ESQUISSE D'HISTOIRE DE LA
LIBRE PENSEE De tout temps il y eut des hommes qui, se servant de leur raison,
ont repoussé les superstitions des milieux où ils vivaient. Ces rationalistes
inconscients, même parmi les sauvages, se contentaient de garder pour eux leurs
idées ; ils ne voulaient pas se créer des ennemis, car l'homme ordinaire,
persuadé que ce qu'il croit est la vérité entière, trouve mauvais qu'un individu
ne pense pas comme lui- même. A mesure que la peur des phénomènes physiques
incompréhensibles pour l'esprit des êtres créait les religions et que les
hommes qui se distinguaient par leur force s'emparaient du pouvoir et voulaient
avoir à leur dévotion d'autres hommes peut-être plus intelligents, les dogmes
se formaient, des rites s'imposaient et ce fut presque un crime que de ne pas
admettre les théories des prêtres. Les rationalistes n'avaient pas exposé leurs
idées, pour ne pas être exposés à l'assassinat. Voilà pourquoi les noms des
anciens libres-penseurs nous sont presque inconnus. Aux Indes, en Perse, les
négateurs étaient nombreux ; la multiplicité des dieux devaient naturellement
démontrer que ces êtres divins n'étaient que de pures inventions. Gautama Sakya
Mouni, le Bouddha, était un libre-penseur qui ne croyait pas à la trinité
brahmanique et niait l'existence d'un Dieu suprême. Sa raison lui montrait que
tous les récits des brahmines, leurs légendes n'étaient que des fables. Mais il
croyait à une entité spirituelle, l'âme, et c'est sur cette croyance qu'il
basait ce qu'on a appelé la religion bouddhiste, puisque lui-même voulut
seulement exposer a priori une morale mal fondée sur l'amour du prochain.
Gautama fut un des premiers libres-penseurs dont les théories nous soient
parvenues, bien qu'elles aient été déformées par des milliers de disciples plus
ou moins fidèles. Kong-Futse en Chine, qui ne croyait pas à une vie future,
peut être regardé comme un libre-penseur. Mithra, dont on a voulu faire un
dieu, un des prototypes de Jésus, était un libre-penseur de son temps, un
réformateur social. Ce n'est pourtant que vers l'an 600 avant notre ère, que
parurent, en Grèce, des libres-penseurs bien réels, les philosophes qui,
pendant plus de 500 ans, cherchèrent à pénétrer les secrets de la nature, sans
s'occuper des dogmes de leur temps, en écartant la période religieuse, poétique
et gnomique, représentée par Orphée et les mystères, la théogonie d'Hésiode et
les sept sages. La philosophie grecque, qu'on peut faire remonter jusqu'à
Thalès, s'est développée jusqu'à l'arrêt de Justinien, qui ferma, en 529, les
écoles de philosophie. La première école de cette philosophie libre-penseuse,
l'école ionienne, commence par Thalès, de Milet (639- philosophes de cette
école est de chercher l'origine de l'univers dans un élément matériel, unique
chez les uns et produisant toutes choses par dilatation et instruction
(dynamisme), multiple chez les autres qui considèrent tous les êtres comme le
résultat des combinaisons diverses de ces éléments. Les principaux
représentants de l'école ionienne sont Anaximandre (610- 546), Héraclite
d'Ephèse, Anaxagore, Diogène, d'Anallonie, Arhélaüs et Empédocle. Toutes sortes
de légendes sur les idées d'Héraclite sont connues parmi nous, mais il ne faut
pas s'y arrêter. On l'a opposé à Démocrite, sous les noms de Jean qui pleure et
Jean qui rit, c'est-à-dire en faisant de l'un un pessimiste pleurnicheur, de
l'autre un sceptique moqueur ; qualificatifs erronés. L'école italique ou
pythagoricienne qui suivit l'époque de l'école ionienne (de 584 à 370),
s'attache principalement au côté mathématique de l'univers, tandis que l'école
ionienne s'était surtout préoccupée du côté physique. Les nombres sont
l'essence de toutes choses et l'unité, ou monade, est le principe des nombres.
L'âme est un nombre qui se meut de lui-même. Le retour à l'unité constitue la
vertu. Pythagore admettant l'âme parle aussi de la métempsychose. Toutes les
théories de Pythagore et son ascétisme sont plutôt nuageuses pour nous, mais ce
philosophe était libre de toute idée théologique. Lui et ses disciples
n'admettaient que la raison individuelle, c'étaient donc de vrais
libres-penseurs. Parmi ses élèves il faut citer Théano, sa fille, Aristée, son
gendre ; Philolaüs (450-395) Anhisas de Tarente, Aliméon, de Crotone, etc.
L'école atomistique a précédé la science moderne, la ricien s'applique d'une
manière exclusive au principe métaphysique de l'univers, c'est-à-dire à l'idée
de substance et combat par la dialectique les deux écoles antérieures. Dans les
éléates il n'y a pas de milieu entre l'être absolu et le néant ; l'idéal d'un être
multiple est pleine de contradictions. Il n'y a que l'un, l'infini et le
nécessaire qui existe : tout le reste n'est qu'apparence. Parmi les Eléates
nous citerons : Xénophane de Colophon (617-510), Parménide d'Elée (530-455),
Mélissus de Samos, Zénon d'Elée (vers 500). L'école atomistique a précédé la
science moderne, la théorie atomistique de Würtz, Gebhard et de tous les
physiciens actuels. L'école atomistique quoique ne possédant pas les moyens
d'investigation dont nous disposons à présent, observait et raisonnait
librement. Les philosophes de cette école reconnaissaient un nombre infini
d'atomes, de formes diverses et doués d'un mouvement éternel. L'âme est
composée d'atomes ronds et ignés, qui impriment le mouvement au corps. La
connaissance résulte du choc des atomes extérieurs sur l'âme (premier essai de
psychologie sensualiste). Parmi les sensualistes, on trouve surtout Démocrite
d'Abdère (480-407), Diagoras, Nessus, Anaxargue, Nausiphane, maître d'Epicure.
Les sophistes ne sont pas les inventeurs d'absurdités comme le sens actuel du
mot pourrait le faire croire. C'étaient des sceptiques à l’égard des théories
mises en avant pax les philosophes d’alors. Ils ont été utiles en vulgarisant
les données de la science et en indiquant les contradictions des systèmes. Ils
ont pavé la voie à l'école socratique. Parmi les sophistes, nous nommerons
Gorgias de Leontium, Protagoras d'Abdère, Critias d'Athènes Jusqu'alors les
philosophes s'étaient surtout occupés de la nature, de la physique, ils
n’avaient pas fait une étude spéciale de l'homme et de ses facultés, ce fut le
mérite de Socrate de s'être limité à la sphère morale. Il ne proscrivait pas la
spéculation dont s'étaient servies les anciennes écoles, car lui-même a parlé
d'un Dieu unique, simple assomption qu'on ne peut prouver. Il regardait ce Dieu
comme le bien. L'âme, selon Socrate, se rapproche de Dieu par l'exercice de la
raison et de la liberté, c'est-à-dire par la pratique de la vertu.
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