samedi 1 janvier 2022

Les anarchistes : Ce qu’ils font et ce qu’ils ne font pas. Sébastien Faure Partie 3

 Qui sommes-nous?

On se fait des anarchistes, comme individus, l'idée la plus fausse. Les uns nous considèrent comme d'inoffensifs utopistes, de doux rêveurs; ils nous traitent d'esprits chimériques , d'imaginations biscornues, autant dire de demi-fous. Ceux-là daignent voir en nous des malades que les circonstances peuvent rendre dangereux, mais non des malfaiteurs systématiques et conscients.

Les autres portent sur nous un jugement très différent: ils pensent que les anarchistes sont des brutes ignares, des haineux, des violents et des forcenés, contre lesquels on ne saurait trop se prémunir, ni exercer une répression trop implacable.


Les uns et les autres sont l'erreur.


Si nous sommes des utopistes, nous le sommes à la façon de toux ceux de nos devanciers qui ont osé projeter sur l'écran de l'avenir des images en contradiction avec celle de leur temps. Nous sommes, en effet, les descendants et les continuateurs de ces individus qui, doués d'une perception et d'une sensibilité plus vives que leurs contemporains, ont pressenti l'aube , bien que plongés dans la nuit. Nous sommes les héritiers de ces hommes qui vivant une époque d'ignorance, de misère, d'oppression, de laideur, d'hypocrisie, d'iniquité et de haine, ont entrevu une cité de savoir, de bien-être, de liberté, de beauté, de franchise, de justice et de fraternité et qui , de toutes leurs forces, ont travaillé à l'édification de cette cité merveilleuse.

"Utopistes" parce que nous voulons que l'évolution, suivant son cours, nous éloigne de plus en plus de l'esclavage moderne : le salariat, et fasse du producteur de toutes les richesses un être libre, digne heureux et fraternel.

"Rêveurs" : parce que nous prévoyons et annonçons la disparition de l'état, dont la fonction est d'exploiter le travail, d'asservir la pensée, d'étouffer l'esprit de révolte, de paralyser le progrès, de briser les initiatives, d'endiguer les élans vers le mieux, de persécuter les sincères, d'engraisser les intrigants, de voler les contribuables, d'entretenir les parasites, de favoriser le mensonge et l'intrigue, de stimuler les meurtrières rivalités, et, quand il sent son pouvoir menacé, de jeter sur les champs de carnage tout ce que le peuple compte de plus sain, de plus vigoureux et de plus beau?

"Esprits chimériques", "imaginations biscornues", "demi-fous", parce que, constatant les transformations lentes, trop lentes à notre gré, mais indéniables,  qui poussent les sociétés humaines vers de nouvelles structures édifiées sur des bases rénovées, nous consacrons nos énergies à ébranler, pour finalement la détruire de fond en comble, la structure de la société capitaliste et autoritaire? 

Nous mettons au défi les esprits informés et attentifs d'aujourd'hui d'accuser sérieusement de déséquilibre les hommes qui projettent et qui préparent de telles transformations sociales. 

Insensés, au contraire, non pas à demi mais totalement, ceux qui s'imaginent pouvoir barrer la route aux générations contemporaines qui roulent vers la révolution sociale , comme le fleuve se dirige vers l'océan: il se peut qu'à l'aide de digues puissantes et d'habiles dérivations, ces déments ralentissent plus ou moins la course du fleuve; mais il est fatal que celui-ci tôt ou tard se précipite dans la mer.

NON! Les anarchistes ne sont ni des utopistes , ni des rêveurs, ni des fous et la preuve, c'est que partout les gouvernements les traquent et les jettent en prison, afin d'empêcher la parole de vérité qu'ils propagent d'aller librement aux oreilles des déshérités, alors que, si l'enseignement libertaire relevait de la chimère ou de la démence , il leur si facile d'en faire le déraisonnable et l'absurdité.

Certains prétendent que les anarchiste sont des brutes ignares. Il est vrai que tous les libertaires ne possèdent pas la haute culture et l'intelligence supérieur des Proudhon, des Bakounine, des Elisée Reclus, et des Kropotkine. Il est exact que beaucoup d'anarchistes , frappé du péché originel des temps modernes: la pauvreté, ont dû, de bonne heure, quitter l'école et travailler pour vivre; mais le fait seul de s'être élevé jusqu'à la conception anarchiste dénote une compréhension vive et atteste un effort intellectuel dont serait incapable une brute.

L'anarchiste lit, médite, s'instruit chaque jour. Il éprouve le besoin d'élargir sans cesse le cercle de ses connaissances , d'enrichir constamment sa documentation. Il s'intéresse aux choses sérieuses , il se passionne pour la beauté qui l'attire, pour la science qui le séduit, pour la philosophie dont il est altéré. Son effort vers une culture plus profonde et plus étendue ne s'arrête pas. Il n'estime jamais en savoir assez. Plus il apprend, plus il se plait à s'éduquer. D'instinct , il sent que s'il veut éclairer les autres, il faut que, tout d'abord, il fasse provision de lumière.


(voir la suite demain)


Aucun commentaire: