Dans une brochure parue en
1911 : « Les Sans-Famille du Prolétariat organisé », j'ai posé la question de
l'éducation des orphelins de la classe ouvrière. J'ai dit quel était le devoir
du prolétariat envers les enfants déshérités, envers les petits sans-foyer qui,
chaque jour, se forment dans ses rangs. J'ai résumé, dans cette brochure, les
lignes essentielles de la question ; j'ai touché les points principaux ; j'ai
envisagé les raisons d'ordre général ; j'ai donné, brièvement, un aperçu des
maisons familiales que nous devons offrir à nos orphelins.
Je veux insister ici sur le
côté pratique de la question.
Que sera cette organisation
des « Sans-Famille » ? Comment nous y prendrons-nous pour que nos Maisons
Familiales ne ressemblent point aux grands orphelinats -- aux
orphelinats-casernes, comme je les ai appelés -- que la classe capitaliste nous
offre dans ses œuvres philanthropiques ; pour que nos orphelins aient le
sentiment d'avoir retrouvé un foyer, une demi-famille, d'être chez eux, enfin,
à l'orphelinat ?
Deux considérations sont à
envisager ; l'une d'ordre éducatif, l'autre d'ordre économique.
Dans la Maison Familiale qui
recevra nos sans-famille, un groupe de vingtcinq à trente enfants me paraît
suffisant. On m'a demandé pourquoi ? - La raison est purement d'ordre éducatif.
Nous ne devons pas oublier
que si la création d'un foyer artificiel pour nos orphelins est une œuvre de
solidarité, elle doit être aussi une œuvre d'éducation.
L'expérience m'a amené à
cette conclusion de réunir nos enfants en petits groupes d'une trentaine à peu
près. Une trop grande agglomération d'enfants paralyse les efforts de
l'éducateur, et s'oppose à la mise en pratique d'un grand nombre d'idées éducatives.
L'idéal éducatif est
l'enfant élevé dans la famille, par ses parents, près de ses frères et sœurs ;
avec, comme point de contact social, l'école en commun, pendant cinq ou six
heures par jour, en compagnie d'enfants du dehors. Le milieu éducatif par excellence
est la famille ; non l'école. Bon ou mauvais, le milieu est le maître :
l'enfant vaudra ce qu'il vaut. Si l'école lui ouvre le cerveau et oriente son intelligence
vers les horizons de la science, le milieu familial, lui, le met en contact
avec la vie elle-même, avec les réalités de l'existence en même temps qu'il
forme son cœur et ses sentiments. C'est dans la famille que le sens moral de
l'enfant se développe. Quoiqu'on ait pu faire, l'école ne donne que
l'enseignement, et les tentatives qui ont été faites pour qu'elle puisse
également donner l'éducation ont échoué.
Pourquoi le milieu familial
possède-t-il cette force éducative que n'a point l'école ? Certes, le facteur
affectif y entre pour une grande part ; mais il y a autre chose encore : c'est
que, dans la famille, l'enfant est chez lui, et vit sa vie propre. L'école,
c'est la maison commune à tous, c'est la vie collective où forcément une
discipline devient nécessaire par le fait même de la collectivité. Il faut
l'ordre, le silence, l'obéissance, pour que soit possible l'enseignement.
Assurément, l'école doit
s'inspirer des méthodes les meilleures pour laisser à l'enfant le libre jeu de
ses facultés intellectuelles, pour développer ses qualités d'observation et de
raisonnement ; et l'école actuelle est loin de réaliser l'école de nos conceptions
éducatives. Mais il est indéniable que la discipline - une discipline
intelligente et bien comprise - y est indispensable aujourd'hui et y restera
nécessaire demain, si l'on veut obtenir des résultats. Dans la famille,
l'enfant se relâche de cette discipline.
Or, si la vie collective est
nécessaire dans l'éducation, la vie personnelle, la vie intime, l'y est tout
autant. Très jeune, l'enfant en sentira le besoin, besoin qui se développera à
mesure qu'il grandira et que l'individu se formera en lui. A mesure qu'il se
sentira vivre, il éprouvera le désir d'avoir un coin bien à lui, sa chambre,
son home -- ce petit chez-soi dont tous ceux qui en ont été privés connaissent
particulièrement le prix.
C'est là une chose qui
manque totalement dans ces grandes collectivités d'éducation que sont les
pensions et les orphelinats - oh ! la froideur des grands dortoirs où les lits
s'alignent à l'infini ; comparez à la chambre de l'enfant dans sa famille, même
lorsque la chambre est occupée par deux frères ou deux sœurs. Le grand dortoir
de la pension est uniforme et vide de vie, dénué d'intimité. Rien de personnel
; avec un aussi grand nombre d'enfants cela devient impossible. Le linge, les
vêtements de chaque enfant sont à la lingerie, dans les placards à cases numérotées.
Le grand dortoir, c'est la pièce où l'on dort, disciplinairement pourraiton
dire, comme l'on étudie en classe ; mais ce n'est plus le chez soi. - Et s'il
existait quelque part ailleurs, ce chez soi ! - Mais non ; les salles d'études,
de lecture, de récréation, le réfectoire, tout cela est commun à tous.
L'enfant qui est en pension
s'en console en se disant que son chez lui existe, qu'il l'a dans la maison de
ses parents et qu'il le retrouve aux jours de sortie, aux vacances.
Mais l'enfant de l'orphelinat,
lui, ne connaît jamais la douceur d'un coin qui soit à lui tout seul ; où il
puisse se retremper en lui-même, se ressaisir, se sentir vivre. Toute son
enfance, toute son adolescence, il les passera - numéro vivant perdu dans le
nombre - dans la tristesse froide des grandes pièces uniformes, sévères et
impersonnelles.
A l'orphelinat ainsi
compris, se retrouvent, dans le domaine éducatif et moral, tous les vices du
système collectif, dont nous connaissons les méfaits en éducation.
*
* *
Il semblerait que c'est au
désir de recréer le milieu familial qu'ont obéi ceux qui se sont occupés
d'organiser le placement des enfants assistés. Au système collectif, à
l'orphelinat ils ont préféré le placement familial dans des familles paysannes
et ouvrières. Pourtant le placement familial des petits assistés ne donne
généralement pas de bons résultats. La situation de ces petits déshérités est
pénible et triste. C'est que, pour ceux-ci, la famille qui les accueille n'est
pas du tout un milieu familial. Dans ce foyer qui n'est pas le leur, ils
restent les étrangers, les isolés, les intrus, les enfants du vice ...
Cela est-il une charge
contre l'éducation familiale ? Non point.
Dans les familles pauvres où
sont placés les enfants de l'assistance, nulle éducation n'est possible.
D'ailleurs, quand une famille paysanne prend en pension trois ou quatre
pupilles de l'Assistance, vous pensez bien qu'elle n'obéit pas à une impulsion
de justice, à un désir de faire oeuvre d'éducation. Elle n'est inspirée que par
la question d'intérêt, elle ne voit qu'une chose : c'est que la pension -
pourtant bien modique - versée par l'assistance aidera à faire bouillir la
marmite familiale. L'enfant assisté devient donc un objet de rapport, il faut
qu'il coûte à la famille qui l'élève moins que la pension versée pour lui, pour
qu'il en résulte un léger bénéfice. L'enfant assisté est un exploité dans le
sens le plus triste du mot : exploité par ses frères, par des miséreux comme
lui.
Le système de placement
familial des enfants assistés ne prouve rien contre l'éducation familiale. Il
peut néanmoins nous mettre en garde, en ce qui concerne nos orphelins, si ce
système venait à être proposé. Quant au système collectif de l'orphelinat, j'ai
fait tout à l'heure son procès, je n'ai pas à y revenir.
Nous pouvons faire un
orphelinat ouvrier ; nous pouvons créer pour nos petits orphelins un milieu
familial où nous tâcherons de leur rendre le plus possible la famille disparue
; et nous n'aurons encore apporté ainsi qu'un infime remède au mal qui étreint
l'enfance pauvre et abandonnée.
Puisque le nombre est un
écueil éducatif, puisque le système de la pension, de l'orphelinat, est défectueux,
comment allons-nous organiser nos orphelins pour rester le plus près possible
de nos conceptions éducatives, pour obtenir les résultats désirés ?
Nous voulons -- avons-nous
dit -- faire un orphelinat qui ne ressemble pas aux orphelinats-casernes ; nous
voulons que la maison que nous offrirons à nos orphelins soit un foyer, un
véritable milieu éducatif.
L'orphelinat que j'ai appelé
Maison Familiale sera vraiment un foyer, le milieu familial de l'enfant. Il lui
donnera non seulement l'enseignement, mais l'éducation morale. Il formera son
cœur et ses sentiments aussi bien que son cerveau. L'enfant trouvera là des
maîtres qui ne seront pas seulement des maîtres, mais des éducateurs aimant les
enfants et venus vers eux parce qu'ils seront convaincus de la beauté de leur
tâche.
*
* *
L'orphelinat de nos petits
prolétaires, je l'ai vu très grand et puissamment organisé. J'ai dit : « Les
Maisons Familiales ne devront réunir que vingt-cinq à trente enfants ». Mais je
n'ai pas réduit à ce chiffre l'effectif des pupilles de notre orphelinat.
Seulement j'ai fragmenté cet
orphelinat en sections autonomes, indépendantes les unes des autres et réunies
cependant sur certains points. Rien n'empêchera notre orphelinat de posséder
deux cent cinquante ou trois cents pupilles, mais ils seront divisés en groupes
d'une trentaine - chaque groupe étant élevé dans un pavillon spécial confié aux
deux éducateurs dont je parlais tout-à-l'heure.
Ce sont ces pavillons que
j'appelle des Maisons Familiales.
Voici, à grands traits,
comment je conçois l'organisation générale : Supposons que nous réunissions,
pour former un orphelinat, trois ou quatre départements. Nous choisirons
l'emplacement de l'orphelinat à une distance à peu près égale de ces divers
départements.
Nous y chercherons une
grande propriété d'une trentaine d'hectares. Sur ces trente hectares nous
disséminerons nos maisons familiales et maternelles. Supposons toujours -
puisque ceci n'est qu'un plan -, que nous y aurons 4 maisons maternelles (pour
les bébés) et 8 maisons familiales. Chacune de ces maisons sera indépendante
des autres. Elle aura ses cours de récréation, préaux, communs, etc... ; elle
sera chez elle, en un mot.
Au centre de ces 12 maisons
nous aurons un pavillon central qui réunira l'administration. Dans ce pavillon
seront les magasins généraux d'alimentation, d'habillement, de chaussures, etc
... L'administrateur répartira les provisions selon les besoins et les demandes
de chaque maison. Ainsi donc les achats pourront être faits dans les meilleures
conditions possibles.
Ce n'est pas tout. Autour du
pavillon central seront groupés, en commun, différents services : la lessive,
la lingerie, de petits ateliers de menuiserie et de serrurerie, une forge.
Enfin, une seule
exploitation agricole donnera le lait, le beurre, les œufs nécessaires à chacune
des maisons. Les terrains qui sépareront ces maisons seront utilisés à la
culture maraîchère et fourniront les légumes qui seront répartis selon les
besoins de chacun.
Nous aurons ainsi tous les
avantages économiques de la collectivité, tout en évitant l'écueil éducatif
qu'elle présente dans les grands orphelinats, où deux, trois cents et
quelquefois plus d'enfants sont réunis et vivent une vie de discipline sans
attrait et, pourrait-on dire, anti-humaine.
Dans le domaine pratique,
nous pourrons encore obtenir d'autres avantages du système collectif. Ainsi une
infirmerie, un pavillon d'isolement pour les malades, pourront être communs à
toutes les maisons. Un docteur pourra être attaché à l'orphelinat. Nous
pourrons avoir également une pharmacie, un laboratoire, un service de
désinfection communs à tous.
A côté de ces avantages
purement économiques, nous aurons des avantages éducatifs qui seront
économiques en même temps, et qui résulteront de cette réunion des maisons
maternelles et familiales.
Ainsi nous aurons une Maison
Commune qui possédera une grande salle où nous pourrons réunir nos pupilles des
différentes maisons pour de petites fêtes, des conférences avec projections
lumineuses, des séances de cinématographie. Nous aurons une bibliothèque centrale
où chaque maison prendra des livres et les rendra. Dans le domaine de l'art
nous pourrions réunir à notre maison commune un petit musée de belles et bonnes
reproductions de peintures, des dessins, des études, des croquis.
Nous aurons aussi un gymnase
complet ; et si la propriété ne possédait pas de grande pièce d'eau qui puisse
servir pour apprendre la natation aux enfants, on pourrait y établir une grande
piscine destinée à cet usage.
Nous aurons aussi des
professeurs spéciaux : musique, dessin, gymnastique, etc ... , qui passeront
d'un groupe à un autre. Tous ces avantages éducatifs seront également des
avantages économiques ; et il est évident qu'on ne pourrait les réunir si l'on
ne possédait qu'une seule maison de trente, voire même de cinquante enfants.
Toujours dans le domaine
éducatif, la réunion des maisons familiales et maternelles permettra
d'organiser sérieusement un premier apprentissage pour nos enfants de treize à
quinze et seize ans.
Trois cents enfants à
chausser, à habiller, représentent déjà une production respectable à fournir.
Un petit atelier de cordonnerie, sous la direction d'un cordonnier, formera des
apprentis dans cette partie. La confection des vêtements formera encore un
atelier de coupe et de couture aux jeunes filles. Les services de repassage et
de lingerie pourront aussi employer les jeunes filles de treize à seize ans.
L'exploitation agricole,
l'élevage des bêtes emploieront d'autres adolescents. Le jardinage, la culture
potagère, l'arboriculture, l'horticulture, l'apiculture seront autant de
branches d'enseignement professionnel.
En même temps toutes ces
professions diverses alimenteront de travail les ateliers pour le fer et le
bois, la serrurerie et la forge, qui seront encore des ateliers de préparation
professionnelle pour les jeunes gens que nous pourrons ainsi maintenir jusqu'à
quinze ans au moins au Milieu Familial, ce qui permettra de leur continuer
l'éducation intellectuelle et morale à laquelle ils auront été habitués en leur
enfance.
Voilà le plan que j'ai
conçu, non en un jour, mais en plusieurs années, après avoir étudié la question
et après avoir mûrement réfléchi aux divers côtés du problème que la vie
pratique et l'expérience me présentaient tour à tour.
*
* *
Quant à l'organisation
intérieure (et notamment ce qui regarde l'éducation proprement dite,
l'enseignement), je ne puis l'exposer ici, où la place est réduite. Et je
renvoie le lecteur à ma brochure sur « L'organisation des sans-famille du
prolétariat », ainsi qu'aux mots de cet ouvrage où le problème est étudié
(coéducation, école, éducation, enseignement, orientation professionnelle, etc
... ).
Je dirai seulement quelques
mots de l'organisation matérielle de la maison familiale, me limitant aux
lignes principales.
Nous tiendrons
essentiellement à l'air et à la lumière ; aux grandes pièces claires, gaies,
décorées avec goût, et faciles à tenir propres.
Le réfectoire sera spacieux,
garni de meubles agréables, joliment décoré ; il se transformera le soir en
salon de lecture et de délassement. Des fillettes y travailleront à un ouvrage
personnel pendant que l'une d'elles fera une lecture à haute voix ; dans un
autre coin, on dessinera ; un autre s'isolera dans une étude ; chacun, enfin,
prendra la distraction qui lui conviendra le mieux. Les directeurs eux-mêmes prendront
part à ces soirées ; ils y feront régner l'entente et le bon ordre, ne
laisseront pas une causerie dégénérer en bavardages vains et frivoles ; ne
permettront pas non plus qu'un enfant reste inoccupé, sans but, sans le désir
de faire quelque chose. Et les réunions se termineront par une courte causerie
de l'un des directeurs sur les événements de la journée ; puis, finalement, par
quelques chants en commun. - La belle vie, n'est-il pas vrai, et combien
différente de celle des orphelinats que nous connaissons ?
Le réfectoire, par exemple,
ne servira pas de salle de jeux ; car alors il ne pourrait pas être aménagé
comme nous le voulons. - Pour les jeux proprement dits, nous aurons une grande
salle qui ne possédera que des bancs comme meubles, et où les enfants ne
pourront ni rien endommager, ni rien briser. Ils ne s'y amuseront que mieux. Ce
sera d'ailleurs surtout pour les jours de pluie et les mauvais jours de
l'hiver. Car ils auront le plus possible des jeux de plein air.
Et les dortoirs ? Comment
les disposerons-nous ? Si nous avons 30 enfants dans une maison, nous aurons en
moyenne 15 garçons et 15 filles. Nous pourrons diviser ces 15 enfants en trois
groupes. Nous aurons trois chambres de garçons et trois chambres de filles.
Nous réserverons une de ces trois chambres aux enfants ayant atteint leur
treizième année, que le voisinage des plus jeunes peut parfois gêner beaucoup,
surtout en ce qui concerne les fillettes dont quelques-unes, vers leurs treize
ans, sont déjà touchées par le travail de la puberté.
Dans ces conditions, nous
éviterons le grand dortoir. Nos chambres pourront conserver un cachet de
personnalité, d'intimité. Nous les ornerons avec goût ; elles seront simples,
mais gracieuses. Dans chacune d'elles une grande armoire à compartiments
distincts renfermera le linge et les objets personnels de chaque enfant qu'on
pourra ainsi habituer au sentiment de responsabilité en l'obligeant à prendre
soin de ses affaires. Le placard où seront suspendus les vêtements sera
également placé dans leur chambre et sous leur responsabilité.
Le soin des affaires d'une
petite fille sera confié à une fillette plus grande qui devra aider et
surveiller la petite. Tout cela, d'ailleurs, ira fort bien pour les filles mais
sera plus difficile à obtenir des garçons. Ceux-ci ne sont en général soucieux
ni de leurs chambres, ni de leurs affaires et les mamans ont bien plus de
difficultés à rendre leurs fils soigneux et ordonnés que leurs filles. C'est
une question de tempérament.
Les directrices de nos
maisons familiales feront comme les mamans. Elles répèteront souvent et avec
patience les mêmes choses, elles surveilleront davantage les garçons.
Dans les deux chambres que
nous réserverons aux plus grandes filles et aux plus grands garçons, nous
installerons pour chacun d'eux une petite table où il leur sera permis de lire,
d'écrire, de travailler encore un peu de temps après l'heure du coucher
général.
Ainsi, pour en revenir à ce
que je disais dans la première partie, ils auront la sensation d'avoir là, dans
leur chambre, leur petit coin personnel où ils se sentiront mieux chez eux.
Je m'en tiens là en ce qui
concerne l'organisation des Maisons Familiales. La cuisine, les communs, pièces
de réserve et de nettoyages, la salle de bains, les lavabos, les préaux, les
cours de récréation, un petit jardin d'agrément dont je voudrais que soit
pourvue chaque maison, tout cela n'a pas besoin de descriptions détaillées.
*
* *
Sans vouloir m'appesantir
ici sur la question de l'apprentissage, il me reste quelques mots à dire au
sujet de nos grands pupilles, les enfants de 13 à 15 et même 16 ans.
Les pupilles qui auront
atteint 13 ans continueront à faire partie de la maison de leur enfance. Ils se
rendront aux heures déterminées aux différents cours professionnels. Ces cours
seront choisis pour chacun selon les aptitudes et les goûts personnels révélés
par les enfants.
Néanmoins, pour les
fillettes, il sera bon qu'un roulement de travail les initie à toutes les
besognes féminines dont la connaissance est indispensable à toutes les femmes,
quelle que soit la profession qu'elles doivent embrasser. L'ordre intérieur, la
cuisine, le repassage, le raccommodage, les éléments principaux de couture,
toutes les connaissances, enfin, qui sont nécessaires à la mère qui veut
assumer la tâche d'élever ses enfants et d'être une éducatrice sérieuse et
éclairée en même temps qu'une maman dévouée et aimante.
Lorsqu'une jeune fille
aurait atteint la quinzième année, il serait bon de lui confier de temps à
autre la complète exécution de certains travaux ménagers, afin de se rendre
compte exactement des connaissances qu'elle aura acquises dans cette partie.
Enfin, c'est toujours en poursuivant le même but de l'éducation des jeunes
filles que j'entrevois leur collaboration aux maisons maternelles.
Les garçons, eux aussi,
lorsqu'ils auront 13 ans, devront concourir aux travaux domestiques de leur
maison de famille. L'ordre, le nettoyage des cours, des salles de récréation,
du jardin, les services du bois et du charbon, etc., seront autant
d'occupations qui leur seront destinées. Remarquez, d'ailleurs, que j'estime
que le garçon doit tout aussi bien que la fillette être prêt à rendre service
dans la famille. Si j'insiste sur l'éducation ménagère des jeunes filles, c'est
en prévision de leur futur rôle de mamans. Mais j'aimerais aussi qu'une jeune
fille ait de l'adresse pour enfoncer un clou, scier une planche, clouer une
caisse, etc ... , petits travaux que, plus tard, elle sera heureuse de pouvoir
exécuter elle-même. Que nos enfants, garçons ou filles, sachent se débrouiller
et se tirer d'affaire eux-mêmes. Leur enseigner cela, ce sera leur rendre un
précieux service.
Pour nos ateliers proprement
dits, ils auront leurs programmes, comme les classes, et les professeurs
manuels devront, eux aussi, agir avec ensemble, pour que les différents cours
aient lieu aux mêmes heures de façon à prendre fin en même temps. Ceci pour
permettre les heures d'études de nos jeunes adolescents.
Car nous tiendrons
absolument à ce que l'enseignement professionnel n'empêche pas l'autre
enseignement. En grandissant, l'enfant a besoin de moins d'heures de
récréation, c'est-à-dire que l'étude, à cet âge, devient, elle-même, une
récréation. Il est nécessaire que nos enfants, à 15 ans, possèdent tous une
solide instruction et que leur esprit soit suffisamment ouvert aux horizons de
la science, des lettres et des arts, pour que le désir de s'instruire leur
reste et les aiguillonne vers plus de culture intellectuelle encore lorsqu'ils
auront quitté l'orphelinat.
Là est l'essentiel. Ce ne
sont pas seulement des manœuvres ni de bons ouvriers simplement, que nous
devrons former, mais encore des individus qui, capables de se servir de leurs
mains, le seront tout autant pour se servir de leur cerveau.
Lorsque, entre 15 et 16 ans
généralement, le pupille quittera l'orphelinat, le rôle de ce dernier ne sera
pas tout à fait terminé. D'abord, c'est lui qui devra pourvoir au placement de
ses pupilles.
Pour cela il me semble qu'il
faudrait instituer, près de l'organisation même de l'orphelinat, une société
sœur qui prendrait le titre de Société des anciens élèves. Pourraient y adhérer
des familles ouvrières sérieuses, sur le compte desquelles, d'ailleurs, une
enquête préalable aurait été faite. Ces familles recevraient chez elles, en pension,
les jeunes gens qui quitteraient l'orphelinat.
Il va sans dire que lorsque,
parmi nos pupilles, il se manifesterait quelques intelligences portées plus
spécialement aux professions purement intellectuelles, ou bien encore une
prédisposition marquée pour une carrière artistique, le nécessaire serait fait
pour permettre à l'enfant de poursuivre ses études et d'aborder la profession
pour laquelle ses aptitudes particulières paraîtront le désigner.
Les familles qui recevront
nos pupilles, par ce fait même qu'elles seront venues vers l'œuvre, donneront
ainsi, déjà, une garantie morale. D'autre part, même lorsqu'il sera dans sa
famille adoptive, le pupille restera toujours sous la surveillance morale de la
société des anciens élèves de l'orphelinat. Cette société, en le confiant à la
famille d'adoption, déterminera, d'accord avec celle-ci, la pension qui devra
être prélevée sur le gain de son pupille pour couvrir les frais de vie et
d'entretien. Elle prévoiera également la petite part qui sera mise de côté pour
constituer le pécule du pupille. De la sorte elle aura assuré les intérêts
matériels des jeunes gens dont elle se sera constituée la tutrice. Ce ne sera
pas suffisant. Elle devra s'occuper de leurs besoins intellectuels, de leur
bonne moralité. Dans ce but, elle pourra instituer une bibliothèque roulante,
le prêt de livres et de revues. Aussi souvent qu'elle le pourra, elle organisera
des réunions d'anciens élèves, au cours desquelles des causeries amicales
seront faites par des éducateurs sociétaires et amis de l'œuvre.
Nous tâcherons de
centraliser le placement de nos enfants, de façon à rendre faciles les réunions
dont je parlais tout-à-l'heure. Par exemple, dans une petite ville de province,
nous grouperions un certain nombre de jeunes gens ayant des professions diverses
: bois, fer, mécanique ; la couture, professions féminines diverses, etc... Et
dans la campagne la plus proche nous en grouperions d'autres ayant des
professions agricoles. Il serait ainsi possible d'établir un lien entre toute
cette jeunesse, qui pourra se voir, se rencontrer les dimanches. Cela
faciliterait encore, outre les réunions, le prêt des livres dont j'ai parlé. Et
ce serait de plus une excellente garantie morale. Beaucoup de ces jeunes gens
se seraient connus à l'orphelinat ; ils auraient des souvenirs communs. Leur
vie passée serait un guide, le meilleur peut-être, parce qu'il n'émanerait pas
d'une volonté supérieure, ni d'un règlement, mais d'eux-mêmes. Nos jeunes gens
pourront toujours, d'ailleurs, correspondre avec leurs anciens éducateurs.
Et puis, quand les ailes
seraient tout-à-fait poussées, l'oiseau s'envolerait. Devenu homme, l'enfant
déserte le vieux nid. Mais c'est la vie, la vie avec sa règle d'évolution,
d'éternel recommencement.
Et c'est à la science de la
vie qu'il nous faut surtout initier nos enfants. Une fois grands, ils finiront
seuls et sans nous cette étude.
- Madeleine VERNET.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire