"Vous croyez que tout est stratégie chez moi, et que le désir ne sert d’aiguillon qu’à mes yeux. Vous me créditez d’une maîtrise, qui fut toujours la part inaccessible, moi qui souffre de l’obscurité dont s’enveloppe obstinément la vie. Vous auriez dû noter cela depuis longtemps puisque je n’essaie même pas de donner le change, mais vous êtes comme chacun sourde à l’évidence de l’autre, et vous faites de cette évidence un secret, ainsi pouvez-vous raisonnablement vous ranger du côté de l’inattention générale des hommes pour leurs semblables, attitude dont le seul avantage est de nous préparer à la solitude finale. Vous m’épargnerez l’accusation de complaisance si j’en reviens à l’infirme que ma mère arrache à son fauteuil et qu’elle appuie contre moi le temps de lui retirer son pantalon d’où monte une odeur épouvantable. Vous imaginez le débris accroché à mon cou et bavant sur moi pendant que ma mère dégage et nettoie son fondement merdeux. Vous n’arrivez pas à former cette image alors qu’elle est pour moi si quotidienne que je la vois tout naturellement posée sur chaque jour de mon enfance : vous n’arrivez pas à la voir parce que rien n’assaille vos sens à l’instant, et que votre mémoire ne vous représente, et pour cause, rien de semblable. Vous devriez extraire de mon cœur le souvenir de moi les bras serrés, les jambes fléchies pour soutenir le poids, l’oreille tendue pour suivre la progression des bruits de la toilette, mais tout cela n’est pas plus un souvenir qu’une plaie vive n’est le souvenir de la blessure. Vous sentez, je l’espère, que c’est mon corps qui parle ici, et non pas ma mémoire… Vous me pardonnerez de ne pas m’en tenir là même si les mots ne peuvent contenir la chose qui, pourtant, a eu besoin d’eux pour venir à ma conscience : une chose qui tient à l’influence de cette horreur, ou à sa contagion, et qui s’est greffée sur mon sexe. Vous devinez que cette pourriture vivante ne pouvait être mon lot journalier sans infecter en moi la partie dont les va-et-vient sont inséparables des mouvements de la vie. Vous savez que les gens comme ma mère logent là le mal, et que l’état de mon père semblait lui donner raison : voilà ce qui m’a fait chrétien, et voilà ce qui m’a empêché de l’être dès que je me suis mis à aimer le sexe, non pour jouir de lui, mais pour jouir du mal qu’il représentait."
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