n. f.
(du latin mensura) Mesurer une grandeur, c'est la comparer à une grandeur de
même espèce prise comme unité. Le but primitif, et encore le but principal de
cette opération, est de procurer aux hommes les enseignements nécessaires à
l'identification des objets dont ils parlent, dont ils font usage ou qu'ils
échangent entre eux. Le nombre des qualités soumises à la mesure, la précision
exigée de celle-ci, croissent avec le progrès des sociétés. Du jour où l'homme
ne vit plus seulement de chasse et d'élevage, mais cultive la terre, le besoin
de mesures de longueur et de superficie se fait sentir. C'est dans la vallée du
Nil et dans les contrées comparables comme fertilité que prit naissance la
géométrie. Dès que se développa le commerce, d'autres mesures furent
indispensables. Selon M. Martin, inspecteur des poids et mesures de Grande[1]Bretagne,
c' est alors qu'il devint indispensable d'avoir une mesure de capacité
permettant d'acheter ou de vendre des marchandises, céréales, boissons, etc. La
nécessité des mesures de poids ne se fit sentir que beaucoup plus tard avec les
progrès de la civilisation, quand les hommes commencèrent à faire des affaires
avec les pays voisins, pour les métaux et autres matières qui ne peuvent
s'échanger exactement à l'aide de mesures de capacité. Pour que les unités de
mesure pussent fournir en toutes, circonstances les données requises pour la
reconnaissance des objets énoncés, il était utile que chacun des contractants
les eût à sa disposition. Il est donc naturel que les dimensions du corps
humain aient servi de base pour l' établissement des unités de longueur ; leur
avantage c'était que chaque homme les possédait sur lui partout où il allait et
que, quand il le fallait, la moyenne des mesures prises sur plusieurs
individus, donnait l'unité avec assez d'exactitude pour l'époque. « La mesure
principale prise sur le corps humain se prêtait particulièrement à la
subdivision. La longueur du pied était presque la sixième partie de la hauteur
d'un homme ou de la distance d'une extrémité à l'autre des bras étendus. La
distance du coude à l'extrémité des doigts (coudée égyptienne de six palmes) était
environ une fois et demie la longueur du pied. La longueur de l'extrémité du
pouce était environ la douzième partie du pied, et celle du poing fermé environ
le tiers. Chacune de ces mesures pouvait être fixée avec autorité comme mesure
étalon et les autres pouvaient s'y référer ». L'unité de capacité elle-même,
équivalente à la pinte en de nombreux pays, fut, sans doute basée sur les
besoins du corps humain ; elle représentait, pense-t-on, la quantité de boisson
nécessaire à un repas. Dès que les sociétés furent mieux organisées, les
étalons de mesure durent être définis avec plus de précision. Au British
Museum, on conserve des poids du temps de Nabuchodonosor, poids portant la
mention de garantie de membres du sacerdoce. À Rome, les poids étaient frappés
au sceau de l'État. De nos jours une convention du 20 mai 1875 oblige 28 États
qui se sont entendus pour adopter comme unité de longueur une barre métallique
dite mètre déposée au Bureau international des poids et mesures, au Pavillon de
Breteuil. Chaque pays adhérent en possède une copie et, périodiquement, on
vérifie par comparaison avec le prototype que la longueur de celle-ci n'a pas
varié. La barre déposée au Bureau de Sèvres, représente, environ, la
dix-millionième partie du quart du méridien terrestre. (Voir système métrique.)
Les comparaisons faites jusqu'ici ont montré qu'il était infiniment probable
que la longueur de la barre-type n'avait subi, avec le temps, aucune
modification. Cependant, comme nos connaissances physiques actuelles jettent quelque
doute sur la pérennité de la matière, on a jugé prudent d'adjoindre aux étalons
métalliques d'autres susceptibles de contrôler leur invariabilité. « La fixité,
dans le temps, de l'unité métrique déjà bien assurée par les remarquables
propriétés du platine iridié dont sont faits le prototype international et ses
témoins, avait trouvé un premier contrôle dans la détermination du rapport des
longueurs d'onde fondamentales au mètre. Le Comité International des Poids et
Mesures a voulu, cependant, se prémunir encore contre les possibilités d'une
variation ultérieure de ce rapport, et pour cela constituer un troisième terme
de comparaison par l'établissement et la détermination d'étalons en quartz
cristallisé, substance offrant toutes garanties de stabilité et
d'inaltérabilité. » En fait, la longueur dé référence, au lieu d'être un objet
matériel serait la longueur d'onde d'une lumière monochromatique, celle de la
raie rouge du Cadmium. Une fois définie l'unité de longueur, on a intérêt à en
faire dériver toutes les autres. On constitue ainsi un système de mesures
rationnelles, tel que notre système métrique, qui, depuis le développement de la
science et de l'industrie, est complété par le système C. G. S. dont les unités
sont : une unité de longueur, le centimètre ; une unité de masse, le gramme ;
une unité de temps, la seconde. Signalons que depuis une loi du 2 avril 1919,
l'unité de force a été changée. Cette unité, le Sthène, est la force qui, en
une seconde, communique à une masse égale à une tonne, un accroissement de
vitesse de un mètre par seconde. Comme unité de force tolérée demeure le
kilogramme-poids ou kilogramme force, force avec laquelle une masse de un
kilogramme est attirée par la terre. Le kilogramme poids est pratiquement égal
à 0.98 centisthène.
On dit quelquefois qu'il n'y a
science que des choses mesurables. Cela serait vrai de la science parfaite, si
elle était possible, mais non de la science qui se fait ; ou, si l'on veut, on
doit reconnaître des degrés dans la mesure. Toutes les grandeurs sont-elles
mesurables, comparables a une autre de même espèce prise comme unité ?
Nullement. Deux conditions sont indispensables. Pour qu'au nombre exprimant une
mesure corresponde un caractère fixe et défini d'une grandeur, il convient que
celle-ci soit, au préalable, analysée qualitativement et réduite à la
simplicité. Il faut, comme première condition, que deux corps, objets de mesure
équivalents à un troisième par rapport à la propriété étudiée, soient encore
équivalents, par rapport à la même propriété, vis-à-vis de tout autre corps.
Cela ne se réalise pas pour certaines grandeurs complexes et mal définies. Sous
le nom de dureté nous comprenons à la fois la résistance à la rayure et la
résistance à la déformation. Si l'on mesure la dureté des différents corps à l'échelle
de Mohs (rayures) ou à la bille de Brinell (surface de l'empreinte laissée par
une bille d'acier de 10 m/m de diamètre sous 3.000 kg.), le classement n'est
pas le même. La dureté, grandeur susceptible de plus et de moins, est sujette à
l'appréciation et non à la mesure. Cette simple appréciation est cependant une
connaissance scientifiquement indispensable à l'industrie. Au contraire, deux
corps qui produisent le même effet sur une balance se comportent de même
vis-à-vis d'un peson à ressort. La grandeur poids est mesurable. Une seconde
condition est encore obligatoire : l'additivité. « La juxtaposition de
plusieurs corps semblables doit permettre de constituer un système équivalent,
par rapport à une propriété donnée, à un autre où cette propriété est plus
développée. » Par exemple une longueur de 22 centimètres peut être constituée
par l'adjonction de 22 éléments de un centimètre. La longueur est mesurable. Au
contraire une température de 22° ne peut être obtenue par la réunion de 22
corps à un degré. La température n'est pas directement mesurable, au sens
strict du mot. On ne peut même pas dire qu'une température est le double ou le
triple d'une autre. C'est pour cela, par exemple, que la réfrigération devient
de plus en plus coûteuse à mesure qu'on se rapproche du zéro absolu. B. Brunhes
disait que la difficulté qu'il y aurait à descendre de 10° à 5° absolus est du
même ordre que celle qu'il y aurait à obtenir à l'autre bout de l'échelle une
température double (comme chiffre) de la plus haute température obtenue
jusqu'ici. Mais la température est repérable ; on peut en effet la caractériser
d'une façon univoque par l'intermédiaire d'une propriété mesurable qui varie
dans le même sens ; par exemple la dilatation d'une barre de métal, d'un gaz,
d'une colonne de mercure. Les grandeurs qui satisfont à la deuxième condition
sont des extensivités. Celles qui se comportent comme la température sont des
intensités. Nous voyons que notre connaissance des grandeurs comporte des
degrés : Appréciation, repérage, mesure. Et tous ces modes de connaissance
d'une précision croissante et tous utilisables peuvent être qualifiés de
scientifiques. En fait, les sciences les plus complexes, la biologie, la
sociologie, la psychologie ne sont pas celles qui nous intéressent le moins et
si elles ne sont guère encore accessibles à la mesure mais seulement à
l'appréciation ce n'est pas une raison pour les considérer comme restant en
marge de la science et pour manifester trop de scepticisme à l'égard des
enseignements qu'elles nous offrent aujourd'hui. –
G. GOUJON
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