LA SYNTHÈSE ANARCHISTE
Sébastien FAURE 1928
Les
trois grands courants anarchistes:
En France, comme dans la
plupart des autres pays, on distingue trois grands courants anarchistes, qu'on
peut désigner ainsi: l'anarcho-syndicalisme; le communisme-libertaire;
l'individualisme-anarchiste.
Il était naturel et fatal que,
parvenue à un certain développement, une idée aussi vaste que l'anarchisme
aboutît à cette triple manifestation de vie.
Un mouvement philosophique et
social, c'est-à-dire d'idée et d'action, se proposant de faire table rase de
toutes les institutions autoritaires, devait nécessairement donner naissance à
ces distinctions que déterminent obligatoirement la variété des situations, des
milieux et des tempéraments, la diversité des sources auxquelles s'alimentent
les innombrables formations individuelles et la prodigieuse multiplicité des
événements.
Anarcho-syndicalisme;
communisme-libertaire; individualisme-anarchiste, ces trois courants exis[1]tent
et rien ni personne ne peut empêcher qu'ils soient. Chacun d'eux représente une
force, une force qu'il n'est ni possible ni souhaitable d'abattre. Pour s'en
convaincre, il suffit de se situer - en anarchiste tout court et uniquement -
au cœur même du gigantesque effort à accomplir pour ruiner le principe
d'autorité. Alors, on a conscience de l'appoint indispensable que, dans le
combat à livrer, chacun de ces trois courants fournit.
Ces
trois courants sont distincts mais ils ne s'opposent pas.
J'ai, maintenant, trois
questions à poser:
La première va des
anarcho-syndicalistes aux communistes-libertaires et aux individualistes[1]anarchistes
;
La deuxième va des
communistes-libertaires aux anarcho-syndicalistes et aux individualistes[1]anarchistes;
La troisième va des
individualistes-anarchistes aux anarcho-syndicalistes et aux communistes[1]libertaires.
Voici la première:
«Considéré
comme mouvement social et action populaire, l'anarchisme, s'il envisage l'heure
où, fatalement, il livrera au monde capitaliste et autoritaire l'assaut décisif
que nous exprimons par ce mot: la Révolution sociale, l'anarchisme peut-il se
passer du concours des masses imposantes que groupent dans leur sein, sur le
terrain de travail, les organisations syndicales?».
Je pense que ce serait folie
que d'espérer la victoire sans la participation au bouleversement libérateur -
participation active, efficiente, brutale et persistante - de ces masses
laborieuses, plus intéressées en bloc que qui que ce soit à la transformation
sociale.
Je ne dis pas et je ne pense
pas que, en prévision de la collaboration nécessaire, en période de
fermentation et d'action révolutionnaires, des forces syndicalistes et des
forces anarchistes, les unes et les autres doivent, d'ores et déjà, s'unir,
s'associer, se confondre, ne former qu'un tout homogène et compact. Mais je
pense et je dis, avec mon vieil ami Malatesta:
«Les
anarchistes doivent reconnaître l'utilité et l'importance du mouvement
syndical, ils doivent en favoriser le développement et en faire un des leviers
de leur action, s'efforçant de faire aboutir la coopération du syndicalisme et
des autres forces de progrès à une révolution sociale qui comporte la
suppression des classes, la liberté totale, l'égalité, la paix et la solidarité
entre tous les êtres humains. Mais ce serait une illusion funeste que de
croire, comme beaucoup le font, que le mouvement ouvrier aboutira de lui-même,
en vertu de sa nature même, à une telle révolution. Bien au contraire: dans
tous les mouvements fondés sur des intérêts matériels et immédiats (et l'on ne
peut établir sur d'autres fondements un vaste mouvement ouvrier), il faut le
ferment, la poussée, l'œuvre concertée des hommes d'idées qui combattent et se
sacrifient en vue d'un idéal à venir. Sans ce levier, tout mouvement tend
fatalement à s'adapter aux circonstances, il engendre l'esprit conservateur, la
crainte des changements chez ceux qui réussissent à obtenir des conditions
meilleures. Souvent de nouvelles classes privilégiées sont créées, qui s'efforcent
de faire supporter, de consolider l'état de choses que l'on voudrait abattre.
D'où la pressante nécessité d'organisations proprement anarchistes qui, à
l'intérieur comme en de[1]hors des syndicats, luttent pour
l'intégrale réalisation de l'anarchisme et cherchent à stériliser tous les
germes de corruption et de réaction».
On le voit: il ne s'agit pas
plus de lier organiquement le mouvement anarchiste au mouvement syndicaliste
que le syndicalisme à l'anarchisme; il n'est question que d'agir, à l'intérieur
comme en dehors des syndicats, pour l'intégrale réalisation de l'idéal
anarchiste.
Et je demande aux
communistes-libertaires et aux individualistes-anarchistes quelles raisons de
principe ou de fait, raisons essentielles, fondamentales, ils peuvent opposer à
un anarcho-syndicalisme ainsi conçu et pratiqué?
Voici la deuxième question:
«
Ennemi irréductible de l'exploitation de l'homme par l'homme, engendrée par le
régime capitaliste et de la domination de l'homme sur l'homme, enfantée par
l'Etat, l'anarchisme peut-il concevoir la suppression effective et totale de la
première sans la suppression du régime capitaliste et la mise en commun (le
communisme-libertaire) des moyens de production, de transport et d'échange? Et
peut-il concevoir l'abolition effective et totale de la seconde sans
l'abolition définitive de l'Etat et de toutes les institutions qui en
découlent?».
Et je demande aux
anarcho-syndicalistes et aux individualistes-anarchistes (1) quelles raisons de
principe ou de fait, raisons essentielles, fondamentales, ils peuvent opposer à
un communisme-libertaire ainsi conçu et pratiqué?
Voici la troisième et dernière
question:
«
L'anarchisme étant, d'une part, l'expression la plus haute et la plus nette de
la réaction de l'individu contre l'oppression politique, économique et morale
que font peser sur lui toutes les institutions autoritaires et, d'autre part,
l'affirmation la plus ferme et la plus précise du droit de tout individu à son
épanouissement intégral par la satisfaction de ses besoins dans tous les
domaines, l'anarchisme peut-il concevoir la réalisation effective et totale de
cette réaction et de cette affirmation par un moyen meilleur que celui d'une
culture individuelle poussée le plus possible dans le sens d'une transformation
sociale, brisant tous les rouages de contrainte et de répression».
Et je demande aux
anarcho-syndicalistes et aux communistes-liber-taires, quelles raisons de
principe ou de fait, raisons essentielles, fondamentales, ils peuvent opposer à
un individualisme-anarchiste ainsi conçu et pratiqué?
Ces
trois courants sont appelés à se combiner : la synthèse anarchiste.
De tout ce qui précède, et,
notamment, des trois questions ci-dessus, il résulte:
1- que
ces trois courants: anarcho-syndicalisme, communisme-libertaire et
individualisme-anarchiste, courants distincts, mais non contradictoires, n'ont
rien qui les rend inconciliables, rien qui les oppose essentiellement,
fondamentalement, rien qui proclame leur incompatibilité, rien qui les empêche
de vivre en bonne intelligence, voire de se concerter en vue d'une propagande
et d'une action communes;
2- que
l'existence de ces trois courants non seulement ne saurait, en aucune façon et
à aucun degré, nuire à la force totale de l'anarchisme: mouvement philosophique
et social envisagé, comme il convient, dans toute son ampleur, mais encore peut
et, logiquement, doit contribuer à la force d'ensemble de l'anarchisme;
3- que
chacun de ces courants a sa place marquée, son rôle, sa mission au sein du
mouvement social large et profond qui, sous le nom de «l'Anarchisme», a pour
but l'instauration d'un milieu social qui assurera à tous et à chacun le
maximum de bien-être et de liberté;
4- que,
dans ces conditions, l'anarchisme peut être assimilé à ce que, en chimie, on
appelle un corps composé, c'est-à-dire un corps formé par la combinaison de
plusieurs éléments.
Ce
corps composé est constitué par la combinaison de ces trois éléments :
l'anarcho-syndicalisme, le communisme-libertaire et
l'individualisme-anarchiste.
Sa
formule chimique pourrait être S.2 C.2 I.2.
Selon
les événements, les milieux, les sources multiples d'où jaillissent les
courants qui composent l'anarchisme, le dosage des trois éléments est appelé à
varier. A l'analyse, l'expérimentation révèle ce dosage; à la synthèse, le
corps composé se reforme et si, ici, tel élément l'emporte, il se peut que, là,
ce soit tel ou tel autre.
S.3
C.2 I.1; ou bien : S.2 C.3 I.1; ou encore: S.1 C.2 I.3; la formule peut
attester des proportions variables, localement, régionalement, nationalement ou
internationalement. Mais toujours est-il que ces trois éléments:
anarcho-syndicaliste, communiste-libertaire et individualiste-anarchiste (S.C.I.)
sont faits pour se combiner et pour constituer, en s'amalgamant, ce que
j'appelle: «la synthèse anarchiste». Com[1]ment se fait-il que l’existence de ces trois
courants ait affaibli le mouvement anarchiste?
Parvenu
à ce point de ma démonstration, il faut se demander comment il se fait que, ces
dernières années surtout, en France tout particulièrement, l'existence de ces
trois éléments anarchistes, loin d'avoir fortifié le mouvement libertaire, ait
eu pour résultat de l'affaiblir.
Et ce
problème, posé en termes clairs, il importe qu'il soit étudié et résolu de
façon également limpide.
La
réponse est facile; mais elle exige, de la part de tous, sans exception, une
grande loyauté.
Je dis
que ce n'est pas l'existence même de ces trois éléments: l'anarcho-syndicalisme,
le communisme-libertaire et l'individualisme-anarchiste qui a causé la
faiblesse ou, plus exactement, l'affaiblissement relatif de la pensée et de
l'action anarchistes, mais uniquement la position qu ils ont prise les uns par
rapport aux autres: position de guerre ouverte, acharnée, implacable.
Chaque
fraction, au cours de ces néfastes déchirements, a déployé une malveillance
égale. Chacune s'est ingéniée à dénaturer les thèses des deux autres, à en
pousser jusqu'au ridicule les affirmations et les négations, à en boursoufler
ou à en atténuer les lignes essentielles jusqu'à faire d'elles une odieuse
caricature.
Chaque
tendance a dirigé contre les autres les manœuvres les plus perfides et s'est
servie des armes les plus meurtrières.
Si, à
défaut d'entente entre elles, ces trois tendances eussent été moins enragées à
guerroyer les unes contre les autres; si l'activité dépensée à lutter, à
l'intérieur et à l'extérieur des groupements divers, l’eût été à batailler,
même séparément, contre l'ennemi commun, le mouvement anarchiste de ce pays eût
pris, à la faveur des circonstances, une ampleur considérable, une force
surprenante.
Mais
la guerre intestine, de tendance contre tendance, souvent même de personnalité
contre personnalité, a tout empoisonné, corrompu, vicié, stérilisé; tout
jusqu'aux campagnes qui eussent dû grouper autour de nos chères idées les cœurs
et les consciences épris de Liberté et de Justice qui sont, dans les milieux
populaires surtout, beaucoup moins rares qu'on ne se plaît à le prétendre.
Chaque
courant a craché, bavé, vomi sur les courants voisins, afin de salir ceux-ci et
de donner à penser que lui seul était propre.
Et,
devant le spectacle lamentable de ces divisions et des agissements odieux
qu'elles suscitaient de part et d'autre, nos groupements, les uns comme les
autres, se sont peu à peu vidés du meilleur de leur contenu et nos forces se
sont épuisées les unes contre les autres, au lieu de s'unir dans la bataille à
livrer contre l'ennemi commun: le principe de l'autorité. Voilà la vérité.
Le mal et le remède:
Le mal
est grand; il peut, il doit n'être que passager et le remède se trouve à la
portée de notre main.
Ceux
qui ont lu attentivement et sans parti pris les lignes qui précèdent le
devinent sans effort: le remède consiste à se pénétrer de l'idée de la Synthèse
anarchiste et à appliquer au plus tôt et le mieux possible cette synthèse (2).
De
quoi souffre le mouvement anarchiste? De la guerre au couteau que se font les
trois éléments qui le composent.
Si,
par leur origine, leur caractère, leurs méthodes de propagande, d'organisation
et d'action, ces éléments sont condamnés à se dresser les uns contre les
autres, le remède que je propose ne vaut rien; il est inapplicable; il serait
inopérant; abstenons-nous d'y recourir et cherchons autre chose.
Par
contre, si les oppositions ci-dessus n'existent pas et, à plus forte raison, si
les éléments: anarcho[1]syndicaliste,
communiste-libertaire et individualiste-anarchiste sont faits pour se combiner
et former une sorte de synthèse anarchiste, il faut - non pas demain mais
aujourd'hui - tenter la réalisation de cette synthèse.
Je
n'ai rien découvert et je ne propose rien de nouveau: Luigi Fabbri et quelques
camarades russes (Voline, Fléchine, Mollie Steimer), avec qui j'ai causé longtemps
ces jours-ci, m'ont affirmé que cet essai de réalisation a été tenté en Italie,
au sein de l'Union anarchiste italienne et, en Ukraine, au sein du Nabat et que
ces deux tentatives ont donné les meilleurs résultats, que seuls ont brisé le
triomphe du fascisme en Italie et la victoire du bolchevisme en Ukraine.
Il
existe, en France, comme un peu partout, de nombreux groupes ayant déjà
appliqué et appliquant couramment les données de la synthèse anarchiste (je
n'en veux citer aucun, afin de n'en omettre aucun), groupes dans lesquels
anarcho-syndicalistes, communistes-libertaires et individualistes[1]anarchistes,
travaillent en bon accord ; et ces groupes ne sont ni les moins nombreux ni les
moins actifs.
Ces
quelques faits (et j'en pourrais citer d'autres) démontrent que l'application
de la synthèse est possible. Je ne dis pas, je ne pense pas qu'elle se fera
sans lenteur ni difficulté. Comme tout ce qui est encore nouveau elle se
heurtera aux incompréhensions, aux résistances, voire même aux hostilités. S'il
faut rester impassibles, nous le resterons; s'il faut résister aux critiques et
à la malveillance, nous résisterons. Nous avons conscience que le salut est là
et nous sommes certains que, tôt ou tard, les anarchistes y viendront. C'est
pourquoi nous ne nous laisserons pas décourager.
Ce
qui, dans des circonstances mémorables, s'est fait en Italie, en Espagne, en
Ukraine; ce qui se fait dans maintes localités de France, peut se faire et,
sous la poussée des événements, se fera dans tout le pays.
Appel à tous les compagnons quel que soit leur
pays d'origine résidant en France:
Le
débat sur la synthèse anarchiste, comme base d'une organisation anarchiste
entièrement nouvelle en France est et reste ouvert. Il n'est pas question de
l'étouffer. Pour qu'il soit fécond, il est indispensa[1]ble qu'il se poursuive dans une atmosphère de
franchise, de loyauté et de camaraderie. Sinon, loin de cicatriser la plaie, il
ne ferait que l'envenimer.
Mais
je sais qu'il existe un nombre considérable de camarades qui, las de nos
querelles intestines et pénétrés du préjudice incalculable qu'elles portent à
notre propagande, aspirent à y mettre fin.
C'est
à ceux-là que, sans plus attendre, je m'adresse, au nom de cette initiative
individuelle tant en honneur, naguère encore, dans les milieux libertaires.
Et je
dis à tous ces camarades sans distinction de tendance: «Ne laissons pas le mal
empirer. N'attendons pas qu'il ait fait, dans le Mouvement anarchiste, de tels
ravages qu'il faille, pour le ramener au point où il devrait être aujourd'hui,
des années d'efforts et de lutte. On a beau mettre les bouchées doubles, le
temps perdu ne se rattrape pas. Ne renvoyons donc pas au lendemain ce que nous
pouvons et devons faire aujourd'hui même.
Agissons
tout de suite.
Gardons-nous
de chercher à établir la balance des responsabilités personnelles ou
collectives. Reconnaissons sincèrement et courageusement que chacun de nous a
sa part de responsabilité. Passons l'éponge sur nos torts réciproques et
prenons l'engagement de ne plus remuer ces tristesses.
Faisons
à la grande Idée qui nous unit tous: anarcho-syndicalistes,
communistes-libertaires ou individualistes-anarchistes, le sacrifice - facile
après tout - de nos ressentiments et de nos amours[1]propres. Une fois pour toutes, sincèrement,
véritablement, chassons de notre esprit toute irritation, et de notre cœur
toute amertume.
Jamais
le resserrement de nos forces n'a été plus indispensable et ne fut jamais plus
urgent; aux difficultés de la bataille formidable que nous avons à mener seuls
contre le monde d'ennemis que nous avons l'opiniâtre volonté d'abattre,
s'ajoute, pressante autant que terrible, la triple menace du fascisme, du
bolehevisme et de la guerre.
Hâtons-nous.
Ne perdons plus un seul jour.
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Les
circonstances veulent que, présentement, le cœur de l'anarchisme mondial et le
foyer de son activité se trouvent en France. Songeons que par dizaines et
dizaines de milliers, des camarades d'origine étrangère sont réfugiés dans ce
pays. Ne perdons pas de vue qu'ils placent en nous leurs espoirs et leur
confiance; cessons de leur donner l'affigeant spectacle de nos luttes
fratricides.
Reconstituons
au plus tôt l'immense famille dans laquelle, en attendant que les frontières de
leur pays d'origine leur redeviennent accessibles, ces proscrits pourront
réchauffer leurs cœurs et con[1]server,
étincelant, le flambeau de leurs convictions.
Ayons
conscience que nous quereller, c'est, dans les circonstances actuelles, presque
trahir la Cause dont les événements internationaux et l'abominable répression
qui en est la suite, nous ont confié la défense sacrée.
Plus nous sommes divisés et plus nous sommes
faibles; plus nous redeviendrons unis et solidaires et plus nous redeviendrons
forts.
Cette
vérité banale, ne l'oublions pas; ne l'oublions plus. Puisse-t-elle désormais,
dans toute la mesure du possible, tracer à chacun de nous sa ligne de conduite!
Un mot à mes chers amis de l’Association
des fédéralistes anarchistes (l'AFA):
Mes
chers amis,
Je
vous connais presque tous personnellement et je sais quel est votre état
d'esprit.
J'ai
le sentiment que tous vous approuverez l'initiative que je prends et qu'aurait
pu prendre tout comme moi n'importe lequel d'entre vous, s'il y eût songé.
Vous
estimerez donc que, d'une part, il convient de répandre à profusion cette idée
de la «Synthèse anarchiste» servant de base à un regroupement entièrement
nouveau des forces anarchistes et que, d'autre part, il faut de toute urgence,
donner à cette idée une forme pratique, une application positive.
Notre
organisation (l'AFA) date d'hier. Cette extrême jeunesse lui vaut le précieux
avantage de n'avoir pas été mêlée - en tant que groupement - aux déplorables
conflits qui rongent et affaiblissent notre mouvement.
Je vous
confie le soin de répandre partout la bonne nouvelle de la «synthèse
anarchiste». C'est à vous que les circonstances confèrent le droit et imposent
le devoir de regrouper, sur la base de cette synthèse loyalement et
fraternellement appliquée, les forces anarchistes résidant en France. Vite,
vite, prenez à votre tour l'initiative de ce regroupement.
Convoquer,
dès que possible, tous les camarades de votre localité ou quartier - sans
distinction de tendance - que vous savez ou supposez être disposés à se grouper
ou regrouper pour donner à notre chère propagande plus de cohésion, de
rayonnement et d'efficacité.
Mettez
en pratique ce paragraphe de notre projet d'organisation: «Chaque groupe fixera
lui-même son mode de recrutement et d'organisation intérieure».
Gardez-vous
de demander à qui que ce soit qu'il abdique quoi que ce soit de ses préférences
personnelles. Que chacun, au contraire, reste fidèle à la fraction qui cadre le
mieux avec son tempérament, sa formation libertaire, sa conception anarchiste,
les moyens de propagande dont il dispose, les méthodes de combat auxquelles il
est le plus apte, le milieu de travail ou d'agitation auquel il appartient, le
genre de vie qu'il mène, ses occupations professionnelles, etc., etc.
Il
n'est pas question de fabriquer une sorte d'anarchiste-type tiré à quelques
milliers d'exemplaires, et, partant, dénué de toute personnalité, caractère
propre ou originalité.
Il
s'agit seulement de rassembler, dans une atmosphère de franchise et de bonne
amitié, tous ceux qui luttent activement contre l'exploitation et la domination
que subissent individuellement et collectivement tous ceux qui travaillent à la
conquête positive, pour tous et pour chacun, du bien-être et de la liberté.
Le
champ est vaste. Que chacun y choisisse sa place. Mais que d'efforts peuvent
être associés!
Antiparlementaire,
anticapitaliste, antireligieux, anti-étatiste, anti-militariste; est-il un
anarchiste, un seul, qui ne soit pas tout cela?
Faites
appel à tous.
La
confiance, l'élan, l'enthousiasme renaîtront. Que de grandes et fortes actions
nous pourrons en[1]gager
et que de belles et nobles campagnes nous pourrons entreprendre et mener à
bien, coeurs fraternels et bras unis !...
Chers
compagnons!
On ne
manquera pas de ricaner, par-ci, par-là, et de se livrer aux plaisanteries
faciles sur cet appel à l'embrassade générale.
Vous
ne vous laisserez pas émouvoir par ces ricanements.
Ne
vaut-il pas mieux, entre anarchistes, s'embrasser que se mordre, travailler
ensemble que les uns contre les autres, vivre en paix que se faire la guerre?
Nous
sommes à la fois pleins de haine et d'amour.
Notre
haine, nous en dirigeons toutes les forces contre les tenants et suppôts de
l'Autorité.
Notre
amour, nous en gardons tous les ressorts puissants pour les associer à ceux des
anarchistes qui, comme nous, aiment la liberté et luttent pour elle.
Que, à
l'exception de ceux qui, réfractaires à l'idée même de l'organisation,
préfèrent militer isolément, tous les compagnons apportent leur adhésion à
notre association. Qu'ils se rallient aux groupes déjà existants. Que, dans les
localités où il n'y a pas de groupe, ils en forment un et travaillent ensuite à
le rendre nombreux et actif.
Attelons-nous
à la besogne. Consacrons-nous à celle-ci avec passion et persévérance
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