La question de l'ordre
intéresse l'Humanité sous des aspects multiples et tout particulièrement au
point de vue social. Il est à la Société ce que l'atmosphère est à la vie des
êtres et des choses. Il représente une règle indispensable à l'harmonie
générale.
De l'application de l'ordre
dans les rapports individuels et sociaux, dépend le succès ou l'échec de
l'entreprise, d'une opération, etc ...
Considéré au point de vue
physique, l'ordre est tout ce qui existe, aussi bien ce que nous considérons
comme des monstruosités que ce qui est conforme à la règle. La tempête comme le
calme, la maladie comme la santé, l'humidité comme la sécheresse, la fin de
notre monde comme son commencement et sa durée rentrent dans l'ordre physique.
Toutes ces manifestations ne supposent pas un esprit ordonnateur et
constructeur mais, seulement, des lois éternelles inhérentes à la matière même,
et des êtres intelligents pour les percevoir.
Cet ordre inévitable ne doit
pas être confondu avec l'ordre social pas plus qu'avec l'ordre moral qui est,
par rapport à l'homme, le seul vrai, impliquant essentiellement l'întelligence,
la liberté, la vérité, la justice, la réalité et en réalité l'harmonie absolue.
L'ordre moral est le rapport entre les actes libres et leurs conséquences
nécessaires. Cet ordre ne peut concerner que les individualités qui sont
essentiellement identiques entre elles. Dans cet ordre, il y a responsabilité ;
l'on récolte selon qu'on sème ; et, la loi est ce qui doit être. Tout y est
lié, tout y est bien, alors même que ce bien se manifeste par un mal relatif.
C'est l'ordre déterminé.
Il en est tout autrement
pour l'ordre matériel qui est ce qui est. Ici le mot ordre est pris au figuré
et n'a de rapport qu'à l'intelligence qui la conçoit. Les unités sont
illusoires, et les choses entre lesquelles il y a nécessairement inégalité,
différence, relèvent de cet ordre qui est la coordination par la succession ou
la postposition. Tout ce qui existe dans la nature est, par cela même, dit
Colins, et par cela seul, dans l'ordre. Rien n'y est lié que par le
raisonnement qui apprécie et s'en rend compte.
C'est par l'ordre social que
l'ordre physique s'interfère dans la vie publique et la modifie. L'ordre social
nous paraît donc être le résultat de l'obéissance à l'autorité ... scientifique
... de l'époque. Tant que dure l'ignorance, cette autorité est exprimée par la
force basée sur un sophisme ; comme quand la vérité imprégnée de justice règnera,
la raison dominera la force : l'ordre et la société marchent de pair et sont
synonymes. Sans ordre, pas de société possible ; et la société entre des
hommes, égaux par essence, inégaux par leur organisation, n'existe qu'en vertu
du raisonnement. La force physique, brutale est la négation du raisonnement et
par suite de l'ordre. La force déguisée sous l'apparence de la justice, tout en
portant atteinte à celle-ci lui rend néanmoins hommage et par cela même, à
cette époque, donne lieu à un ordre ... relatif par la foi.
Il n'y a et ne peut y avoir
d'ordre vrai que par la raison. L'ordre social est le résultat de l'union, de
l'association des hommes pour la concordance de leurs idées. Tant que ces idées
ne sont pas discutées, il suffit que leur vérité supposée soit acceptée sans
contestation sociale. Si on les discute, si la loi en permet la possibilité, il
est de toute évidence que la vérité doit être démontrée d'une manière incontestable.
Cela s'explique : l'ordre
dans la société est la conséquence de la soumission volontaire, c'est-à-dire
raisonnée, à l'autorité réelle, ou du moins à ce que la société admet comme
étant l'autorité dérivant de la vérité.
Selon l'époque d'ignorance
sociale - jusqu'à ce jour et encore la société n'en connaît pas d'autre - ou
selon l'époque de connaissance, l'autorité est représentée par la force ou par
la raison, c'est-à-dire la science. Dans l'ordre moral, la loi change avec les
époques ; et, selon que les hommes raisonnent plus ou moins bien, à moins que
ce ne soit plus ou moins mal, le désordre ne tarde pas à faire suite à un ordre
éphémère qui n'est que l'expression d'un mauvais raisonnement.
La question de l'ordre
social se résume, tout entière, dans celle de savoir si la morale comporte ou
non une sanction inévitable. Cette question résolue, toutes les questions
sociales sont résolues avec elle ; il n'y a qu'à les en déduire.
C'est en la résolvant dans
le sens spiritualiste, plus ou moins chrétien, que la force a soumis la société
en période d'ignorance, au seul ordre dont elle était susceptible ; l'ordre par
la foi. Dans le sens matérialiste, c'est en laissant en suspens, sans la
résoudre, la question morale que les hommes de doute aident à la marche
progressive du désordre.
De là le désordre
inextricable de notre époque, où se débat notre société vacillante, toujours
occupée à réparer les désastres de la veille, et incapable de prévoir et
instaurer un ordre nouveau de sécurité sociale. Il en sera ainsi longtemps
encore parce que les classes dirigeantes et possédantes, qui font les lois
comme elles façonnent les mœurs et la mentalité générale, ont le plus grand
intérêt à maintenir cet ordre vacillant, qu'on ne saurait trop dénoncer, car il
protège leurs privilèges et leur indépendance en consacrant l'esclavage des
masses. –
Elie SOUBEYRAN.
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