Pour parfaire l’hypocrisie de la chose et lui donner la touche finale du bon artisan, on charge la « Commission de surveillance » d’éplucher ligne à ligne toute la presse et de signaler à Monsieur le Ministre sur quels voyous il doit faire tomber son gourdin. Commission-alibi, commission-croupion. Composée massivement de représentants des organisations de parents, des mouvements dits « de jeunesse », tout ça puant la sacristie et le vieux boy-scout, ajoutez deux ou trois épaves édentées du journalisme trempées dans le même bénitier et, tout de même, un magistrat puisque cette commission est placée sous l’égide de la Justice. Oh, toutes gens de bonne foi ! Et se croyant sincèrement chargés par le Ciel de purifier la presse française et de protéger l’âme de nos chers petits ! En fait, les furieux coups de crayon rouge dont ils zèbrent les pages d’Ici-Paris, de Lui, de France-Dimanche et des autres puissances, les rapports indignés dont ils accablent l’Intérieur, tout ça n’aboutit à rien, on s’en serait douté. De loin en loin, pour leur entretenir le moral et les faire se sentir exister, le ministre leur donne une joie : sur leurs avis, il frappe un bouquin un peu léger sorti de chez Pauvert, de chez Losfeld ou de chez Régine Deforges[41] , chose navrante, moins terrible cependant que l’interdiction d’un journal puisque celleci, s’appliquant à tous les exemplaires parus ou à paraître, est la mort pure et simple de l’entreprise. Et voilà. Tout ce travail, tout ce talent, cette terrible année de crevage, de fièvre, d’enthousiasme et de trouille, tout ça balayé d’un coup, jeté en pâture à des ratichons rancis par un fonctionnaire qui a besoin de les ménager ! C’est pas à chialer ? Ces pisse-vinaigre qui nous condamnent au nom du bon goût ! Ces serrefesses, ces crasseux de l’âme, ces constipés, ces hernieux, ces boutonneux, ces cons boursouflés, ces gueules de carton, ces malfaisants, ces veaux, qui décident superbement qu’un Topor est « malsain », un Fred « morbide », un Gébé «absurde ». et tout le paquet « dangereux pour la jeunesse » ! Eh, qu’ils la surveillent donc, leur « jeunesse » ! Leur triste marmaille conçue je ne sais comment, mais à coup sûr sans frénésie, sans pâmoisons et même, si ça se trouve, sans coups de queue ! Qu’ils les surveillent donc, leurs futurs Saint-Cyriens, leurs têtards de technocrates, leurs séminaristes à branlouilles furtives, qu’ils les cloîtrent, qu’ils les châtrent, qu’ils leur boulonnent des caleçons blindés en acier au tungstène, qu’ils leur rivent des lunettes de fonte sur les œils, qu’ils leur découpent au chalumeau le lobe fornicatoire du cerveau et le jettent au chat, car quand on ne pense qu’à ça, tout vous ramène à ça, et comment ne pas penser à ça puisque nous sommes faits pour ça ? Même les saint-sulpiciennes Saintes Vierges des images de communion sont un rappel de la Femme, de la seule, de la vraie : avec du poil autour. Ô combien de gamins, combien de catéchumènes, se sont branlés, joyeux, sur toi, Mère souveraine ?… Nous reprocher d’être vulgaires ! Les beaux experts en vulgarité que voilà ! Il n’y a qu’une vulgarité : la connerie. La triomphale, l’universelle connerie… Qu’ils les tiennent donc en laisse, leurs précieux, leurs fragiles moutards, mais qu’ils n’emmerdent pas les adultes ! Nous avions une ou deux fois prononcé le mot « censure ». « Censure ? » avait sursauté Monsieur Pollin. « Censure ? » s’était étranglé Monsieur Paretty. « Censure ? Où allez-vous chercher cela ? Il n’y a pas de censure en France, Dieu merci ! Absolument aucune ! » Nous n’avions sans doute pas l’air tellement convaincu. Il nous fut alors expliqué :
—La censure consisterait à vous empêcher de publier telle ou telle chose, ou bien à vous interdire de paraître, ou bien à vous soumettre à l’examen préalable de l’Autorité. Or, tout au contraire, nous sommes là pour vous aider. Vous imprimez ce que vous voulez, vous le mettez en vente, personne ne vous en empêche. Simplement, pour vous éviter de tomber sous l’œil des enfants, à qui, vous en conviendrez volontiers, votre publication n’est pas spécialement destinée, nous vous facilitons la tâche. L’interdiction à l’affichage est une mesure prise dans votre propre intérêt. Ben, voyons ! Et aussi ses accessoires : interdiction de distribution, etc. ? Mieux valait fermer sa gueule. Ce que nous fîmes.
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