(ÉDUCATION ET ENSEIGNEMENT)
Procédés, techniques et méthodes. –Le lecteur des ouvrages et des revues
pédagogiques rencontre à chaque instant le mot méthode appliqué à des choses
fort diverses. Tantôt il s'agit de l'emploi et de l'éducation de la pensée :
méthodes intuitive, déductive, rationnelle-analytique, synthétique, etc. ;
tantôt il est question de l'organisation scolaire et du mode de travail des
élèves : méthodes individuelle, collective ; parfois il s'agit de l'ordre et de
la manière d'enseigner telle ou telle technique : méthodes de lecture,
d'écriture, de calcul, etc. ; enfin les conceptions pédagogiques de certains
auteurs, comme aussi les systèmes appliqués dans certains établissements
prennent également le nom de méthodes : méthodes Montessori, Decroly, etc., de
Winnetka, etc. En présence d'un emploi si généralisé du mot méthode, tout
instituteur qui a imaginé un procédé quelconque – peut-être simplement retrouvé
par lui et déjà employé par maints autres pédagogues, – qui enseigne ou croit
enseigner d'une manière originale, personnelle, s'empresse de parler de sa – ou
de ses – méthodes. n pédagogue novateur de notre temps, voulant réagir contre
l'emploi abusif du mot méthode, a écrit : « Ce grand mot de méthode a été
tellement galvaudé par tous les faiseurs de manuels de toutes sortes, qu'il
nous est difficile aujourd'hui de lui redonner le sens précis et complet que
nous lui voudrions en éducation. » Qui dit méthode dit système d'éducation basé
sur des éléments sûrs, prouvés scientifiquement, et coordonnés d'une façon
absolument logique. Or, la science pédagogique en est encore à ses balbutiements
et nulle méthode aujourd'hui existante ne peut s'en réclamer. Seule l'Église,
qui dédaigne la Science, et s'appuie inébranlablement – croit[1]elle
– sur la révélation et la croyance, a sa méthode d'éducation, éprouvée par des
siècles d'emploi, avec ses procédés, ses techniques presque immuables malgré
les découvertes ; méthode qui ne recherche d'ailleurs pas la libération de
l'individu, mais seulement sa résignation à l'ordre établi, son asservissement
toujours plus grand à ses maîtres. Hors cet essai relativement logique, il n'y
a pas encore eu, pour la pédagogie populaire, de véritable méthode d'éducation.
» (C. Freinet.) Pour utile que soit cette réaction, elle n'en est pas moins
excessive et si l'on admettait la définition que Freinet nous donne du mot méthode,
on ne pourrait l'approuver lorsqu'il écrit que l'Église a une méthode : Freinet
se contredit évidemment lui-même. Il importe donc de préciser le sens du mot
méthode. « Qu'est-ce que la méthode ? » demandait Delon à la session
pédagogique de Cempuis, en 1893. « C'est, disait-il, la voie logique même ; –
méthode signifie chemin ; – c'est la route à parcourir pour arriver à la
connaissance raisonnée des faits. » Cette définition est un peu étroite, car il
y a des méthodes de travail manuel tout comme il existe des méthodes de pensée,
mais cette étroitesse tient à ce que Delon parlait alors « De l'unité de la
méthode dans l'enseignement ». Un psychologue contemporain nous définit ainsi
ce mot : « Une méthode est la marche raisonnée que l'on suit pour atteindre un
but. » (Cellerier.) Enfin un pédagogue, P. Bernard, précise : « C'est,
étymologiquement parlant, la route, la voie que l'on suit pour arriver à un
but, c'est une manière de se conduire. Le savant a sa méthode de recherche, le
professeur a sa méthode d'enseignement, le laboureur a sa méthode de culture.
Agir méthodiquement, ce n est pas s'évertuer au hasard, se fier à l'inspiration
du moment, se dépenser en élans, ce n'est pas s'agiter ; agir méthodiquement,
c'est avoir une pensée directrice et un plan d'action ; c'est disposer,
organiser, composer ses pensées et ses actes ; c'est choisir avec discernement,
en toutes circonstances, les moyens propres à réaliser le plus sûrement et le
plus rapidement la fin qu'on s'est fixée. Un instituteur qui a de la méthode
peut dire : voilà l'idée qui me mène, voici ce que je veux ; j'ai une doctrine
qui ordonne l'ensemble et les détails de mon enseignement ; je puis, de ce
point de vue, expliquer et justifier mes procédés, rendre raison de toutes mes
démarches ; je sais où je vais, comment j'y vais. » Il convient de distinguer
le procédé, la technique et la méthode. Le procédé, nous disent les dictionnaires
c'est la méthode à suivre pour faire une opération un travail. Cette définition
rend mal compte de la différence qu'il y a entre un procédé et une méthode. La
technique est, disent encore les dictionnaires, l'ensemble des procédés d'un
art ou d'un métier. Précisons par un exemple. J'observe un jardinier qui lève
un écusson de rosier, le pose et le ligature sur un églantier ; il ne lève pas
l'écusson de la même manière que je le ferais moi-même, il le pose et le
ligature différemment, ses tours de main, ses procédés, sont différents des
miens, il a une technique de l'écussonnage, j'en emplois une autre ; ces deux
techniques peuvent être sensiblement de même valeur si une méthode dirige le
choix des procédés comme aussi leur adaptation à chaque cas particulier. Je
sais les conditions qu'il faut réaliser pour que l'écussonnage puisse réussir,
je sais par exemple que la partie centrale de mon écusson doit bien s'appliquer
sur la zone génératrice du sujet et pour réaliser cette condition, j'abandonnerai
parfois le procédé de ligature qui m'est familier pour en utiliser un autre
moins satisfaisant dans d'autres cas ; je sais aussi qu'il faut éviter que
l'écusson reçoive trop ou trop peu de sève de l'églantier et, suivant que cet
églantier aura beaucoup ou très peu de sève, je serrerai ma ligature plus
fortement au-dessus ou au-dessous de l'écusson. Avoir une méthode, c'est donc
choisir entre les procédés d'une technique et modifier, au besoin, certains des
procédés adoptés en tenant compte du but poursuivi et des conditions de la
réussite. On donne aussi parfois le nom de techniques à la lecture, à
l'écriture et au calcul considérant ainsi que ces connaissances sont des
connaissances outils qui permettent d'acquérir d'autres connaissances et sont
ainsi des techniques du savoir. Mais l'étude de ces techniques peut être
méthodique : il y a, certes, de fausses méthodes de lecture, etc., qui ne sont
qu'un amas de procédés appliqués à une matière d'étude morcelée plus ou moins
arbitrairement, mais il y a aussi de vraies méthodes reposant sur une idée
directrice, ce qui ne veut pas dire qu'elles soient bonnes pour ce!a, car il y
a bien évidemment de bonnes et de mauvaises méthodes. Il y a surtout des
individus qui appliquent les procédés d'une méthode d'une manière figée sans
tenir compte de l'esprit qui doit les animer et sans essayer de les modifier ou
de les adapter aux divers cas particuliers qui se présentent à eux. Méthodes
logiques et méthodes pédagogiques. – L'utilité de distinguer ces méthodes a été
ainsi démontrée par Cellerier : « Une méthode d'enseignement est l'ensemble des
voies et moyens, des attitudes, des activités que nous adopterons pour
enseigner une notion à un élève. Le but de la méthode sera non seulement de
déposer cette notion dans la mémoire de l'entant, mais de la rendre facilement
utilisable. » Ouvrons ici une parenthèse. Si nous rapprochons ces arguments des
xplications de Bernard, nous voyons clairement qu'on ne peut prétendre avoir
une méthode si on ne se préoccupe pas de choisir ou de réaliser les conditions
de temps et de milieu les plus favorables à l'obtention des résultats
poursuivis. Or il est indéniable que de nombreux pédagogues encore se
préoccupent plus d'enseigner suivant un ordre preconçu que d'adpter leur
enseignement au temps, et de taire une place à cet enseignement occasionnel, si
intéressant et si profitable pour les enfants. Il est plus évident encore qu'on
ne se soucie guère de réaliser les conditions de milieu les plus favorables.
Certes, Mme Montessori et surtout le Dr Decroly et Dewey, pour ne citer que les
principaux, ont proclamé l'importance du milieu éducateur et ont fait des
efforts méritoires en vue de sa réalisation, mais la plupart des pédagogues
bourgeois ont négligé cette partie du problème de la méthode. S'il fallait
réaliser un bon milieu éducateur pour tous les enfants des prolétaires, cela
coûterait cher : il faudrait démolir les écoles-taudis, multiplier les
établissement d'instruction –pour éviter les classes trop nombreuses, les doter
de vastes cours pour les jeux, de petits jardins, de petits élevages, etc. Et
alors, placé dans un tel milieu, le petit prolétaire sentirait plus âprement
les tares du milieu familial –qui est aussi un milieu éducateur mais souvent à
rebours, parce que l'air y est confiné dans des taudis et parce que les parents
ne peuvent pas toujours donner la nourriture, les soins, etc., utiles au
développement physique, intellectuel et moral de leurs enfants. Signalons aussi
dans cette parenthèse, que Cellerier se préoccupe seulement du problème de
meublage laissant de côté le problème de formation de l'esprit, du caractère,
etc. « Mais le terme de méthode s'emploie aussi en logique. Il signifie, alors,
la marche rationnelle que suit l'esprit dans ses recherches, soit pour
atteindre, soit pour démontrer la vérité. Or dans l'enseignement, nous sommes
souvent appelés à exposer à l'élève un raisonnement. Et le raisonnement suit
une de ces méthodes de la logique. Le raisonnement à exposer sera analytique
s'il consiste à disséquer les parties d'un tout, comme c'est le cas dans
l'étude de la phrase grammaticale ; il sera synthétique lorsque nous partirons
de quelques éléments simples pour construire un vaste édifice tel que celui de
la géométrie ou de l'astronomie. Il sera inductif dans les sciences qui se
fondent sur l'observation des faits pour en tirer des lois ; déductif dans les
sciences synthétiques, etc... Tout cela ce sont des méthodes logiques, c'est[1]à-dire
des modes, des qualités de la manière enseignée à l'élève, mais non les
qualités de notre enseignement. C'est, pour ainsi dire, l'itinéraire suivi par
l'esprit dans une recherche, non l'attitude adoptée par le maître pour exposer
cet itinéraire à l'élève. » Or les attitudes de notre esprit peuvent varier
d'instant en instant. « Pour démontrer que la somme des angles d'un triangle
est égale à deux angles droits, nous passons quatre ou cinq fois de l'analyse,
qui scrute les rapports entre tel côté, tel et tel angle, à la synthèse qui en
tire telle ou telle déduction, et vice-versa. » L'analyse et la synthèse sont
corrélatives, l'analyse conduit à la synthèse puis la synthèse perfectionne
l'analyse, il n' y a pas opposition entre elles. Dans ce va-et vient de
l'analyse à la synthèse, il y a changement dans l'objet enseigné, changement de
méthode logique, mais le mode de l'enseignement, la méthode d'enseignement ne
varient pas. Il faudrait donc distinguer « ces deux ordres de choses si
différents : la matière enseignée et les méthodes qu'elle peut enfermer, d'une
part, et l'acte d'enseigner, avec les formes qu'il peut revêtir, de l'autre.
Les méthodes logiques (modes de raisonnement) dépendent de la nature de l'objet
enseigné. Les méthodes pédagogiques (attitudes adoptées dans l'enseignement) se
règlent au contraire en grande partie sur la nature de l'enfant, son
développement, etc. ». Unité de la méthode pédagogique. – Il faut que
l'instituteur, s'élevant au[1]dessus
des procédés et des techniques, ait une méthode d'enseignement de la lecture,
une méthode d'enseignement du calcul, une méthode d'enseignement du dessin,
etc., mais ces méthodes ne doivent être que des cas particuliers d'une méthode
pédagogique plus générale qu'il faut appliquer en tenant compte des
individualités enfantines et en l'adaptant aux diverses matières
d'enseignement, aux divers sujets d'étude. Si l'on a bien compris notre
distinction des méthodes logiques et des méthodes pédagogiques, on doit
admettre que les divers enseignements que nous donnons à un même enfant doivent
s'inspirer d'une même méthode. Non pas seulement même méthode d'enseignement,
mais encore même méthode pour l'enseignement et l'éducation. Comme nous allons
le voir tout à l'heure, il existe, en effet, une liaison étroite entre
l'éducation et l'enseignement : la méthode des logiciens ne peut être qu'une
méthode d'autorité car le pédagogue qui ne peut ou ne veut pas avoir un
enseignement vraiment intéressant doit imposer l'étude, s'il veut que ses
élèves retirent quelque profit de cet enseignement. Le progrès pédagogique
s'accomplit, certes, partiellement à la suite de réformes dans les détails ;
mais il procède plutôt par bonds, par révolutions. Vouloir passer
progressivement d'une méthode pédagogique à une autre méthode, c'est agir comme
le ferait un piéton qui, désireux d'apprendre à pédaler, déciderait d'adopter
une solution réformiste et de passer progressivement de la marche à la pratique
de la bicyclette. Une méthode est un tout, une construction et non un tas de
moellons, il faut adopter le tout ou choisir une autre méthode ; il faut éviter
d'avoir plusieurs méthodes pédagogiques. Vers la méthode idéale d'enseignement.
– Disons d'abord pourquoi nous devons avoir une méthode idéale d'enseignement.
Certes, il nous est assez difficile d'avoir une vision claire et nette des buts
poursuivis, nous ne pouvons pas bien souvent apprécier l'utilité lointaine des
exercices scolaires employés et des notions enseignées ; nous ne sommes pas
certains que d'autres exercices et d'autres notions n'auraient pas une utilité
plus grande pour l'élève et de ceci résulte, en grande partie, la surcharge des
programmes. Certes, nos connaissances psychologiques en général et la
connaissance que nous avons de chacun de nos élèves en particulier, ne peuvent
nous permettre d'éviter des erreurs dans l'application de la méthode. Notre
connaissance des sujets d'étude n'est peut-être pas assez large et assez souple
pour nous permettre de choisir ce qui convient au moment opportun. Et enfin le
milieu éducateur avec son matériel d' enseignement et d'éducation, son jardin,
etc., n'est pas celui que nous voudrions pour nos élèves. Mais, précisément, en
ayant une méthode idéale, nous prendrons conscience des efforts qui nous sont
nécessaires pour détruire, au moins partiellement, les obstacles qui se
présentent devant nous et qui proviennent de nous, de l'enfant ou du milieu.
Les anciens navigateurs qui, par nuits claires, levaient les yeux pour observer
les constellations ne les ont point atteintes et ne cherchaient pas à les
atteindre. Mais ces constellations les guidaient et c'est aussi un guide que
nous cherchons dans la détermination d'une méthode idéale. Cette méthode
dirigera nos réalisations de chaque jour, leur donnera un sens, nous permettra
de constater les défauts à corriger et d'imaginer les perfectionnements futurs.
Avoir une méthode idéale ce n'est pas seulement concevoir ce qui est mauvais et
peut être perfectionné dans notre enseignement, c'est savoir choisir entre
plusieurs perfectionnements possibles, être capable de renoncer à des progrès
trop chèrement acquis, c'est-à-dire à ceux qui auraient des conséquences
mauvaises, autrement dit encore, c'est pouvoir distinguer les progrès
essentiels des progrès secondaires et ne pas sacrifier les premiers aux
derniers. Laissant de côté les amalgames de méthodes, qui sont tout le
contraire d'une méthode, nous pouvons dire qu'il n'existe en réalité que trois
méthodes : celle des logiciens, celle des pédagogues artistes, celle des
psycho-pédagogues. L'enfant fut longtemps considéré comme un petit homme
imparfait qu'il fallait éduquer et instruire suivant un idéal éducatif et des
programmes d'enseignement. Éduquer, c'était ordonner, défendre, punir.
Instruire, c'était faire acquérir une certaine somme de connaissances
logiquement divisées et subdivisées en matières que l'un commençait par
définir. Nos anciens manuels d'histoire, de géographie, de grammaire,
d'arithmétique, commençaient par de telles définitions : « l'histoire est... »,
etc. De plus, l'étude de chaque matière se faisait toujours suivant une
progression logique qui partait toujours des éléments : on commençait
l'apprentissage de la lecture par l'étude des lettres, celui du calcul par
l'étude de la numération, celui du dessin par le tracé des lignes, etc. L'étude
de la géographie, de la grammaire, etc., commençait de même par des éléments :
golfes, caps, îles..., parties du discours, etc. Évidemment les logiciens qui
voulaient aller vite et droit au but, sans perte de temps, croyaient suivre la
marche du facile au difficile. Il faut reconnaître qu'en suivant un ordre
logique et en avançant pas à pas et « de proche en proche », comme le veut M.
J. Gal, on se rapproche fort d'une telle marche, cependant on ne la suit pas
toujours. Demandez à un tout jeune enfant de dessiner une ligne droite et une
pomme : il vous présentera une ligne qui ne sera pas droite à côté du dessin
d'une pomme beaucoup plus satisfaisant. Essayez de faire apprendre à lire, à un
débutant, des lettres (éléments de mots) et des mots, en nombre égal, présentés
globalement : ce sera ce dernier apprentissage qui demandera le moins de temps.
Qu'il apprenne à parler ou à marcher, l'enfant suit un ordre naturel qui n'est
pas l'ordre logique, et l'on peut s'en rendre compte également en étudiant les
progrès des enfants lors de l'acquisition des notions de nombre. Nous disons
bien les progrès des enfants, car la marche n'est pas identique pour tous : il
y a pour les enfants plusieurs marches du progrès. Si même nous ne tenons pas
compte des différences individuelles –qui font, par exemple, que certains
enfants font l'acquisition de la notion de 2 avant d'acquérir celle de 1 – et
que nous considérions l'enfant moyen, nous avons l'ordre d'acquisition moyen :
1, 2, 3, 1/2, 4, 5, 1/4,... (1/3 apparaissant plus tard), etc... Non seulement
cet ordre psychologique n'est pas l'ordre logique, mais encore l'acquisition des
notions ne se fait pas progressivement, l'enfant ne « monte pas une marche,
puis une autre, puis une autre... » comme le voudrait J. Gal, il fait des bonds
successifs, puis s'arrête. La compréhension des notions nouvelles se fait
brusquement, puis l'enfant s'efforce de fixer sa nouvelle découverte,
l'appliquant à propos et hors de propos ; enfin arrive l'abandon, le repos plus
ou moins apparent auquel succède un nouveau bond et le progrès se continue
suivant le même rythme : découverte, fixation de la découverte, repos. Tous les
progrès de l'enfant sont soumis au rythme, l'enfant a ses métamorphoses, il va
de l'avant par révolutions autant que par évolution et l'enseignement, qu'il
s'agisse de lecture, de calcul, etc..., donné pas à pas, progressivement peut
atténuer mais non empêcher cette périodicité des progrès. La méthode des
logiciens n'est pas seulement combattue par les psychologues parce qu'elle ne
tient pas compte du développement mental de l'enfant – considéré dynamiquement
et non statiquement – mais aussi parce que le souci de meubler l'esprit nuit à
la formation des intelligences : en enseignant à l'enfant une logique d'adulte,
on ne lui permet pas de se servir de sa propre logique et de la développer.
Enfin pédagogues artistes et psychologues sont d'accord pour faire grief aux
méthodes logiques de leur manque d'intérêt. Tout d'abord, dit le pédagogue
allemand Stiehler, les Logiciens construisirent leur système « en dehors de
l'enfant ». Les formes géométriques, analytiques, synthétiques réjouirent le
cœur des mathématiciens et des pédagogues pédants qui adoptèrent un ordre
logique et des formes rigides : pentagone après triangle, etc... Mais l'enfant
indocile ne veut rien savoir, il désire dessiner des choses, des scènes animées
qui font battre son cœur, mais que les logiciens déclarent être trop difficiles
à dessiner pour lui. Ce que Stiehler dit de l'enseignement du dessin est vrai
pour tous les autres enseignements. La méthode des logiciens est un désert
aride, sans intérêt pour l'enfant. Les défauts de la méthode logique
provoquèrent la réaction des pédagogues artistes. Comme dans toute réaction,
ils furent à l'extrême opposé. Gradation et graduation logique et autorité
furent abandonnées. Intérêt et Liberté furent les nouveaux mots d'ordre. Les
centres d'intérêts et le souci d'éduquer remplacèrent la division logique et le
souci d'instruire. Pour satisfaire l'intérêt des enfants, on employa des
méthodes globales de lecture, d'écriture, de dessin, etc., et, plaçant
au-dessus de tout l'intérêt de l'enfant, on ne se préoccupa guère de savoir si
de telles méthodes étaient plus ou moins rapides que les anciennes. Cette
pédagogie fut impressionniste, intuitive et libérale. Cependant, tout comme les
logiciens, les pédagogues artistes l'avaient, en une certaine mesure,
construite en dehors de l'enfant. Il y a des éléments intellectuels dans les
facultés et les intérêts de l'enfant. « L'idée erronée d'après laquelle on
peut, en faisant appel aux tendances spontanées et en ayant recours à de
nombreux matériaux, se passer entièrement du travail logique, vient de ce qu'on
ne se rend pas compte de la grande part jouée dans la vie de l'enfant par la
curiosité, le raisonnement, l'expérience, la preuve. Nous sous-estimons ainsi
l'élément intellectuel, c'est-à-dire le seul élément éducatif dans le jeu et le
travail plus spontané de l'individu. Tout maître attentif à la manière dont la
pensée intervient dans les expériences faites par l'enfant normal, évitera
aisément de confondre la logique avec la préparation systématique préalable de
la matière à enseigner ; il ne se figurera pas non plus que le seul moyen
d'éviter cette erreur est de négliger toute considération logique. Il apercevra
que le but réel de l'éducation intellectuelle est de faire que des dispositions
naturelles deviennent des aptitudes exercées et éprouvées, capables de
transformer la curiosité plus ou moins fortuite et la suggestion dispersée en
attitudes qui disposent à la recherche active, prudente et poussée à fond. Il
verra que le psychologique et le logique, loin d'être opposés (ou simplement
indépendants l'un de l'autre) sont liés au même titre que le premier et le
dernier terme d'un même processus continu d'évolution normale. » (Dewey.) Il y
a, d'ailleurs, trois écueils que n'ont pas toujours su éviter les pédagogues
artistes. D'abord ils ont risqué de tarir l'intérêt à sa source. Que l'enfant
fasse ce qui lui plaît, ce qui l'intéresse, fort bien si son travail ne
présente ni trop ni trop peu de difficultés, car un travail trop difficile
décourage et un travail trop facile n'intéresse que dans une faible mesure.
Ensuite, si l'on demande à l'enfant ses désirs et ses besoins, ils deviennent
tyranniques, et si l'on fournit un aliment à tous les intérêts manifestés, on
risque d'entretenir des intérêts qui ne présentent plus d'utilité pour
l'individu qui évolue, au détriment du meilleur épanouissement de cet individu
dont on retarde ainsi le développement. Enfin nous ne saurions admettre que
l'on tienne si peu compte des pertes de temps qui résultent de l'emploi d'une
telle méthode. L'humanité n'a progressé que parce que chaque génération s'est
assimilée rapidement, en sa jeunesse, les connaissances acquises par les
générations antérieures et a pu, ainsi, ajouter ensuite sa pierre au progrès.
Malgré les critiques, qu'ils s'adressent mutuellement, logiciens et pédagogues
artistes reconnaissent que l'enfant doit, travailler, faire effort et
s'intéresser à son travail. Les logiciens eux-mêmes, pour qui la progression
prime l'intérêt, essaient d'obtenir cet intérêt au moyen de procédés :
recherche de livres bien illustrés, de problèmes amusants, etc... Mais
logiciens et partisans de l'intérêt oublient que l'enfant est un être qui
évolue ; les premiers confondent le but à atteindre et le chemin à parcourir ;
les seconds oublient que les intérêts de l'enfant sont de valeur inégale, qu'il
en est de périmés, au rôle fini, que d'autres sont en plein épanouissement ou
même seulement naissants. Les psycho-pédagogues expérimentaux, eux, ne
cultivent pas tous les intérêts, mais une sélection d'intérêts utiles au
développement de l'individu, ils veulent aider l'enfant à s'épanouir, à devenir
lui-même mais non pas le maintenir dans un stade intérieur de son
développement. L'intérêt, pensent-ils, doit être entretenu par une progression des
difficultés qui permette aux efforts de l'enfant d'être aussi productifs que
possible. Cette progression doit être fixée expérimentalement et non
logiquement avec le souci de former la logique de l'enfant et non avec celui de
lui imposer la logique de l'adulte. Cette logique d'adulte est une fin, non un
moyen. En résumé, les psycho-pédagogues expérimentaux, dans leur marche vers ce
que nous pouvons appeler la méthode idéale d'enseignement et d'éducation, se
préoccupent, en tenant compte des aptitudes, des intérêts et des besoins de
l'enfant : 1° de fixer le but à atteindre ; 2° de rechercher le point de
départ, c'est-à-dire la liaison entre le but à atteindre d'une part, les
intérêts et les besoins de l'enfant de l'autre ; 3° cette recherche n'est
possible que si le maître connaît bien la matière d'enseignement pour choisir
la manière de l'aborder en tenant compte des intérêts de l'élève, de la
technique spéciale à cette matière, d'une progression psycho pédagogique qui
tienne compte des difficultés réelles et de l'importance de chacune d'elles ;
4° des conditions de milieu et de tous les moyens qui peuvent agir dans un sens
favorable au but poursuivi ; 5° d'apprécier les difficultés qui ne permettent
pas d'atteindre l'idéal entrevu pour s'efforcer d'adapter cet idéal aux
réalités en atteignant l'optima, c'est-à-dire le maximum du possible. Pour être
clair ce résumé doit être développé, nous le développerons donc en suivant un
ordre logique, mais nous tenons à faire observer que cet ordre, qui nous est
imposé par la nécessité d'être aussi clair que possible, n'est pas l'ordre
chronologique. En réalité, le pédagogue, soucieux de marcher vers la méthode
idéale, n'attend pas que l'un des cinq problèmes que nous avons posé soit
solutionné pour s'occuper du suivant ; ces solutions sont provisoires, sujettes
à révision et perfectionnées peu à peu ; il n'a pas à trouver cinq réponses
isolées, indépendantes ; tout se tient et la fixation du but, pour n'en prendre
qu'un exemple, ne peut être parfaite qu'après étude des autres problèmes et
doit sans cesse subir des modifications puisqu'elle est établie en fonction
d'un être qui évolue. I. Recherche du but. – Cette question du but a été
traitée longuement par nous au mot « Éducation » auquel nous renvoyons le
lecteur. Peut-être nous y sommes-nous un peu trop préoccupés du futur ; il
importe aussi de se préoccuper des besoins actuels de l'enfant qui grandit.
Avant de songer à préparer à la vie, il faut penser à ce qui est vivifiant pour
le présent. Ce but général que nous avons indiqué nous impose des buts
secondaires qu'il s'agit d'abord de déterminer. Certes les instituteurs publics
ont des programmes officiels qui leur imposent certains de ces buts secondaires
; il ne leur en reste pas moins une certaine liberté de choix ; chaque maître a
ses matières d'enseignement, ses sujets préférés ; malheureusement cette
préférence résulte le plus souvent des goûts personnels. Il faudrait que pour
chaque matière d'enseignement, chaque sujet d'études, le maître se demandât : «
Quel sera actuellement l'effet de mon enseignement ? Quelle en sera la portée
lointaine ? » et qu'à la suite de telles questions, il négligeât le moins utile
au profit de l'essentiel. Il est nécessaire aussi de préciser ces buts. Il
pourra paraître suffisant à un père de famille de me dire : « Apprenez à lire à
mon fils ? » mais cette réponse imprécise ne me satisfera pas. Je réfléchirai
après avoir observé la vie. Je constaterai que la lecture la plus usitée et la
plus utile n'est pas la lecture à haute voix, courante et expressive, à
laquelle on attache encore tant de prix dans nos écoles mais la lecture mentale
silencieuse et compréhensive : qui a pour but de nous communiquer par la vue
une pensée formulée par écrit. Je verrai que la classe capitaliste tire parti
de cette connaissance pour empoisonner la pensée ouvrière avec sa presse
bourreuse de crânes et je penserai que savoir lire peut être nuisible à qui
manque d'esprit critique. De ces observations et d'autres encore, je tirerai
des conclusions, et ces conclusions me permettront de préciser le but que je
dois atteindre en lecture, m'indiqueront, en une certaine mesure, les moyens
d'y parvenir qui seront pour moi de nouveaux buts secondaires. Je réfléchirai
encore après avoir étudié dans les livres de sociologie, de psychologie, de
pédagogie, etc., et observé l'enfant. Ayant, par exemple, appris que l'adulte
qui lit n'épelle pas, je me dirai que l'épellation n'est peut-être pas utile,
ou tout au moins aussi utile qu'on le pense, pour l'apprentissage de la lecture
et ceci m'engagera à entreprendre des recherches qui me permettront d'améliorer
ou de changer ma méthode d'enseignement de la lecture. II. Recherche du point
de départ. – Le développement actuel de l'humanité, les connaissances acquises,
sont tels qu'ils sont parce que les hommes, dans le passé et dans le présent,
ont eu et ont des intérêts, des besoins et des aptitudes que nous retrouvons
chez les enfants. Ces intérêts, ces besoins, ces aptitudes sont plus ou moins
développés, n'existent parfois qu'en germe et à l'état latent chez les enfants
; il faut pourtant les découvrir, car ce sont eux les leviers du progrès, les
points dont il nous faudra partir pour, par une récapitulation abrégée (voir
Éducation) faire acquérir à l'enfant une partie des conquêtes de l'humanité. Il
faut que l'éducateur connaisse, aussi complètement et d'une manière aussi
souple que possible, les expériences que l'humanité a faites – le savoir qu'il
peut faire acquérir à ses élèves n'en est qu'un résumé, – qu'il sache quels
sont les intérêts, les besoins, les pouvoirs de l'enfant pour les mettre en
œuvre, les exercer, les diriger vers les buts possibles qu'il se propose. «
Chacun, dit Roszger, a en lui la place où le maître peut piocher de la façon la
plus sûre. Alors il s'agit de mettre la main à cette place... d'obliger
chacun... à économiser et à fortifier sa puissance particulière. Et la
puissance particulière sera le point de départ d'où les autres territoires
seront renforcés et fécondés... le descriptif fera un effort volontaire s'il
doit expliquer sa description par le dessin. » Ainsi le progrès enfantin ne
sera pas obtenu malgré l'enfant et nous ne compterons pas non plus sur son bon
plaisir ou sa fantaisie pour le diriger dans la voie du progrès ; ce que nous
voulons ce n'est pas que l'enfant fasse tout ce que nous voulons ou tout ce
qu'il veut mais qu'il veuille tout ce qu'il fait et ceci n'est possible que si,
connaissant bien l'enfant, nous le plaçons dans des conditions telles que nous
puissions agir envers lui de telle façon qu'il veuille ce qui est bon et utile
à ses progrès. III. Recherche de la progression. – Ayant déterminé le point de
départ et le but, avons-nous besoin de prévoir l'ordre que nous suivrons pour
aller de l'un à l'autre ? Une progression, un plan sont-ils utiles ? La question
n'est pas superflue, les pédagogues artistes s'en rapportent à leur flair
pédagogique ; leur amour de l'enfant leur permet de trouver intuitivement la
route qu'il convient de suivre plus sûrement, pensent-ils, que des recherches
méthodiques. Sans cesse on nous donne en exemple le sentiment maternel, la
pédagogie maternelle faite d'amour et d'intuition. Certes, l'amour des enfants
est une des conditions du succès en éducation et non la moins importante.
Cependant, malgré leur intuition et leur amour, de nombreuses mamans pleurent
des bébés qu'elles ont perdus parce qu'elles ne connaissaient pas,
n'appliquaient pas des règles élémentaires de puériculture. Malgré leur
intuition et leur amour, de nombreux parents donnent à leurs enfants une
éducation mauvaise. On a voulu ainsi apprendre des langues étrangères par des
méthodes directes empiriques, sans se rendre compte que l'âge des élèves
permettait d'utiliser des moyens d'enseignement que l'on ne peut employer avec
des tout petits. Il est résulté de cela des pertes de temps qu'il convient
d'éviter. Le progrès naturel nous offre d'ailleurs des exemples d'ordre, de
gradation. Étudiant cet ordre dans l'acquisition d'une langue, Louis Marchand
écrit : « Il y a un sens dans le développement du vocabulaire. Ce sens nous est
indiqué à la fois par le coefficient d'usage des mots et leur degré
d'élaboration ». Évidemment des mots comme aller, venir, la maison, le père
sont plus employés que horizon, blême, badiner, spontané, etc. « De plus, dans
tous les milieux linguistiques, les mots s'élaborent par le jeu des gradations
suivantes (nous résumons) : « 1° Gradations de formes ou étymologiques. Ex. :
Tous les Français apprennent pouvoir avant possible, impossible, possibilité,
impossibilité, etc. 2° Gradations de sens. Ex. : Tous les Français apprennent
rouler (quelque chose) avant rouler (quelqu'un, etc...). Il en est de même pour
la grammaire. Nous y trouvons des gradations : a) Dans la construction de la
phrase ; b) Dans la conjugaison des verbes ; c) Dans l'emploi des mots
variables ; d) Dans l'emploi des mots invariables. Par exemple, tous les
Français apprennent automatiquement : La proposition principale avant la
subordonnée ; L'indicatif avant le subjonctif ; L'adjectif petit avant
l'adverbe petitement ; Les prépositions pour, depuis avant les conjonctions
pour que, depuis que, etc... ». Il est d'autres ordres encore dont le pédagogue
doit tenir compte. S'il veut faire étudier les mathématiques à ses élèves, le
professeur n'ira pas au gré de sa fantaisie, car les mathématiques sont une
étude constructive, il faut savoir ce qui précède pour pouvoir comprendre ce
qui suit et il faut, dans cette étude logique, suivre un ordre logique. Ainsi
deux ordres : l'ordre de vie et l'ordre logique doivent d'abord préoccuper le
pédagogue. Le plus souvent il devra, chose difficile, s'efforcer d'adapter son
enseignement à ses deux ordres. Prenons un exemple : dans le programme de
sciences figure l'étude des phénomènes naturels : pluie, vent, neige, etc...
Ces phénomènes il faudra les observer (ordre de vie), les expliquer (ordre
logique). On pourra sans doute, alors, comme le propose Elslander, distinguer
l'ordre éducatif qui suit la marche naturelle des découvertes de l'ordre
scientifique qui a pour objet l'organisation des connaissances ; mais cette
distinction est au moins aussi théorique que pratique, car on ne peut songer à
faire tout redécouvrir à l'enfant (voir Éducation), Ainsi la vie, celle de
notre milieu, doit nous de guide dans l'ordre des études. Non pas en ce qui
concerne l'observation – il est bien évident qu'on n'observera pas les fleurs,
les fruits, la neige, etc..., n'importe où et n'importe quand – mais encore
pour tous autres sujets d'étude ; en lecture par exemple, il importe de
commencer par l'étude des mots plus familiers à l'enfant. La logique des
matières d'étude est notre second guide. Il est évident que le théorème C ne
sera étudié qu'après les théorèmes A et B si la connaissance des théorèmes A et
B est nécessaire à la démonstration du théorème C. L'enfant constitue un troisième
guide dont nous nous efforcerons d'alimenter les intérêts par l'observation de
l'ordre de vie et d'autres moyens. Mais l'intérêt de l'enfant n'est pas seul en
jeu ; il faut tenir compte de tout son développement mental, alors que les
mathématiques nous imposent une gradation logique, le développement mental de
l'enfant nous impose une graduation ; il faut que l'enfant apprenne ce qui est
facile avant d'étudier ce qui est difficile. Il y a des enseignements qui sont
prématurés parce qu'on les donne à des enfants trop jeunes, qui apprennent des
mots ou des phrases qu'ils ne peuvent comprendre. Résumons-nous. Nous avons à
nous préoccuper de rechercher des gradations – qui permettront d'éviter l'amas
des difficultés, nuisible à l'intérêt ; ces gradations seront établies en
tenant compte d'un ordre de vie favorable à l'observation et à l'intérêt et
d'un ordre logique nécessaire à la compréhension de certains sujets – et des
graduations qui, assurant la marche du facile au difficile, seront favorables à
la compréhension, à l'intérêt et à la bonne assimilation des connaissances.
Faute d'ordre logique, il y a efforts vains et perte de temps. Faute d'ordre de
vie, il y a manque d'intérêt et verbalisme. Faute de graduation, il y a tous
les inconvénients qui précèdent avec, en plus, découragement de l'enfant
lorsqu'il se heurte à des difficultés qu'il est incapable de surmonter. Pour
exercer l'enfant à faire effort, il faut que les efforts demandés soient
gradués et bien gradués. Pour établir la progression qu'il convient de suivre,
il est donc nécessaire de tenir compte de trois facteurs : 1° La gradation de
l'ordre de vie, imparfaitement prévisible à l'avance et qu'on ne peut
déterminer avec précision ; 2° La gradation de l'ordre logique ; 3° La
graduation des difficultés. L'ordre logique n'est pas aussi rigide qu'on le
pense, même en ce qui concerne les mathématiques qui constituent la matière la
plus logique de notre enseignement et surtout dans l'enseignement donné aux
jeunes enfants. Si nous examinons des ouvrages d'arithmétique destinés aux
élèves de l'école primaire, nous constatons que ces ouvrages suivent des ordres
divers ayant cependant un certain nombre de points communs. Qu'est-ce que la
logique exige ? Que nous rattachions chaque étude nouvelle aux connaissances
déjà acquises qui permettent de la comprendre. Ainsi l'étude des procédés
employés lors de l'étude des cas particuliers de la multiplication
(multiplicande et multiplicateur terminés par des zéros, etc.) doit être
rattachée aux connaissances déjà acquises sur la multiplication, mais nulle
logique ne nous oblige à étudier ces procédés avant ceux employés pour l'étude
des cas particuliers de la division. De même l'ordre habituel : règle de trois,
puis d'intérêt et enfin d'escompte n'est justifié que par la tradition. Dans
les trois cas, il s'agit de l'étude de grandeurs proportionnelles. La
différence n'existe que dans les conditions différentes de vie et si l'on veut
que les enfants abordent ces problèmes avec fruit, c'est la vie qu'il faut
d'abord leur faire comprendre, c'est l'ordre de vie qui nous permettra de
choisir la gradation à observer dans l'étude de ces trois cas. L'ordre logique
de l'adulte présente aussi parfois l'inconvénient de ne pas tenir compte de la
graduation des difficultés : « L'enfant peut apprendre la numération parlée ou
écrite et l'appliquer longtemps avant d'en comprendre les raisons et de savoir
pourquoi l'on a adopté la base décimale plutôt que la base duodécimale ou
binaire. La règle qui recommande d'aller du connu à l'inconnu n'a, en général,
qu'une valeur relative. Si l'on veut faire travailler l'esprit, il est bon d'y
déposer par anticipation des notions qui soient de véritables points
d'interrogation. Ces notions, d'abord incomprises, sont les matériaux sur
lesquels s'exerce un travail d'élaboration vraiment fécond. » (G. Richard).
L'ordre logique des adultes, introduit pour faciliter la compréhension et
gagner du temps en évitant les tâtonnements et les recherches, ne permet pas à
l'enfant d'exercer sa propre logique. On n'apprend pas à raisonner en apprenant
des raisonnements, mais en raisonnant soi-même. « Aujourd'hui, le maître
précède ses élèves sur la route du Savoir ; et sans cesse il se retourne vers
eux pour leur crier: « Ne perdez pas de vue mon panache blanc. Il ne vous
égarera pas : je l'ai découpé dans mon Brevet supérieur. »... Qu'il marche
désormais à côté d'eux, sans hâte, et qu'il ne les aide pas si les difficultés
du voyage ne sont pas décourageantes. Au lieu de vouloir faire d'eux des
virtuoses précoces et de leur faire parler le jargon du spécialiste, qu'il leur
montre seulement comment on cherche. Ils seront beaucoup plus habiles, plus
tard, si on les habitue à coordonner leurs efforts que si, durant des années,
on leur fait copier des modèles d'une perfection déprimante et d'une origine
mystérieuse. » (Roorda). En résumé, la gradation logique est pour nous but
beaucoup plus que moyen et le souci d'aller vite et droit au but peut être
préjudiciable à la formation de l'esprit. Le souci de graduer les difficultés
n'est pas nouveau. Déjà Pestalozzi écrivait : « Il faut diviser l'enseignement
suivant la marche progressive des forces de l'enfant, et déterminer avec la
plus grande précision... ce qui convient à chaque âge, de manière à ne rien
omettre de ce que l'élève est complètement en état d'apprendre, de manière
aussi à ne pas accabler et troubler son intelligence par des études qu'il n'est
pas encore tout à fait capable d'apprendre ». Mais, quoi qu'en pense Ferrière,
nous sommes encore assez loin de posséder « des vues assez complètes sur
l'échelonnement des difficultés ». Trop souvent l'intuition et la logique des
adultes ont présidé à des graduations arbitraires bien que présentées comme
expérimentales. Or, là où il n'y a qu'un échelon pour nous, il y en a bien souvent
deux pour la plupart des enfants trois ou quatre pour d'autres. Prenons en
exemple deux problèmes : 1° On a partagé, par parties égales, 25 noix entre 5
enfants. Combien chaque enfant a-t-il eu de noix ? 2° J'avais 25 noix que j'ai
données à des enfants. Chaque enfant a eu 5 noix. Combien y a-t-il eu d'enfants
qui ont reçu des noix ? Le lecteur non averti constatant que dans les deux il
obtient la réponse en divisant 25 par 5 pensera qu'il n'y a là qu'une seule et
même difficulté que les enfants pourront surmonter d'une seule et même manière.
La réalité est toute autre ; dans le second cas, il s'agit de faire ce que nous
pouvons appeler une division-mesure (dividende et diviseur sont de même nature)
le problème est plus difficile que le précédent et les débutants, pendant
longtemps, n'en trouveront la solution que par tâtonnements et multiplications
; dans le premier cas, nous avons au contraire, une division-partage (dividende
et quotient sont de même nature) que les enfants solutionnent plus facilement et
en procédant plus tôt par division véritable. Si nous voulons que les enfants
ne perdent pas leur temps à faire des travaux qui ne présentent plus de
difficulté pour eux ou ne se rebutent pas en présence de travaux trop
difficiles, il faut que nous recherchions la graduation naturelle des
difficultés sans oublier que cette graduation varie dans certaines limites
suivant les individus. Et, si nous voulons agir efficacement sur le
développement mental des enfants, il faut que nous pénétrions suffisamment la pensée
enfantine pour savoir de quelle manière – souvent différente de la nôtre – les
enfants surmontent les difficultés graduées des exercices et travaux que nous
leur proposons. Mais comment faire ? Aimer les enfants d'abord, car sans amour
il ne peut y avoir confiance et collaboration. Or, il faut que les enfants nous
aident, il faut qu'ils soient persuadés que leurs échecs ne provoqueront pas
notre dédain, que leurs procédés naïfs ne seront pas pour nous sujet à
moqueries. Cette collaboration confiante des enfants ne suffit pas. Souvent
l'enfant nous trompe en se trompant lui-même et ceci provient de deux causes
principales : d'abord son langage ne lui permet pas toujours d'exprimer
convenablement sa pensée, il sait, mais ne sait pas comment dire ; ensuite il
est peu apte à s'analyser lui-même et si nous lui demandons d'expliquer comment
il a fait en tel ou tel cas, il se peut qu'il imagine une façon de faire
parfaitement plausible, mais qui n'est pas celle qu'il a employée. À cela il
est deux remèdes : les recherches expérimentales, l'étude des ouvrages de
psychologie et de pédagogie. Les recherches expérimentales, cela va de soi,
devront être conduites suivant les méthodes de la psychologie et de la
pédagogie expérimentales que nous ne pouvons exposer ici. L'étude des ouvrages,
des ouvrages récents surtout, guidera certaines recherches et permettra d'en
éviter d'autres, car il est bien évident qu'il est inutile de chercher ce qui a
déjà été trouvé par des psychologues ou pédagogues expérimentaux dignes de foi.
Il n'y a peut-être pas inutilité absolue et il n'est pas mauvais parfois de
vérifier et de contrôler, mais ce n'est généralement pas par là qu'il faut
commencer. Notre exposé divisé logiquement peut faire croire qu'il faut
rechercher successivement et séparément : la gradation de l'ordre de vie, la
gradation de l'ordre logique, la gradation des difficultés ; puis, tenir compte
de ces trois facteurs pour déterminer la progression convenable. Constatons
d'abord que l'importance de ces trois facteurs varie avec les sujets d'étude :
on se préoccupera plus de la gradation logique pour l'enseignement des
mathématiques que pour celui de la géographie, par exemple. Il peut d'ailleurs
être possible d'obtenir une progression tout aussi satisfaisante en procédant
différemment. Voulant rechercher, par exemple, la progression convenable pour
l'enseignement de la lecture, nous avons fait lire des textes quelconques mais
ne contenant que des mots usuels et familiers aux enfants, en notant au fur et
à mesure, grâce à des procédés qu'il nous a fallu imaginer au préalable, les
difficultés rencontrées et les étapes du progrès. Il est bien évident que les résultats
constatés dépendaient de l'ordre de vie et de l'ordre de graduation des
difficultés. Nous aurions pu rechercher séparément ces deux ordres, mais c'eût
été plus compliqué et plus long et nous aurions été embarrassé par la suite, ne
sachant au juste quelle est l'importance relative de ces deux facteurs. IV. –
Recherche du milieu et des moyens. – La question du milieu, fort négligée
habituellement, préoccupe, à juste titre, tous les grands pédagogues. Le milieu
est l'un des facteurs les plus importants de la méthode. Dewey écrit qu'il faut
« mettre l'enfant dans des conditions si conformes à ses facultés et à ses
besoins, qu'elles favorisent d'une manière permanente ses aptitudes
d'observation, de suggestion et ses dispositions à l'investigation. » Decroly,
après avoir comparé les situations des enfants des villes et des campagnes,
déclare : « j'ai compris qu'il fallait, pour obtenir une amélioration, essayer,
tout d'abord, de réaliser le milieu convenable pour l'enfant. Il m'a été permis
ainsi de me convaincre plus encore de l'énorme influence qu'il exerce sur sa
mentalité et son activité. « Je me suis aperçu, peu à peu, que la classe est un
pis-aller, que le milieu naturel est constitué par une ferme, des champs, des
prairies, des animaux à élever, des plantes à semer, à soigner, à récolter,
représentait le vrai matériel intuitif capable d'éveiller et de stimuler les
forces cachées dans l'enfant. Je me suis pénétré aussi de la vérité que, chez
la majorité des élèves, l'intérêt latent pour les choses de la nature, êtres et
phénomènes, permettait d'y trouver une mine inépuisable de sujets capables de
servir de prétextes à penser, à calculer et à écrire de la manière la plus
normale et la plus rationnelle. C'est le moyen qu'ont pratiqué les hommes
depuis qu'ils sont à la surface du globe, et c'est celui que les adultes, qui
sont dans la vie vraie, doivent pratiquer, chaque jour, pour s'adapter et
remplir leur tâche sociale. « … De là est venue aussi la conviction : 1° qu'il
faut tendre à reporter toutes les écoles primaires vers la campagne ; qu'en
attendant, il faut y introduire le plus de nature vraie possible, et mettre
très souvent les enfants en contact avec elle, par la culture, l'élevage, les
excursions botaniques, zoologiques, géologiques, et autres ; 2° Qu'il faut
tâcher de faire voir et pratiquer dans la mesure du possible, à l'enfant, les
métiers simples qui transforment la matière brute en objets utiles ou en
aliments assimilables (menuisier, cordonnier, tailleur, forgeron, charron,
meunier, boulanger, cuisinier, etc.) ; 3° Qu'il faut aussi essayer de lui
montrer sur le vif, les formes élémentaires de la vie sociale, de l'organisation
communale, et de les lui faire pratiquer en introduisant dans la classe, des
charges, des responsabilités ; puis peu à peu, lorsque l'âge est venu, en les
faisant intervenir dans la discipline et les rouages divers de la grande
famille dont il fait partie. » De ce milieu scolaire fait partie le matériel
d'enseignement. Trop souvent le matériel est fait pour permettre au maître
d'expliquer, d'expérimenter alors qu'il faudrait surtout qu'il puisse permettre
à l'élève d'observer et de faire des recherches. Trop souvent aussi le matériel
vivant (chenilles qu'on élève, etc.), qui est fort utile pour l'intérêt de
l'enfant et ses observations, est négligé. Cependant le défaut de matériel est
l'un des moindres défauts de notre école. Les procédés imaginés sont nombreux
mais d'inégale valeur ; il conviendrait de faire parmi eux une sélection
méthodique en n'oubliant pas qu'ils sont des moyens de réaliser une méthode,
qu'ils doivent être les esclaves de la méthode et qu'il est souvent besoin de
les adapter en tenant compte de cette méthode. Dans le milieu scolaire il y a
le maître. Les habitudes du maitre ont une influence évidente sur les enfants ;
sans qu'il le veuille, souvent elles font partie de sa méthode. Le gros défaut
actuel, c'est que le maître occupe une place trop importante dans le travail
des enfants ; il faudrait qu'il soit plutôt aide et conseiller que directeur.
Il importe aussi qu'il n'exagère pas son inf1uence personnelle, sache apprécier
des goûts différents des siens, des idées originales, sans cela il ne pourrait
habituer ses élèves à l'indépendance de pensée, car ceux-ci s'attacheraient.
avant tout à fournir des réponses qui lui plaisent et limiteraient ainsi leur
effort. Il n'est pas désirable que le résultat et l'effort des enfants « soient
uniquement appréciés d'après le degré où ces réponses sont conformes à celles
que le maître désire. » V. – Adaptation de la méthode. – Imaginons qu'ayant
quitté notre classe, on nous confie un jour un seul élève. Il nous faudra tout
d'abord, mais peu à peu, au cours de notre œuvre éducative, faire connaissance
avec cet enfant, nous efforcer de connaître l'état de son développement mental,
ses acquisitions antérieures, ses aptitudes, ses intérêts, car le but que nous
proposerons doit être adapté à tout cela, à moins que nous ne voulions
poursuivre l'irréalisable et remplacer l'éducation par le dressage. Ceci nous
sera également indispensable, si nous voulons déterminer nos points de départ
et adapter les progressions à suivre aux possibilités de notre élève. Après
cela la méthode sera, au moins théoriquement, fort simple : il nous suffira de
choisir ou de réaliser les conditions de milieu, de matière et de procédés de
telle façon que ce choix ou cette réalisation réponde aux intérêts de l'enfant
– surtout à ceux qui sont en plein épanouissement ou naissants ; – permette de
suivre la progression que nous avons déterminée. Il nous faudra choisir,
sélectionner parmi de multiples occasions, faire naître au besoin des occasions
favorables, car le pédagogue, si libéral soit-il, ne doit pas être un soliveau.
On s'imagine aisément un tel enseignement idéal placé à la croisée des chemins
dont l'un conduit au savoir suivant une progression soigneusement déterminée et
dont l'autre, plus tourmenté, suit l'évolution des intérêts de l'enfant.
L'application de la méthode idéale à une collectivité d'enfants suppose en plus
la détermination pour toutes les matières et tous les types intellectuels : 1°
de la progression convenant aux élèves moyens ; 2° des étapes de cette
progression qui peuvent être réunies lors de l'enseignement aux élèves forts ;
3° de celles de ces étapes qui doivent être divisées pour faciliter les progrès
des élèves faibles. Si l'on joint à ceci toutes les conditions que nous avons
indiquées précédemment, il n'est pas malaisé de se rendre compte que l'idéal
que nous avons déterminé est parfaitement inaccessible. Mais, comme nous
l'avons dit dès le début de cette étude, cet idéal est un guide précieux qui
nous permettra de marcher dans la voie du progrès sans sacrifier les
améliorations essentielles aux progrès de moindre importance. VI. – De quelques
conditions du progrès. – Cette recherche de la méthode idéale nous permet de
concevoir également quelques conditions qu'il serait nécessaire de réaliser
pour favoriser la marche du progrès. Citons seulement les principales : 1°
transformation des milieux éducateurs ; 2° meilleure formation des maîtres ; 3°
collaboration des maîtres et des familles ; 4° classes à effectifs réduits.
Méthodes et systèmes. – Il a été question, au début de cette étude des méthodes
Decroly, Montessori, etc. Il en est d'autres ; à certaines on donne tantôt le
nom de méthode et tantôt celui de système et parfois même le mot plan (plan
Dalton, etc.) est employé. Pour l'étude de ces méthodes, systèmes ou plans nous
renvoyons le lecteur au mot système. –
E. DELAUNAY
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