La similitude des
fonctionnements d'un être vivant et d'un groupe d'êtres vivants a déterminé
certains sociologues à déduire de leurs observations des enseignements qu'ils
essaient d'adapter à la vie sociale et qu'ils croient comparables à l'activité
propre de l'animal.
C'est ainsi que tout
organisme vivant étant un ensemble d'organes adaptés à des fonctions
différentes, on a cru légitime de comparer la société à un organisme vivant,
les divers groupes humains à des organes et chaque individu à une cellule.
Pour apprécier la valeur
exacte de cette comparaison, il est nécessaire de connaître le fonctionnement
social et le fonctionnement d'un être vivant. Celui-ci se compose d'un nombre
invariable d'organes principaux dont la coordination assure la vitalité. L'absence
ou la suppression de l'un de ces organes détermine plus ou moins rapidement sa
mort. Or la mort, ou fin de la coordination organique, détermine invariablement
la mort de toutes les cellules. Ici l'arrêt du fonctionnement collectif
détermine l'arrêt du fonctionnement individuel.
Or il n'en est point de même
pour le fonctionnement social. Une société humaine peut se composer d'un nombre
très variable de groupes humains, sans formes bien définies et, d'autre part,
la dissolution sociale n'amènera point la mort de chaque humain, puisque chacun
d'eux pourra vivre ailleurs.
Cette différence entre les
deux cas vient de ce que la spécialisation cellulaire organique des métazoaires
a déterminé des réactions particulières en chaque cellule et créé une sorte de
milieu artificiel qui les soustrait à la lutte individuelle contre le milieu,
tandis que le milieu social n'est point parvenu à une telle déformation.
Ce qui démontre bien ce
fait, c'est que l'on est parvenu à conserver vivante plus de dix ans et à faire
proliférer de nombreuses cellules prélevées sur des organes divers et cultivées
en milieu artificiel très souvent renouvelé. Dès que ce milieu artificiel est
insuffisant ou supprimé, ces cellules meurent ; mais, dans de bonnes
conditions, elles vivent ainsi indéfiniment, tandis que leur vie organique
normale est beaucoup plus réduite. On peut donc considérer tout être
pluricellulaire comme un ensemble de cellules vivant dans un milieu artificiel
avantageux à chacune d'elle et absolument indispensable à leur conservation.
En fait, toutes ces cellules
proviennent d'une première cellule, laquelle, par divisions successives, donne
naissance aux divers groupements de cellules formant progressivement tous les
organes et tous les tissus de l'être vivant. L'embryologie nous montre cette
organisation s'effectuant par multiplication de cellules sous l'influence des
forces physico-chimiques du milieu. Dans ce développement, les groupes de
cellules occupent des positions différentes relativement à l'ensemble des
cellules et les phénomènes physico-chimiques d'assimilation et de
désassimilation qui caractérisent la vie ne s'effectuent point de la même
manière en chacun d'eux. D'où différenciation de plus en plus accusée jusqu'à
la formation parfaite de l'être entier.
Il est aisé de voir que
cette différenciation ayant été déterminée par la position même des groupes
cellulaires dans l'organisme considéré, toutes ces mêmes cellules sont
nécessairement construites pour ces fonctionnements particuliers et ne peuvent
point vivre dans d'autres conditions.
Cette différenciation n'est
pas absolue chez tous les êtres pluricellulaires ; il est des plantes dont les
diverses parties : feuilles, tiges, fleurs, peuvent reproduire l'être entier et
certains vers coupés en tronçons peuvent se régénérer en autant de vers
adultes. Ce qui démontre que ces cellules ont conservé les aptitudes primitives
d'assimilation et de désassimilation.
Chaque cellule peut
d'ailleurs être elle-même considérée comme un organisme très compliqué puisque
certains infusoires formés d'une seule cellule comprenant un noyau et un
cytaplasma peuvent, à leur tour, être coupés en de multiples morceaux, dont
chacun est apte à reproduire l'être entier sous condition de contenir une
parcelle du noyau. L'unité vitale organique ne serait donc pas la cellule, mais
une combinaison physico-chimique bi-polaire ayant comme caractéristique
essentielle : l'assimilation. Celle-ci ne peut se prolonger indéfiniment dans
la même combinaison, car l'augmentation de substance modifie les échanges avec
le milieu et l'équilibre de la cellule ainsi créée. Il y a donc multiplication
cellulaire et nouvel équilibre de ces cellules entre elles. La cause
agglutinante de ces cellules paraît être due à une sécrétion squelettique
modifiant la mobilité et conséquemment les échanges avec le milieu.
L'agglutination en résultant accentue encore ces modifications créatrices de
différenciations et d'équilibres nouveaux.
L'observation du règne
animal nous montre tous les degrés de complication des organismes, depuis les
simples polypes formés d'organes individuels, vivant ensemble sur le pied-même,
bien que très spécialisés et capables de vivre seuls, jusqu'aux organismes très
évolués des mammifères, en passant par les colonies d'infusoires présentant les
premiers degrés de la sexualité et des différenciations cellulaires. On peut
suivre ainsi la perte d'individualité de la cellule et la formation
d'organismes rendant inapte à la vie toute cellule isolée.
Nous pouvons déduire de ces
exemples organiques les principaux faits suivants : Toutes les cellules et tous
les organes d'un être vivant sont coordonnés et en équilibre entre eux parce
qu'ils sont issus d'une même cellule et qu'ils se sont formés progressivement
selon leur rythme initial.
L'organisation d'un être
vivant s'effectue par le fonctionnement même de ces cellules sous l'influence
du milieu, créant des équilibres successifs par conquête du milieu et
assimilation des substances selon un rythme dominant.
L'individualisme ou
isolement cellulaire conserve l'intégrité vitale de la cellule, mais s'oppose à
tout enrichissement ou différenciation puisque ses divisions successives la
maintiennent dans un même équilibre déterminant toujours les mêmes réactions.
La formation du squelette
agglutinant détermine la diversité des espèces, la différenciation des cellules
et leur spécialisation. D'autre part, ce squelette, très caractéristique selon
les espèces, s'oppose aux variations spécifiques et aux modifications trop
rapides des animaux.
Si nous comparons alors les
milieux sociaux aux milieux organiques, nous voyons que les groupements sociaux
qui se sont formés et organisés lentement par accroissement autochtone
présentent plus d'unité et de rigidité que ceux formés d'éléments hétéroclites
issus d'origines diverses. La coordination et l'action commune y sont plus
étroites et le fonctionnement collectif plus avantageux. Par contre, la
diversité des pensées individuelles y est très réduite et la mentalité
collective cristallisée autour d'immuables concepts.
Nos sociétés modernes, loin
d'atténuer ces déformations, les accentuent par des spécialisations rendant les
humains inaptes à toutes les fonctions normales de la vie. Certains manuels ou
intellectuels ne peuvent vivre hors du milieu social qui les a déformés au
point de leur ôter toute initiative ou toute habileté.
Les institutions sociales
forment également une sorte de squelette ou d'ossature s'opposant aux
variations et aux transformations nécessaires à l'amélioration des conditions
vitales dans lesquelles se meuvent les humains.
De ces faits, nous pouvons
conclure à l'avantage des sociétés coordonnées autour d'une unité ethnique,
naturellement commune à tous ses membres, lesquels devraient, dans leurs
associations volontaires, conserver leur autonomie et leur individualité par la
variété de leurs fonctions les rendant aptes à toutes les activités de la vie.
Il est donc erronné et
dangereux d'assimiler l'homme à une cellule et d'orienter la psychologie des
humains vers cette conception cristallisante.
L'homme doit rester un centre
d'activité très personnel et non devenir la cellule d'un vaste organisme hors
duquel il ne serait plus rien. –
IXIGREC
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire