"La "restitution" allègue d'une dette, soit. Obtient-elle de la part des facteurs une reconnaissance de dette? Ce n'est pas explicitement recherché, puisque les organisateurs ne demandent à Ludivine, Aurélie, et leurs collègues aucun paraphe, aucune validation. Le "diag" est un verdict, pas un protocole d'accord. Mais puisque la distribution de cette feuille n'a aucune fonction pratique dans le cours de la réorganisation, puisqu'elle n'est qu'une opération de communication, c'est que la hiérarchie ne doit pas être indifférente à la perception des facteurs.
Ces derniers croient-ils à l'addition exposée sur la "restitution", qui bien souvent les désavoue? Y croire , alors que l'on met plus de temps pour faire sa tournée que ne le prévoit le calcul, c'est implicitement s'accuser soi-même de lenteur, de paresse, de nullité, c'est dériver vers l'aliénation. Ne pas y croire, c'est rejeter la prescription qui fonde son propre travail; c'est risquer de se laisser gagner par une colère radicale, intenable, ou entrer en lutte, ou bien encore déserter, abandonner le métier. Entre ces deux pôles, nombre de facteurs entretiennent une demi-croyance, oscillant entre le désir de controverse et la tentation de l'abandon."
Pour s'imposer, la prescription de la Poste n'a pas besoin de gagner les coeurs. Il suffit de les désarmer. Tant qu'on n'a pas obtenu l'abrogation d'une "réorg", comme certains facteurs y parviennent par le moyen de la grève ou des tribunaux, tant qu'on n'a pas franchi le pas de la reconversion, comme Aurélie, on reste prisonnier des "restitutions" de la Poste, et de l'addition qu'elles présentent. Ne pas y croire ne suffit pas à s'en dépêtrer, puisque les nouveaux périmètres de tournées, l'ampleur de la tâche journalière en dépendent. Le facteur est alors contraint de résoudre solitairement le dilemme entre allongement de sa journée de travail et intensification de son rythme. Qu'il opte pour l'un ou l'autre, la "restitution" fonctionne comme un instrument idéologique et pratique d'extorsion d'un surcroit d'effort et d'énergie - on pourrait dire aussi: de plus-value absolue- et d'étouffoir des contestations."
"Toutefois, l'opération n'est pas exempte d'entourloupe. A la manière de Philippe Wahl, le P-DG de la Poste, qui amalgamait lettres ordinaires, recommandés et colis, Dominique parle de "baisse de trafic", alors que seul celui des lettres ordinaires diminue. Il admet lui-même que, à Nanteuil, le nombre de petits paquets, comme celui des lettres suivies ou recommandées, augmentent. Pourtant, si Dominique applique bien un coefficient de baisse au trafic des lettres, il omet d'opérer la correction symétrique, à la hausse, pour les autres objets. Pour peu que cette omission se sache, elle ne pourrait que renforcer la défiance des facteurs dont se plaint Dominique."
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