La manifestation proprement dite : son déroulement.

 

Avant de participer à une manifestation non-violente il faut en accepter l’esprit, il vaut mieux ne pas y aller que d’y participer avec un esprit de contestation ; on peut après son déroulement critiquer sa forme ou certains détails : ce qui est constructif, mais pendant l’action, il est absolument nécessaire de se plier à la discipline que l’on s’est imposée au départ. Pour bien comprendre les raisons que font que cette autodiscipline est nécessaire, je vais reprendre point par point le déroulement de la manifestation du 22 janvier et procéder à son analyse critique.

Point de départ de la manifestation : métro liège, 16H30 précises. A 15 heures tous les manifestants ont rendez-vous  aux différents points de ralliement d’où ils distribuent une partie des tracts et reçoivent les dernières consignes. A quelques minutes du départ, par petits groupes, pour éviter d’attirer l’attention, ils se rapprochent du métro Liège. Les porteurs de banderoles les camouflent au mieux. Il faut pendant tout ce temps ne pas se faire remarquer car il est plus facile aux flics de nous disperser pendant ce temps où nous sommes encore inorganisés ; et la moindre erreur, cinq minutes avant la manifestation, peut provoquer leur arrivée.

A 16H30 les porteurs de banderoles déplient celles-ci en signe de ralliement et tous les manifestants se regroupent par rangées de trois personnes avec un intervalle de 1,5 mètre entre chaque rang.  A partir de ce moment, il faut observer un silence absolu et une attitude digne. Voilà qui va hérisser le poil de beaucoup d’anarchistes, mais il y a à cela une explication qui me semble d’une logique élémentaire :

-Pour l’alignement « militaire » : il n’est évidemment pas question de faire un défilé au pas cadencé dans les rues de Paris, mais un cortège est un cortège, et si l’on donne à celui-ci une allure de troupeau désorganisé au même titre que la foule qui entoure la manifestation, celle-ci ne se différencie pas de celui-là. Une centaine de personnes rangées de façon ordonnée, portant correctement les banderoles et les chasubles, attirent plus l’attention qu’un nombre important de manifestants avançant en désordre. De plus, un cortège bien groupé ne se laissera pas couper aux feux rouges, ce qui aurait pour effet de le disperser.

-Pour le silence et la dignité : Je vais l’expliquer en prenant l’exemple de la guerre du Vietnam. Cette guerre tue tous les jours des centaines de personne. A chaque instant, les risques de son extension sur le plan mondial s’agrandissent : les américains emploient des moyens de destruction de plus en plus insensés, de plus en plus ignobles. Pour exprimer notre indignation devant tant d’horreurs, nous manifestons. Il semble que l’attitude logique à adopter soit celle de la méditation ; s’il ne faut pas fumer, ni rire, i bavarder, ni marcher les mains dans les poches, c’est tout simplement parce qu’un tel comportement serait contradictoire avec ce que nous ressentons et avec les idées que nous défendons…nous devons nous concentrer, penser aux raisons pour lesquelles nous luttons, avoir aux yeux du public un comportement digne qui doit l’ébranler. Si nous ne crions pas de slogans, c’est parce que notre contestation va plus loin qu’une simple phrase clé : « us go home » ou « charlot des sous », cela n’attire pas plus l’attention qu’un silence, porteur de réflexion, qui intrigue chaque passant, le met mal à l’aise.

J’ai pris l’exemple de la guerre du Vietnam, mais toutes les raisons qui nous font nous retrouver  dans la rue sont des raisons graves. Nous ne manifestons pas pour nous défouler, mais dans un esprit de contestation qui demande un comportement ferme. L’attitude non violente n’est pas une attitude passive ; elle doit opposer à la violence la force de notre détermination, et devant l’indifférence et l’ignorance des problèmes qui nous touchent, nous devons présenter une continuité dans nos actions, une volonté d’aboutissement.

 

Reprenons le cours de la manifestation :

 

Lorsque la police intervient plusieurs éventualités se présentent :

 

·       La police dialogue avec les porte-parole. En ce cas, le cortège s’arrête le temps du dialogue. Si la police l’autorise, le cortège continue sa route ; si les flics embarquent les porte-paroles ou empêchent la manifestation d’aller plus loin, le mot d’ordre de s’assoir doit être donné.

·       La police embarque un ou plusieurs manifestants : tous s’assoient.

·       La police saisit les banderoles et refoule les manifestants sur le trottoir (cas qui s’est produit le 22 janvier). Il est nécessaire que les porte-parole conviennent bien à l’avance du comportement à suivre, qui ne peut être que s’asseoir instantanément car la moindre hésitation de leur part entraine un cafouillage dont la police profite inévitablement.

 

Une fois le cortège arrêté et la consigne de s’asseoir sur la chaussée sur la chaussée donnée, chacun doit rester à l’emplacement où il se trouve et ne pas se laisser entrainer sur le trottoir (ce qui provoquerait la dislocation du cortège et la défection d’une partie des manifestants). Une fois assis, conservé la même attitude digne que pendant la manifestation. Si nous nous asseyons, c’est parce que la police nous empêche d’aller jusqu’au bout de notre action ; devant la force, nous refusons la fuite, nous adoptons une attitude de résistance passive.

La position assise oblige les policiers à nous trainer dans les cars, ce qui demande un certain travail ; il est donc recommandé de ne pas se raidir, mais de se laisser aller le plus possible : il leur faut ainsi plus de temps pour nous embarquer, c’est beaucoup plus spectaculaire et ils ne peuvent nous trainer que rang par rang. Ceux qui sont assis et attendent doivent conserver le silence, se tenir le plus droit possible et surtout ne pas provoquer la police, ce qui est parfaitement inutile et risque d’entrainer de sa part un redoublement de violence. De plus, la provocation systématique n’est pas non violente. Le moment de l’embarquement dans le car est le plus spectaculaire et le plus caractéristique des manifestations non violentes. C’est l’instant où le public est le plus sensibilisé par notre action. Il faut donc que les distributeurs de tracts continuent leur travail, dialoguent avec les passants ; c’est la période la plus importante de leurs travail, mais eux seuls doivent distribuer les tracts ; les manifestants assis, même quand le public prend parti et leur parle, doivent conserver une attitude silencieuse et ne pas répondre aux provocations policières.

Lorsque nous sommes à l’intérieur des cars la manifestation n’est pas finie pour autant. Pendant tout le trajet jusqu’au commissariat, il est souhaitable de garder le silence. . Lors de la manifestation du 22 janvier, certains participants questionnèrent et même plaisantèrent avec la police. Il est bien compréhensible qu’une telle attitude nuit à notre action. Le silence, pendant le transfert, créé une atmosphère lourde qui met les policiers mal à l’aise ; nous les intriguons et, qui sait, peut-être réfléchissent-ils !

A la sortie des cars, on nous conduit jusqu’aux cellules où l’on procède à un relevé d’identité. Une fois dans les cellules, quelques manifestants adoptèrent une attitude que nous estimons lamentable. Il est inutile d’entamer ici une polémique. Je voudrais simplement dire que lorsque l’on se regroupe pour mener une action collective, les inimitiés, les différences de point de vue, les comptes à régler, etc. Doivent être oubliés le temps de l’action ou bien il est inutile de se déranger. Lorsqu’on n’est pas certain de pouvoir s’adapter à la discipline qu’impose forcément toute manifestation, on reste chez soi ou on manifeste tout seul.

Au commissariat, le 22 janvier, nous sommes restés 4 heures, ce n’est pas grand-chose et un temps si court devrait être utilisé, je pense, à discuter de la manifestation, de son déroulement, et chacun donnerait son avis, exprimerait sa façon de voir les choses. Ce serait 4 heures consacrées à un travail constructif et cela permettrait, pour les futures manifestations, de tenir compte de l’avis de chacun. Au cours de ce temps passé au commissariat, les responsables doivent penser à relever le nom et l’adresse des participants en vue d’actions futures.

Avant de participer à une manifestation non violente, il faut envisager l’éventualité de passer une soirée ou une nuit au poste, il est donc anormal de se montrer impatient de sortir lorsqu’on est dans les cellules. Nous devons montrer aux flics que nous sommes décidés à recommencer, que cet emprisonnement n’a aucun effet sur nous, qu’il n’a fait que nous ancrer plus encore dans nos idées, que notre esprit de solidarité est renforcé.


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