n. f. (de mêta, en dehors,
au-delà et psykhé âme) On sait la vogue qu'obtinrent, à la fin du XIXème
siècle, et au début du XXème, le spiritisme, l'occultisme, l'étude des
phénomènes supra-normaux en général. Mais à une constatation des faits, rendue
souvent défectueuse par une crédulité sans borne, s'ajoutaient des hypothèses
explicatives si manifestement enfantines que tout homme instruit et solidement
équilibré ne pouvait s'empêcher d'en sourire. Aussi certains chercheurs
d'esprit plus positif entreprirent-ils de constituer une science nouvelle, la
métapsychie (au-delà du psychisme), étrangère a toute préoccupation théologique
et métaphysique, qui traiterait le merveilleux d'après les méthodes admises par
le biologiste ou le physicien et, délaissant les théories spiritualistes, se
cantonnerait sur le terrain de l'expérience positive. Un peu partout l'on
rencontre aujourd'hui des Instituts et des revues métapsychiques,
d'innombrables volumes ont déjà paru sur cette branche du savoir humain et des
Congrès réunissent, de temps à autre, ses partisans les plus connus. L'idée
était bonne qui présida à la naissance de la métapsychie ; elle a provoqué des
travaux dont plusieurs ne sont pas dénués de mérite, et nous ne mettons pas en
doute la bonne foi des quelques vrais savants qui s'en sont occupés.
Malheureusement, maints adeptes de la nouvelle science n'ont point dépouillé
les préoccupations théologiques qui étaient les leurs ; en fait ils n'ont
étudié les phénomènes supra-normaux que dans le but secret de parvenir à étayer
sur des bases plus solides les chimères de la philosophie spiritualiste.
Inconsciemment ou non, ils déforment donc les faits dans le sens de leurs
théories, oublient de mentionner ceux qui les contredisent manifestement et
s'empressent de parler d'âme ou d'entités spirituelles, lorsque la cause
productrice n'apparaît pas du premier coup. Certains ne reculent point devant
les faux les plus éhontés. Un livre parut, voici quelques années : « Le médium
Mirabelli ; ce qu'il y a de vrai dans ses « miracles », sa médiumnité discutée
et prouvée », dont la Revue Métapsychique donna un compte-rendu. Mirabelli
était un médium brésilien ; les faits avaient eu lieu « en plein jour, en
public » ; 72 médecins avaient signé le rapport où ils étaient relatés.
Renseignements pris, Mirabelli n'avait jamais fait parler de lui au Brésil, et
l'on ne put découvrir ni les 72 médecins, ni les 555 témoins qui s'étaient
portés garants des merveilles accomplies par le prodigieux thaumaturge. Les
Annales des Sciences psychiques publièrent un récit qui devint rapidement
fameux. Une dame avait rêvé qu'un corbillard s'arrêtait devant sa porte et que
son conducteur lui adressait ces paroles : « Madame, êtes-vous prête ? » Or,
quelques jours plus tard, elle se disposait à monter dans l'ascenseur d'un grand
magasin, de Chicago, quand elle reconnut le conducteur du corbillard dans
l'homme préposé à l'ascenseur et, pour comble, ce dernier ajouta : « Madame,
êtes-vous prête ! » D'où recul de la dame, qui refusa de monter. Heureusement
pour elle, car la cage s'écrasa sur le sol quelques instants après. Mais une
seconde version circula bientôt : la scène se serait déroulée à Paris non à
Chicago ; le rêveur était un prince hongrois, non une dame américaine. Une
enquête poursuivie, tant à Paris qu'à Chicago, prouva qu'aucun fait de ce genre
ne s'était passé. Une sérieuse critique d'un grand nombre de phénomènes
supra-normaux, colportés par des fourbes et admis par l'inépuisable crédulité
populaire, donnerait des résultats de même ordre. Bien peu de récits
merveilleux subsisteraient, et ceux que l'on conserverait, après contrôle,
auraient perdu le caractère surnaturel que la légende leur avait complaisamment
prêté. Cette adresse, trop grande pour être honnête, elle éclate à propos des
prophéties que des voyantes célèbres se croient tenues de débiter, à l'occasion
du premier de l'an. Jamais leurs vaticinations ne cadrent exactement avec la réalité
; pourtant elles se bornent à des affirmations vagues qui laissent beaucoup de
jeu aux fantaisies de l'interprétation, ce sont des thèmes assez généraux pour
s'appliquer à un grand nombre de faits qui se répètent souvent. Au cours de
douze mois, il y aura toujours sur notre globe, soit des morts célèbres, soit
des procès retentissants ; et malheureusement, dans l'état actuel, pas besoin
d'être prophète pour déclarer que les hommes se battront sur l'un ou l'autre
coin de la planète : « Voici venir (disait Mme de Thèbes, dans son almanach de
1914), après 1913, année aurorale, voici venir 1914 (du 21 mars 1914 au 20 mars
1915), l'année fulgurante, année des beaux gestes et des grands héroïsmes. Nous
serons toujours dans le cycle de Mars, mais en conjonction avec Saturne, au
summum, pour ainsi dire, des fatalités du sort, les plus graves, les plus
décisives. Année heureuse entre toutes cependant pour nous, dont les cœurs se
sont mis à battre pour les grands idéals, sauveurs et régénérateurs des peuples
! malgré le sang, malgré les larmes. Année glorieuse parmi les glorieuses du
passé de la France ; année de discorde puis de concorde ; année de haine puis
d'amour ; année de déchirements puis d'entente entre les peuples européens et
d'autres grands peuples. Les temps sont accomplis, nous touchons aux moissons
après tant de semailles où, si souvent, le bon grain tomba sur le sable ou fut
emporté par le vent. « Quel renouvellement d'hommes dans le monde ! Quel
appétit de formes nouvelles !... Entendez bien que je ne dis pas que tout, en
un moment, se trouvera accompli ; je dis seulement que les choses vont
s'accomplir. Douze mois ne sont rien dans la marche du temps. C'est assez
cependant pour que se dessine le chemin du destin. 1914 suffira à nous montrer
la naissance d'une Europe nouvelle, d'un état d'esprit nouveau, d'une
fulguration du réveil de l'idéal, d'un besoin d'amour et de paix pour les
grands espoirs et les grands labeurs, et ce sera par le retour au culte du
passé, de ce qu'il eut de meilleur, que nous serons encore une fois améliorés,
sauvés, régénérés. La paix sortira de la guerre, et ce qui est proche
s'arrangera dans la crainte de ce qui est lointain ; l'Europe se consolera de
l'ébranlement de l'Asie... » Quelle bouillabaisse, que de vieux clichés, et
pourtant, malgré une indéniable adresse à mêler les contraires, quelle preuve
accablante de l'ignorance où se trouvait Mme de Thèbes d'un avenir très
prochain ! Année heureuse entre toutes 1914 année d'entente entre les peuples
et qui devait voir un réveil du besoin d'amour et de paix pour les grands
labeurs ! On croit rêver ; heureusement pour les pythonisses, le peuple oublie
avec une déconcertante rapidité, et les plus cinglants démentis infligés aux
prophéties dont on gargarise sa crédulité ne sauraient avoir raison de son
inextinguible besoin de merveilleux. Pour n'être pas agrémentées de formules
astrologiques, les vaticinations du général X... , rapportées par R. d'Arman,
dans Les Prédictions sur la fin de l'Allemagne, n'en sont pas moins pleines de
mensonges. « La France, déclarait le général, déjà désolée par les factions,
serait alors envahie et dans la nécessité de se défendre avec toutes ses
ressources pour ne pas être ruinée, démembrée, asservie. Les égarements de
cette vieille terre d'honneur et de foi étant alors punis, Dieu se souviendrait
de l'empire de Saint[1]Louis
et de Charlemagne. Il tournerait sa justice contre l'avidité et la malice des
superbes, qui avaient juré le renversement du royaume très chrétien. Un premier
appel aux armes n'aurait pas sur la nation un effet décisif ; mais un second
appel est entendu. L'ardeur de la croisade se ranime comme au XIIIème siècle.
Le révélateur exhibe la découverte d'un engin de guerre formidable.
L'enthousiasme est à son comble. Neuf jours après les démonstrations de l'engin
puissant, une affaire s'engage avec l'ennemi. L'avantage demeure aux Français.
Le général chef de ces derniers, hardi, prudent, religieux, doué en tout
d'éminentes qualités, ne dédaignant pas les bons conseils se trouve à la
hauteur de la situation. Tout d'abord, les ministres sacrés avaient été appelés
sous les armes, mais sur l'avis de l'homme inspiré, ils sont laissés dans leurs
foyers pour consoler les populations déjà si désolées des malheurs de l'État.
L'agitation est extrême, tout change de face aussi. Les cœurs ouverts à
l'espérance sourient à la joie d'une rénovation générale. Cependant, le plus pressé
est de balayer l'étranger de notre territoire. La veille d'une bataille
décisive, les Italiens osent réclamer Nice et se mettent en marche sur Lyon.
Apprenant la défaite de leurs Alliés, ils repassent la frontière. Une nouvelle
bataille se livre, les chances sont douteuses un moment mais c'est aux armes de
la France que reste la victoire. L'étranger a 80.000 hommes hors de combat.
Trois de ses armées reculent par des chemins différents. Metz est délivré, le
Rhin est passé ; la coalition est détruite, la domination germanique finit. La
prépondérance de la France est rétablie. L'Europe se réorganise. La Pologne
obtient sa nationalité ». Les erreurs foisonnent dans ce morceau, inspiré au
général X... par le dieu de Charlemagne et de Saint-Louis ; et comme cette
bien-pensante prophétie vous a des allures religieuses et politiques ! Son
auteur était réactionnaire, voilà le seul renseignement qui s'en dégage avec
une clarté parfaite. Elles abondent, d'ailleurs, les prédictions de ce genre,
véritables machines de guerre, dont le but évident est de magnifier l'autel et
le gouvernement, quand il ne s'agit pas de préparer les esprits simplistes à
une guerre ou à un coup d'État. On dit que de 1914 à 1918, voyantes,
cartomanciennes etc., reçurent, à Paris, l'ordre impérieux d'annoncer la
victoire française, sous peine de voir fermer leur cabinet. La fameuse Mme
Lenormand n'affirmait-elle pas que « la guerre serait de courte durée », et
ceci en 1913 ! Voilà qui doit retenir l'attention des indiscrets qui veulent connaître
les secrets desseins des gouvernants, à l'heure où les prophéties éclosent dans
le cerveau des devins en renom. S'agit-il d'apparitions fantômales, de
photographies transcendantales, de rayonnement magnétique, de lévitation à
distance d'objets matériels, etc. la défiance ne saurait en rien diminuer. Car
l'opinion des psychistes officiels n'est point faite pour rassurer ; constatant
que le nombre des médiums diminue singulièrement depuis que le contrôle devient
plus sérieux, ils voudraient que l'on se montrât moins sévère à l'égard des
fraudeurs pris en flagrant délit. « Je ne comprends pas, écrit F. Niard, que
l'on rejette, sans rémission, des médiums qui semblaient avoir réellement une
valeur parce qu'on les a pris en flagrant délit de fraude. L'expérience m'a
appris que tout médium à effet physique fraude, quel que soit le monde auquel
il appartient, quelle que soit sa valeur morale et intellectuelle – et il
fraude d'autant plus que le milieu où il opère le soupçonne, croit à la fraude.
– La suggestion joue un rôle indéniable dans l'obtention du phénomène. Or, que
sont devenus par exemple des médiums tels que Carancini, et plus récemment Erto
?... En rejetant à tout jamais des médiums tels que Erto, les savants
métapsychistes agissent comme les professeurs de Sorbonne qui ont examiné Eva
et Guzik. Ils ont cru à la fraude et s'en sont désintéressés totalement.
Pourtant, Eva et Guzik étaient indéniablement des médiums et l'ont prouvé dans
d'autres milieux. Les médiums sont trop précieux et trop rares pour ne pas
essayer de tirer parti de ceux que nous avons découverts ; même si beaucoup de
scories se mêlent au pur métal. » Soyons donc indulgents pour ces pauvres
médiums, ne les contrôlons pas de trop près, si nous voulons éviter les
fraudes, et gardons-nous de les enlever au milieu où ils procèdent en toute
liberté, pour les transplanter dans un laboratoire ou une salle de société savante
! Price écrit, à propos du médium Léonore Zugün : « Les phénomènes de
télékinésie, dont nous fûmes témoins au Laboratoire National, n'étaient pas si
importants que ceux que nous pûmes contempler à Vienne. Il en fut exactement de
même avec Willy Schneider. Dans son pays, il fournit des phénomènes magnifiques
; à Londres, les phénomènes étaient plus faibles. Je ne puis imaginer autre
chose, sinon qu'il se produit un changement psychologique de ces médiums
exotiques, lorsqu'ils quittent leur pays. Il est possible que le fait d'être
éloignés de leurs foyers – séparés de leurs amis et parents – ou l'étrangeté du
nouvel entourage puisse avoir une certaine influence qui cause l'inhibition du
phénomène ». Le Dr Osty a fait des constatations identiques ; même dans le
laboratoire de l'Institut Métapsychique de Paris, où le candide et somnolent
professeur Richet signe à son réveil toutes les relations qu'on lui présente,
d'excellents médiums perdent une bonne partie de leurs moyens. Avant eux, Alex
Aksakof avait déjà déclaré, dans Animisme et Spiritisme, que la condition
essentielle pour obtenir de bons résultats médiumniques c'est « un milieu
approprié », que « tout dépend du milieu ». Or, si l'on observe que la salle où
apparaissent les fantômes doit être plongée dans une obscurité totale ou tout
au plus éclairée par une faible lueur rouge, reconnaissons que les fraudes
deviennent étrangement faciles, quand le médium est entouré de parents et
d'amis, disposés par avance à jouer le rôle d'esprits désincarnés. Aussi, que
de supercheries grossières apparurent, des que des assistants moins crédules
s'avisèrent de contrôler ! C'est la fameuse Albertine, attachée avant
l'expérience dans un sac plombé, qu'un homme résolu empoigne, croyant saisir
l'apparition ectoplasmique. Sortie du sac, malgré des précautions qu'on croyait
sérieuses, Albertine glissait comme une ombre authentique, avec une moustiquaire
sur la tête. Un autre médium, qui défrayait depuis longtemps les chroniques
métapsychiques, cachait tout simplement une bande de gaze qui, dépliée avec
adresse, passait pour un ruban ectoplasmique. Gardée dans son jardin secret, la
gaze, par hasard, tomba en plein jour ; ce fut la fin d'une carrière déjà
brillante. Feuilles de papier, ampoules électriques, pierres à briquet, maniées
avec dextérité et discrétion, suffirent à bien d'autres pour s'extérioriser ;
elle serait d'une longueur impressionnante la liste des médiums qui virent,
après une impunité parfois longue, leurs trucs dévoilés. N'oublions pas celui[1]là,
dont les mains étaient tenues par deux assistants, dans une salle obscure, et
qui parvenait, l'habile homme, à dégager subrepticement sa main de l'étreinte
d'un contrôleur pour lui donner à tenir celle du contrôleur voisin. On pense
s'il se permettait de spirituels attouchements sur les joues et le menton des
messieurs à portée de son bras. Une illumination inattendue de la salle mit en
évidence les facéties de cet évocateur des esprits. L'affaire de Mantes est de
fraîche date ; et l'on ne peut avoir oublié combien de pauvres dupes sur la foi
de photographies transcendantales, se crurent environnés de trépassés, qui
n'étaient que des mannequins adéquatement costumés. Quant aux appareils
construits pour déceler le fluide vital, aux déviations d'un pendule ou d'une
aiguille, on a démontré de façon péremptoire que ces derniers se produisent
grâce à l'électrification du verre qui les environne. Prenez une ampoule
électrique dans les mains et frictionnez-la vigoureusement, elle apparaîtra
bientôt lumineuse, si l'on se tient dans une pièce obscure ; d'une luminosité
dont l'intensité dépendra du vide plus ou moins complet de l'intérieur. Effet
du fluide, déclaraient les amateurs de merveilleux. Hélas ! on prouve
aujourd'hui qu'il s'agit là d'un simple phénomène d'électricité statique.
L'attraction par le doigt d'un léger pendule, placé dans un tube de verre (fait
d'action à distance ou de télékinésie selon les métapsychistes), résulte de
même d'une électrisation ; un chercheur consciencieux, Mondeil, l'a établi de
façon définitive. Même constatation touchant l'aiguille d'appareils qui
décelaient, disait-on, la présence du fluide vital : « Le frottement du verre
qui entoure cette aiguille – ou comme je l'ai dit ailleurs, sa manipulation
répétée à main sèche, – écrit Mondeil, suffit à déterminer par induction, les
déviations considérées. Cela d'autant plus facilement que le système est plus
sensible. La chaleur, toutefois, ajoute à l'électrisation et peut la compléter
lorsqu'elle est résiduelle. La complexité de l'équipage intérieur ne change
rien au processus. » On conçoit dès lors la demande de nombreux savants qui,
pour prendre au sérieux les phénomènes métapsychiques, voudraient que l'on
allumât les lampes, dans la salle où ils se produisent, que l'on vît et que
l'on touchât même et surtout lorsqu'il s'agit d'ectoplasme et d'apparitions de
défunts. Mais longtemps une crédulité béate permit d'écouter, comme vérités
certaines, des divagations insensées. S'il s'agissait de faits survenus dans
des régions lointaines, où tout contrôle était impossible, le merveilleux
prenait des proportions fantastiques. Sur les fakirs en particulier, que
n'a-t-on pas dit ! Rappelons quelques[1]uns
des prestiges rapportés par des voyageurs. « Le fakir, raconte le docteur
Hentsold, prit un large plat de terre, y versa quatre à cinq litres d'eau et le
tint d'aplomb sur sa main gauche, tandis que l'autre main était élevée à la
hauteur de son front. Tout à coup, le plat diminua de volume a vue d'œil et
devint de plus en plus petit, si bien qu'on ne pouvait plus l'apercevoir qu'au
moyen d'un verre grossissant. Enfin il disparut complètement. II fallut, pour
opérer cette étonnante diminution de volume et cette disparition totale,
environ une minute et demie. Nous allions nous retirer, croyant la séance
terminée, lorsque soudain, nous vîmes apparaître un petit point noir, pas plus
gros qu'un grain de sable, ce point noir grandir sans qu'on puisse dire comment
cela pouvait se faire, et en moins d'une autre minute, le plat de tout à
l'heure, d'un pied de diamètre, rempli d'eau jusqu'au bord et du poids d'au
moins quinze livres, reparut à nos yeux ». Hentsoldt assista, un autre jour, au
miracle de la corde suspendue en l'air : « Le yogi prit une corde de quelques
pieds de long et d'un pouce d'épaisseur, à peu près. Il tenait un bout de la
corde dans sa main gauche, tandis qu'avec sa main droite, il lança l'autre bout
en l'air. La corde, au lieu de retomber, resta suspendue en l'air, même après
que le yogi eut retiré son autre main ; elle semblait avoir la consistance et
la rigidité d'une colonne. Alors le yogi la saisit avec les deux mains, et à
mon grand étonnement, il se mit à grimper le long d'elle, suspendu en dépit des
lois de la gravité, alors que le bout extrême de cette corde était à au moins
cinq pieds du sol. À mesure que le yogi s'élevait en grimpant, la corde
semblait s'allonger au-dessus de lui en même temps qu'on ne la voyait plus
au-dessous de lui, et il continua de grimper jusqu'au moment où on cessa de le
voir. Je ne pouvais plus distinguer que le turban blanc du yogi et un tout
petit bout de l'interminable corde. À ce moment, mes yeux ne purent supporter
l'éblouissante lumière du ciel et, lorsque je m'efforçais de regarder encore
une fois, le yogi avait complètement disparu. » Nous trouvons, sous la plume
d'Osborne, officier de l'armée anglaise, le récit suivant de l'enterrement d'un
fakir endormi : « À la suite de quelques préparatifs, qui avaient duré quelque
temps et qu'il répugnerait d'énumérer, le fakir déclara être prêt à subir
l'épreuve. Le maharadjah, le chef des Sikhes et le général Ventura se réunirent
près de la tombe en maçonnerie construite exprès pour, le recevoir. Sous nos
yeux, le fakir ferma avec de la cire toutes les ouvertures de son corps qui
pouvaient donner entrée à l'air, en exceptant sa bouche, puis il se dépouilla
de ses vêtements ; on l'enveloppa alors dans un sac de toile, et, suivant son
désir, on lui retourna la langue en arrière de manière à lui boucher l'entrée
du gosier. Après cette opération, le fakir tomba dans une sorte de léthargie.
Le sac qui le contenait fut fermé et un cachet fut apposé par le maharadjah. On
plaça ensuite ce sac dans une caisse de bois cadenassée et scellée, qui fut
descendue dans la tombe ; on jeta une grande quantité de terre dessus, on foula
longtemps cette terre, on y sema de l'orge ; enfin, des sentinelles fluent
placées tout à l'entour, avec ordre de veiller jour et nuit. Malgré ces
précautions, le maharadjah conservait des doutes ; il vint deux fois, dans
l'espace de dix mois, pendant lesquels le fakir resta enterré, et il fit ouvrir
devant lui la tombe ; le fakir était dans le sac, froid, inanimé, enfin tel
qu'on l'y avait mis. Les dix mois expirés, on procéda à l'exhumation
définitive. On ouvrit, en notre présence, les cadenas, on brisa les scellées
et, après avoir enlevé la caisse hors de la tombe, on retira le fakir ; nulle
pulsation au cœur, point de respiration, le sommet de la tête était resté seul
le siège d'une chaleur sensible qui pouvait faire soupçonner la présence de la
vie. Alors une personne lui introduisit très doucement le doigt dans la bouche
et replaça sa langue dans sa position normale ; puis on le frictionna, on versa
sur tout son corps de l'eau chaude ; petit à petit, la respiration, le pouls se
rétablirent, et le fakir se leva et se mit à marcher en souriant. Il nous dit
que, pendant son séjour sous terre, il avait fait des rêves délicieux, mais que
le réveil était toujours très pénible ; avant de recouvrer sa connaissance, il
avait, dit-il, des vertiges. Cet homme est âgé de trente ans (en 1888), sa
figure est désagréable et a une certaine expression de ruse. Il s'entretint
longuement avec nous et nous offrit de se faire enterrer une autre fois en
notre présence. Nous le prîmes au mot et nous lui donnâmes rendez-vous à Lahor.
Après avoir choisi un endroit convenable et fait construire une tombe en
maçonnerie et une caisse bien solide, munie d'un système de cadenas et de clefs
fort sûr, nous fîmes venir le fakir; il arriva en protestant du désir qu'il
avait de nous prouver qu'il n'était nullement un imposteur et nous dit qu'il
était prêt à subir l'épreuve, mais il nous demanda quelle serait sa récompense.
Nous lui promîmes une somme de 1500 roupies et un revenu de 2000 par an, qu'on
se chargeait de lui obtenir du roi. Satisfait de ces conditions, il désira
savoir quelles précautions on comptait prendre à son égard ; on lui montra les
cadenas et les clefs, et on l'avertit que des sentinelles, choisies parmi les
soldats anglais, veilleraient autour du tombeau pendant une semaine ; il ne
voulut pas accéder à ces conditions et exigea que des doubles clefs fussent
remises à ses coreligionnaires et que ce fussent eux qui seraient chargés de
veiller autour de sa tombe. Les officiers ne voulant pas souscrire à ses
demandes, il se retira, disant que l'on avait l'intention d'attenter à sa vie.
» Un juge de l'Inde française, Louis Jacolliot, a narré pareillement les merveilles,
de moindre calibre il est vrai, dont il fut témoin. En sa présence, et autant
de fois qu'il le voulait, un fakir fit monter des feuilles d'arbre le long
d'une tige de bois qui les transperçait, grâce à une lointaine imposition des
mains. Les mêmes feuilles s'agitaient chaque fois que, songeant à un ami
décédé, il prenait une lettre mobile répondant à son nom. Et ce fakir fit
résonner des sons dans l'espace, tracer dans l'air des caractères
phosphorescents, voltiger une couronne de fleur. Un autre, nommé Covindassamy,
fit apparaître un nuage lumineux d'où sortirent seize mains humaines ; l'une
d'elles, arrachant un bouton de rose d'un bouquet qui se trouvait là, en fit
don à Jacolliot ; d'autres mains écrivirent quelques phrases en caractères de feu.
Après des incantations nouvelles, une forme vaporeuse, planant près d'un
réchaud, prit l'aspect d'un brahmane sacrificateur qui jeta des parfums sur la
braise ; puis apparut un musicien des pagodes qui joua d'un harmoniflûte qu'il
tenait à la main. Covindassamy provoqua encore la germination et la croissance
rapide d'une graine de papayer. Il avait laissé Jacolliot libre de choisir, à
sa guise, le vase et la graine, mais avait exigé qu'il prît, dans un nid de
fourmis blanches, de la terre saturée du liquide secrété par ces insectes.
Après avoir planté la graine donnée par l'Européen, le fakir tomba en
catalepsie et resta les bras étendus vers le vase, l'espace de deux heures. À
son réveil il montra une tige de papayer haute de vingt centimètres ; on
retrouva une marque faite par Jaccoliot sur les pellicules, encore adhérentes
aux racines, de la semence productrice. Après les désagréables aventures de
Thara-Bey et des autres fakirs qui commirent l'imprudence, voici quelques
années, de venir en Europe, il n'est plus besoin d'insister sur les tricheries
continuelles de ces thaumaturges. Arrivés chez nous avec une auréole quasi
divine, ils nous quittèrent avec le renom mérité de charlatans assez vulgaires,
dont les fraudes percées à jour n'apparaissent pas supérieures à celles des
prestidigitateurs ordinaires. Malgré la rage concentrée de nos métapsychistes
occidentaux, Heuzé et quelques autres démontrèrent que leurs meilleurs tours,
sans excepter l'ensevelissement, n'exigeaient qu'un peu d'adresse, jointe à une
endurance que l'on acquiert aisément. Honteux comme des renards que des poules
auraient pris, ils ont déserté les scènes parisiennes ou du moins ne s'y
présentent plus comme apportant les preuves indéniables de l'existence d'une
survie. Cette prétention pourtant était celle de Thara-Bey et des autres fakirs
que le succès de ses mensonges avait séduits. Ajoutons, pour l'édification du
lecteur, qu'on a enfin découvert le secret de la corde qui se maintient
d'elle-même en l'air. N'en déplaise au docteur Hentsoldt, un naïf semble-t-il,
c'est un tour de passe-passe, comme en témoignent des constatations faites dans
l'Inde et que l'on a pu lire dans un écho du Mercure de France. Des comparses
tendent un fil ténu mais solide, à une hauteur suffisante pour qu'il soit
invisible, avant que l'opérateur lance d'en bas sa corde ; pour rester droite
elle n'aura besoin, on le voit, d'aucun support immatériel. Et ne rions pas
trop des moines hindous ; des croyants occidentaux font preuve d'une
ingéniosité non moins admirable. En 1907, la pieuse librairie Blond et Cie
publiait un livre du docteur Hippolyte Baraduc : La force curative à Lourdes et
la psychologie du miracle. Ce dévot médecin avait photographié les forces
miraculeuses qui, à Lourdes, se dégagent tant des prières qui montent d'en bas
que des grâces versées, d'en haut, par la sainte mère du Christ. « Les eaux,
écrit-il, sont couvertes d'un dynamisme intensif d'aspect fantômal, facteur de
cure ». « Un cliché a été pris au moment du miracle de Fanny Combes ; il
représente un ruban fulgurant ». Hippolyte Baraduc faisait, d'ailleurs, une
autre constatation moins orthodoxe, et presque injurieuse pour la
toute-puissance du Père Céleste, à savoir que les effluves divines de Lourdes
ne guérissent pas en hiver. Pour l'envoi des malades il faudrait tenir compte
des saisons : « Telle affection morale, mentale, serait envoyée en juillet et
août ; telle autre, nerveuse, en septembre et octobre, suivant les données
temporaires (ou plutôt de temps) que les observations nombreuses de cures
recueillies par les médecins pourraient indiquer. » Ainsi la grâce divine, de
nature invisible d'après les théologiens d'autrefois, laisse maintenant des
traces sur les plaques photographiques ! Délicieux, n'est-il pas vrai ? Et les
fakirs n'ont rien trouvé qui surpasse l'invention, trop peu connue, de Baraduc
le pieux docteur. Bientôt, espérons-le, Notre-Dame en personne posera devant
l'objectif de ses bons serviteurs. Assurément nous pouvons conclure qu'elles
ont lamentablement échoué, les démonstrations de l'existence de Dieu et de
l'immortalité de l'âme basées sur l'étude des faits supra-normaux ; c'est en
vain qu'on cherche à jeter des ponts entre la terre et l'au-delà, entre le
sensible et la sur-nature. Mais dans une métapsychie, définitivement libérée
des doctrines et des préoccupations religieuses, il y aurait beaucoup à glaner.
La science humaine n'est qu'à ses débuts ; à côté des forces connues de nous,
il existe une immense gamme de radiations que nos sens ne perçoivent pas et que
nous n'arrivons à étudier qu'indirectement, par le moyen de leurs effets.
Rayons infra-rouges et ultra-violets, ondes hertziennes rentrent dans ce cas ;
l'existence des rayons X ne fut prouvée que grâce aux plaques photographiques
et aux corps phosphorescents. Si elle parvient à se cantonner dans le domaine
des réalités purement expérimentales et des hypothèses strictement positives,
la métapsychie expliquera un jour des faits tels que les prévisions, la
télépathie, les mouvements de la baguette divinatoire, la vision à travers des
corps opaques ou à des kilomètres et des kilomètres de distance. Certains
prestiges des fakirs hindous, comme aussi nombre de phénomènes observés par les
psychistes européens, perdront leur caractère surnaturel pour prendre rang
parmi les manifestations normales des forces simplement humaines. Il y a
d'abord les faits d'action à distance ou de télékinésie ; de loin le médium
provoque le mouvement d'objets plus ou moins lourds, l'infléchissement du
plateau d'une balance, l'arrêt d'une horloge, etc. Eusapia Palladino se rendit
célèbre dans ce genre d'exercices ; mais elle fut accusée de fraude par un
expérimentateur qui, au cours d'une séance, vit entre ses mains un mince filet
luisant, un cheveu ou un fil de soie à son avis. Les métapsychistes la
défendirent. Bozzano en particulier. Il raconta qu'après une scéance, « Eusapia
encore un peu épuisée, était assise auprès de la table. Tout à coup, le médium
parut se réveiller de l'espèce d'engourdissement dans lequel il se trouvait ;
il se frotta les mains ; après quoi, en les éloignant l'une de l'autre et en
les poussant en avant, il les approcha d'un petit verre posé sur la table ;
alors, en faisant avec les mains des mouvements tantôt en avant, tantôt en
arrière, il parvint à imprimer au petit verre en question des mouvements
analogues de traction ou de répulsion à distance... Pendant que se déroulait ce
phénomène, tous les expérimentateurs furent à même d'apercevoir très
clairement, à l'improviste, quelque chose comme un gros fil d'une couleur blanchâtre,
lequel, en partant d'une manière indéfinie des phalanges des doigts d'une main
d'Eusapia, allait se joindre d'une façon tout aussi indéfinie aux phalanges des
doigts de l'autre main. Aucun doute : le médium trichait ; chacun des
expérimentateurs ne put s'empêcher de songer, en ce moment, à l'épisode de
Palerme. Mais voilà que le médium lui-même se prend à s'écrier avec un ton de
joyeuse surprise : Tiens ! Regardez le fil ! Regardez le fil ! À cette
exclamation spontanée, sincère du médium, le chevalier Peretti imagina de
tenter une preuve aussi simple que décisive. Il allongea le bras et commença à
presser légèrement et ensuite à tirer vers lui, lentement, ce fil, qui s'arqua,
résista un instant, puis se brisa et disparut tout à coup ; une brusque secousse
nerveuse fit tressaillir tout le corps du médium. Inutile de décrire
l'étonnement général ; un tel fait suffisait à résoudre d'un coup toute
incertitude : il ne s'agissait point d'un fil ordinaire, mais d'un filament
fluidique! » Quel dommage, diront ceux qui n'ont pas la foi de Bozzano, qu'un
morceau du cordon fluidique ne soit pas resté entre les mains des assistants.
Le docteur Julien Ochorowicz, métapsychiste notoire, s'aperçut de même que Mlle
Stanislawa Tomczyk, mise en état somnambulique, arrêtait à volonté l'aiguille
d'un appareil de prestidigitation connu sous le nom d'horloge magique. Elle
parvint plus tard à soulever de loin, différents objets : une boîte
d'allumettes, un aimant, une grosse paire de ciseaux, une balle en celluloïd,
etc. ; à arrêter, puis à remettre en mouvement le balancier d'une pendule.
Ochorowicz constata la présence d'un fil, comme Bozzano. Dans une circonstance
analogue à celle d'Eusapia, écrit-il, « je n'ai pas réussi à saisir le fil qui
disparut trop tôt, et malgré cela la secousse nerveuse éprouvée par le médium
fut tellement forte, que la contracture douloureuse du bras droit persista plusieurs
minutes. Mais en gardant certaines précautions j'ai pu, dans d'autres occasions
sentir ce fil sur ma main, sur mon visage et sur mes cheveux. Lorsque le médium
écarte ses mains le fil s'amincit et disparaît, et la sensation tactile qu'il
procure ressemble beaucoup au contact d'une toile d'araignée ». Avec le cordon
fluidique de Bozzano et d'Ochorowicz nul besoin assurément d'esprits pour
expliquer les faits d action à distance, la force nerveuse suffit. Néanmoins
regrettons que le fil de Stanislawa Tomczyk, tout comme celui d'Eusapia, n'ait
pas été l'objet d'une étude scientifique, capable de lever les légitimes
suspicions des saints Thomas d'aujourd'hui. La télépathie, par contre, apparaît
comme un fait bien établi ; des milliers de constatations l'étayent. On en
trouve des exemples, dont beaucoup n'éveillent aucun soupçon de fraude, dans
les recueils de Warcollier, Flammarion, Bozzano, Richet, etc., ainsi que dans
les nombreuses revues psychiques et métapsychiques. « En 1872, écrivait à
Wiétrich l'un de ses amis, j'étais attaché à l'administration des télégraphes
de Charleroi. J'eus, une nuit, un rêve où je voyais d'abord un poseur de
télégraphe, agent dont la fonction est de poser et d'entretenir les fils
conducteurs. Immédiatement après, j'eus la vision d'un homme tué. Quand
j'arrivai le lendemain au bureau, j'appris la nouvelle qu'un poseur avait été
tué, dans la nuit, par un train, du côté de la gare de Lodelinsart, localité
voisine de Charleroi. En 1877, où au début de 1879, pendant mon service militaire,
je rêvais que je voyais une jeune fille de ma connaissance. Immédiatement après
j'éprouvais une sensation indéfinissable, mais qui, pour moi, évoquait l'idée
de mort. Au réveil, je fus si impressionné par ce rêve, que j'eus la très
claire impression que j'allais recevoir de fâcheuses nouvelles. Les deux
distributions postales passèrent néanmoins sans m'apporter autre chose qu'un
journal que je lus en entier, y compris les annonces de décès. N'y ayant rien
découvert ayant trait à la mort de cette jeune fille ni même d'une personne de
ma connaissance, je me dis que mes pressentiments étaient trompeurs. Mais voilà
que vers 9 heures du soir arrive un de mes camarades retour de congé, habitant
Courcelles, petite ville du Hainaut ; il m'apportait, de la part de mes
parents, une lettre mortuaire, qui m'annonçait la mort d'une jeune fille voisine
de chez nous, enfant pleine de vie et de santé. Ce n'était pas la jeune fille
de mon rêve, mais elle lui ressemblait comme taille, corpulence et vivacité de
caractère. Particularité curieuse, les deux jeunes filles avaient les mêmes
noms et prénoms. » Sous la signature de Jeanne Jean, nous lisons dans Psychica
: « Une cousine s'était trouvée dans un état d'anémie si inquiétant que
plusieurs médecins l'avaient déclarée atteinte de tuberculose. Je l'avais fait
soigner sérieusement et le mal avait pu être enrayé. Quelques années plus tard,
elle s'était mariée et avait eu une petite fille. Cette enfant avait deux ans
quand j'eus à son sujet un rêve étrange et impressionnant : je voyais la jeune
mère près du lit de son enfant malade ; elle me tendait ensuite un mouchoir en
me suppliant de trouver de l'eau fraîche pour l'y tremper et l'appliquer,
ensuite sur le front brûlant du bébé. Mais j'essayais vainement de la
satisfaire ; je parcourais des lieues et des lieues dans la campagne sans
rencontrer la moindre source, le moindre ruisseau. À tout instant, j'apercevais
une mare, un étang, mais toujours pleins d'une eau si verdâtre, si boueuse et
si fétide que je n'osais y tremper le mouchoir. Et je me réveillais dans un
paroxysme de découragement. Je contai à mes filles ce rêve, d'autant plus
singulier, que je n'avais pas vu ma cousine depuis un an et ne savais rien
d'elle ni de son enfant. Le premier courrier m'apporta le lendemain la lettre
de faire-part du décès de la pauvre petite ; le jour suivant j'assistai à son
enterrement et j'appris qu'elle était morte d'une méningite. Comment ne pas
supposer que la nuit de la mort de sa fille, la maman avait envoyé une pensée
désespérée à la parente qui l'avait sauvée autrefois et que peut-être elle
aurait souhaitée près d'elle ? » Si la transmission télépathique s'opère, de
préférence, pendant le sommeil du sujet récepteur, elle peut aussi avoir lieu à
l'état de veille, en plein jour, et concerner les événements les plus divers de
l'existence, insignifiants ou très graves, peu importe. Fréquemment elle
précède de peu la mort d'une personne aimée ; et, comme elle frappe davantage
alors, l'on en garde un souvenir bien précis. Mais pas plus que la télékinésie,
la télépathie ne requiert la présence d'entités surnaturelles. Comparable à
notre télégraphie sans fil, elle lui reste nettement inférieure par la
difficulté de son maniement et par l'imprécision habituelle des renseignements
transmis. Aussi n'est-il pas probable qu'elle puisse la remplacer de sitôt ;
même lorsqu'on parviendra, comme c'est déjà le cas chez certaines personnes, à
la produire à heure fixe, par un effort intentionnel du cerveau. Chacun
s'aperçoit aujourd'hui que des ondes nerveuses rempliraient avantageusement le
rôle attribué, par nos pères, aux esprits. La lecture de pensée, sa
transmission sans paroles, ni signes visibles, phénomènes qui valurent un si
grand renom à quelques saints catholiques, au curé d'Ars en particulier, n'ont
plus rien d'extraordinaire pour le savant. On sait quelle fut la vogue, durant
plusieurs années, du cumberlandisme ou lecture de pensée, ainsi appelé du nom
de Cumberland le prestidigitateur qui l'avait propagé. On cache un objet, à
l'insu du sujet jouant le rôle de devin, de « percipient ». Une personne, qui
connaît la cachette, imagine fortement l'endroit où se trouve l'objet ; le «
willer » touche la main ou la tempe du sujet qui, généralement, se dirige assez
vite vers le lieu pensé par son conducteur involontaire. On peut varier cet
exercice en choisissant une action à faire, un uméro à trouver, etc., plutôt
qu'un objet à découvrir. « J'ai eu l'occasion, écrit Pierre Janet, d'assister
une fois à une séance de ce genre donnée par un russe, Osip Feldmann, qui a eu,
il y a quelques années, une assez grande réputation comme émule de Cumberland.
Quoique des séances de ce genre, surtout lorsqu'elles sont publiques, laissent
toujours quelque doute et ne puissent pas être rapportées avec autant de confiance
que des expériences personnelles, je crois que, dans ce cas, les mesures de
précaution contre des supercheries possibles étaient assez bien prises. Dans
cette séance de « mentévisme », comme il disait, Osip Feldmann arrivait, non
pas toujours, mais assez souvent, à exécuter l'acte auquel on pensait en lui
serrant fortement le poignet. Il réussissait mieux les expériences compliquées
que les plus simples, celles qui comportaient beaucoup de mouvements que celles
qui devaient être faites sur place. Il réussissait également mieux avec
certaines personnes qu'avec d'autres ; ainsi j'essayai en vain de le diriger,
il ne comprit rien à ce que je pensai, tandis qu'il comprenait très bien
plusieurs de mes amis. Il parvenait même à comprendre une personne qui ne le
touchait pas, mais se contentait de le suivre partout en restant à un mètre de
distance : cette expérience est déjà décrite en Angleterre. Mais voici un tour
de force de ce genre que je n'ai vu rapporté nulle part. Au lieu de se faire
tenir directement par la personne qui avait choisi l'action à accomplir et qui
jouait le rôle de « willer », il interposait entre elle et lui une troisième
personne totalement ignorante de ce qu'il y avait à faire et dont le rôle
consistait uniquement à tenir d'un côté le poignet du devin et de l'autre la
main du willer sans penser elle-même à rien de précis. J'ai vu cette expérience
curieuse réussir avec beaucoup de précision. » Et Pierre Janet expliquait la
lecture de pensée, grâce à l'existence de mouvements accomplis par les sujets
sans qu'ils le sachent et sans qu'ils le veuillent. C'est dans l'automatisme
psychologique, dans l'activité mentale inconsciente, nullement dans une
révélation divine, que réside le secret de la transmission des idées, pensait
de même le docteur Grasset, un catholique pourtant. Il fait remarquer, à la
suite de Pierre Janet, « que l'expérience réussit d'autant mieux que le sujet à
mouvements inconscients est naturellement dans un état plus voisin de la
désagrégation psychique (de la misère psychologique), comme l'est par exemple
un hystérique anesthésique ». De plus il a rencontré des sujets qui, dans
l'état d'hypnose, se souvenaient des mouvements qu'ils avaient accomplis,
inconsciemment, à l'occasion de la lecture de pensée. À cette conception, qui
reste vraie, dans une large mesure, il convient, lorsqu'il s'agit d'une
transmission opérée sans contact, de surajouter ce que nous avons dit touchant
les faits télépathiques. Pas plus les anges que les démons n'ont, certes,
besoin d'intervenir ; un homme instruit qui lira Kephren avec intérêt, ne
pourra que sourire en parcourant les divagations théologiques de M. de
Mirville, il y a moins d'un demi-siècle encore si estimées des croyants.
Baguette divinatoire et pendule explorateur ont perdu pareillement leur vieux
caractère diabolique. La première est une baguette de coudrier en forme de
fourche ; le devin prend ses deux branches, une dans chaque main et s'avance
sur le terrain qu'il doit explorer. Il ne bouge pas volontairement les bras,
mais si la baguette oscille et s'incline malgré lui, c'est que la source ou le
trésor cherché gît là. Le pendule explorateur, qui remplace fréquemment
aujourd'hui l'antique baguette divinatoire, se compose essentiellement d'un
corps lourd, un anneau par exemple, suspendu au bout d'un fil. On tient
l'extrémité du fil au-dessus d'un récipient, verre, boîte, cuvette, etc. ; et
la réponse aux questions posées se traduit par les battements du corps lourd
contre la paroi du récipient. Chevreul a établi que les déplacements du pendule
explorateur résultent des mouvements, involontaires et inconscients, de la
personne qui tient le fil dans ses doigts. Imagine-t-elle que le pendule doit
osciller dans un sens, frapper tant de coups, il obéit fidèlement, mû par une
agitation imperceptible du bras, que l'on est parvenu à mettre en évidence ; se
le représente-t[1]elle
immobile, il s'arrête parce que tout mouvement musculaire s'évanouit. Simples
manifestations de cette loi bien connue : l'idée, qui est une force, tend à se
réaliser et se réalise en fait lorsqu'elle n'est pas contredite par des
représentations contraires. Cette explication vaut encore, lorsqu'il s'agit de
la baguette divinatoire qui tourne grâce aux mouvements inconscients du
sourcier. Maintenant nous ne dirons pas, comme Sollas et Edw. Pease : « Tout
dépend de la perspicacité du devin et la baguette n'y est pour rien ». Nous ne
croyons pas le problème définitivement tranché. Il est possible que des
radiations spéciales, décelant la présence d'eau ou de métaux enfouis dans le
sol, soient perçues plus ou moins consciemment par les personnes capables de
faire tourner la baguette. Peut-être s'agit-il, comme plusieurs le pensent,
d'un courant électrique ordinaire. Peut-être l'unique cause des réussites
obtenues serait-elle l'aptitude du devin à découvrir, inconsciemment, la vraie
nature des terrains qu'il explore, comme les psychologues, de la fin du dernier
siècle l'admettaient d'ordinaire. Mais une chose est désormais certaine c'est
que nul esprit n'intervient lorsque se meut soit la baguette soit le pendule.
Pas plus que n'interviennent les trépassés, lorsque les tables tournent et
répondent dans les séances que les spirites organisent. Elles tournent et
répondent, sans jonglerie ni tromperie, mais ce sont les assistants, dont les
mains s'appuient sur elles, qui, involontairement, inconsciemment, les meuvent
et les poussent. Chevreul, Pierre Janet, le docteur Grasset et d'autres
chercheurs consciencieux l'ont prouvé définitivement. La seule intelligence qui
intervienne dans les réponses, c'est celle, souvent très bornée, des
assistants. Comment les spirites ne s'aperçoivent-ils pas que les élucubrations
reçues de l'au-delà sont en général d'une sottise déconcertante. « Corneille,
quand il parle par la main des médiums, ne fait que des vers de mirliton, et
Bossuet signe des sermons dont un curé de village ne voudrait pas pour son
prône. » De plus, ces messages reflètent, avec fidélité, les doctrines et les
tendances chères aux assistants ; aussi les tables se comportent-elles de façon
très différente en pays catholique et en pays protestant. « Chez des
catholiques, écrit Pierre Janet, l'abbé Bautain voit une corbeille se tordre
comme un serpent et s'enfuir devant le livre des Évangiles qu'on lui présente,
demander des prières et des indulgences. Chez des protestants, les tables n'ont
plus peur de l'eau bénite, n'ont plus de respect pour les scapulaires et annoncent
avant dix ans la chute de la papauté... Chez ceux qui croient à l'ancienne
magie noire, les esprits obéissent aux formules magiques et tremblent devant
les triangles sacrés. » Et les même divergences, produites par des causes
identiques, se retrouvent, lorsqu'on utilise l'écriture automatique ou l'un
quelconque des autres moyens dont nous disposons, pour converser familièrement
avec de prétendus trépassés. Tant il est vrai que les messages d'outre-tombe
émanent des vivants, non des morts. Peut-être certains individus sont-ils doués
de sens que ne possèdent pas les hommes ordinaires. D'où l'allure merveilleuse
de phénomènes pourtant très naturels. Au milieu de gens privés d'odorat il
passerait pour un sorcier incomparable, celui qui n'aurait qu'à flairer pour
savoir qu'ici furent des violettes, là des fromages, qu'une fuite de gaz rend
un péril imminent, qu'un cadavre est caché, depuis plusieurs jours, dans telle
caisse ou tel appartement. Au dire des métapsychistes sérieux bien des faits
étranges s'expliqueraient, de la sorte, par l'existence de perceptions
inconnues du grand nombre ; ce sont elles qui permettraient à quelques devins
de nous renseigner sur les possesseurs successifs des objets que l'on dépose
entre leurs mains. Les prémonitions d'événements prochains auraient même
origine. Il est vrai que, dans ce domaine, les chercheurs gardent une réserve
prudente. « La préconnaissance de l'avenir en général est tout au moins
extrêmement rare et, si l'on veut, problématique », écrit le docteur Osty dans
Les Miracles de la Volonté. On a remarqué que certaines prémonitions ne
requéraient pas la connaissance de faits vraiment imprévisibles. Témoin ce
récit extrait du livre de Flammarion : La mort et son mystère. « La narration
suivante, écrit l'auteur, m'a été adressée de Biarritz le 9 juillet 1917, en
réponse au désir que j'avais manifesté à Mme Storins Castelet, mon érudite collègue
de la Société astronomique de France, qui m'avait raconté le rêve, d'en
recevoir directement le récit par l'observatrice. C'est la vue, trois jours à
l'avance, d'une mort subite. « ... Malgré toute la tristesse qu'une telle
communication puisse réveiller en moi, je peux vous affirmer que la mort de mon
fils Jean me fut annoncée le jeudi qui précéda le dimanche où mon cher enfant,
alors à l'étranger avec son frère Louis, nous quitta pour toujours. Ce rêve
très simple le voici : Je voyais dans une maison inconnue mon fils Louis, en
larmes ; et comme je lui demandais la raison de son chagrin, il me répondit : «
Oh ! maman, Jean est mort !... » Mon cher enfant avait dix-neuf ans, une santé
superbe, et rien ne pouvait faire pressentir une fin si foudroyante... Une
embolie, pendant une tranquille promenade à bicyclette, en compagnie de son
frère et d'un oncle. Longtemps après, je sus que le jeudi où j'eus l'affreux
pressentiment, mon enfant avait eu une syncope provoquée par une coupure au
doigt : coïncidence étrange ! » À propos de ce cas, remarquons qu'une embolie
peut résulter d'un traumatisme même sans gravité ; et la blessure dut être
assez grave puisque le jeune homme tomba en syncope. Par ailleurs la mère,
alertée lors de l'accident, ne l'a pas été au moment de la mort. Ne serait-ce
pas que l'inconscient soit du blessé, soit de son frère, pronostiqua les
fâcheuses conséquences que cette lésion provoquerait. Dès lors nous serions en
face d'un fait télépathique, non d'une prophétie véritable. Dans d'autres cas,
et fort nombreux, c'est la coïncidence qui fait croire à l'existence de la
prédiction. Combien de femmes rêvent que leur mari, que leurs enfants sont
morts ; mais elles oublient leurs visions lorsqu'elles sont démenties par les
faits et ne gardent le souvenir que de celles qu'un hasard réalisera ; une sur
mille ou dix mille peut-être. « Quand pour justifier la réalisation d'une
prophétie, écrit Delage dans Le Rêve, le savant invoque la coïncidence, on est
tenté, en général, de voir là une échappatoire. Or cela est parfaitement
inexact. La coïncidence a ses droits au même titre que dans toute la science
physique ou naturelle. Rien n'est plus injustifié que l'opinion courante
d'après laquelle invoquer la coïncidence fortuite, est faire appel à
l'arbitraire, à une cause verbale, à une mauvaise raison mise en avant faute de
mieux. Les droits du hasard peuvent être calculés avec une précision qui
devient très nette quand on opère sur un nombre de cas suffisamment élevé et le
calcul des probabilités donne le moyen de l'exprimer en chiffre. » Pour un
individu qui aura rêvé les nombres exacts devant sortir dans une loterie, des
milliers d'autres seront tombés dans l'erreur en croyant aux chiffres que des
songes leur avaient prédits. Seulement le premier racontera partout sa bonne
fortune, alors que les autres tiendront secrets leurs déboires ; grâce au
hasard, une prophétie authentique s'ajoutera à la liste de celles que les
métapsychistes connaissaient déjà. Sans peine nous admettons, d'ailleurs, la
prévisibilité des choses déjà existantes, au moins dans leurs causes cachées.
Fréquemment la mort pourrait être annoncée à l'avance par un médecin
expérimenté, et cela malgré les apparences d'une robuste santé. Pourquoi
l'inconscient de certaines personnes ne jouerait-il pas le rôle de médecin ? Et
nous pourrions faire des remarques identiques touchant les événements
politiques, les crises économiques, etc., virtuellement réalisés dans leurs
antécédents. L'insuccès qu'éprouvent, à tour de rôle, les prophètes les plus
huppés, dès qu'il s'agit de fixer l'avenir au delà de quelques semaines ou de
quelques mois, prouve qu'ils ne participent en rien à la prescience divine dont
parlent les prêtres et les métaphysiciens. Bien d'autres phénomènes
métapsychiques mériteraient de retenir notre attention. Leur étude nous
entraînerait trop loin ; nous devons nous limiter. Quels qu'ils soient,
d'ailleurs, des plus complexes aux plus simples, il appert dès aujourd'hui
qu'ils n'ont rien de surnaturel, rien qui relève de volontés extraterrestres.
Loin d'établir de façon scientifique l'existence de l'au-delà, les expériences
métapsychiques aboutissent à l'effondrement des espoirs qu'avaient mis en elles
les penseurs spiritualistes. –
L. BARBEDETTE.
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