dimanche 21 mai 2023

ORGANISME n. m. encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 


La similitude des fonctionnements d'un être vivant et d'un groupe d'êtres vivants a déterminé certains sociologues à déduire de leurs observations des enseignements qu'ils essaient d'adapter à la vie sociale et qu'ils croient comparables à l'activité propre de l'animal.

C'est ainsi que tout organisme vivant étant un ensemble d'organes adaptés à des fonctions différentes, on a cru légitime de comparer la société à un organisme vivant, les divers groupes humains à des organes et chaque individu à une cellule.

Pour apprécier la valeur exacte de cette comparaison, il est nécessaire de connaître le fonctionnement social et le fonctionnement d'un être vivant. Celui-ci se compose d'un nombre invariable d'organes principaux dont la coordination assure la vitalité. L'absence ou la suppression de l'un de ces organes détermine plus ou moins rapidement sa mort. Or la mort, ou fin de la coordination organique, détermine invariablement la mort de toutes les cellules. Ici l'arrêt du fonctionnement collectif détermine l'arrêt du fonctionnement individuel.

Or il n'en est point de même pour le fonctionnement social. Une société humaine peut se composer d'un nombre très variable de groupes humains, sans formes bien définies et, d'autre part, la dissolution sociale n'amènera point la mort de chaque humain, puisque chacun d'eux pourra vivre ailleurs.

Cette différence entre les deux cas vient de ce que la spécialisation cellulaire organique des métazoaires a déterminé des réactions particulières en chaque cellule et créé une sorte de milieu artificiel qui les soustrait à la lutte individuelle contre le milieu, tandis que le milieu social n'est point parvenu à une telle déformation.

Ce qui démontre bien ce fait, c'est que l'on est parvenu à conserver vivante plus de dix ans et à faire proliférer de nombreuses cellules prélevées sur des organes divers et cultivées en milieu artificiel très souvent renouvelé. Dès que ce milieu artificiel est insuffisant ou supprimé, ces cellules meurent ; mais, dans de bonnes conditions, elles vivent ainsi indéfiniment, tandis que leur vie organique normale est beaucoup plus réduite. On peut donc considérer tout être pluricellulaire comme un ensemble de cellules vivant dans un milieu artificiel avantageux à chacune d'elle et absolument indispensable à leur conservation.

En fait, toutes ces cellules proviennent d'une première cellule, laquelle, par divisions successives, donne naissance aux divers groupements de cellules formant progressivement tous les organes et tous les tissus de l'être vivant. L'embryologie nous montre cette organisation s'effectuant par multiplication de cellules sous l'influence des forces physico-chimiques du milieu. Dans ce développement, les groupes de cellules occupent des positions différentes relativement à l'ensemble des cellules et les phénomènes physico-chimiques d'assimilation et de désassimilation qui caractérisent la vie ne s'effectuent point de la même manière en chacun d'eux. D'où différenciation de plus en plus accusée jusqu'à la formation parfaite de l'être entier.

Il est aisé de voir que cette différenciation ayant été déterminée par la position même des groupes cellulaires dans l'organisme considéré, toutes ces mêmes cellules sont nécessairement construites pour ces fonctionnements particuliers et ne peuvent point vivre dans d'autres conditions.

Cette différenciation n'est pas absolue chez tous les êtres pluricellulaires ; il est des plantes dont les diverses parties : feuilles, tiges, fleurs, peuvent reproduire l'être entier et certains vers coupés en tronçons peuvent se régénérer en autant de vers adultes. Ce qui démontre que ces cellules ont conservé les aptitudes primitives d'assimilation et de désassimilation.

Chaque cellule peut d'ailleurs être elle-même considérée comme un organisme très compliqué puisque certains infusoires formés d'une seule cellule comprenant un noyau et un cytaplasma peuvent, à leur tour, être coupés en de multiples morceaux, dont chacun est apte à reproduire l'être entier sous condition de contenir une parcelle du noyau. L'unité vitale organique ne serait donc pas la cellule, mais une combinaison physico-chimique bi-polaire ayant comme caractéristique essentielle : l'assimilation. Celle-ci ne peut se prolonger indéfiniment dans la même combinaison, car l'augmentation de substance modifie les échanges avec le milieu et l'équilibre de la cellule ainsi créée. Il y a donc multiplication cellulaire et nouvel équilibre de ces cellules entre elles. La cause agglutinante de ces cellules paraît être due à une sécrétion squelettique modifiant la mobilité et conséquemment les échanges avec le milieu. L'agglutination en résultant accentue encore ces modifications créatrices de différenciations et d'équilibres nouveaux.

L'observation du règne animal nous montre tous les degrés de complication des organismes, depuis les simples polypes formés d'organes individuels, vivant ensemble sur le pied-même, bien que très spécialisés et capables de vivre seuls, jusqu'aux organismes très évolués des mammifères, en passant par les colonies d'infusoires présentant les premiers degrés de la sexualité et des différenciations cellulaires. On peut suivre ainsi la perte d'individualité de la cellule et la formation d'organismes rendant inapte à la vie toute cellule isolée.

Nous pouvons déduire de ces exemples organiques les principaux faits suivants : Toutes les cellules et tous les organes d'un être vivant sont coordonnés et en équilibre entre eux parce qu'ils sont issus d'une même cellule et qu'ils se sont formés progressivement selon leur rythme initial.

L'organisation d'un être vivant s'effectue par le fonctionnement même de ces cellules sous l'influence du milieu, créant des équilibres successifs par conquête du milieu et assimilation des substances selon un rythme dominant.

L'individualisme ou isolement cellulaire conserve l'intégrité vitale de la cellule, mais s'oppose à tout enrichissement ou différenciation puisque ses divisions successives la maintiennent dans un même équilibre déterminant toujours les mêmes réactions.

La formation du squelette agglutinant détermine la diversité des espèces, la différenciation des cellules et leur spécialisation. D'autre part, ce squelette, très caractéristique selon les espèces, s'oppose aux variations spécifiques et aux modifications trop rapides des animaux.

Si nous comparons alors les milieux sociaux aux milieux organiques, nous voyons que les groupements sociaux qui se sont formés et organisés lentement par accroissement autochtone présentent plus d'unité et de rigidité que ceux formés d'éléments hétéroclites issus d'origines diverses. La coordination et l'action commune y sont plus étroites et le fonctionnement collectif plus avantageux. Par contre, la diversité des pensées individuelles y est très réduite et la mentalité collective cristallisée autour d'immuables concepts.

Nos sociétés modernes, loin d'atténuer ces déformations, les accentuent par des spécialisations rendant les humains inaptes à toutes les fonctions normales de la vie. Certains manuels ou intellectuels ne peuvent vivre hors du milieu social qui les a déformés au point de leur ôter toute initiative ou toute habileté.

Les institutions sociales forment également une sorte de squelette ou d'ossature s'opposant aux variations et aux transformations nécessaires à l'amélioration des conditions vitales dans lesquelles se meuvent les humains.

De ces faits, nous pouvons conclure à l'avantage des sociétés coordonnées autour d'une unité ethnique, naturellement commune à tous ses membres, lesquels devraient, dans leurs associations volontaires, conserver leur autonomie et leur individualité par la variété de leurs fonctions les rendant aptes à toutes les activités de la vie.

Il est donc erronné et dangereux d'assimiler l'homme à une cellule et d'orienter la psychologie des humains vers cette conception cristallisante.

L'homme doit rester un centre d'activité très personnel et non devenir la cellule d'un vaste organisme hors duquel il ne serait plus rien. –

IXIGREC

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