Avant-propos des traducteurs
Contre la circulation d’une
idéologie indigente et des pratiques inacceptables qui vont avec ce texte a été
publié sous forme de brochure sur un site qui lui est consacré
(wokeanarchists.wordpress.com) le 25 novembre 2018 par des compagnons du
Royaume-Uni se présentant comme « anarchistes auto-déterminés résistant à la
cooptation de notre mouvement par le libéralisme, l’université et le
capitalisme ». Nous ne traduisons pas ce texte par communion politique
fondamentale (par exemple l’égalitarisme politique et la fondation de sociétés
futures ne sont pas des préoccupations pour nous), mais afin d’apporter de l’eau
au moulin des débats actuels sur les questions identitaires au sein des milieux
radicaux d’extrême gauche. En effet, il nous semble que cette question, qui est
ici abordée sous l’angle de la manière dont les Identity politics vident
l’anarchisme de son sens, concerne bien plus largement tous ceux qui
s’intéressent aux perspectives révolutionnaires. Ce texte nous a aussi intéressé
parce qu’il évoque courageusement, à partir d’expériences concrètes, les
conséquences délétères pour l’élaboration théorique et pratique de la diffusion
de ces « idéologies de l’identité », et la manière dont cette question fait
l’objet d’une sorte de tabou discursif pendant que s’installent des pratiques
d’exclusions brutales, d’accusations sans appel et de judiciarisation sans
place pour la défense. Le processus décrit dans ce texte envahit depuis
quelques années la plupart des aires subversives et on voit s’y développer, en
même temps qu’une obsession affichée pour le « safe » vu comme un ensemble de
principes abstraits, une indifférence à la réalité parfois terrible des
relations telles qu’elles existent et circulent dans les milieux « déconstruits».
Le fait de lier ce phénomène à une conception « libérale » de l’anarchisme
(c’est-à-dire qui confond la liberté à laquelle on aspire avec le libéralisme
que ce monde propose et en reprend donc les manières de faire en pensant le
subvertir) nous semble ouvrir une piste de réflexion plus que pertinente. Il
nous est apparu important d’ailleurs dans ce contexte de garder le terme « libéral
» dans la traduction, plutôt que de l’assimiler à un « progressisme » qui n’est
pas ici en question, car il s’agit bien de soulever ce paradoxe. Le terme
Identity politics, que nous avons choisi la plupart du temps de ne pas traduire
et de laisser tel quel, peut lui aussi revêtir plusieurs acceptions selon
l’endroit et l’époque. Ici, Identity politics s’entend comme l’ensemble des
théories et pratiques qui consistent à faire lutter les individus en fonction
de leurs particularités supposées et des minorités et communautés (culturelles,
religieuses, sexuelles, nationales, ethniques, etc.) auxquelles ils sont sensés
appartenir, séparément des autres revendications minoritaires, car dans cette
logique, les oppressions des autres n’ont aucun lien avec la mienne, et doivent
donc être comprises séparément et sans aucun lien ou communauté d’intérêt entre
elles, ne concernant que les premiers concernés. Il n’existe qu’un statut d’«
allié » pour les autres, avec des prescriptions et une liturgie très précise. Lutter
avec ou pour les autres ou contre le sort qui leur est réservé peut alors être
considéré comme « raciste », « colonial », « méprisant » ou « sexiste », selon
certains porte-paroles auto-proclamés (souvent issus de la bourgeoisie et de
ses universités comme l’affirme clairement ce texte) de ces minorités, qui
pourtant ne se constituent jamais en tant que telles elles-mêmes. C’est ainsi,
par exemple, que des petits groupes de quelques individus peuvent parler au nom
des « jeunes des quartiers », des femmes, des LGBT, des « racisé-e-s », sous
des applaudissements paternalistes et sans se voir remis en question dans ces
rôles ouvertement représentatifs et autoritaires. On assiste à la justification
du retour de formes paternalistes de rapports entre les différents acteurs de
ce qui ne peut même plus se considérer comme « la même lutte », parce que
chacun lutte sur son terrain pour son identité. L’« allié » reste à distance,
respecte, et de fait méprise ceux avec lesquels il théorise qu’aucune
élaboration commune n’est possible. Cette limitation au rôle d’ « allié »
interdit de fait toute autonomie aux uns comme aux autres, et nie toute
l’histoire du refus de ces formes de séparation entre « premiers concernés » et
« soutiens » qui a pu se construire jusqu’à la fin des années 90 (dans le
mouvement des « sans-papiers » en France par exemple, la position de « soutien
» ou d’« allié » était alors celle des franges les plus citoyennistes,
humanitaires et réformistes. Des postures que refusaient ceux qui luttaient de
manière offensive aux côtés des collectifs de sans-papiers ou ailleurs, pour
œuvrer à l’autonomie de tous dans une lutte contre les frontières et pour la
liberté qui concerne tout un chacun. On retrouve donc aujourd’hui, en France,
les Identity politics, depuis peu, dans toutes les aires des milieux dits
radicaux, qu’ils soient anarchistes ou non. Comme c’est le cas d’après ce texte
au Royaume-Uni aussi, leur remise en question est systématiquement associée par
ces militants de l’identité à du racisme, du sexisme ou d’autres formes de
réaction. En témoignent par exemple ces dernières années les attaques contre la
bibliothèque anarchiste La Discordia à Paris ou l’attaque du local Mille Bâbord
et des personnes qui y étaient présentes à Marseille par des militants
identitaires assumés (avec le slogan « notre race existe »); ou encore le fait
qu’une partie des débats et discussions publiques ne peuvent se tenir sur les
sujets qu’ils s’étaient fixés au départ et sont systématiquement détournés par
des politiciens de l’identité en discussions sur la composition de sexe, de
genre ou de « race » de ses participants, en débats sur les débats, et les
accusations d’« oppression » qui en découlent systématiquement. Avec un peu de
bon sens, on peut décrire cela comme une technique et des tactiques de prise de
pouvoir sur les énoncés et la gestion des espaces qui s’est répandue ces
dernières années, empêchant toute perspective révolutionnaire un tant soit peu
anarchiste, et donc a minima universaliste - c’est à dire ne concernant pas une
minorité sexuelle, de « race », de genre, une intersection de ces dernières, ou
même une identité politique (comme l’anarchisme ou le communisme), mais tous
les révoltés, d’une façon ou d’une autre. Les Identity politics sont arrivées
en France avec tout un jargon pseudo-complexe mais nécessaire à son
implantation (« cis », « racisé-e-s », « backlash », « call-outing », «
non-mixité », « trigger warning », « safe-space », «workshop », « groupes de
parole », ou encore l’utilisation abusive des qualificatifs « structurel » et «
systémique »), sur le modèle de la novlangue contre l’ancilangue jugée sexiste, raciste et toujours intentionnalisée
(plutôt que forgée par des milliers d’années d’usages vivants, complexes et
contradictoires, et non unilatéralement, par décrets d’Etat ou idéologie). S’il
parait étonnant, dans ce texte, qu’un tel refus de ces idéologies s’accompagne
malgré tout de l’utilisation de leur vocabulaire, c’est à notre avis le signe
de l’implantation profonde des Identity politics dans les milieux radicaux (et
plus gravement encore dans les sociétés anglo-américaines), puisque des
courants de pensée issus du XIXe siècle comme l’anarchisme n’avaient jusque-là
jamais eu besoin de ces nouveaux jargons et barbarismes post-modernes pour
analyser le monde avec pertinence. C’est aussi le signe que la critique portée
par ce texte est issue d’une expérience réelle de la lutte dans ce contexte, et
qu’elle est portée depuis l’intérieur même de ces aires militantes. C’est aussi
ce qui fait la force de ce texte : on y lit l’effet d’une prise de conscience
de la gravité des conséquences d’un processus que ceux qui l’ont écrit, parmi
d’autres, ont vécu et subi. Prenons par exemple le mot « TERF », utilisé ici
dans cette brochure. Ce terme péjoratif (« Trans-Exclusionary Radical Feminist
») désigne généralement des féministes radicales considérées comme incrédules,
sceptiques ou excluantes vis-à-vis des personnes, le plus souvent nées « hommes
» et ne s’identifiant pas à cette assignation. Un terme qui s’est popularisé
dans l’éclatement de nombreux conflits (parfois violents) autour de la question
de la « non-mixité » féministe en Angleterre, mais surtout de qui doit en être
exclu ou non, et pourquoi. Par exemple, est-ce qu’un individu avec tous les
attributs de la « masculinité » (barbe, virilisme, etc.), mais se déclarant «
femme » ou « non-binaire » doit-il être admis en réunion non-mixte de femmes
féministes radicales? La question s’étant posée, bien entendu, dans des
situations concrètes, souvent ponctuées d’outrages ou de violences physiques et
morales, d’un côté ou de l’autre, selon les cas. C’est le genre de débats qui a
le plus animé nos milieux ces dernières années, malgré les insurrections
sociales qui ont secoué le monde et qui se trouvaient à des années lumières de
ces questions particularistes, qui vues de là, paraissent bien peu de chose
face au rêve d’un monde sans État, sans argent et sans plus jamais personne
au-dessus ou à l’intérieur de nos têtes.
Décembre 2018,
Groupe de lecture de la
bibliothèque Les Fleurs Arctiques & Ravage Editions.
Des
flics à la Pride, ça reste de la collaboration. Des femmes soldats restent des
outils de l’impérialisme. Des matons noirs et des propriétaires asiatiques
restent nos ennemis.
Au Royaume-Uni, l’anarchisme
est une blague. Alors qu’il était le symbole de combats acharnés pour la
liberté, ce mot a été dépouillé de son sens, pour laisser place aux Identity
politics, haineuses, séparatistes et étroites d’esprits, portées par des
activistes de la classe moyenne assidus dans la défense de leurs propres
privilèges. Nous écrivons cette brochure pour reprendre l’anarchisme à ces
politiciens de l’identité. Nous écrivons en tant qu’anarchistes qui trouvent
leurs racines dans les combats politiques du passé. Nous sommes anti-fascistes,
anti-racistes et féministes. Nous voulons la fin de toutes les oppressions et
prenons une part active dans ce combat. Cependant, notre point de départ n’est
pas le langage opaque des universitaires gauchistes libéraux, mais l’anarchisme
et ses principes: liberté, coopération, entraide, solidarité et égalité pour
tous sans distinction. Les hiérarchies du pouvoir sont nos ennemies, qu’importe
la forme sous laquelle elles se manifestent
Les Identity politics font
partie de la société que nous voulons détruire
Les Identity politics sont
réformistes et non émancipatrices. Elles ne sont rien de plus qu’un terreau
fertile pour les apprentis politiciens de la classe moyenne qui aspirent à
faire carrière. Plutôt que la destruction du capitalisme, leur perspective est
l’intégration des groupes traditionnellement opprimés dans ce système social
compétitif et hiérarchique. Le résultat final est un Capitalisme Inclusif – une
forme de contrôle social plus efficiente et sophistiquée dans laquelle tout le
monde a la chance de pouvoir jouer un rôle ! Confinés dans un « espace safe »
composé de leurs semblables, les militants des Identity politics s’éloignent de
plus en plus du monde réel. La théorie queer et la manière dont elle s’est
vendue aux grands patrons2 en est un bon exemple. Il n’y a pas si longtemps, le
concept queer était quelque chose de subversif, renvoyant à l’idée d’une
sexualité indéfinissable, à un désir d’échapper aux tentatives de la société de
tout définir, étudié, diagnostiqué, de notre santé mentale à notre sexualité.
Cependant, la théorie queer, parce qu’elle est loin d’une analyse de classe, a
été facilement récupérée par les militants des Identity politics et les
universitaires pour en faire la marque déposée, exclusive d’une nouvelle clique
trop cool, qui se trouve être paradoxalement tout sauf émancipatrice. « Queer »
est de plus en plus utilisé comme un chouette pin’s arboré par certains afin de
prétendre qu’ils sont eux aussi opprimés, et ainsi éviter de se faire dénoncer
par leurs groupes politiques bourgeois de merde. Ne nous parlez pas du prochain
festival DIY, de la prochaine soirée queer ou du prochain festival de squatter
qui exclut tous ceux qui n’ont pas le bon langage, le bon code vestimentaire ou
les bons réseaux. Revenez quand vous aurez quelque chose de réellement sensé,
subversif et dangereux pour l’ordre établi à proposer.
Les
Identity politics sont étroites d’esprit, et visent à exclure et à créer des
divisions
À une époque où il faut plus
que jamais sortir de nos petits cercles, les Identity politics sont entièrement
tournées vers le repli sur soi-même. Ce n’est probablement pas une coïncidence.
Alors qu’elles prétendent se préoccuper de l’inclusivité, elles produisent de
l’exclusion, divisant le monde en deux grandes catégories: les
Incontestablement Opprimés et les Structurellement Privilégiés. En pratique, il
existe quelques zones grises autorisées et le conflit est continuellement
attisé entre ces deux groupes. On l’a bien compris, tout n’est pas une question
de classes. Mais si on ne peut même pas se rassembler pour ne serait-ce qu’identifier
ceux qui tiennent vraiment les rênes du pouvoir, alors nous n’avons aucune
chance d’arriver à quoi que ce soit. Si leur perspective était vraiment celle
d’une émancipation pour tous, ils ne proposeraient pas une politique de la
séparation, dressant les groupes les uns contre les autres comme le font déjà
le capitalisme et le nationalisme. Tout ce qui remet en question l’opposition
binaire entre opprimés et privilégiés, comme les expériences ou les
traumatismes personnels (qui ne peuvent pas se résumer bêtement à une identité
en tant que membre d’un groupe opprimé), ou les sujets que les gens pourraient
avoir du mal à aborder, comme la santé mentale ou la classe, sont souvent
volontairement ignorés par les politiciens de l’identité. Bien sûr, il en va de
même de la question la plus clairement évidente : les problèmes auxquels nous
faisons face vont bien au-delà de la queerphobie ou de la transphobie, ils font
partie de tout un sale système d’esclavage, de destruction, d’exploitation et
d’emprisonnement planétaires. Nous voulons que personne ne soit pris dans le
système carcéral, que ce soit des femmes noires trans ou des hommes cis blancs
(qui représentent, au passage, la grande majorité des personnes emprisonnées au
Royaume-Uni). Il n’est pas surprenant qu’une politique qui repose sur un tel
particularisme aboutisse à des conflits internes constants et à s’identifier
les uns les autres comme l’ennemi, d’autant plus si l’on considère sa
vulnérabilité face à une instrumentalisation par les gestionnaires des
identités politiques de la classe moyenne.
Les
Identity politics sont un outil des classes moyennes.
Leurs représentants, instruits
et beaux parleurs, en usent et en abusent ouvertement pour asseoir et maintenir
leur propre pouvoir par la politicaillerie, le dogme et le harcèlement. Ce qui
révèle, malgré eux, les origines aisées de ces activistes, c’est non seulement
leur usage de termes académiques mais aussi leur arrogance et leur assurance
lorsqu’ils abusent du temps et de l’énergie d’autres militants pour détourner
l’attention sur eux et leurs ressentis. Évidemment, le manque de conséquence de
leur éthique, une certaine fragilité et une obsession marquée pour le « safe »
et le langage plutôt que pour les conditions matérielles d’existence et les
changements significatifs sont d’autres particularités qui trahissent l’origine
de classe de beaucoup de militants des politiques de l’identité. Il existe une
fausse équivalence entre l’appartenance aux Incontestablement Opprimés et
l’appartenance à la classe ouvrière. À l’opposé, beaucoup, parmi les Incontestablement
Opprimés, épousent des valeurs libérales, qui trouvent leurs origines dans
l’idéologie capitaliste bien plus qu’elles n’ouvrent des perspectives
émancipatrices. Une politique fondée sur l’accès et l’utilisation du langage
adéquat, du bon ton et des bons codes est intrinsèquement un outil
d’oppression. Sans aucun doute, elle ne représente pas ceux au nom desquels
elle prend la parole, ceux qui se trouvent en bas de l’échelle sociale. Une
analyse anarchiste considérerait que même si une personne est issue d’une
catégorie opprimée, ses choix politiques, ou les demandes qu’elle fait au nom
des Incontestablement Opprimés, peuvent malgré tout être purement libéraux,
bourgeois et pro-capitalistes.
Les
Identity politics établissent des hiérarchies.
En confortant le pouvoir et le
rôle minable de petits politiciens de la classe moyenne, les politiciens de
l‘identité établissent des hiérarchies. Au-delà de leurs magouilles sournoises,
imposer certains dogmes permet de rendre ce pouvoir incontestable. Entre autres
dogmes: des hiérarchies implicites d’oppression ; la création et l’usage de
termes lourds dans le but de provoquer une réponse émotionnelle (« ça me
trigger », « j’me sens pas safe », « TERF » , « fasciste »); l‘interdiction à
ceux qui ne font pas partie de certains groupes précis de donner leur avis sur
les enjeux politiques généraux de ces groupes; l’idée que les membres du groupe
ne doivent en aucun cas fournir d‘efforts pour expliquer leurs positions
politiques à ceux qui n’en font pas partie ; le fait d’enfermer tout discours
divergent sous le qualificatif de « violence » ; l’idée que personne ne peut
remettre en question un représentant ou un membre de ces groupes (peu importe
ses positions politiques, aussi nocives soient-elles) en vertu du fait qu’ils
sont d’Incontestablement Opprimés.
Ces dogmes servent à maintenir
des normes, que ce soit dans les milieux contre-culturels ou dans la société en
général. Les anarchistes doivent se méfier de tout courant qui se fonde sur des
principes incontestables, et particulièrement ceux qui créent des hiérarchies
de façon aussi évidente.
Les
Identity politics exploitent souvent la peur, le manque de confiance en soi et
la culpabilité.
Et cela sur deux tableaux
qu’il est important d’identifier. Tout d’abord, contrairement à ce qui est
prétendu, elles sont bien plus utilisées pour exclure que pour permettre
véritablement aux personnes de s’affirmer. Elles renforcent l’idée que les gens
sont, plutôt que des vecteurs de changement, de fragiles victimes et doivent
donc accepter d’avoir des chefs. Bien que les espaces plus sécures et le
langage soient importants, l’obsession grandissante pour ces questions n’est
pas un signe de force mais de victimisation auto-entretenue.
Par la phobie sociale, elles
font porter aux autres la culpabilité d’être, d’une façon ou d’une autre,
privilégiés et entièrement responsables de systèmes d’oppression gigantesques
dont ne bénéficient, en réalité, que peu de personnes. Elles permettent
également à ceux, au sein des groupes minoritaires, qui tirent profit des
structures étatiques et capitalistes de ne pas avoir à prendre leurs
responsabilités pour leurs actions oppressives et leurs comportements
problématiques.
Avoir une analyse anarchiste
implique de reconnaître que des membres de groupes opprimés peuvent eux aussi
faire partie de l’élite ou avoir un rôle répressif. Ils doivent être, autant
que les autres, remis en question, et non se voir lâchement délivrer un
laissez-passer.
Les
Identity politics ont infecté les aires anarchistes
Malheureusement, l’anarchisme
est déserté au profit d’une course à l’exhibition de sa vertu pour être de «
bons alliés ». Être un bon allié se résume bien souvent à une approbation
aveugle des idées des Incontestablement Opprimés, ou se revendiquant comme
tels, peu importe à quel point leurs idées ou leurs comportements
inter-individuels ou politiques sont merdiques. C’est une subordination
volontaire aux positions politiques des autres, le positionnement le moins anarchiste
qu’on puisse avoir, et de la pure lâcheté.
Les chefs autoproclamés qui ne
sont pas d’accord avec nos principes ne devraient pas se voir offrir de tribune
de notre part. Il est donc paradoxal que nous ayons permis à des groupes plus
ou moins dépourvus de radicalité d’entrer dans nos milieux et de clore tout
débat, en affirmant que toute idée en désaccord avec leur point de vue est
forcément fasciste. Il devrait aller sans dire que le fascisme n’a pas à être
banalisé de cette manière.
Nous sommes également
stupéfaits que les parallèles évidents avec les politiques droitières ne soient
pas identifiés comme tels, alors qu’ils sont visibles par exemple dans la
manière dont les féministes sont traitées de « féminazies » et sont virées, ou
dans l’usage actuel du mot « fasciste » contre les féministes radicales par les
activistes du droit des trans, tout comme dans les slogans appelant à tuer les
TERFS qui apparaissent régulièrement dans les aires anarchistes, sur internet
comme dans la réalité. Il est choquant que la violence de cette misogynie soit
célébrée et non condamnée.
L’anarchisme
est contre les dieux.
Y a-t-il une phrase qui résume
mieux l’anarchisme que « Ni Dieu, Ni Maitre » ? De telles hiérarchies et un tel
enfermement sont l’antithèse de l’anarchisme. Nous avions comme pratique
l’assassinat de politiciens, et d’innombrables compagnons ont donné leur vie
dans la lutte contre le pouvoir. Nous rejetons toujours les politiciens de tous
bords, conservateurs, progressistes ou ceux qui se positionnent en tant que
leaders de tendances qui se fondent autour de l’identité. Accepter d’être
dirigé par autrui va à l’encontre des principes les plus élémentaires de
l’anarchisme, puisque nous croyons en l’égalité de tous. De même, nous refusons
de ne pas pouvoir remettre en question ou confronter les positions tenues par
d’autres militants ou par ceux qui se proclament anarchistes – dénomination sur
laquelle les politiciens de l’identité insistent malheureusement bien trop
souvent.
L’anarchisme ne soutient pas
les religions patriarcales et les anarchistes ont une longue histoire de lutte
contre elles. La façon dont la majorité de ceux qui passent pour anarchiste
aujourd’hui au Royaume-Uni se comporte en apologiste de ceux qui, par ailleurs,
veulent éviter de remettre en question leur propre sexisme et leur propre
attitude patriarcale ou perpétuent leurs religions oppressives, juste parce que
les conservateurs réactionnaires les traitent en boucs émissaires, est
malaisante.
La destruction des
perspectives anarchistes est portée et célébrée au nom des Identity politics,
simplement pour apaiser ceux qui ne s’intéressent aucunement à l’anarchisme en
lui-même. Et quiconque oserait élever la voix et remettre ce processus en
question est accueilli par des insultes voire des agressions physiques – une
attitude auparavant contestée mais aujourd’hui tolérée parce que venant de
celles et ceux qui sont considérés comme opprimés. Ici plus qu’ailleurs, c’est
chez ceux qui sont censés représenter les idées anarchistes que la faillite
totale qu’ils causent est la plus évidente. Portons notre attention sur Freedom
News7 pour commencer, dont le soutien inconditionnel à des groupes qui ont si
peu à voir avec l’anarchisme est honteux.
L’anarchisme
n’est pas une idéologie identitaire.
L’anarchisme n’est pas une
identité parmi d’autres, comme certains aiment à le prétendre. Ce serait une
réponse grossière, paresseuse et quasi pavlovienne des militants de l’identité,
et une manière d’éviter d’affronter les problèmes politiques actuels. Cette
attitude montre un manque de compréhension vis-à-vis de la manière dont les
politiques de l’identité sont utilisées pour manipuler et subvertir les espaces
anarchistes au profit de calculs personnels. Bien entendu, « anarchiste » peut
être revendiqué comme une identité, et les anarchistes sont enclins à adopter
des comportements de bande (et ils sont souvent critiqués à juste titre pour
cela). Mais l’analogie s’arrête là.
À l’inverse des militants de
l’identité ou du SWP, la plupart des anarchistes n’essayent pas de recruter des
adeptes, mais essayent plutôt de diffuser des idées qui serviront à des
communautés en lutte pour leur survie et qui ne pourront pas être récupérées.
Nos perspectives sont radicalement différentes et peu communes dans la mesure où
les fondements de nos positions ne consistent pas à renforcer notre position et
notre pouvoir personnels. L’anarchisme encourage les gens à tout remettre en
question, même ce que nous avons à dire, dans un esprit de liberté.
À l’inverse du caractère intrinsèquement
exclusif des Identity politics, avec leurs groupes non-mixtes et mixtes,
l’anarchie est pour nous un ensemble de principes éthiques qui orientent notre
compréhension et nos réactions dans le monde. L’anarchie est ouverte à
quiconque voudra regarder et écouter, elle est quelque chose que tout le monde
peut ressentir, d’où qu’il vienne. Le résultat sera souvent hétéroclite, en
fonction de la manière dont les gens l’intègreront à leur personnalité, leurs
expériences, et aux autres aspects de leurs identités.
Il n’est pas nécessaire de
connaître le mot anarchie pour ressentir son sens. C’est un ensemble d’idées
simples et cohérentes qui peuvent tout autant servir à guider l’action dans un
conflit particulier, qu’à la création de sociétés futures. Ainsi, quand il y a
un conflit à propos des Identity politics, se référer contre elles aux
principes anarchistes a du sens, puisque nous sommes supposément unis par ces
principes.
Être gay ou avoir la peau
noire produit, en effet, des expériences similaires entre celles et ceux qui
partagent ces caractéristiques, et donc des probabilités d’avoir des liens, de
l’empathie ou un sentiment d’appartenance au groupe de ceux qui partagent ces
caractéristiques. Mais la vie telle qu’elle est vécue est en réalité bien plus
compliquée, et on peut avoir autant, voire plus en commun avec n’importe quelle
femme blanche queer qu’avec un autre homme cis noir.
Les Identity politics
reflètent parfois le nationalisme chauvin, dans la mesure où différents groupes
essayent de se tailler leur propre aire de pouvoir sur la base de catégories
issues de l’ordre capitaliste. À l’inverse, nous sommes des internationalistes
qui croient en la justice [sic] pour tous. L’anarchisme vise à faire s’élever
toutes les voix, pas seulement celles des minorités. L’idée selon laquelle
l’oppression ne toucherait que les minorités et non les masses est le produit
des idéologies bourgeoises, qui n’ont jamais eu aucun intérêt pour le
changement révolutionnaire.
Les
Identity politics servent la soupe à l’extrême-droite.
En dernier lieu, il serait judicieux de relever à quel point les
politiques de l’identité font le jeu de l’extrême-droite. Au mieux, désormais,
les positions « radicales » passent plus que jamais, auprès de beaucoup de
gens, pour du nombrilisme sans aucune pertinence. Au pire, les politiciens de
l’identité de classe moyenne font un excellent boulot pour aliéner les
personnes cis-blanches déjà marginalisées, et qui se trouvent être la grande
majorité de la population du Royaume-Uni, gravitant de plus en plus autour de
l’extrême-droite.
Ignorer ce fait et poursuivre
ces querelles internes à propos des Identity politics serait le summum de
l’arrogance. Pourtant, dans une période qui voit les mouvements fascistes se
multiplier, les anarchistes sont toujours distraits par des idéologies de la
division. Pour trop de gens, les Identity politics sont simplement un jeu, leur
tolérance ne mène qu’à de constantes perturbations des cercles militants.
Conclusion. Pour
nous, l’anarchisme est la coopération, l’entraide, la solidarité et le combat
contre les véritables centres du pouvoir. Les espaces anarchistes ne devraient
pas accueillir ceux qui veulent principalement lutter contre celles et ceux qui
les entourent. Nous avons un fier passé d’internationalisme et de diversité,
alors battons-nous pour retrouver nos perspectives pour un futur véritablement
inclusif.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire