– De tout ce qui précède, il
s'ensuit que nul n'est qualifié comme la mère pour être la première éducatrice
de l'enfant, l'initiatrice à la vie, à ses nécessités et à ses lois. Cette
première éducation, toute de douceur et de patience, demande comme condition
essentielle la compréhension et la tendresse. Or, la mère a appris à connaître
son enfant dès que la vie s'est manifestée en lui. Elle sait distinguer dans
ses cris, la joie, le besoin, la souffrance. Dans ses premiers essais de
langage, elle devine l'esquisse des mots, elle en aide l'articulation en les
lui répétant inlassablement. Ensuite, elle lui apprendra à assembler les mots
pour en faire des phrases. Elle lui révèle les vérités élémentaires : le feu
brûle, la lumière éclaire, le couteau coupe, l'eau mouille, la boue salit. Elle
lui apprend les premières prudences pour éviter les accidents ; l'acceptation
des choses inévitables ; l'accoutumance à l'effort. Elle le console de ses
échecs, l'invite à la persévérance. Elle l'initie à l'endurance et au stoïcisme
en le faisant sourire après une douleur : « Allons, n'y pense plus », dit-elle
en lui donnant un baiser. Tout cela peut paraître mesquin à qui regarde
superficiellement ; tout cela, pourtant, c'est l'apprentissage de la vie, et la
formation du caractère. Et ce n'est pas, ainsi qu'on a pu le prétendre, une
œuvre niaise et abêtissante. Au contraire, c'est une œuvre qui réclame toutes
les vertus et tous les dévouements ; une œuvre où la sensibilité joue le rôle
essentiel. Des mercenaires en seront toujours incapables. Et quelle mercenaire
voudrait accepter pareille tâche, fastidieuse si l'amour ne l'éclaire pas ?
Jamais une étrangère ne remplacera la mère, à quelques exceptions près. Socialiser
la maternité est chose impossible. L'éducation première réclame une présence,
toujours la même, une vigilance inlassable, ne se mesurant ni à l'heure, ni à
la journée. L'œuvre maternelle ne peut ni se chronométrer, ni se tarifer. Et
réjouissons-nous qu'il en soit ainsi, dans cette folie de standardisation qui
sévit aujourd'hui. Si la mère, ai-je dit, est la dispensatrice du bonheur
humain, n'est-ce pas parce qu'elle en fait l'apprentissage en donnant à son
enfant la science du bonheur ? Elle la lui donne par sa présence, par sa gaîté,
par ses caresses, par les chansons qu'elle lui chante, par les promenades où
elle lui fait observer le vol des papillons et la beauté des fleurs, par la
quiétude dont elle l'entoure. Elle la lui donne en apaisant ses colères et ses
inquiétudes, en lui enseignant à dominer ses petites passions. Elle la lui
donne par ces premières initiations que j'énumérais tout à l'heure. Elle lui
enseigne la grâce de vivre, lui apprend à être heureux, ce qui est peut-être la
science la plus difficile à enseigner, et pourtant celle dont l'humanité a le
plus besoin. Cet enseignement commence avec la vie. L'enfant qui n'a pas connu
le bonheur dans ses premiers ans, conservera toujours une ombre sur son
caractère, une inquiétude dans sa pensée, nuisibles à son développement. La
confiance et la générosité pourront, de ce fait, lui faire défaut. Cette
éducation de la mère n'est ni didactique, ni livresque. C'est une éducation
faite de gestes et d'échange de tendresse, inspirée par l'heure et les
circonstances. Dans cet échange, la mère, à son tour, puise des ressources
nouvelles d'amour, de patience, de compréhension de la vie. Elle se pacifie,
s'élève à la sérénité, acquiert une philosophie naturelle où le bon sens
s'alimente à la source sensible qu'elle porte en elle, et qui, si souvent, lui
fait voir juste et raisonner sainement. La mère n'a pas à donner l'éducation
intellectuelle. Elle peut y aider, à la maison, si l'enfant fait appel à ses
connaissances, demande un renseignement, un éclaircissement. Mais l'instruction
proprement dite devra être donnée en dehors. Je l'ai maintes fois répété : il
faut, à l'éducation rationnelle de l'enfant, la coopération du foyer et de
l'école. « L'idéal éducatif, ai-je dit, c'est l'enfant élevé dans sa famille,
par ses parents, près de ses frères et sœurs, avec comme point de contact
social l'école en commun plusieurs heures par jour en compagnie d'enfants de
son âge ». Je ne puis que le redire encore. L'école donne l'enseignement ; la
famille développe le sens moral. Mais l'éducation morale doit avoir précédé
tout enseignement, et la première éducation maternelle est essentiellement
morale, non pas par des préceptes, mais par l'exemple, et par l'ambiance qui
enveloppe l'enfant. C'est pourquoi l'école ne devra pas commencer trop tôt ;
mais seulement vers la sixième année. Le caractère, alors, étant formé, la
société des autres enfants deviendra nécessaire à l'enfant pour lui permettre
d'acquérir les qualités de sociabilité, d'endurance, de tolérance, d'urbanité,
qui lui seront indispensables pour la conduite de sa vie. L'enfant qui serait
exclusivement instruit dans sa famille deviendrait un tyran, à tout le moins un
incapable de vie sociale. Mais, près de l'école où il puise les notions
d'égalité civique et de fraternité humaine, le foyer restera le refuge toujours
ouvert où il retrouvera la paix, le bonheur, la tendresse, et cette liberté
individuelle dont chacun a besoin ; le foyer où la mère fera rayonner la
bienfaisante influence de sa douceur, accrue et augmentée par l'expérience
qu'elle-même aura acquise pendant l'accomplissement de sa tâche maternelle. On
prétendra peut-être que j'ai donné là une définition de la mère idéale. Sans
doute. Mais toute mère peut et doit réaliser cet idéal. Il lui suffit
d'apprendre et de comprendre la grandeur de sa tâche, sa vraie tâche, celle que
lui assignent la nature et la vie. Je ne prétends pas qu'elle ne puisse pas en
remplir d'autres ; mais les autres tâches peuvent se passer d'elle, alors
qu'elle est irremplaçable dans sa mission maternelle. Il faut qu'elle sache
qu'en la désertant, c'est l'humanité qu'elle voue à la misère morale. Les Mères
et la Paix, l'Universelle Maternité. – Puisque la mission maternelle est une
mission d'amour, il faut que les mères comprennent qu'elles ont à remplir un
devoir auquel jusqu'à présent elles ont insuffisamment songé. Il faut qu'elles
deviennent des éducatrices de paix. Cette science du bonheur qu'elles donnent à
leurs enfants, il faut qu'elle soit orientée vers le bonheur universel. Cette
paix des gestes, du langage, de la vie familiale, il faut qu'elle contribue à
former chez l'enfant un esprit pacifique. La mère, qui a d'abord aimé son
enfant égoïstement, a appris à l'aimer pour lui-même, en acceptant les ruptures
naturelles, les séparations imposées par la vie. Mais, en l'aimant assez pour
le voir libre et éloigné d'elle, elle ne l'entoure pas moins d'un amour
exclusif. Elle veut son bonheur sans songer aux conditions mêmes de ce bonheur.
Il faut qu'elle fasse un pas de plus sur ce chemin de l'altruisme. Il faut que
sa maternité s'élève au principe d'universalité ; il faut qu'elle veuille non
seulement le bonheur des siens, mais encore le bonheur de tous. Ce principe
d'universalité, elle le trouvera dans l'amour de son enfant, si elle songe
qu'elle-même n'est qu'une fraction de l'Universelle maternité, et que l'amour
qui l'anime est celui de toutes les mères. Quand les mères auront compris cela,
elles seront des éducatrices splendides, car elles auront également compris
qu'en élevant leurs enfants dans le souci des autres, elles augmentent pour
eux-mêmes les chances de bonheur. Elles auront compris que le bonheur d'un seul
n'est pas possible dans une humanité rongée par l'orgueil et l'égoïsme. La
guerre, épouvantail des mères, serait impossible demain, si ce principe de
maternité universelle était reconnu, si les mères savaient étendre l'amour
qu'elles ont pour leurs fils à tous les fils, si elles se sentaient vraiment
les « mères de tous les hommes ». *** La Mère dans la société et devant la loi.
– L'importance du rôle maternel n'est pas une vérité nouvelle. Les penseurs de
tous les temps ont honoré la maternité. Dans tous les pays et à toutes les
époques le rôle de la mère a été particulièrement respecté. Les premières
civilisations scandinave et germanique admettaient la mère dans leurs
assemblées, tenaient compte de ses conseils, et dans les circonstances graves –
particulièrement en ce qui touchait la famille – s'en remettaient à son
jugement. Dans l'Inde, la mère prenait le titre de djajaté, « celle qui fait
renaître ». Chez les Juifs, la maternité conférait à l'épouse des droits particuliers.
En Grèce, l'épouse était soumise à la même réclusion que la vierge tant qu'elle
n'avait pas enfanté. À Rome, la maternité donnait à l'épouse le droit
d'hériter, non seulement de son mari, mais encore d'un étranger. Les sénateurs
romains se découvraient devant la femme enceinte. L'antique Égypte divinisait
la mère. Les exemples abondent. Et on a pu être frappé, à juste titre, de la
contradiction qui, existait entre ce respect de la maternité et la sujétion dans
laquelle les mères étaient légalement tenues. Libres par leurs enfants, elles
n'avaient le droit ni de les élever, ni de les diriger, ni de les marier.
Cette, ancienne législation se retrouve encore aujourd'hui dans notre loi
française. Le Code assimile la mère aux mineurs, aux repris de justice et aux
fous. La maternité, cette plus haute fonction humaine puisqu'elle est
créatrice, cette première fonction sociale puisqu'elle est la base de la
société, la maternité est ravalée au rang de la servitude par l'obligation
faite à l'épouse d'obéir à son mari. Or, la noblesse même de la maternité est
atteinte par cette obligation de servitude. Qu'il n'en soit pas tenu compte
dans les unions heureuses, c'est exact ; mais il n'en est pas moins vrai que la
loi qui consacre cette servitude existe, et que tant qu'elle ne sera pas
abrogée, elle blessera la dignité de la mère. La maternité ne doit pas
seulement être libre dans l'accomplissement de l'acte, elle doit encore
conférer à la mère la liberté légale et sociale. Si la mère est la protectrice
et l'éducatrice naturelle de l'enfant, celle qui le comprend le mieux, celle
dont l'amour constitue la sauvegarde des jeunes générations, on ne peut pas
admettre qu'elle soit maintenue légalement dans une situation humiliante pour
sa fonction d'éducatrice. Il faut à l'enfant, tant que la raison ne peut pas
encore lui permettre de diriger sa vie, des protecteurs naturels. Notre Code le
reconnaît ainsi : « L'enfant reste, jusqu'à sa majorité ou son émancipation,
sous l'autorité de son père ou de sa mère ». Ce serait bien si le Code ne
s'empressait d'ajouter ; « Le père exerce seul cette autorité ». C'est là une
injustice flagrante. Sans que l'autorité soit exclusivement accordée à la mère
(comme certains le demandent) puisque la responsabilité du père lui confère à
lui aussi des droits, il serait pour le moins équitable que la loi établît
l'égalité des droits du père et de la mère pour la tutelle et la direction des
enfants. Actuellement, une mère ne peut pas autoriser sa fille à s'inscrire aux
examens du baccalauréat ; elle ne peut pas l'autoriser à contracter un mariage
que son cœur désire. Le père peut être violent, despote, alcoolique, malade,
c'est lui qui détient tous les droits. Même disparu (si sa mort n'est pas
enregistrée) il exerce encore son autorité. On peut être surpris qu'à notre
époque il faille encore insister sur ce qu'une telle législation conserve de
barbarie et de caducité. La mère, si justement appelée la gardienne du foyer,
devrait avoir sa place marquée dans les institutions sociales où ses qualités
particulières l'appellent. Pour tout ce qui touche l'éducation, la protection
de l'enfance abandonnée, les œuvres de solidarité, la cause de la paix, les
tâches de réconciliation humaine, son concours serait précieux, parce qu'elle y
apporterait ces dons de clairvoyance et de sensibilité que la maternité lui
confère. Le machinisme est l'ennemi de la mère parce qu'il lui fait perdre ces
qualités essentielles de sa nature. Mais il n'en est plus de même en ce qui
concerne les fonctions sociales. Une femme qui a été mère et éducatrice est
devenue de ce fait un individu évolué, en pleine possession de toutes ses
facultés. Quand sa tâche maternelle ne la réclame plus, la vie active de la
femme est loin d'être terminée. C'est alors qu'elle deviendra, dans la société
et la coopération humaine, une collaboratrice précieuse, mère encore, mère
toujours, en apportant à la communauté les vertus qui firent d'elle la
providence familiale. –
Madeleine VERNET Voir aussi
maternité, paternité (sentiment paternel), paix (point de vue éducatif et
moral), etc.
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