samedi 15 janvier 2022

SOCIALISME OU BARBARIE


Pourquoi commencer l'étude des textes de ce groupe? parce que nous sommes dans la campagne électorale, et nous voyons les candidats de la gauche se multiplier. Il est temps de parler, de décrypter ce que sont les socialistes, ce qu'ils représentent.


Qu’est-ce que ce groupe politique ?

 

Le groupe dont cette revue est issue est l’organe s’est constitué en 1946 au sein de la section française de la « IV° internationale ». Son développement politique et idéologique l’a éloigné de plus en plus de celle-ci et l’a en définitive amené à rompre non seulement avec les positions actuelles des épigones de Trotski, mais avec ce qui a constitué la véritable essence du Trotskysme depuis 1923, c’est-à-dire l’attitude réformiste (au sens profond du terme) face à la bureaucratie stalinienne, étrangement combinée    avec l’essai de maintenir intact, au sein d’une réalité en constante évolution , le fond de la politique bolchévique de la période héroïque.

Ce n’est pas un hasard si notre groupe s’est formé au sein de l’organisation Trotskiste ; en effet une prise de conscience sommaire du caractère contre-révolutionnaire du stalinisme mène le plus souvent au trotskisme. Mais ce n’est pas un hasard non plus si nous nous en sommes détachés ; car précisément la question de la nature du stalinisme est le point où la superficialité des conceptions trotskistes apparait le plus clairement.

En effet, nos positions se sont constitués à partir de ce problème que tous les militants révolutionnaires sentent comme étant le problème fondamental de notre époque ; la nature de la bureaucratie « ouvrière » et surtout de la bureaucratie stalinienne. Nous avons commencé, de même que tous les ouvriers qui ont simplement dépassé le stalinisme, à nous demander : qu’est-ce que la Russie actuelle, que sont les partis « communistes » ? Que signifient la politique et l’idéologie du stalinisme ? Quelles en sont les bases sociales ? Enfin, quelles en sont les racines économiques ? Cette bureaucratie, qui vingt-cinq années durant domine la société russe, qui depuis la fin de la guerre s’est annexé la moitié orientale de l’Europe et qui est maintenant en train d’achever la conquête de la Chine, en même temps qu’elle garde sous son influence exclusive des fractions décisives du prolétariat des pays bourgeois, cette bureaucratie est-elle une simple excroissance temporaire greffée sur le mouvement ouvrier, un simple accident historique, ou correspond-elle à des traits profonds de l’évolution sociale et économique contemporaine ? Si c’est cette dernière réponse qui est vraie, si parler « d’accident historique » à propos d’un phénomène aussi vaste et aussi durable est tout simplement ridicule, alors se pose la question : comment se fait-il que cette évolution économique et sociale qui d’après le marxisme devait amener la victoire de la révolution a amené la victoire, même passagère, de la bureaucratie ? Et que devient dans ce cas la perspective de la révolution prolétarienne ?

Ce furent donc les nécessités les plus pratiques et les plus immédiates de lutte de classes qui nous ont amenés à poser sérieusement le problème de la bureaucratie et celui –ci nous a, à son tour, obligés à poser de nouveau le problème de l’évolution de l’économie moderne, de la signification d’un siècle de luttes prolétariennes et en définitive de la perspective  révolutionnaire elle-même. L’élaboration théorique prenant son départ des préoccupations pratiques devenait une fois de plus la condition préalable à toute activité cohérente et organisée.

En nous présentant aujourd’hui par le moyen de cette revue, devant l’avant-garde des ouvriers manuels et intellectuels, nous savons être les seuls à répondre d’une manière systématique aux problèmes fondamentaux du mouvement révolutionnaire contemporain : nous pensons être les seuls à reprendre et à continuer l’analyse marxiste de l’économie moderne, à poser sur une base scientifique le problème du développement historique du mouvement ouvrier et de sa signification, à définir le stalinisme et en général la bureaucratie « ouvrière » à caractériser la troisième guerre mondiale à poser enfin de nouveau, en tenant compte des éléments originaux créés par notre époque, la perspective révolutionnaire. Dans des questions de telle envergure, il ne peut s’agir ni d’orgueil ni de modestie. Les marxistes ont toujours considéré que, représentant les intérêts historiques du prolétariat, seule classe positive de la société actuelle, ils pouvaient avoir sur la réalité une vue infinitivement supérieure à celle de tous les autres, qu’il s’agisse les des capitalistes ou de toutes les variétés de bâtards intermédiaires. Nous pensons que nous représentons la continuation vivante du marxisme dans le cadre de la société contemporaine. Dans ce sens nous n’avons nullement peur d’être confondus avec tous les éditeurs de revues « marxistes », « clarificateurs », « hommes de bonne volonté », discutailleurs et bavards de tout acabit. Si nous posons des problèmes, c’est que nous pensons pouvoir les résoudre.

Le fameux adage : « sans théorie révolutionnaire, pas d’action révolutionnaire », doit en effet être compris dans toute son ampleur et dans sa véritable signification. Le mouvement prolétarien se distingue de tous les mouvements politiques précédents, aussi importants que ceux-ci aient pu être, par ce qu’il est le premier à être conscients de ses objectifs et de ses moyens. Dans ce sens, non seulement l’élaboration théorique est pour lui un des aspects de l’activité révolutionnaire, mais elle est inséparable de cette activité. L’élaboration théorique ne précède ni ne suit l’activité révolutionnaire pratique : elle est simultanée à celle-ci et les deux se conditionnent l’une l’autre. Séparée de la pratique, de ses préoccupations et de son contrôle, l’élaboration théorique ne peut qu’être vaine, stérile et de plus en plus dépourvue de signification. Inversement, une activité pratique qui ne s’appuie pas sur une recherche constante ne peut qu’aboutir à un empirisme crétinisé. Les rebouteux « révolutionnaires » ne sont pas moins dangereux que les autres.

Mais cette théorie révolutionnaire sur laquelle doit constamment s’appuyer l’action, quelle est-elle ? Est-elle un dogme, sorti armé de pied en cape de la tête de Marx ou d’un autre prophète moderne, et dont nous autres nous n’aurions comme mission que de maintenir sans tâche la splendeur originelle ? Poser la question est y répondre. Dire « sans théorie révolutionnaire, pas d’action révolutionnaire » en entendant par « théorie » la simple connaissance du marxisme et tout au plus une exégèse scolastique des textes classiques, est une triste plaisanterie  qui ne traduit que l’impuissance. La théorie révolutionnaire ne peut valable que si elle se développe constamment, si elle s’enrichit de toutes les conquêtes de la pensée scientifique et de la pensée humaine en général, de l’expérience du mouvement révolutionnaire plus particulièrement, si elle subit, chaque fois qu’il est nécessaire, toutes les modifications et les révolutions intérieures que la réalité lui impose. L’adage classique n’a de sens que s’il est compris comme disant : « sans développement de la théorie révolutionnaire, pas de développement de l’action révolutionnaire. »

Nous avons déjà dit par-là  que si nous nous considérons comme Marxistes, nous ne pensons nullement qu’être marxiste signifie faire par rapport à Marx ce que les théologiens catholiques font par rapport aux écritures. Etre marxiste signifie pour nous se situer sur le terrain d’une tradition, poser les questions à partir du point où les posaient Marx et ses continuateurs, maintenir et défendre les positions marxistes traditionnelles aussi longtemps qu’un nouvel examen ne nous aura persuadés qu’il faut les abandonner, les amender ou les remplacer par d’autres correspondant mieux à l’expérience ultérieure et aux besoins du mouvement révolutionnaire.

Tout cela ne signifie pas seulement que déjà le développement et la propagation de la théorie révolutionnaire sont des activités pratiques extrêmement importantes – ce qui est juste, mais insuffisant ; cela signifie surtout que sans un renouveau des conceptions fondamentales il n’y aura pas de renouveau pratique. La reconstitution du mouvement révolutionnaire devra nécessairement passer par une période pendant laquelle les nouvelles conceptions devront devenir la possession de la majorité de la classe. Ceci se fera par deux processus qui ne sont indépendants qu’en apparence : d’une part la masse devra s’élever par elle-même sous la pression des conditions objectives et des nécessités de sa lutte à une conscience claire, même si elle est simple et frustre, des problèmes actuels ; d’autre part les noyaux de l’organisation révolutionnaire tel notre groupe, devront, à partir d’une base théorique ferme, diffuser la nouvelle conception des problèmes et la concrétiser toujours davantage. Le point de rencontre de ces deux processus, le moment où la majorité de la classe s’élève à une compréhension claire de la situation historique et où la conception théorique générale du mouvement peut être traduite intégralement en directives  d’action pratique, c’est le moment de la révolution.

Il est évident que la situation actuelle est encore éloignée de ce point. Le prolétariat, aussi bien en France que dans les autres pays, se trouve dans sa majorité aliéné et mystifié par sa bureaucratie. Il est mystifié idéologiquement, lorsqu’il adopte, soit comme son propre intérêt, soit comme « moindre mal », la politique de la bureaucratie ou stalinienne ; il est aliéné dans son action même puisque les luttes qu’il entreprend pour défendre ses intérêts immédiats sont le plus souvent et dès qu’elles ont une certaine envergure annexée par la bureaucratie stalinienne comme instrument de sa politique nationale et internationale. Enfin les éléments d’avant-garde qui prennent conscience de cette mystification et de cette aliénation n’en tirent pour le moment et faute de perspectives générales qu’une conclusion négative, dirigée contre les organisations bureaucratiques, conclusions fondée mais évidemment insuffisante. Dans ces conditions il est évident qu’une conception générale juste ne peut pas dans la période actuelle se traduire à tout moment par des mots d’ordre d’action immédiate menant à la révolution. Dire que nous soutenons sans condition toute lutte prolétarienne, que nous sommes du côté des ouvriers à chaque moment où ils luttent pour défendre leurs intérêts, même si nous sommes en désaccord sur la définition des objectifs ou des moyens de lutte est une vérité élémentaire qui va de soi. Mais vouloir à propos de toute lutte partielle se livrer à une agitation superficielle et stérile pour la grève générale ou la révolution, en dépit de toute réalité et de toute évidence, c’est la une tâche dont nous n’avons que faire.

Ces constatations cependant aussi justes soient-elles n’épuisent ni ne résolvent le problème de la liaison nécessaire entre une conception générale des problèmes de la révolution d’une part et les luttes actuelles d’autre part. Ces luttes ne sont pas seulement un matériel d’analyse et de vérification extrêmement important, plus encore et surtout, elles sont le milieu dans lequel peut se former et s’éduquer une avant-garde prolétarienne réelle, aussi restreinte soit-elle numériquement. D’autre part une conception générale n’a de valeur que dans la mesure où elle se montre capable de toucher une fraction de l’avant-garde ouvrière et où elle offre le cadre, même général, de solutions pratiques, autrement dit des critères valables pour l’action. C’est en fonction de tous ces facteurs que nous pouvons définir l’objectif immédiat de cette revue comme étant la popularisation dans la plus grande mesure possible de nos conceptions théoriques et politiques, la discussion et la clarification des problèmes pratiques que pose constamment la lutte des classes, même sous les formes estropiées qu’elle a actuellement.

Nous chercherons constamment toutes les occasions pour traiter des questions pratiques actuelles, même lorsque celles-ci ne toucheraient qu’un secteur de la  classe ; nous éviterons toujours de traiter les questions théoriques pour elles-mêmes. Notre but sera de fournir des outils de travail aux ouvriers avancés, à une époque où la complexité des problèmes, la confusion qui règne partout et l’effort constant des capitalistes et surtout des staliniens pour la mystification de tous à propos de tout nécessitent un effort sans précédent dans cette direction. En traitant les problèmes nous essaierons toujours non seulement de les exposer dans le langage le plus clair possible, mais surtout d’en montrer l’importance pratique et les conclusions concrètes qui s’en dégagent.

Cette revue n’est nullement un organe de confrontation d’opinions entre gens qui se « posent des problèmes », mais l’instrument d’expression d’une conception d’ensemble que nous croyons systématique et cohérente. Les grandes lignes de cette conception sont exprimées dans l’article « socialisme ou barbarie » contenu dans ce premier numéro. Néanmoins, ni sur le plan organisationnel, ni sur le plan théorique nous ne sommes partisans du monolithisme. Nous pensons que le développement de la théorie révolutionnaire ne peut se faire que par la confrontation des opinions et des positions divergentes, nous pensons aussi que cette discussion doit être faite devant l’ensemble de la classe ; nous pensons très précisèment que la conception selon laquelle un parti possède à lui tout seul la vérité et toute la vérité et l’apporte à la classe, en cachant à celle-ci ses divergences internes, est, sur le plan idéologique, une des racines et des expressions les plus importantes du bureaucratisme dans le mouvement ouvrier. C’est pourquoi les divergences qui pourront apparaitre sur des points particuliers entre des camarades de notre groupe pourront être exprimées dans la revue, qui signalera les articles qui expriment la position de leur auteur et non pas du groupe en tant que tel. La discussion sera donc libre dans le cadre de nos conceptions générales, avec le souci constant d’éviter que cette discussion ne devienne un dialogue sans fin entre quelques individus.

Nous sommes certains que les ouvriers et les intellectuels qui, en France, ont déjà pris conscience de l’importance des problèmes que nous posons, qui comprennent combien il est urgent de leur donner une réponse adéquate et conforme aux intérêts des masses, nous soutiendrons dans le long et difficile effort que représentera la préparation et la diffusion de notre revue.

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