Manière dont les parties qui
composent un être vivant sont disposées pour remplir certaines fonctions, nous
dit laconiquement le Larousse. De toute évidence et depuis toujours, ce mot a
eu une signification plus vaste. Et, de nos jours, cette signification
s'élargit au fur et à mesure que la tendance à l'organisation, qui est l'une
des caractéristiques essentielles de notre époque, se développe, se précise
davantage, donne lieu à des essais, des conquêtes et des réalisations, plus
considérables et sans cesse plus étendues.
Il est donc tout à fait
normal que le mot « organisation », qui a pris une place si importante dans le
vocabulaire social moderne, figure dans cette Encyclopédie.
En effet, s'il désignait, à
l'origine, la manière dont les cellules d'un être vivant étaient disposées pour
remplir leurs fonctions et assurer ainsi la vie et la reproduction de cet être,
il n'est pas douteux qu'il exprimait déjà la façon dont ces fonctions
s'accomplissaient, suivant certains principes, tels que la régularité, la
spécialisation, la coordination, la solidarité, l'association et
l'interdépendance, c'està-dire tout un système de vie aussi bien individuelle
que collective.
Tous ces principes, qui sont
l'expression d'autant de lois biologiques, et président à l'activité conjuguée,
synchronique des cellules d'un être vivant, conservent, en effet, toute leur
valeur si on les applique aux collectivités formées par ces êtres vivants et,
plus particulièrement, aux collectivités humaines.
Et c'est ainsi que, depuis
leur origine, ces collectivités ont toujours cherché, sous la pression des
nécessités, des besoins, des aspirations de leurs membres, à se rapprocher de
l'ordre naturel, en utilisant l'organisation.
Les efforts des hommes ont
toujours tendu - et tendent plus que jamais - à solidariser l'activité de leurs
semblables ; à spécialiser les efforts de chacun, selon ses aptitudes ; à
coordonner et à associer ces efforts ; à s'allier avec d'autres collectivités
de même nature, pour mieux assurer la vie de tous et de chacun.
Cependant, moins disciplinés
que les cellules de l'être vivant, dont l'activité est ordonnée par la fonction
naturelle, les hommes méconnaissent souvent, parce qu'ils les ignorent ou
croient pouvoir les enfreindre sans danger, les lois biologiques les plus
fondamentales.
Le résultat ne se fait,
d'ailleurs, jamais attendre. Chaque fois qu'une cellule ou un groupe de
cellules de collectivité humaine entrent en conflit avec d'autres cellules,
chaque fois qu'une ou plusieurs d'entre elles empiètent sur la tâche, la
fonction et la liberté des autres, la collectivité tout entière, désaxée dans
son activité, subit une crise.
L'intensité et les
conséquences de cette crise sont en rapport direct avec l'importance et la
force des collectivités restreintes et hostiles qui s'affrontent dans le sein
du groupement humain. Ainsi s'expliquent les causes, les caractères et les
conséquences des luttes sociales, jusques et y comprise la révolution.
Pour donner une idée exacte
de ces luttes, il faudrait retracer ici toute l'histoire de l'Humanité. C'est
absolument impossible. (Pour connaître les luttes soutenues par les
organisations ouvrières, se reporter à l'étude que j'ai consacrée à la
Confédération Générale du Travail, E.A., 1er volume, pages 388 à 416).
Je me bornerai donc à
constater que, de tout temps, les hommes ont tendu, même à travers leurs luttes
fratricides, à s'organiser. Les progrès qu'ils ont réalisés, dans tous les
domaines, sont le fruit de l'organisation et, plus que jamais, les individus
essaient de se grouper, de s'associer, de se fédérer, sur le plan de leurs
intérêts de toutes sortes ; ils recherchent ce qui peut constituer, par voie de
synthèse, leur intérét collectif. Pour atteindre ce but, il ont créé des
organisations (voir le livre Les Syndicats ouvriers et la Révolution Sociale,
pages 109 à 192, dans lequel j'expose les principes du fédéralisme et le
fonctionnement des organisations ouvrières, du Syndicat à l'Internationale, à
l'image de celle de l'être vivant et qui s'efforcent de fonctionner suivant les
mêmes principes).
Et il n'est pas douteux que,
s'ils étaient parvenus à éliminer tout ce qui s'oppose à leurs rapports : les
privilèges, la propriété, l'autorité et tout leur cortège d'appareils
compressifs, coercitifs et oppressifs, et à substituer à cela l'égalité, la solidarité
et l'entr'aide, la véritable collectivité humaine serait une réalité.
Malheureusement, ce stade
n'est pas encore atteint. Les hommes sont divisés en deux grandes classes
sociales, dont l'une, la moins nombreuse, mais la plus puissante, par les
instruments qu'elle a créés, impose sa volonté à l'autre.
En ce moment, chaque classe,
nettement séparée de l'autre, cherche à rassembler toutes ses forces sur le
plan de ses intérêts particuliers et les fait mouvoir dans une direction
déterminée, pour atteindre ses buts, qui sont diamétralement opposés à ceux de
l'autre classe.
Deux grandes forces de sens
contraire s'affrontent ainsi de façon permanente : l'une tend à laisser
subsister et à renforcer l'ordre social actuel ; l'autre à le détruire, pour
donner naissance à un ordre nouveau, aussi naturel que possible.
La première est organisée
suivant le principe centraliste et étatique, commun au capitalisme et à tous
les partis politiques ; la seconde est organisée suivant le principe
fédéraliste, conforme à l'ordre qu'elle veut instaurer.
Le choc décisif, après des
luttes secondaires, est inévitable. Et c'est de ce choc, dont l'issue ne fait
aucun doute, que surgira la collectivité fraternelle basée, comme
l'organisation humaine, sur la solidarité, l'entr'aide et l'interdépendance de
tous les composants sociaux.
Ce sont les bases mêmes du
syndicalisme révolutionnaire, fédéraliste et antiétatiste : de ce groupement libre
de travailleurs qui détruira le capitalisme et ouvrira la route à l'Anarchie,
stade suprême de l'Humanité. –
Pierre BESNARD
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