Le livre que vient de publier
M. Jules de Gaultier sur la sensibilité métaphysique, entrevue ou comprise sous
le prisme déterministe du matérialisme historique nous a incité à faire
connaître ce que le Socialisme Rationnel entend sous le même vocable. Si, pour
M. J. de Gaultier et la plupart des philosophes passés et présents, la
métaphysique apparaît comme suprême efflorescence de la matière qui, à travers
les espèces et les âges, trouve son épanouissement dans l'Humanité en
s'appuyant sur les théories de Hégel relatives à la ruse des idées amenant à
concevoir la possibilité de la mutation de quantité en qualité, Colins et son
école philosophique et socialiste, se refusent à admettre, comme
scientifiquement démontré le processus métaphysique qui va de l'atome au
minerai, du minerai à la plante, de celle-ci au règne animal et, par suite, à
l'homme tout entier. Si, pour M. J. de Gaultier comme pour Colins et son école
il existe une sensibilité métaphysique, il faut convenir qu'elles sont
d'essence différente. Il est cependant curieux et intéressant de constater que,
partant de prémisses différentes, nous arrivons, d'une manière relative, au
système moral dualiste que nous exposons depuis 1842. Nos philosophes modernes
se sont aperçus qu'avec l'unité de nature il est impossible de concevoir l'idée
de liberté autrement que comme une mécanique dirigeante, celle de l'égalité
comme un stupide nivellement du reste impraticable, celle de la fraternité ou
solidarité que comme un instrument de domination du fort sur le faible. Nous
sommes d'accord sur les mots sensibilité métaphysique et non sur les idées que
ces mots expriment et représentent. Les uns appellent métaphysique la science
qui vient après la physique ; d'autres la qualifient : théorie de
l'abstraction. Pour le socialisme rationnel la métaphysique est l'opposé de la
physique ; le non-physique, l'immatériel, le réel en tant qu'immuable et
non-phénomène. Dès lors, la science sociale établit rigoureusement que la
métaphysique est le domaine moral, celui du raisonnement, de la liberté, de la
vérité, de la réalité. Le principe fondamental de la morale, de la liberté du
raisonnement etc., est la sensibilité immatérielle réellement métaphysique.
Rien d'identique entre les conceptions du socialisme rationnel et les Thèses de
M. J. de Gaultier. Celui-ci en écrivant son livre dans un langage où les mots
suivent la loi du transformisme, subissant des mutations comme les espèces,
nous présente une métaphysique de l'instinct qui s'épuise jusqu'à l'intelligibilité.
Ce n'est pas le lieu de discuter minutieusement, par l'analyse, les thèses de
M. J. de Gaultier. Notre devoir est de donner un raccourci de la thèse
métaphysique telle qu'elle nous parait se dégager de la Science Sociale de
Colins et qui est la nôtre. Pour la compréhension facile de ce qui va suivre
nous appellerons métaphysique : les mathématiques des réalités. À ce sujet,
Liebnitz a dit : « Si quelqu'un voulait écrire en mathématicien dans la
métaphysique ou dans la morale, rien ne l'empêcherait de le faire avec
rigueur... Je crois que, si on l'entreprenait comme il faut, il n'y aurait pas
sujet à le regretter ». En général, les philosophes s'élèvent contre ce qu'ils
appellent l'insoutenable prétention de vouloir appliquer à la philosophie la science
rigoureuse des mathématiques. Réfléchissons qu'en dehors des sciences exactes
il ne peut y avoir, en morale, que des à peu près. C'est donc la que doit se
trouver la vérité qui importe le plus, la vérité sur laquelle nous devons
rendre toute contestation impossible, avant de passer à ce qui n'en est qu'une
conséquence. Il est superflu d'ajouter qu'une vérité ne peut et ne doit être
confondue avec l'illusion plus ou moins empreinte de mysticisme. N'est-il pas
évident que, si nous ne savons réellement ce que nous sommes, et comment nous
devons agir pour notre bien, tout comme pour celui de la société, à quoi nous
serviraient, sous le point de vue moral ou social les sciences physiques avec
leurs incessants et admirables progrès ? On peut en dire autant des sciences
exactes avec leurs indubitables théorèmes. Mais on peut les appliquer pour
opérer le mal comme pour faire le bien. Si l'ordre moral n'existe pas, s'il
n'est d'autre ordre que l'ordre physique, nous n'avons pas de critérium du bien
et du mal et nous ne pouvons distinguer les sciences, l'une de l'autre sans
crainte de nous tromper. Le défaut d'une règle morale dont la réalité n'est pas
démontrée rationnellement nous livre sans défense à l'entrainement des
passions. Les événements sociaux qui seraient l'opposé de ce qu'ils sont si la
question morale était onnue et en voie de réalisation, ne nous inciteraient pas
à suivre les uns les autres, à troubler l'ordre social et à créer ou maintenir
le mal que nous paraissons combattre. Le désordre et le despotisme financier de
notre époque, qu'un empirisme volontaire entretient, feraient place à une
société harmonique où chacun recevrait selon ses œuvres. En résumé, la
méconnaissance du droit, l'ignorance de la métaphysique, l'entraînement vers un
faux raisonnement sont autant de fauteurs de misères, d'exploitation de l'homme
fort sur l'homme faible, de la ruse, comme dit Hégel, sur la loyauté ;
c'est-à-dire de l'immoralité de la morale de notre époque. La question sociale
reste toujours une question d'honnêteté scientifique et de vraie moralité. La
connaissance de la métaphysique vraie pourra, seule, opérer la rénovation
sociale dans le domaine intellectuel aussi bien que dans le domaine économique.
–
Elie SOUBEYRAN.
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