lundi 5 avril 2021

Les conseillistes réponse à Lénine

 IV l’opportunisme au sein de la III internationale

 

Ainsi, dès aujourd’hui, des communistes entrent au parlement, pour devenir des chefs. On soutient syndicats et partis « ouvriers » en vue d’en tirer un bénéfice électoral. Le communisme se trouve mis au service des partis, non les partis au service du communisme. La révolution d’Europe occidentale devant être une révolution lente, on va se remettre à passer des compromis parlementaires pourris avec les social-patriotes et les bourgeois. On réprimera la liberté d’expression; on exclura de bons militants. Bref, ce sera le retour aux pratiques de la Deuxième Internationale.

 

L’opportunisme est la peste du mouvement ouvrier, la mort de la révolution, il est la source de tous les maux, le réformisme, la guerre, la défaite, la fin de la révolution en Hongrie et en Allemagne. L’opportunisme a causé notre perte. Et le voici à l’œuvre, au sein de la Troisième Internationale

 

Et s’il est un exemple qui montre à quel point l’usage du parlementarisme en temps de révolution peut être exécrable, en Europe de l’Ouest, c’est bien celui-là. Voyez-vous, camarade l’opportunisme parlementaire, le compromis avec les social-patriotes et les Indépendants, voilà ce dont nous ne voulons pas entendre parler, et voilà ce à quoi vous ouvrez la voie !

Et, camarade, quel est d’ores et déjà, en Allemagne, le sort des comités d’entreprise ? Vous avez – vous-même, l’Exécutif et l’internationale – exhorté les communistes à y participer, aux côtés de toutes les autres tendances, afin d’obtenir la direction des syndicats. Et qu’est-il arrivé ? Exactement le contraire. Le Conseil central des comités d’entreprise est déjà devenu à peu de chose près un instrument des syndicats. Le syndicat est une pieuvre qui étouffe toute créature vivante passant à sa portée

 

Uniquement pour de misérables raisons d’opportunisme. Parce que procédant à la manière des syndicats, autant que des partis politiques, il vise à rallier les masses à n’importe quel prix – qu’elles soient communistes ou non.

 

Camarade, votre mouvement des bolcheviks a lui aussi été naguère une petite chose de rien du tout. Et du fait qu’il était, qu’il restait petit et entendait le rester un assez long temps, il demeurait pur. Et c’est de ce fait, de ce seul fait, qu’il est devenu une force. C’est ce que nous voulons faire, nous aussi.

 

Par conséquent, celui qui ici, en Europe de l‘Ouest, songe, comme vous le faites, à conclure des compromis, des alliances avec les éléments bourgeois et petits-bourgeois, bref, celui qui opte pour l’opportunisme ici, en Europe de l’Ouest, celui-là colle non pas à la réalité mais à des illusions, celui-là dévoie le prolétariat, celui-là (je reprends le terme que vous avez employé contre le Bureau d’Amsterdam), celui-là trahit le prolétariat.

 

Car, tout en voulant sauver la Russie, la révolution russe, vous rassemblez avec cette tactique des éléments qui ne sont pas communistes. Vous les mêlez à nous, les vrais communistes, alors que nous ne disposons pas même d’un noyau à toute épreuve ! Et c’est avec ce ramassis de syndicats momifiés, avec une masse de gens qui ne sont communistes que pour une moitié, un quart, un huitième ou même pas du tout, à laquelle il manque un noyau valable, que vous voudriez combattre le capital le plus hautement organisé du monde, et qui s’est rallié toutes les classes non prolétariennes! Rien d’étonnant si le ramassis vole en éclats et si la grande masse choisit le sauve-qui-peut dès qu’on en vient aux coups.

 

Mais les exemples de l’Allemagne, de la Hongrie, de la Bavière, de l’Autriche, de la Pologne et des pays balkaniques nous enseignent que la crise et la misère ne suffisent pas. La plus terrible des crises économiques bat son plein, et pourtant il n’y a pas de révolution. Un autre facteur se trouve donc nécessairement à l’origine d’une révolution, un facteur dont l’absence fait qu’elle ne se réalise pas ou bien qu’elle échoue. Ce facteur, c’est celui de l’esprit, la mentalité des masses.

 

Par quel moyen ? Au moyen des syndicats (officiels et anarcho-syndicalistes) et des partis social-démocrates. En les amenant à se battre uniquement pour des améliorations immédiates, le capital a transformé syndicats et partis ouvriers en piliers de la société et de l’Etat, en puissances contre-révolutionnaires. Il a fait d’eux les agents de sa propre conservation. Mais comme ils réunissent des ouvriers, presque la majorité de la classe travailleuse et que la révolution est inconcevable sans la participation de ces ouvriers, il faut pour qu’elle réussisse, d’abord casser les reins à ces organisations-là. Comment y arriver ? En transformant leur mentalité, c’est-à-dire en faisant en sorte que leurs militants de base acquièrent la plus grande indépendance d’esprit possible. Le seul moyen d’obtenir ce résultat, c’est de remplacer les syndicats par des organisations d’usine et des unions ouvrières, et de mettre fin au parlementarisme de partis ouvriers. Voilà justement ce que votre tactique empêche.

 

Je vais mettre un point final à cet exposé en le condensant à l’aide de quelques formules tranchées, afin que les ouvriers en aient eux-mêmes une vision globale. Il en résulte premièrement un tableau clair, je crois, tant des causes de notre tactique que cette tactique elle-même : le capital financier domine l’Europe occidentale. Maintenant un prolétariat gigantesque dans l’esclavage matériel et idéologique le plus profond, il unifie derrière lui toutes les classes bourgeoises et petites-bourgeoises. D’où la nécessité pour ces masses énormes d’accéder à l’activité autonome. Ce qui n’est possible que grâce aux organisations d’usine et à l’abolition du parlementarisme – en temps de révolution. Deuxièmement, je ferai ressortir en quelques phrases, aussi clairement que possible, la différence existant entre votre tactique et celle de la Troisième internationale, d’une part, et la tactique « gauchiste », d’autre part, afin que dans le cas hautement probable où votre tactique entraînerait les pires défaites, les ouvriers ne se démoralisent pas et s’aperçoivent qu’il en existe encore une autre : Pour l’internationale, la révolution ouest-européenne se déroulera conformément aux lois et à la tactique de la révolution russe.Pour la Gauche, la révolution ouest-européenne a des lois qui lui sont propres et s’y conformera. Pour l’internationale, la révolution ouest-européenne sera en mesure de conclure des compromis et des alliances avec des partis petits-paysans et petits-bourgeois, voire même avec des partis grands-bourgeois. Pour la Gauche, c’est impossible. Selon l’Internationale, il y aura en Europe de l’Ouest, pendant la révolution, des « scissions » et des schismes entre les partis bourgeois, petits-bourgeois et petits-paysans. Selon la Gauche, partis bourgeois et partis petits-bourgeois formeront, jusque vers la fin de la révolution, un front uni. La Troisième Internationale sous-estime la puissance du capital ouest-européen et nordaméricain. La Gauche conçoit sa tactique en fonction de cette puissance énorme. La Troisième Internationale ne voit nullement dans le capital financier, le grand capital, le pouvoir capable d’unifier toutes les classes bourgeoises. La Gauche élabore sa tactique par rapport à ce pouvoir-là. La Troisième internationale, n’admettant pas que le prolétariat d’Europe occidentale se trouve réduit à ses propres forces, ne cherche pas à développer spirituellement ce prolétariat – lequel continue pourtant, dans tous les domaines, à vivre sous l’emprise de l’idéologie bourgeoise – et adopte une tactique qui laisse persister l’assujettissement aux idées de la bourgeoisie. La Gauche adopte une tactique visant en premier lieu à émanciper l’esprit du prolétariat. La Troisième Internationale ne voyant ni la nécessité d’émanciper les esprits, ni l’union de tous les partis bourgeois et petits-bourgeois, fonde sa tactique sur des compromis et des « scissions », laisse subsister les syndicats et cherche à se les gagner. La Gauche, visant en premier lieu l’émancipation des esprits et convaincue de l’unité des formations bourgeoises, considère qu’il faut en finir avec les syndicats et que le prolétariat a besoin d’armes meilleures. Pour les mêmes raisons, la Troisième Internationale ne s’attaque pas au parlementarisme. La Gauche, pour les mêmes raisons, abolit le parlementarisme. La Troisième Internationale laisse l’esclavage idéologique dans l’état où il était à l’époque de la Deuxième. La Gauche entend l’extirper des esprits. Elle prend le mai à la racine. La Troisième Internationale, n’admettant pas la nécessité première, en Europe occidentale, d’émanciper les esprits, et pas plus l’unité de toutes les formations bourgeoises en temps de révolution, elle cherche à regrouper les masses en tant que masses, donc sans se demander si elles sont véritablement communistes, ni orienter sa tactique de façon qu’elles le deviennent. La Gauche veut former dans tous les pays des partis rassemblant uniquement des communistes et conçoit sa tactique en conséquence. C’est par l’exemple de ces partis, petits pour commencer, qu’elle entend transformer en communistes la majorité des prolétaires, autrement dit les masses La Troisième Internationale considère donc les masses en Europe occidentale comme un moyen. La Gauche les considère comme un but. Du fait de toute cette tactique (parfaitement justifiée en Russie), la Troisième Internationale pratique une politique des chefs. La Gauche, par contre, pratique une politique des masses. Du fait de toute cette tactique, la Troisième internationale mène à sa perte non seulement la révolution ouest-européenne, mais encore et surtout la révolution russe. La Gauche, par contre, conduit grâce à sa tactique le prolétariat mondial à la victoire. Afin de permettre aux ouvriers de mieux comprendre notre tactique, je vais résumer aussi mon exposé sous la forme de courtes thèses, à lire bien entendu à la lumière de l’ensemble. 1. La tactique de la révolution ouest-européenne doit être absolument différente de la tactique de la révolution russe. 2. Car chez nous le prolétariat est seul. 3. Il lui faut donc faire la révolution à lui tout seul, contre toutes les autres classes. 4. L’importance des masses prolétariennes est donc proportionnellement plus grande, et celle des chefs plus petite, qu’en Russie. 5. Le prolétariat doit disposer pour faire la révolution des armes les meilleures de toutes. 6. Les syndicats étant des armes inefficaces, il faut les remplacer ou les transformer au moyen d’organisations d’usine, appelées à s’unifier. 7. Le prolétariat se trouvant contraint de faire la révolution seul et sans aide, il a besoin de la plus haute évolution des esprits et des cœurs. C’est pourquoi il vaut mieux ne pas recourir au parlementarisme en temps de révolution. Salutations fraternelles.

 Herman GORTER

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