samedi 1 janvier 2022

MÉTAPHYSIQUE encyclopedie anarchiste par Sébastien Faure


n. f. (du grec meta la phusika, Choses en dehors des choses physiques) Ce terme n'est pas toujours très nettement défini et maints penseurs lui ont donné un sens bien différent. Ainsi tandis que James affirme que : « La métaphysique n'est qu'un effort particulièrement obstiné pour penser d'une façon claire et consistante », Sully Prudhomme dit : « Il n'y a de métaphysique dans l'être que l'inconcevable. La métaphysique commence où la clarté finit ». Ce même penseur dit aussi : « Est métaphysique toute donnée reconnue inaccessible soit au sens, soit à la conscience, soit à l'observation interne, soit à l'observation externe. Cette règle assigne du même coup leur objet aux sciences positives : une science n'est positive qu'à la condition de ne viser que des rapports ». L'origine du terme paraît provenir du classement effectué par Aristote de ses ouvrages, dans lequel la partie abstractive ne venait qu'après les traités de physique ; mais le terme lui-même, créé par Andronicas de Rhodes qui recueillit les œuvres d'Aristote, n'apparaît qu'ultérieurement dans Plutarque, et n'est formulé en un seul mot que vers le moyen âge, par les grammairiens du temps. La partie des ouvrages d'Aristote ainsi désignée recherche les principes et les causes premières et comprend la connaissance des choses divines. C'est la conception moyenâgeuse. Kant entendait la métaphysique comme une faculté transcendantale d'établir, à l'aide de principes et des connaissances synthétiques à priori, des propositions synthétiques dépassant le cadre de l'expérience. Pour saint Thomas d'Aquin la métaphysique était la science du surnaturel. Pour Descartes et Malebranche elle s'opposait au spatial et au sensible. Schopenhauer s'exprime ainsi : « Par métaphysique j'entends toute connaissance qui se présente comme dépassant la possibilité de l'expérience ». Dans la grande Encyclopédie, il est dit : « La métaphysique est la science des raisons des choses. Tout a sa métaphysique et sa pratique ». Paul Janet la définit : « La science des premiers principes et des premières causes et la recherche dus rapports du sujet et de l'objet, de la pensée et de l'être ». Ch. Dumas va plus loin : « Poser quelque chose soit comme existence, soit comme une vérité, c'est selon moi faire de la métaphysique ». Celle-ci, pour Bergson, est « le moyen de posséder une réalité absolument, intuitivement, sans traductions aux représentations symboliques ». Fouillée lui donne ce sens : « Connaissance du réel par l'analyse réflexive et critique aussi radicale que possible, et par la synthèse, aussi intégrale que possible de l'expérience, notamment de l'expérience intérieure, fondement et condition de toute autre ». Le Dantec précise également le rôle de la métaphysique : « Je considère comme ressortissant à la métaphysique toute opinion dont la vérification expérimentale est sûrement impossible ». De ces quelques citations nous pouvons conclure que la métaphysique peut se ramener au moins à deux concepts ; l'un qui comprend l'étude de toutes les choses invérifiables expérimentalement et partant entièrement issues de notre imagination : c'est la métaphysique péripatéticienne et théologique ; l'autre qui relie des faits sensuels connus et expérimentés et par déduction conduit à la connaissance et la compréhension de faits nouveaux par le seul usage de l'intuition. C'est la conception de Fouillée mais il est clair qu'ici il y a confusion entre l'hypothèse scientifique et l'invention métaphysique. Le Dantec dans son ouvrage : « Contre la métaphysique », a nettement démontré la différence considérable qui sépare la métaphysique de la solide et constructive logique déductive appliquée aux expériences scientifiques. Il est évident que la connaissance, dans son fait le plus essentiel, ne signifie pas uniquement documentation, ni accumulation d'expériences, mais encore et surtout utilisation de ces données pour connaitre, à priori, tout phénomène à venir, prévoir l'évolution ultérieure des faits, relier entre eux des effets à leurs causes, trouver l'enchaînement et le développement des choses affectant notre sensibilité. L'homme façonné par les faits depuis des milliers de siècles porte dans sa structure cérébrale l'empreinte de leur évolution dans le temps et dans l'espace et sa logique n'est que l'ordre même de ces faits, leurs relations entre eux, leur alternance, leur succession, leur durée, etc., etc. Cette perception sensuelle et partielle du monde appliquée à la connaissance générale du monde sensuel peut conduire à des résultats toujours vérifiables puisque cela reste dans le domaine du sensuel. Ainsi donc le raisonnement intuitif quittant l'expérience directe mais s'appuyant sur elle au point de départ peut diriger nos recherches, leur donner un sens précis et sous forme d'hypothèses et de calculs, nous faire découvrir des vérités que l'expérience vérifiera plus tard. L'astronomie et la physique nous donnent quantité d'exemples de découvertes de cette nature. Kepler trouva par ses calculs sur les planètes, un hiatus entre Mars et Jupiter et ce ne fut que deux siècles plus tard que Piazza découvrit le premier des astéroïdes : Cérès, circulant entre ces deux astres. Leverrier, partant d'un fait positif : les perturbations d'Uranus, entreprit par le calcul la découverte de l'astre causant ces perturbations, en indiqua le lieu précis et l'astronome Gall, de Berlin, le trouva en effet au point désigné. Ce qui montre la valeur du raisonnement et de la logique humaines, c'est qu'en même temps que Leverrier, un autre savant, l'astronome Adam, parvenait en Angleterre au même résultat, tout en ignorant les travaux de son collègue. L'exemple le plus récent de la sûreté du raisonnement intuitif nous a été donné par Einstein au sujet de la pesanteur de la lumière déviée par les astres, phénomène constaté plusieurs fois depuis, lors de certaines éclipses demeurées célèbres. L'étendue de notre faculté intuitive est apparemment très vaste et peut nous faire espérer de prodigieuses découvertes sur le mécanisme même de l'univers, et en particulier celui des êtres vivants. Si l'astronomie, la physique, la chimie nous révèlent quelque jour la constitution intime des corps, la biologie peut, sous les efforts géniaux de l'intuition humaine, atteindre la connaissance réelle du phénomène vital et triompher peut-être de la maladie, de l'usure et de la sénilité. Par son intelligence et sa connaissance de la nature l'homme peut espérer vaincre les forces de l'univers, les asservir à ses fins, augmenter sa durée et sa sécurité. *** La véritable métaphysique ne poursuit point de tels buts. Si la nécessité de prévoir, d'imaginer l'inconnu, de rechercher les causes a créé tardivement la déduction scientifique, notre imagination et notre curiosité spéculative, fruits de ce fonctionnement cérébral, nous ont déterminé à rechercher le pourquoi des choses en vertu de cet anthropomorphisme primitif qui attribue une volonté d'agir à, tout objet. Le raisonnement scientifique recherche le comment, parce qu'il est, dans son essence même, orienté vers le déterminisme mécanique. La métaphysique recherche le pourquoi des choses parce qu'elle est entièrement dominée par l'idée anthropomorphique d'une volonté dirigeant toute chose, dont il faut deviner la raison agissante sinon les caprices. C'est ainsi que la recherche du commencement absolu des choses, de leur raison d'être, de la cause première sont essentiellement des attributions de la conscience humaine étendue à l'objectif. L'homme croit, consciemment, produire des commencements absolus par sa volonté et n'être déterminé par rien d'autre que sa raison pure comme le croyait Kant. Il s'imagine être une cause première, une chose en soi, un noumène agissant sur l'objectif ou phénomène. Puisque, par sa volonté toute puissante, il crée, anime, meut ou détruit ce qui est à son échelle, il suppose qu'à l'échelle universelle un être infiniment plus puissant crée et anime également cet univers. Il est compréhensible que la suppression du pourquoi anthropomorphique supprime radicalement la raison d'être de l'univers au point de vue humain et partant toute divinité, tout but volontaire, tout commencement, toute évolution intentionnelle du cosmos. Mais il reste d'autres questions qu'il paraît difficile au premier abord declasser soit dans la métaphysique, soit dans l'investigation scientifique. Ce sont les questions concernant la nature et l'essence des choses : matière, énergie, mouvement, étendue, conscience, durée, etc., etc. Pour limiter ici le terrain de la métaphysique et celui de la science il suffit de s'en tenir aux définitions de Le Dantec et de Schopenhauer sur ces deux aspects de la pensée humaine. Par cette méthode nous voyons que tant que les explications sont susceptibles d'expériences et de démonstrations, nous restons dans le domaine sensuel et scientifique. Dès que les explications dépassent l'expérience, et, par leur nature extra-sensuelle, s'opposent à toute vérification possible, nous faisons de la métaphysique. Notre connaissance étant essentiellement sensuelle, toutes nos explications ou hypothèses scientifiques devront relier des faits entre eux, établir des rapports, des rapprochements, des liaisons, des ressemblances de telle manière qu'il n'y ait jamais d'affirmation basée uniquement sur la foi ou l'imagination et qui ne soit susceptible d'expérience et de démonstration. Si nous examinons maintenant les concepts de matière, d'énergie, de conscience, nous voyons que, si loin que nous poussions nos investigations et nos explications, nous restons toujours dans le connu c'est-à-dire que nous ne pouvons cesser de douer la matière d'étendue, l'énergie de mouvement, la conscience de représentations, car ce sont précisément par ces caractéristiques qu'elles s'objectivent et deviennent réalité. Autrement dit, ces concepts ne se manifestent à nous que par des propriétés affectant particulièrement notre sensibilité et que nous nommons : mouvement, étendue, conscience, etc. Voulons-nous nous représenter ces concepts hors l'élément sensuel, nous tombons dans la métaphysique qui peut, par deux voies différentes, soit tout expliquer par des mots sans signification et satisfaire ainsi les intelligences puériles avec du verbe pur comme : Dieu, âme, infini, l'être-non-être, etc. ; soit prolonger dans l'inconnu, dans l'extra-sensuel, la connaissance sensuelle et permettre le jeu naïf du sectionnement indéfini d'un point que l'imagination grossit et recoupe sans cesse, sans parvenir à se représenter le moins du monde une étendue qui n'ait ni périmètre, ni milieu. Ici la métaphysique s'appuyant sur une réalité sensuelle ; le morcellement infinitésimal de la matière, prolonge indéfiniment, et au delà du compréhensible et du perceptible, cette perception des choses et croit démontrer ainsi l'existence réelle de l'infini dans la petitesse, comme nous admettons l'infini de l'univers. Mais l'absurdité de la métaphysique est ici manifeste. En effet, si l'infini existe entre deux points, tout déplacement, et partant tout mouvement est impossible car pour passer de l'un à l'autre il faudrait franchir l'infini, ce qui est ridicule, attendu qu'on ne peut véritablement, et d'aucune manière, entrevoir le franchissement de l'univers ; mais, par un des effets inévitables des raisonnements faux, les métaphysiciens mettent alors une borne à cet infini en admettant un Dieu créateur du temps et de l'espace. La métaphysique s'appuie donc toujours d'un côté sur une réalité sensuelle, de l'autre elle plonge dans le vide des spéculations hasardeuses, fantasques et indémontrables. Elle est donc néfaste pour l'harmonie des humains et cela d'autant plus que, ne pouvant, chez les esprits droits, donner aucune réponse satisfaisante sur la réalité des choses qui ne soit une tautologie ou une divagation, elle essaie de discréditer notre connaissance directe, source de tout notre savoir, en croyant démontrer l'illusion des sens et l'insuffisance de notre expérience pour atteindre la vérité. Sachant que notre sensibilité est le produit de notre réaction avec le milieu nous devons, au contraire, accorder toute confiance à nos sens, à notre raisonnement, à nos expériences, car ils sont le résultat d'une longue adaptation spécifique et nous font connaitre les synthèses de la substance en mouvement que nous percevons à différentes échelles d'organisation et de condensation, vue à des plans différents, qui pour nous constitue le seul monde qui nous intéresse, car il nous donne la réalité de la joie de vivre. – 

IXIGREC


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