Recueil de lettres de Georges Bataille recueillies par Michel Surya
A Michel Leiris, Octobre 1932
Mon cher Michel,
Si je ne t'ai pas écrit, ce n'est pas tant par négligence mais parce que j'ai déjà écrit une lettre et elle m'a emmerdé.
S'il doit y avoir quelque chose d'appréciable pour toi, c'est de n'avoir presque plus rien de commun avec tes préoccupations passées mais, si on t'écrit, il est impossible de s'écarter beaucoup des préoccupations qu'on te connaissaient qui sont, après tout, la seule chose qu'on sache de toi, hors le fait qu'elles t'assommaient toi-même.
Tu m'as écrit ( mais ta lettre remonte au premier mai) que tu es toujours dégoûté que les gens ne soient pas autres que ce qu'ils sont: je ne crois pas être moins dégoûté que toi. C'est tout ce que je puis dire. Mais peut-être ce qu'il y a de plus rebutant est que les rapports que l'on a avec les gens, on les a toujours conformément à des conventions telles que tout ce qui pourrait être autre est exclu. je ne suppose pas que les rapports épistolaires puissent faire facilement exception.
Je comprends mal aussi ton ironie pour les projets "grandissimes" ( encore un passage de ta lettre que depuis cinq mois tu dois avoir oublié). Je trouve que dans cette société européenne si parfaitement abrutie, on est bien obligé de forme le projet d'en sortir et pas seulement d'une façon épisodique. Si mon projet est idiot, vain, ou même grandissime, c'est tant pis, mais pour mon compte je n'accepterai jamais d'être incorporé dans une confrérie sénile de bavards et d'assommeurs. Je le dis le plus naïvement que je peux, et pas du tout agressivement car je ne doute pas que tu n'en aies pas plus envie que moi. Plutôt crever que de devenir une de leurs illustrations, même de deuxième ordre ( mais ce n'est pas une raison de se conduire comme un idiot prétentieux sous prétexte qu'on dit qu'il faut du prestige).
Toutes ces questions doivent d'ailleurs être fort loin de toi, puisqu'en effet elles ne se posent qu'ici. C'est-à-dire à l'endroit d'où nous dépendons en définitive mais où tu as eu la chance de ne pas être pendant longtemps.
très affectueusement à toi
Georges.
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