n. f. (du grec metempsukhosis,
formé de mêta, indiquant ici changement et empsuchon, animer) La doctrine de la
transmigration des âmes fut très répandue chez les anciens. Elle dérive
probablement du panthéisme oriental et de son système d'émanations ; au sein de
la nature, d'après les penseurs hindous, un seul esprit, une vie unique
circulent sous l'infinie variété des formes ; créations et destructions se
succèdent, faisant passer la substance universelle de la vie à la mort et de la
mort à une vie nouvelle. Rien n'est inanimé ; dans le corps des moindres
insectes, dans les plantes, dans les pierres même, des âmes sont captives ; au
cours de leurs migrations continuelles, ces dernières se dégradent ou se
perfectionnent, s'éloignent de leur divin principe par le péché ou s'en
rapprochent par la pratique de la vertu. Le voluptueux pourra renaître
pourceau, le tyran animal féroce, l'impie, le voleur insectes ou bestioles
immondes ; alors que le sage, le saint s'élèveront progressivement, dans la
hiérarchie des êtres, pour faire retour à l'esprit dont ils émanent. Comme le
brahmanisme, le bouddhisme est dominé par la croyance à la transmigration des
âmes. Gaulama, qui se souvenait de ses incarnations précédentes, les racontait
sous forme d'histoires et de fables charmantes, les Jâtakas capables de faire
comprendre à ses disciples l'universelle solidarité de tout ce qui existe et
vit. Il enseignait, de plus, qu'en épuisant la volonté de vivre, non par le
suicide, mais par l'ascétisme et le renoncement, l'homme échappait aux
renaissances successives pour entrer dans le nirvana. Hérodote affirme que les
égyptiens croyaient aussi à la métempsychose : « Les égyptiens, écrit-il, ont
avancé les premiers que l'âme des hommes est immortelle, et qu'après la
dissolution du corps, elle passe successivement dans de nouveaux corps par des
naissances nouvelles ; puis, quand elle a ainsi parcouru tous les animaux de la
terre, elle rentre dans un corps humain, qui naît à point nommé : cette révolution
de l'âme s'accomplit en trois mille ans. » Mais, sur la condition des esprits
après la mort, les idées des égyptiens varièrent singulièrement au cours des
siècles ; et, de bonne heure, la croyance à la métempsychose se compliqua de
spéculations d'un autre ordre. Elle disparut ou presque, laissant des traces
dans la doctrine de la réincarnation du double ou ka : quand la momie était
détruite, ce dernier trouvait un support matériel dans les statuettes qui
peuplaient le tombeau, au dire des prêtres égyptiens. En Gaule, les anciens
druides admettaient la transmigration des âmes, que l'on réduisit plus tard à
un voyage vers le pays des morts situé à l'Occident. Chez les Grecs, les
mystères orphiques permettaient à l'initié d'éviter le cycle des renaissances,
grâce aux formules dont les prêtres le munissaient pour l'au-delà. À la base de
l'orphisme on trouve, en effet, le dogme de la métempsychose. Pythagore, né
entre 540 et 500, croyait se souvenir de ses incarnations précédentes : tour à
tour il aurait habité les corps du guerrier Euphorbe, d'un pêcheur misérable,
du célèbre devin Hermotine. Selon qu'elle avait bien ou mal vécu, disait-il,
l'âme, après la mort, passait à un état supérieur ou inférieur, réduite parfois
à revenir dans le corps d'un animal. Platon exposera des conceptions semblables
: « Celui qui passera honnêtement sa vie retournera après sa mort à l'astre qui
lui est échu et partagera sa félicité ; celui qui aura faibli sera changé en
femme à la seconde naissance ; s'il ne s'améliore pas dans cet état, il sera
changé successivement, suivant le caractère de ses vices, en l'animal auquel
ses mœurs l'auront fait ressembler ; et ses transformations ne finiront point
avant que, se laissant conduire par les mouvements du même et du semblable en
lui, et domptant par la raison cette partie grossière de lui-même,... il se
rende digne de recouvrer sa première et excellente condition. » Une
métempsychose d'ordre plus élevé et de modalité différente fut admise par
Virgile, comme en témoigne le sixième chant de l'Enéide. D'autres auteurs
latins ont pensé de même. Les modernes partisans de la transmigration des âmes
peuvent, à bon droit, constater que cette croyance se retrouve, plus ou moins
atténuée, chez de nombreux penseurs anciens. Mais prétendre la découvrir dans
les écrits canoniques des juifs et des chrétiens, c'est se tromper
manifestement ; pas un mot qui l'étaye ni dans les Évangiles ni dans les
Épîtres, et, si l'on excepte Origène et quelques auteurs alexandrins, de bonne
heure condamnés comme hérétiques, on ne la rencontre dans les écrits d'aucun
Père de l'Église. Fait curieux, la métempsychose a trouvé de nombreux défenseurs
dans les temps modernes. « Où est le vieillard, écrit Fourier, le fondateur de
l'école phalanstérienne, qui ne voulut être sûr de renaître et de rapporter
dans une autre vie l'expérience qu'il a acquise dans celle-ci ? Prétendre que
ce désir doit rester sans réalisation, c'est admettre que Dieu puisse nous
tromper. Il faut donc admettre que nous avons déjà vécu avant d'être ce que
nous sommes et que plusieurs autres vies nous attendent, les unes renfermées
dans le monde ou intra-mondaines, les autres dans une sphère supérieure ou
extra-mondaines avec un corps plus subtil et des sens plus délicats. Toutes ces
vies, au nombre de huit cent dix, sont distribuées entre cinq périodes
d'inégale étendue et embrassent une durée de quatre-vingt-un mille ans. De ces
quatre-vingt-un mille ans, nous en passerons vingt-sept mille sur notre planète
et cinquante-quatre mille dans l'atmosphère. Au bout de ce temps toutes les
âmes particulières, perdant le sentiment de leur existence propre, se
confondront avec l'âme de notre planète car les astres sont animés comme les
hommes. Le corps de notre planète sera détruit, et leur âme passera dans un
globe entièrement neuf, dans une comète de nouvelle formation pour s'élever de
là, par un nombre infini de transformations successives, aux degrés les plus
sublimes de la hiérarchie des mondes. » Dans son livre Terre et Ciel, Jean
Reynaud imagine, après cette vie, une suite d'autres vies sur une infinité de
globes, sans que jamais la personnalité vienne à périr. Nous existions avant
notre arrivée sur terre, nous continuerons d'exister, après notre départ, dans
des mondes de plus en plus parfaits. Mais si la doctrine de la réincarnation
des âmes jouit présentement d'une si grande vogue, en Europe et en Amérique,
c'est au spiritisme et à la théosophie (voir ces mots) qu'elle le doit. Dans le
Livre des Esprits, sorte de catéchisme où alternent demandes et réponses, Allan
Kardec s'explique clairement sur ce sujet : « Comment l'âme, qui n'a point
atteint la perfection pendant la vie corporelle, peut-elle achever de s'épurer
? En subissant l'épreuve d'une nouvelle existence. » – Comment l'âme
accomplit-elle cette nouvelle existence ? Est-ce par sa transformation comme
Esprit ? « L'âme, en s'épurant, subit sans doute une transformation, mais pour
cela il lui faut l'épreuve de la vie corporelle. » – L'âme a donc plusieurs
existences corporelles ? « Oui, tous nous avons plusieurs existences. Ceux qui
disent le contraire veulent vous maintenir dans l'ignorance où ils sont
eux-mêmes ; c'est leur désir. » – Il semble résulter de ce principe que l'âme,
après avoir quitté un corps, en prend un autre ; autrement dit, qu'elle se
réincarne dans un nouveau corps ; est-ce ainsi qu'il faut l'entendre ? « C'est
évident. » – Quel est le but de la réincarnation ? « Expiation, amélioration
progressive de l'humanité ; sans cela où serait la justice ? » – Le nombre des
existences corporelles est-il limité, ou bien l'Esprit se réincarne-t-il à
perpétuité ? – « À chaque existence nouvelle l'Esprit fait un pas dans la voie
du progrès ; quand il s'est dépouillé de toutes ses impuretés, il n'a plus
besoin des épreuves de la vie corporelle. » – Le nombre des incarnations est-il
le même pour tous les Esprits ? « Non ; celui qui avance vite s'épargne des
épreuves. Toutefois ces incarnations successives sont toujours très nombreuses,
car le progrès est presque indéfini. » – Que devient l'Esprit après sa dernière
incarnation ? « Esprit bienheureux ; il est pur Esprit. » Allan Kardec estime
qu'il ne serait conforme ni à la justice ni à la bonté divine de frapper
irrévocablement le pécheur après sa mort. L'homme doit pouvoir accomplir, dans
de nouvelles existences, ce qu'il n'a pu faire ou achever dans une première
épreuve. Ces incarnations successives s'accomplissent, d'ailleurs, sur des
globes différents ; à mesure que l'esprit se purifie, le corps qu'il revêt
acquiert un perfectionnement plus considérable et se spiritualise en quelque
sorte. Dans les mondes supérieurs, les passions animales s'affaiblissent,
l'égoïsme disparaît ; guerres et discordes sont inconnues. Alors que l'ancienne
métempsychose supposait possible le retour de l'âme humaine dans un corps
d'animal, le spiritisme n'admet qu'une marche progressive ; l'âme s'élève dans
la hiérarchie des êtres, elle ne descend jamais. Théosophes et occultistes des
différentes écoles acceptent, eux aussi, la doctrine de la réincarnation ; avec
un luxe de détails qui ne manquent pas de saveur, ils nous racontent même
comment s'opère le retour vers la matière : « Dans le plan spirituel, écrit
Papus, l'esprit prend conscience que les épreuves doivent être poursuivies pour
son évolution personnelle et l'évolution de tous les autres esprits, dont il
n'est qu'un élément. C'est alors que le grand sacrifice lui est demandé. Il est
en pleine conscience de toutes ses incarnations antérieures, il sait ce qu'il a
gagné ou ce qu'il a perdu dans ses dernières existences et il sait également
quels sont les clichés dont il aura à triompher dans l'existence qui va
s'accomplir. Il y a une véritable agonie avec toutes ses affres, il y a une
lutte terrible entre l'esprit et ses souffrances futures, analogue de l'agonie terrestre
et de la lutte de la matière qui ne veut pas quitter l'esprit qu'elle incarne.
Devant les épreuves entrevues : le mariage douloureux, la mort des enfants, la
séparation des êtres chers, la ruine terrestre, la prison, le déshonneur, le
bagne, peut-être compensée par quelques joies bien faibles ; l'esprit est
rempli d'angoisse, sa lumière s'obscurcit et il s'écrie, commentant la parole
qui a retenti à travers toutes les sphères visibles et invisibles : « Eli, Eli,
lama sabactani » ? Mon Père, mon Père ! m'as-tu abandonné ?... C'est alors
qu'interviennent les esprits de protection ; toutes les lumières des ancêtres,
tous les rayons divins de l'envoyé céleste se concentrent vers la lumière
obscurcie d'angoisse de la victime de la fatale évolution, et les chants
célestes l'entourent et, le réconfortent. Dans un moment d'enthousiasme
sublime, passant en revue tout le cycle des êtres de tous les plans qui vont
évoluer avec lui, l'esprit s'écrie : « Mon père, je suis prêt, permettez-moi
seulement sur terre d'être un soldat de notre Seigneur, ne m'abandonnez pas et
que votre présence me sauve dans cet enfer terrestre où je vais volontairement
m'engloutir. » Puis les fluides du fleuve astral et non physique entourent
l'esprit qui va descendre. Cette perte de mémoire est indispensable pour éviter
le suicide sur terre... L'esprit peut essayer plusieurs corps et ne prendre
définitivement possession que du plus fort. Dans la mort des tout petits
enfants, il n'y a pas toujours retour de l'esprit au plan divin : il y à essai
des différents corps, ce qui est tout autre chose. On peut, en général, dire
que cet essai ne dépasse jamais sept mois. » Les pages de ce genre abondent
chez les écrivains qui défendent la réincarnation ; leur cerveau accouche de
mille divagations invérifiables ; et c'est avec une tranquille audace, bien
faite pour impressionner les simples, qu'ils débitent leurs insanités. Mais
réclame-t-on des preuves, ces phraseurs si prolixes avouent qu'elles sont
surtout d'ordre sentimental, qu'une rigoureuse démonstration est impossible et
qu'il faut croire sans trop chercher à approfondir. Quelques-uns pourtant ont
rassemblé les arguments qui militeraient en faveur de cette doctrine. Pauvres
arguments, preuves sans portée, qui font sourire dès qu'on les examine à la
froide lumière de la science et de la raison. « Parfois, écrit Henri Regnault,
on se trouve en présence d'un inconnu pour qui l'on ressent, sans raison
apparente, une antipathie ou une sympathie invincible. Voilà des observations
faciles à faire presque journellement, sans que naturellement, la question de
l'attraction des sexes ait à intervenir. Parfois, aussi, l'on est disposé à
rendre service, à être agréable à quelqu'un dont on ignore le nom. Pourquoi
cela ? Question de fluide, en certains cas, c'est possible, mais ce n'est pas
là une explication toujours suffisante. Ces êtres, qui, tout en étant
apparemment étrangers, sont cependant irrésistiblement attirés l'un vers
l'autre, se sont sans doute connus dans d'autres existences. Avec leurs sens
emprisonnés dans le corps physique, il leur est impossible de se reconnaître,
mais leurs esprits sont attirés d'une façon impalpable, imperceptible,
incompréhensible pour ceux qui ne connaissent pas notre théorie. » N'en
déplaise à Henri Regnault, le fait qu'il signale s'explique, même sans recourir
à des fluides, par la loi psychologique de l'association des idées. Telle personne
m'est sympathique ou antipathique parce que dans sa physionomie, ses gestes,
ses allures, le son de sa voix, il y a quelque chose rappelant d'autres
individus que j'aime ou que j'exècre. Et le coup de foudre, en amour, ne
résulte lui-même que de la rencontre imprévue d'une personne répondant à
l'idéal que l'esprit caresse en secret. Les aptitudes naturelles, les vocations
irrésistibles, les différences observées entre enfants et parents, entre frères
et sœurs, ne requièrent pas davantage la croyance à la réincarnation. Sans
doute la physiologie cérébrale n'est qu'à ses débuts, les lois de l'hérédité
sont encore mal connues, mais le biologiste sait déjà, de façon certaine, que
tous ces faits relèvent des modalités du système nerveux. Et nous ne pouvons
que sourire lorsqu'un Léon Denis dévoile, aux yeux éblouis des profanes, la
vraie cause des infirmités naturelles : « Par exemple – et le cas nous a été
révélé – si, tel de nos amis est sourd et muet de naissance c'est que jadis il
a, par ses propos malveillants, causé des malheurs et amené une catastrophe.
J'ai connu une petite naine, vieille et difforme, recueillie par l'hospice de
Tours et qui fut toujours un objet de répulsion pour tous ceux qui
l'approchaient. Elle s'intéressait au spiritisme et je lui prêtais volontiers
les publications qu'elle venait me demander périodiquement. Après sa mort, les
Esprits nous dirent que cette existence pénible et maladive avait été un
correctif de l'orgueil qui était le fond de son caractère dans ses vies
antérieures. Ainsi, la plupart des misères et des infirmités qui affligent les
humains s'expliquent par des causes plus ou moins lointaines lorsqu'elles n'ont
pas été choisies librement par l'Esprit comme un moyen efficace d'épuration et
d'avancement. » Hélas ! alcoolisme et syphilis ont des effets tout pareils à
ceux que Léon Denis attribue aux vices contractés dans une vie antérieure. Et, pour
qu'une femme enceinte accouche d'un infirme ou d'un monstre, une frayeur
suffit, au dire d'une vieille tradition populaire. À toutes les maladies,
médecine et physiologie assignent aujourd'hui des causes qui n'ont rien à voir
avec l'au delà. Le sentiment du déjà vu, éprouvé par quelques personnes en face
d'un objet, d'un individu, d'un paysage perçus cependant pour la première fois,
parut longtemps un argument plus sérieux. « Les paroles que j'entends, écrivait
au XIVème siècle le moraliste japonais Kenke, je les ai déjà entendues ; les
choses que je vois, je les ai déjà vues autrefois ; quand ? je ne saurais le
dire. » Plusieurs cas semblables sont rapportés par les auteurs spirites qui,
généralement, ont soin de les enjoliver quelque peu, afin de frapper davantage
l'imagination du lecteur. « Il y a une dizaine d'années, disait le Rév. Forbes,
en 1906 je visitais Rome pour la première fois. À plusieurs reprises, dans la
ville, j'ai été saisi par ce flot de reconnaissances. Les thermes de Caracalla,
la voie Apienne, les Catacombes de Saint-Calliste, le Colisée, tout me
paraissait familier. » Visitant à Rome la bibliothèque vaticane, Méry « y fut
reçu par de jeunes hommes, des novices en longues robes brunes, qui se mirent à
lui parler le latin le plus pur. Méry était bon latiniste, en tout ce qui tient
à la théorie et aux choses écrites, mais il n'avait pas encore essayé de causer
familièrement dans la langue de Juvénal. En entendant ces Romains
d'aujourd'hui, en admirant ce magnifique idiome, si bien harmonisé avec les
monuments, avec les mœurs de l'époque où il était en usage, il lui sembla qu'un
voile tombait de ses yeux ; il lui sembla que lui-même avait conversé en
d'autres temps avec des amis qui se servaient de ce langage divin ».
Malheureusement pour les spirites, la fausse reconnaissance ou paramnésie est
un trouble de la mémoire bien connu des psychologues. Ribot, dans Les Maladies
de la Mémoire, en donne des exemples typiques et cherche à découvrir le
mécanisme de cette illusion. « Un homme instruit, écrit-il, raisonnant assez
bien sur sa maladie et qui en a donné une description écrite, fut pris vers
l'âge de trente-deux ans d'un état mental particulier. S'il assistait à une
fête, s'il visitait quelque endroit, s'il faisait quelque rencontré, cet
événement, avec toutes ses circonstances, lui paraissait si familier qu'il se
sentait sûr d'avoir déjà éprouvé les mêmes impressions, étant entouré
précisément des mêmes personnes ou des mêmes objets, avec le même ciel, le même
temps, etc. Faisait-il quelque nouveau travail, il lui semblait l'avoir déjà
fait et dans les mêmes conditions. Ce sentiment se produisait parfois le jour
même, au bout de quelques minutes ou de quelques heures, parfois le jour
suivant seulement, mais avec une parfaite clarté. » D'ordinaire la fausse
mémoire est liée à un désordre mental lorsqu'elle est durable, à une fatigue
profonde lorsqu'elle est passagère. Elle est d'origine physiologique, et n'a
rien à voir avec la métempsychose, de l'avis de tous les savants consciencieux.
Que penser maintenant du souvenir d'une vie antérieure spontanément reparu, à
ce qu'on assure, chez quelques enfants ? Les occultistes ne s'en étonnent
point, car ils prennent au sérieux toutes les divagations du bambin. «
L'enfant, dira Papus, voit ses ancêtres, voit son génie familier lui apparaître
souvent et jouer avec lui. Si les parents sont assez intelligents pour ne pas
couper ses relations, cette existence en partie double peut avoir une grande
importance dans la destinée terrestre. » Malheureusement certains parents, non
seulement ne répriment pas les folles illusions de l'imagination enfantine,
mais peuplent le cerveau de leur rejeton des spectres et des fantômes dont leur
propre esprit est le jouet. Les réminiscences, observées chez les bambins par
un entourage crédule, résultent du souvenir gardé par eux de conversations
maintes fois entendues. « Dès qu'il a commencé à parler, lit-on dans la Revue
Spirite, Raoul (un petit brésilien) a répété à maintes reprises ces paroles : «
en morri », qu'il est impossible de traduire en français dans leur
concision,car elles signifient, au sens littéral, je suis mort, c'est-à-dire
j'ai déjà passé de vie à trépas. Les parents n'attachèrent pas d'abord
d'importance à ces mots. Mais, le 1er novembre 1927, un incident significatif
se produisit. Voyant sa mère préparer des couronnes funéraires, il demanda pour
qui. Le père nomma ses enfants pré[1]décédés.
Et Raoul de dire : « Mais, papa, je suis François. – Non, dit le père, tu es
Raoul. – Avant, j'étais François, répondit Raoul, et j'étais grand comme ça. En
disant ces mots il se dressa sur ses pieds et, levant la main, marqua la taille
de son frère, qui était très grand. Et il ajouta : « J'ai été très malade, je
suis mort, on m'a enterré et après, je suis revenu avec les hommes et je suis
maintenant Raoul ». Il mentionna ensuite qu'au moment de sa mort ses parents
habitaient une autre maison, dans une autre rue. Quelques jours après, le 7
novembre 1927, Raoul, voyant sur une table un gobelet de poche en aluminium qui
avait été donné à François et que son père se disposait à emporter, s'écria : «
Papa, tu as donné ce gobelet à François, mais maintenant c'est moi qui suis
François, ce gobelet est à moi ; seulement je veux bien te le prêter. » Dans
les paroles du petit Raoul, nous retrouvons l'allure ordinaire des histoires
qu'enfante si volontiers l'imagination des bambins. Des parents inconsolables
ont parlé devant lui du grand frère qui n'était plus ; sur ses goûts, ses
objets préférés, les circonstances de sa mort, ils ont donné maints détails que
la mémoire de Raoul a enregistrés soigneusement. Et d'instinct, peut-être pour obtenir
plus de caresses, peut-être par caprice de l'imaginative ou de l'association
des idées, l'enfant a opéré une de ces substitutions de personne que les
psychologues connaissent bien. Mêmes remarques concernant le cas de la petite
Nelly Horster. « Il y a douze ans, écrivait J.-J. Horster en 1892, j'habitais
111, comté d'Effingham. J'y perdis une enfant, Maria, au moment où elle entrait
dans la puberté. L'année suivante, j'allais me fixer à Dakota, que je n'ai plus
quitté depuis. J'eus, il y a neuf années, une nouvelle fille que nous avons
appelée Nellie et qui a persisté obstinément à se nommer Maria, disant que
c'était son vrai nom duquel nous l'appelions autrefois. Je retournai
dernièrement dans le comté d'Effingham, pour y régler quelques affaires, et
j'emmenai Nellie avec moi. Elle reconnut notre ancienne demeure, et bien des
personnes qu'elle n'avait jamais vues, mais que ma première fille Maria
connaissait fort bien. » Comment peut-on nous servir des histoires d'un
merveilleux si frelaté ! Ce que la jeune Nelly n'avait pas vu, elle l'avait
entendu décrire ; ses réminiscences d'une vie antérieure n'étaient qu'un écho
des conversations tenues par ses parents. De temps en temps, il est vrai, des
récits plus corsés circulent, qui obligent le lecteur à crier au prodige. Mais
lorsqu'on veut contrôler, aller aux sources, toute certitude s'évanouit
généralement. Malgré de nombreuses lettres, Henri Regnault ne put obtenir de
renseignements précis sur le petit Édouard Espuglas Cabrera qui, disait-on,
gardait un étonnant souvenir de ce qu'il avait fait dans une précédente
incarnation. La physiologie est loin d'avoir dit son dernier mot ; bien des
forces seront découvertes plus tard que nous ignorons présentement. Dès
aujourd'hui, néanmoins, nous sommes certains que la métempsychose est un mythe
au même titre que le ciel et l'enfer des chrétiens. Car le suprême et dernier
argument que ses partisans allèguent, le souvenir des vies passées provoqué
durant l'état d'hypnose, est aussi faible que les précédents. Endormie par de
Rochas, qui s'adonna longtemps à des recherches de ce genre, Mme Trinchant
narra qu'elle fut jadis une jeune fille arabe, assassinée vers l'âge de vingt
ans. Un autre sujet, Henriette, plongé par le même dans l'état somnambulique,
revivait en souvenir l'existence de l'évêque De Belzunce ; encouragés, au moins
indirectement, par l'hypnotiseur, bien d'autres ont fait depuis des récits du même
genre. Inutilement pour la cause de la réincarnation, car on s'est aperçu qu'il
s'agissait, dans tous ces cas de troubles maladifs de la personnalité.
L'imagination du sujet et les suggestions de son entourage suffisent à
expliquer le roman, parfois très prolixe, débité par certains hypnotisés
touchant leurs vies antérieures. Altérations, transformations, dédoublements
plus ou moins complets de la personnalité sont des phénomènes bien étudiés par
les magnétiseurs. « Cette singulière coutume des somnambules de se dédoubler,
écrit Pierre Janet, est très fréquente et a été signalée dès les premières
études sur ce sujet ». « Les somnambules parlent d'eux-mêmes à la troisième
personne, dit Deleuze, comme si leur individu dans l'état de veille et dans
l'état de somnambulisme était deux personnes... Mlle Adélaïde ne convenait
jamais de l'identité d'Adélaïde avec Petite, nom qu'elle recevait et se donnait
pendant sa manie (somnambulisme), etc. ». « Leur esprit de veille et celui du
somnambulisme, dit Aubin Gauthier, sont deux choses différentes. » Tous les
écrivains du magnétisme animal ont d'ailleurs décrit ce fait, qui est aussi
fréquent qu'il est curieux. N... qui se trouvait d'abord changée, prétendit
bientôt qu'elle était autre. « Qui étiez-vous donc alors ! » lui ai-je demandé.
– « Je ne sais pas... je crois que je suis la malade. »... Lucie, qui restait
la même, disait-elle, pendant le premier somnambulisme, change complètement
d'avis quand on la met dans le second. Le changement devient probablement trop
fort, car elle ne se reconnaît plus ; elle prend alors spontanément un autre
nom, celui d'Adrienne ». Qu'un partisan de la réincarnation assiste à l'une de
ces crises de dédoublement, qu'il suggère au sujet l'idée d'une existence
antérieure et ce dernier, tout naturellement, sans intervention d'une entité de
l'au-delà, imaginera mille détails se rapportant à la personnalité dont on
l'affubla. En réalité, si la métempsychose a trouvé à notre époque tant de
défenseurs, c'est qu'elle prétend justifier les inégalités sociales et laver
dieu du crime de barbarie, que les croyants pourraient lui adresser à bon
droit. « La logique, écrit Henri Regnault, interdit d'accepter la création par
Dieu, infiniment bon, infiniment parfait, infiniment juste, d'êtres qui, venus
au monde aussi dissemblables à tous les points de vue, auraient cependant,
vis-à-vis de lui, la même responsabilité. Combien ce mystère apparent devient
clair si l'on n'admet pour chacun des enfants qui naissent ici-bas, l'existence
préalable de vies antérieures » Et Léon Denis fait sienne la communication
médiumnique suivante : « La grande idée de la réincarnation est seule capable
de revivifier la société décadente qui est la nôtre. Seule elle peut réfréner
cet égoïsme envahissant qui désagrège Famille, Patrie, Société, et qui
substitue à la généreuse idée du devoir cette conception féroce d'une
individualité qui doit s'affirmer quand même à tout prix ». Après de telles
déclarations, nous sommes fixés. Voyant crouler de toutes parts les vieux
dogmes chrétiens, quelques partisans de l'exploitation des pauvres par les
riches, des sujets par les gouvernants, ont estimé qu'une large diffusion de la
croyance aux vies successives remplacerait avantageusement la peur d'un enfer
qui paraît très problématique à l'homme qui réfléchit tant soit peu. Dans
l'espoir d'être mieux partagé dans une prochaine existence, de faire partie des
dirigeants, d'être un génie illustre, un patron redouté, peut-être un prince,
un ministre, un roi, le malheureux tâcheron des champs ou de l'usine peinera
sans se plaindre pour nos grands féodaux. Et sa situation pitoyable lui
semblera un juste châtiment de fautes commises antérieurement. Concevoir un
anesthésiant meilleur à l'usage du populaire parait à bon droit difficile.
L'incarnation du Christ en la personne de Krishnamurti, messie selon le cœur de
l'Angleterre, doit achever de convaincre ceux qui ne pouvaient admettre de si
noires machinations. Esprit médiocre qui, sans les citer naturellement,
s'inspire des écrivains libertaires dans ce qu'ils ont de meilleur, ce nouvel
Instructeur du monde se contente de répéter ce que d'autres dirent avant lui.
Mais les dirigeants de la politique anglo-saxonne espèrent que son influence
leur sera favorable dans l'Inde ; et ils comptent sur lui pour aider, si
possible, au réveil religieux de l'Occident. –
L. BARBEDETTE.
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