Pourquoi commencer l'étude des textes de ce groupe? parce que nous sommes dans la campagne électorale, et nous voyons les candidats de la gauche se multiplier. Il est temps de parler, de décrypter ce que sont les socialistes, ce qu'ils représentent.
Qu’est-ce que ce groupe politique ?
Le groupe dont cette revue est issue est l’organe s’est
constitué en 1946 au sein de la section française de la « IV°
internationale ». Son développement politique et idéologique l’a éloigné
de plus en plus de celle-ci et l’a en définitive amené à rompre non seulement
avec les positions actuelles des épigones de Trotski, mais avec ce qui a
constitué la véritable essence du Trotskysme depuis 1923, c’est-à-dire
l’attitude réformiste (au sens profond du terme) face à la bureaucratie
stalinienne, étrangement combinée avec
l’essai de maintenir intact, au sein d’une réalité en constante évolution , le
fond de la politique bolchévique de la période héroïque.
Ce n’est pas un hasard si notre groupe s’est formé au sein de
l’organisation Trotskiste ; en effet une prise de conscience sommaire du
caractère contre-révolutionnaire du stalinisme mène le plus souvent au
trotskisme. Mais ce n’est pas un hasard non plus si nous nous en sommes
détachés ; car précisément la question de la nature du stalinisme est le
point où la superficialité des conceptions trotskistes apparait le plus
clairement.
En effet, nos positions se sont constitués à partir de ce
problème que tous les militants révolutionnaires sentent comme étant le
problème fondamental de notre époque ; la nature de la bureaucratie
« ouvrière » et surtout de la bureaucratie stalinienne. Nous avons
commencé, de même que tous les ouvriers qui ont simplement dépassé le
stalinisme, à nous demander : qu’est-ce que la Russie actuelle, que sont
les partis « communistes » ? Que signifient la politique et
l’idéologie du stalinisme ? Quelles en sont les bases sociales ?
Enfin, quelles en sont les racines économiques ? Cette bureaucratie, qui
vingt-cinq années durant domine la société russe, qui depuis la fin de la
guerre s’est annexé la moitié orientale de l’Europe et qui est maintenant en
train d’achever la conquête de la Chine, en même temps qu’elle garde sous son
influence exclusive des fractions décisives du prolétariat des pays bourgeois,
cette bureaucratie est-elle une simple excroissance temporaire greffée sur le
mouvement ouvrier, un simple accident historique, ou correspond-elle à des
traits profonds de l’évolution sociale et économique contemporaine ? Si c’est
cette dernière réponse qui est vraie, si parler « d’accident
historique » à propos d’un phénomène aussi vaste et aussi durable est tout
simplement ridicule, alors se pose la question : comment se fait-il que
cette évolution économique et sociale qui d’après le marxisme devait amener la
victoire de la révolution a amené la victoire, même passagère, de la
bureaucratie ? Et que devient dans ce cas la perspective de la révolution
prolétarienne ?
Ce furent donc les nécessités les plus pratiques et les plus
immédiates de lutte de classes qui nous ont amenés à poser sérieusement le
problème de la bureaucratie et celui –ci nous a, à son tour, obligés à poser de
nouveau le problème de l’évolution de l’économie moderne, de la signification
d’un siècle de luttes prolétariennes et en définitive de la perspective révolutionnaire elle-même. L’élaboration
théorique prenant son départ des préoccupations pratiques devenait une fois de
plus la condition préalable à toute activité cohérente et organisée.
En nous présentant aujourd’hui par le moyen de cette revue,
devant l’avant-garde des ouvriers manuels et intellectuels, nous savons être
les seuls à répondre d’une manière systématique aux problèmes fondamentaux
du mouvement révolutionnaire contemporain : nous pensons être les seuls à
reprendre et à continuer l’analyse marxiste de l’économie moderne, à poser sur
une base scientifique le problème du développement historique du mouvement
ouvrier et de sa signification, à définir le stalinisme et en général la
bureaucratie « ouvrière » à caractériser la troisième guerre mondiale
à poser enfin de nouveau, en tenant compte des éléments originaux créés par
notre époque, la perspective révolutionnaire. Dans des questions de telle
envergure, il ne peut s’agir ni d’orgueil ni de modestie. Les marxistes ont
toujours considéré que, représentant les intérêts historiques du prolétariat,
seule classe positive de la société actuelle, ils pouvaient avoir sur la
réalité une vue infinitivement supérieure à celle de tous les autres, qu’il
s’agisse les des capitalistes ou de toutes les variétés de bâtards
intermédiaires. Nous pensons que nous représentons la continuation vivante du
marxisme dans le cadre de la société contemporaine. Dans ce sens nous n’avons
nullement peur d’être confondus avec tous les éditeurs de revues
« marxistes », « clarificateurs », « hommes de bonne
volonté », discutailleurs et bavards de tout acabit. Si nous posons des
problèmes, c’est que nous pensons pouvoir les résoudre.
Le fameux adage : « sans théorie révolutionnaire,
pas d’action révolutionnaire », doit en effet être compris dans toute son
ampleur et dans sa véritable signification. Le mouvement prolétarien se
distingue de tous les mouvements politiques précédents, aussi importants que
ceux-ci aient pu être, par ce qu’il est le premier à être conscients de ses
objectifs et de ses moyens. Dans ce sens, non seulement l’élaboration théorique
est pour lui un des aspects de l’activité révolutionnaire, mais elle est
inséparable de cette activité. L’élaboration théorique ne précède ni ne suit
l’activité révolutionnaire pratique : elle est simultanée à celle-ci et
les deux se conditionnent l’une l’autre. Séparée de la pratique, de ses
préoccupations et de son contrôle, l’élaboration théorique ne peut qu’être
vaine, stérile et de plus en plus dépourvue de signification. Inversement, une
activité pratique qui ne s’appuie pas sur une recherche constante ne peut
qu’aboutir à un empirisme crétinisé. Les rebouteux « révolutionnaires »
ne sont pas moins dangereux que les autres.
Mais cette théorie révolutionnaire sur laquelle doit
constamment s’appuyer l’action, quelle est-elle ? Est-elle un dogme, sorti
armé de pied en cape de la tête de Marx ou d’un autre prophète moderne, et dont
nous autres nous n’aurions comme mission que de maintenir sans tâche la
splendeur originelle ? Poser la question est y répondre. Dire « sans
théorie révolutionnaire, pas d’action révolutionnaire » en entendant par
« théorie » la simple connaissance du marxisme et tout au plus une
exégèse scolastique des textes classiques, est une triste plaisanterie qui ne traduit que l’impuissance. La théorie
révolutionnaire ne peut valable que si elle se développe constamment, si elle
s’enrichit de toutes les conquêtes de la pensée scientifique et de la pensée
humaine en général, de l’expérience du mouvement révolutionnaire plus
particulièrement, si elle subit, chaque fois qu’il est nécessaire, toutes les
modifications et les révolutions intérieures que la réalité lui impose. L’adage
classique n’a de sens que s’il est compris comme disant : « sans
développement de la théorie révolutionnaire, pas de développement de l’action
révolutionnaire. »
Nous avons déjà dit par-là
que si nous nous considérons comme Marxistes, nous ne pensons nullement
qu’être marxiste signifie faire par rapport à Marx ce que les théologiens
catholiques font par rapport aux écritures. Etre marxiste signifie pour nous se
situer sur le terrain d’une tradition, poser les questions à partir du point où
les posaient Marx et ses continuateurs, maintenir et défendre les positions
marxistes traditionnelles aussi longtemps qu’un nouvel examen ne nous aura
persuadés qu’il faut les abandonner, les amender ou les remplacer par d’autres
correspondant mieux à l’expérience ultérieure et aux besoins du mouvement
révolutionnaire.
Tout cela ne signifie pas seulement que déjà le développement
et la propagation de la théorie révolutionnaire sont des activités pratiques
extrêmement importantes – ce qui est juste, mais insuffisant ; cela
signifie surtout que sans un renouveau des conceptions fondamentales il n’y
aura pas de renouveau pratique. La reconstitution du mouvement révolutionnaire
devra nécessairement passer par une période pendant laquelle les nouvelles
conceptions devront devenir la possession de la majorité de la classe. Ceci se
fera par deux processus qui ne sont indépendants qu’en apparence : d’une
part la masse devra s’élever par elle-même sous la pression des conditions
objectives et des nécessités de sa lutte à une conscience claire, même si elle
est simple et frustre, des problèmes actuels ; d’autre part les noyaux de
l’organisation révolutionnaire tel notre groupe, devront, à partir d’une base
théorique ferme, diffuser la nouvelle conception des problèmes et la
concrétiser toujours davantage. Le point de rencontre de ces deux processus, le
moment où la majorité de la classe s’élève à une compréhension claire de la
situation historique et où la conception théorique générale du mouvement peut
être traduite intégralement en directives
d’action pratique, c’est le moment de la révolution.
Il est évident que la situation actuelle est encore éloignée
de ce point. Le prolétariat, aussi bien en France que dans les autres pays, se
trouve dans sa majorité aliéné et mystifié par sa bureaucratie. Il est mystifié
idéologiquement, lorsqu’il adopte, soit comme son propre intérêt, soit comme « moindre
mal », la politique de la bureaucratie ou stalinienne ; il est aliéné
dans son action même puisque les luttes qu’il entreprend pour défendre ses intérêts
immédiats sont le plus souvent et dès qu’elles ont une certaine envergure annexée
par la bureaucratie stalinienne comme instrument de sa politique nationale et
internationale. Enfin les éléments d’avant-garde qui prennent conscience de
cette mystification et de cette aliénation n’en tirent pour le moment et faute
de perspectives générales qu’une conclusion négative, dirigée contre les
organisations bureaucratiques, conclusions fondée mais évidemment insuffisante.
Dans ces conditions il est évident qu’une conception générale juste ne peut pas
dans la période actuelle se traduire à tout moment par des mots d’ordre d’action
immédiate menant à la révolution. Dire que nous soutenons sans condition toute
lutte prolétarienne, que nous sommes du côté des ouvriers à chaque moment où
ils luttent pour défendre leurs intérêts, même si nous sommes en désaccord sur
la définition des objectifs ou des moyens de lutte est une vérité élémentaire
qui va de soi. Mais vouloir à propos de toute lutte partielle se livrer à une
agitation superficielle et stérile pour la grève générale ou la révolution, en
dépit de toute réalité et de toute évidence, c’est la une tâche dont nous n’avons
que faire.
Ces constatations cependant aussi justes soient-elles n’épuisent
ni ne résolvent le problème de la liaison nécessaire entre une conception
générale des problèmes de la révolution d’une part et les luttes actuelles d’autre
part. Ces luttes ne sont pas seulement un matériel d’analyse et de vérification
extrêmement important, plus encore et surtout, elles sont le milieu dans lequel
peut se former et s’éduquer une avant-garde prolétarienne réelle, aussi
restreinte soit-elle numériquement. D’autre part une conception générale n’a de
valeur que dans la mesure où elle se montre capable de toucher une fraction de
l’avant-garde ouvrière et où elle offre le cadre, même général, de solutions
pratiques, autrement dit des critères valables pour l’action. C’est en fonction
de tous ces facteurs que nous pouvons définir l’objectif immédiat de cette
revue comme étant la popularisation dans la plus grande mesure possible de nos
conceptions théoriques et politiques, la discussion et la clarification des
problèmes pratiques que pose constamment la lutte des classes, même sous les
formes estropiées qu’elle a actuellement.
Nous chercherons constamment toutes les occasions pour
traiter des questions pratiques actuelles, même lorsque celles-ci ne
toucheraient qu’un secteur de la classe ;
nous éviterons toujours de traiter les questions théoriques pour elles-mêmes.
Notre but sera de fournir des outils de travail aux ouvriers avancés, à une
époque où la complexité des problèmes, la confusion qui règne partout et l’effort
constant des capitalistes et surtout des staliniens pour la mystification de
tous à propos de tout nécessitent un effort sans précédent dans cette
direction. En traitant les problèmes nous essaierons toujours non seulement de
les exposer dans le langage le plus clair possible, mais surtout d’en montrer l’importance
pratique et les conclusions concrètes qui s’en dégagent.
Cette revue n’est nullement un organe de confrontation d’opinions
entre gens qui se « posent des problèmes », mais l’instrument d’expression
d’une conception d’ensemble que nous croyons systématique et cohérente. Les
grandes lignes de cette conception sont exprimées dans l’article « socialisme
ou barbarie » contenu dans ce premier numéro. Néanmoins, ni sur le plan
organisationnel, ni sur le plan théorique nous ne sommes partisans du
monolithisme. Nous pensons que le développement de la théorie révolutionnaire
ne peut se faire que par la confrontation des opinions et des positions
divergentes, nous pensons aussi que cette discussion doit être faite devant l’ensemble
de la classe ; nous pensons très précisèment que la conception selon
laquelle un parti possède à lui tout seul la vérité et toute la vérité et l’apporte
à la classe, en cachant à celle-ci ses divergences internes, est, sur le plan
idéologique, une des racines et des expressions les plus importantes du
bureaucratisme dans le mouvement ouvrier. C’est pourquoi les divergences qui
pourront apparaitre sur des points particuliers entre des camarades de notre
groupe pourront être exprimées dans la revue, qui signalera les articles qui
expriment la position de leur auteur et non pas du groupe en tant que tel. La
discussion sera donc libre dans le cadre de nos conceptions générales, avec le
souci constant d’éviter que cette discussion ne devienne un dialogue sans fin
entre quelques individus.
Nous sommes certains que les ouvriers et les intellectuels
qui, en France, ont déjà pris conscience de l’importance des problèmes que nous
posons, qui comprennent combien il est urgent de leur donner une réponse
adéquate et conforme aux intérêts des masses, nous soutiendrons dans le long et
difficile effort que représentera la préparation et la diffusion de notre
revue.
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