n. f.(du latin : mater) Femme
qui a mis au monde un ou plusieurs enfants. Dernier stade de l'évolution de la
femme, tant dans le domaine physiologique que psychologique. La vierge, la
femme stérile, sont des femmes incomplètes. Physiquement, la femme qui a été
mère est plus belle et conserve sa fraîcheur plus longtemps que la femme qui
n'a pas connu la maternité. Évidemment, il ne peut être question des femmes aux
maternités trop souvent répétées, pour lesquelles la maternité ne signifie que
gêne, restrictions et fatigues. Mais, à âge égal, la femme qui n'a jamais été
mère est en général plus fanée que celle qui connut quelques maternités
heureuses, assez espacées pour permettre au corps de se raffermir et de
reprendre sa vigueur, et qui n'eut pas à connaitre les privations et le
surmenage. La maternité est l'épanouissement de la femme, la mère est la femme
dans la plénitude de sa force et de sa grâce. Le charme puéril et gracile de la
vierge ne peut pas être comparable à la beauté de la mère. Qui n'a admiré le
tableau d'une jeune mère allaitant son enfant ? C'est une image de vie d'une
force saisissante, et devant laquelle le penseur est ému. C'est que la « Mère »
est dans le sens de la vie. Dans l'ordre naturel aussi bien que dans l'ordre
social, la femme qui n'est pas mère n'a pas de raison d'être. La mère est la
fondatrice de la famille et de la société. À l'origine des âges, l'homme,
nomade par instinct, ne s'est fixé au sol que parce que la mère l'y a fixé.
Élie Reclus, dans son ouvrage sur Les Primitifs nous le dit éloquemment : «
Nonobstant la doctrine qui fait loi présentement, nous tenons la femme pour la
créatrices de la civilisation en ses éléments primordiaux. Sans doute, la femme
à ses débuts ne fut qu'une femelle humaine ; mais cette femelle nourrissait,
élevait et protégeait plus faible qu'elle, tandis que son mâle, « fauve
terrible, ne savait que poursuivre et tuer. Il égorgeait par nécessité et non
sans agrément. Lui, bête féroce par instinct ; elle, mère par fonction... »
C'est sur cette fonction de la mère que la civilisation s'est édifiée. La mère
est aussi vieille que l'humanité. Les primitifs ignoraient la paternité,
n'établissant pas de relation entre l'acte sexuel de la fécondation et la mise
au monde d'un enfant par une femme. Mais le lien maternel était indéniable.
Fécondée au hasard par l'un ou par l'autre, la mère seule existait. Ses enfants
l'entouraient. La horde primitive ne connaissait pas le père. Elle allait sous
la conduite du chef, auquel tous obéissaient, mâles et femelles ; les mères
chargées des petits, les hommes chargés du butin. Quand la horde se fixa, la
mère devint la créatrice du foyer. Dans la hutte grossière, elle était la
gardienne et la protectrice des enfants, pendant que les hommes étaient à la
chasse et à la pêche, ou s'occupaient à cultiver le sol, chez les peuples
agriculteurs. Gardienne des enfants, elle devint également gardienne du butin
et des récoltes, qu'elle dut conserver et administrer. De là ces fonctions qui
sont devenues la consécration sociale de la femme, mais qui, ne l'oublions pas,
lui ont été conférées parce qu'elle était la mère. Mais là ne s'est pas bornée la
participation de la mère à l'œuvre civilisatrice. La civilisation lui est
encore redevable de la plus noble des forces morales qui ait soutenu et consolé
l'humanité et qui la conduira vers l'harmonie et le bonheur : l'amour. L'amour
maternel est à l'origine de tous les amours. Fait sans doute d'instinct et
d'animalité dans son expression première, il était cependant l'amour, et le
seul amour qui fut. Ayant à protéger plus faible qu'elle, à soigner, secourir,
consoler, la mère apprit le dévouement, la sollicitude, la tendresse patiente,
la pitié, l'indulgence, le pardon. Toutes ces vertus qui, par la suite, se
développeront d'âge en âge, et qui contiennent la rédemption morale du monde,
c'est la mère qui les a apportées au monde. Ce n'est pas la femme, ainsi qu'on
le dit couramment. La femme, prise en tant qu'individu au même titre que
l'homme, est, comme lui, égoïste et comme lui recherche le plaisir et la
jouissance. Elle ne s'élève à l'altruisme, au désintéressement, que par la
maternité qu'elle porte en elle et qui domine toute sa vie, même lorsqu'elle
n'est pas mère. Il est nécessaire de ramener toujours une question à son point
de départ, et celle-ci plus que toute autre. On a tendance aujourd'hui à
décrier la maternité, à rabaisser la mère, à l'inférioriser socialement et
moralement. C'est une grave erreur des temps modernes. Le machinisme, qui
enlève la mère à ses enfants et détruit l'harmonie du foyer, obnubile notre
raison et nous porte à juger faux en subordonnant aux questions d'ordre
secondaire les vérités primordiales et fondamentales de la vie. Le machinisme
passera. La mécanisation à l'américaine n'est heureusement qu'une de ces erreurs
comme l'humanité en commet dans sa marche au progrès, mais dont elle guérira.
Et « la mère » survivra au mal moderne, comme elle a survécu à tous les
bouleversements sociaux et économiques. Elle y survivra précisément parce
qu'elle est la Vie, source de vie et d'amour, dispensatrice du bonheur humain,
régulatrice des mœurs et de la morale. Toutes les vieilles religions du passé
ont élevé sur le monde le mythe rédempteur d'une mère portant un enfant sur ses
bras. C'est un symbole d'une haute signification, qui est encore l'espoir des
penseurs et des moralistes, dans l'apparente confusion et contradiction des
théories de l'heure présente. Mais la confusion n'est qu'apparente. L'ordre est
la loi du cosmos et le rythme du temps. La « mère » restera la conception la
plus parfaite de l'universelle vie et de l'universel amour, parce qu'elle est
l'image la plus vraie du principe d'Universalité.
***
Fonction physiologique. –
Physiologiquement, la mère passe par trois phases distinctes : l'attente,
l'enfantement, l'allaitement. Toutes les femmes ne ressentent pas de la même
façon la première phase. Si l'enfant est désiré, conçu volontairement, s'il est
aimé avant sa conception même, l'attente est une période heureuse. Il se
produit alors, chez la future mère, un travail psychologique qui marche de pair
avec la fonction physiologique et qui est du plus heureux effet sur
l'intelligence et la pensée. Ramenée sans cesse vers le petit être qu'elle sent
vivre en elle, la femme se trouve presque à son insu portée vers les graves
questions de la vie. Cet enfant qui va naître lui révèle le monde. Si l'enfant
n'était pas désiré, ou si la mère est déjà fatiguée par des maternités
pénibles, cette période de l'attente pourra être, à ses débuts surtout, une
source d'ennui et de mécontentement. Mais, même dans ce cas, l'apaisement se
fait, surtout si la femme a déjà été mère, car il lui devient alors impossible
de séparer celui qui va naître de celui ou de ceux qui l'ont précédé. En
général, quand l'enfant naît, s'il est mal accueilli du père – ce qui arrive
fréquemment dans la classe populaire, lorsqu'il vient s'ajouter à d'autres – il
est déjà aimé par sa mère. Les hommes du peuple protestent contre la charge de
nombreux enfants, mais n'apportent aucune prudence dans l'acte procréateur. Et
il est remarquable que ce soit la mère, fécondée sans sa volonté, qui témoigne
alors le plus de désintéressement, et accueille le pauvre petit non désiré,
sinon avec joie, du moins avec une pitié tendre. L'homme peut mépriser son
petit, l'insulter de noms grossiers ; mais la mère, dès l'enfantement, éprouve
déjà le besoin de protéger et de soigner. Il y a certes des exceptions, mais nous
n'avons à nous occuper ici que de la règle générale. L'instinct maternel est un
fait indéniable. Il n'est ni miraculeux, ni sacré, ni infaillible. Il ne
confère pas l'intelligence à qui ne la possède pas. Il repose tout entier sur
la communauté physiologique. La mère aime son enfant parce qu'il fait partie
d'elle-même, parce qu'il est le prolongement de sa vie, un peu de sa chair qui
continue à vivre en dehors d'elle. Elle est unie à lui par la sensibilité
qu'elle a d'elle-même. Les cris de souffrance de son enfant se répercutent en
elle comme un écho de sa propre souffrance, ce qui explique cette clairvoyance
maternelle, que nombre de médecins attesteront, et qui souvent sauve l'enfant
malade. La nourrice[1]mercenaire,
presque toujours avertie trop tard, réclame le médecin alors qu'il n'est plus
possible d'intervenir. La mère, elle, peut exagérer dans le sens contraire ;
mais le souci constant que lui inspire son petit, l'inquiétude permanente qui
veille en elle, sont la sauvegarde même de l'enfant. Quoi qu'en prétendent
certains adversaires de la maternité, la mère ne se remplace pas. La maternité,
étant fonction de vie, de pensée et d'amour, ne s'industrialisera jamais. «
Toutes les précautions qui doivent entourer un enfant, dit le Dr Vatrey, ne
sont vraiment bien prises que par la mère ». À l'appui de cette déclaration, il
donne les statistiques suivantes, établies par lui-même, d'après ses propres
observations : Enfants nourris au sein par la mère, mortalité, 11,9 p. 100 ;
Enfants nourris au biberon par la mère, mortalité, 30,6 p. 100 ; Enfants
nourris au sein par une nourrice, mortalité, 36 p. 100 ; Enfants nourris au
biberon par une nourrice, mortalité, 77 p. 100. Ainsi donc, l'enfant élevé par
sa mère au biberon a plus de chances de vivre que l'enfant élevé au sein par
une nourrice. L'instinct maternel et l'instinct sexuel. – Qu'il y ait dans
l'attachement de la mère pour l'enfant un souvenir de l'instinct sexuel, c'est
évident et explicable par la physiologie même de la maternité qui a son point
de départ dans l'ovaire, lequel est également l'organe sexuel féminin. Le
plaisir de l'allaitement est analogue au plaisir sexuel surtout masculin : c'est
une sécrétion non spontanée, mais arrachée. Mais prétendre, comme Freud, qu'il
y ait dans la tendresse de l'enfant vers la mère une préformation de l'instinct
sexuel, c'est mythologie pure. C'est mettre la charrue avant les bœufs. La
sensualité de l'enfant n'est rien d'autre qu'un mouvement pour reformer la
communion alimentaire qui existait dans la vie intra[1]utérine. Tout au contraire, c'est l'instinct
sexuel qui, lorsqu'il se produira, conservera quelque chose de l'amour de
l'enfant pour la mère. « Il rêvera partout à la chaleur du sein », dit Vigny.
Le principe positif qui doit nous guider ici, est le suivant : tout le passé
est conservé dans le présent ; mais l'avenir physiologique n'y est pas annoncé.
Supposer le contraire est le fait d'un esprit mal dégagé des vieilles croyances
religieuses.
***
Évolution de l'amour maternel.
– L'amour maternel est un thème universel. La littérature, la poésie, l'art, y
ont puisé au travers les siècles. Fait d'héroïsme et de clémence, Présent
toujours au moindre appel, Qui dira jamais où commence Où finit l'amour
maternel ? SULLY-PRUDHOMME. Force aussi vieille que le monde, au-dessus de tout
ce qui passe et se transforme, l'amour de la mère est resté l'amour qui ne
passe pas. Seul, il sait faire abstraction des formes de la matière pour aimer
seulement l'être que cette matière enferme. Pour l'amour maternel il n'y a pas
de difformité, de laideur, d'infériorité. Il donne sans espoir de retour. Il
n'attend pas la prière, il la devance, il la rend inutile. Il est à la mesure
même de la nécessité ; il descend aux plus infimes détails et s'élève aux plus
hautes conceptions de la pensée. Il est puéril et sublime. Il est la faiblesse
et la force. Il est la vie qui passe et pourtant demeure. Il est patient comme
Dieu parce qu'il est éternel comme lui. Il est Dieu matérialisé et vivant. Au
demeurant le seul Dieu, puisqu'il est le seul amour, source de tout amour et de
toute vie. Pour expliquer cette force de l'amour maternel, il faut comprendre
que la grandeur de l'amour se mesure à sa puissance de renoncement. Or, l'amour
maternel est fait de renoncements successifs, de déchirements répétés. C'est
d'abord la déchirure de l'enfantement, physiquement la plus cruelle, et
cependant celle qui est la plus rapidement oubliée. Car le petit est là. La
communion intra-utérine, un moment détruite par la rupture du cordon ombilical,
se reforme dans l'allaitement qui prolonge l'union de la chair. Mais avec le
sevrage le lien du sang est définitivement brisé. Pourtant le tout-petit est
encore étroitement uni à sa mère, dont il lui faut les soins incessants, la
surveillance continuelle. Puis, il apprend à marcher, il s'en va seul, sans son
aide. Nouvelle rupture et nouveau déchirement. Il en sera de même à chaque
phase de la vie enfantine : l'école, les départs de vacances, l'apprentissage,
les amitiés qui se noueront en dehors du foyer familial. Un jour ce sera
l'éloignement définitif. Ainsi se développe et s'accroît l'amour maternel. Il a
puisé ses racines premières dans le lien physiologique. D'abord instinct
presque animal, égoïste dans ses manifestations, il s'élève peu à peu au
sentiment le plus pur, parce qu'il conserve, à sa base, la sensibilité
primitive, sensibilité sans cesse renouvelée par la série des déchirements
imposés par la loi de nature. Fortifié par les craintes, les absences, les
inquiétudes, par l'habitude prise de donner gratuitement, il devient alors
capable des plus grands renoncements, compréhensif jusqu'à l'acceptation de
rester incompris. Arrivé à ce stade il est devenu altruiste. Ainsi la mère, par
le fait même de sa maternité, touche au sublime humain. Restée sensible par la
déchirure jamais cicatrisée de ses entrailles, elle reste davantage vivante,
soumise aux nécessités de la vie, capable de répandre autour d'elle la
sollicitude généreuse dont elle a enveloppé ses enfants. Si, dans le domaine
physiologique, la mère est la femme parvenue à son complet épanouissement, dans
le domaine psychologique la mère est la femme intégralement développée. Ce sont
précisément les qualités maternelles que la femme porte potentiellement en elle
qui font d'elle la dispensatrice du bonheur humain et la régulatrice des mœurs.
Une telle femme peut avoir une influence morale profonde et bienfaisante sur
son milieu. C'est pourquoi ce serait commettre une faute irréparable que de
réduire la femme à n'être plus qu'un rouage du mécanisme industriel, une
machine à écrire ou à calculer, une femelle à laquelle on arracherait ses
petits pour les élever comme des troupeaux, parqués dans des internats. La
mécanisation, si nuisible à l'homme, est néfaste à la femme, dont elle détruit
les forces créatrices, lui enlevant ainsi toute signification dans la société
humaine. La femme a mieux à faire qu'à s'épuiser pour la production de
richesses fictives, en des besognes qui tariraient en elle la source de la
sensibilité. Où la sensibilité manque, la vie manquera toujours. Et quel
bénéfice tirerait l'humanité d'une richesse acquise au prix même de la vie ?
***
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire