«Il faut interpréter cette caractéristique des partis politiques nationalistes à la fois par la qualité de leurs cadres et par celle de leur clientèle. La clientèle des partis nationalistes est une clientèle urbaine. Ces ouvriers, ces instituteurs, ces petits artisans et commerçants qui ont commencé – au rabais s'entend – à profiter de la situation coloniale ont des intérêts particuliers. Ce que cette clientèle réclame, c'est l'amélioration de son sort, l'augmentation de ses salaires. Le dia[1]logue n'est jamais rompu entre ces partis politiques et le colonialisme. On discute d'aménagements, de représentation électorale, de liberté de la presse, de liberté d'association. On discute réformes. Aussi ne faut-il pas s'étonner de voir un grand nombre d'indigènes militer dans les succursales des formations politiques de la métropole. Ces indigènes se battent sur un mot d'ordre abstrait : « Le pouvoir au prolétariat », oubliant que, dans leur région, c'est d'abord sur des mots d'ordre nationalistes qu'il faut mener le combat. L'intellectuel colonisé a investi son agressivité dans sa volonté à peine voilée de s'assimiler au monde colonial. Il a mis son agressivité au service de ses intérêts propres, de ses intérêts d'individu. Ainsi prend facilement naissance une sorte de classe [61] d'esclaves libérés individuellement, d'esclaves affranchis. Ce que l'intellectuel réclame, c'est la possibilité de multi[1]plier les affranchis, la possibilité d'organiser une authentique classe d'affranchis. Les masses, par contre, n'entendent pas voir augmenter les chances de succès des individus. Ce qu'elles exigent, ce n'est pas le statut du colon, mais la place du colon. Les colonisés, dans leur immense majorité, veulent la ferme du colon. Il ne s'agit pas pour eux d'entrer en compétition avec le colon. Ils veulent sa place. »
« C'est pourquoi il est
demandé aux partis politiques nationalistes raisonnables d'exposer le plus
clairement possible leurs revendications et de chercher avec le partenaire colonialiste,
dans le calme et l'absence de passion, une solution qui respecte les intérêts
des deux parties. On voit que ce réformisme nationaliste, qui se présente
souvent comme une caricature du syndicalisme, s'il décide d'agir le fera à travers
des voies hautement pacifiques : débrayages dans les quelques industries
implantées dans les villes, manifestations de masse pour acclamer le leader,
boycott des autobus ou des denrées importées. »
« La bourgeoisie
colonialiste est aidée dans son travail de tranquillisation des colonisés par
l'inévitable religion. Tous les saints qui ont tendu la deuxième joue, qui ont
pardonné les offenses, qui ont reçu sans tressaillir les crachats et les
insultes sont expliqués, donnés en exemple. »
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