Toute organisation est
l'effet d'un raisonnement, ce qui revient à dire que : organiser c'est
raisonner. Le raisonnement est donc le seul organisateur, et comme le
raisonnement réel est inhérent à l'homme, il s'ensuit que toute organisation se
rapporte à l'humanité.
Ainsi, comme l'homme est le
seul être qui raisonne, le sache et le prouve par le soin qu'il prend pour que
son œuvre lui survive autant que possible, il s'ensuit que le bon ou le mauvais
raisonnement crée l'organisation bonne ou mauvaise, selon qu'il est, lui-même,
bon ou mauvais.
Il se produit cependant que
l'organisation et le raisonnement, en harmonie à une époque donnée, soient
mauvais pour d'autres temps. Cela a été, est, et sera tant qu'il n'y aura pas
de vérité-mètre comme guide, comme critérium. L'humanité, si progressive pour
ce qui est des sciences d'observation se rapportant à l'ordre physique n'a pas
fait un pas dans la science du raisonnement, qui est la véritable science,
puisque ce n'est que par lui que la vérité peut et doit être déterminée.
Le premier pas que
l'Humanité fera pour s'intéresser à la connaître, la mettra en contact avec le
but. La vérité réelle n'a pas de degrés ; elle n'est ni plus ni moins ; elle
est. Quand elle sera acquise à la Société, l'humanité sera régénérée et
l'organisation sociale pourra se faire à l'avantage de tous, mais pas avant.
Retenons bien qu'il n'est
pas d'organisation générale véritable que celle de la société elle-même. Toutes
les autres organisations relèvent, à un degré quelconque, de celle-là. Nous
l'avons dit : pour mesurer sérieusement, il faut un mètre, et, quand la société
vit dans l'ignorance de ce mètre, il arrive, fort souvent, que les calculs
qu'elle fait portent à faux. Quand la vérité sera connue, la Société
s'organisera, dans son intérêt vital, conformément à la raison, c'est-à-dire
dans l'ordre et en toute justice. Elle constituera l'organisation morale.
De même, quand la Société
organisera la propriété, les richesses en rapport du travail et du mérite de
chacun, elle établira l'organisation matérielle. En attendant que la période de
connaissance du droit métamorphose à l'avantage de la collectivité générale ce
qui n'est établi que pour le profit de quelques-uns, l'organisation est
toujours en danger. Nos législateurs ne s'embarrassent pas de tant de
scrupules. A quoi servirait leur fonction s'il ne fallait pas replâtrer
continuellement l'édifice qui chancelle au moindre souffle ? C'est sous le
souffle de l'empirisme que se sont faites toutes les organisations. Ainsi, de
l'organisation de la propriété générale dépend l'existence du prolétariat et la
libération du travail ou son esclavage. Cette organisation touche au nœud de la
question sociale, et d'elle dépend l'avenir de la société.
La propriété est, en
principe, un droit absolu et égal inhérent à l'humanité générale, à la Société.
L'organisation de ce droit est toujours dépendante de la nécessité temporaire
qui domine l'homme social, actuellement représenté par quelques individus. La
même organisation de propriété, même en époque de connaissance sociale, ne peut
s'appliquer équitablement de la même manière à la propriété foncière et à la
propriété mobilière. Ne pas distinguer attentivement dans les propositions
d'économie sociale la richesse foncière, un sol général, de la richesse
mobilière, c'est s'exposer aux erreurs les plus graves et aboutir à des
mécomptes alors qu'on espérait des avantages appréciables.
Socialement et
particulièrement, il est aisé de reconnaître qu'il y a un abîme entre la
propriété foncière qui est la source passive de toute richesse et la richesse
mobilière qui est le résultat du travail sur le sol ou ce qui en provient.
Sans la propriété foncière
d'une part et sans le travail d'autre part, c'est-à-dire sans l'homme,
l'Univers et ses richesses seraient comme si elles n'existaient pas. Que
peuvent bien signifier à un cheval, un chien ou un singe, en dehors des besoins
vitaux et instinctifs, toutes les richesses qui encombrent les magasins, usines
et entrepôts ?
Le principe de la propriété
qui a le sol pour assise et le travail pour fondement organisateur, ne saurait
être mis en doute ; mais l'organisation de la propriété doit être rénovée
profondément si l'on veut - autrement que comme hypocrisie, - que
l'exploitation des masses disparaisse, en se rappelant, pour en tenir compte,
qu'il y a plusieurs espèces de propriétés. Alors que la propriété foncière doit
appartenir à tous, pour qu'il y ait ordre et liberté réelle, la propriété
mobilière, qui représente les Produits du Travail, doit appartenir à ceux qui
l'ont créée. Retenons que la dernière condition ne peut s'obtenir que par la
mise en pratique de la première.
Mais pour espérer cette réalisation
d'ordre économique et social, il est nécessaire que la pensée ait évolué vers
la justice, qu'elle en soit arrivée à comprendre le véritable intérêt de
l'Individu et de la Société. Sous le régime de la Foi, la pensée est organisée
par la révélation, comme sous celui de la science et de la vérité, elle le sera
par la raison. Actuellement, il y a incompatibilité entre l'éducation et
l'instruction. La première reconnaît une morale - tout au moins pour le peuple
- et la deuxième dans son matérialisme déterministe la nie. L'éducation est de
la plus haute importance pour la société ; les hommes lui doivent leur première
nature morale et leur seconde nature organique. Les souffrances dont nous nous
plaignons sont l'inévitable conséquence de notre éducation et, par suite, de
nos actes plus ou moins arbitraires.
De nos jours, la pensée se
développant dans une atmosphère d'incertitude, elle reste soumise au doute, de
sorte qu'elle ne représente aucune organisation scientifique. Sans but
déterminé, en l'absence de tout principe, la pensée flotte au gré des passions
d'un organisme dont elle est esclave.
Avant l'organisation de la
pensée en accord avec la science et la raison, toute organisation du travail
est chaotique et conduit socialement à l'absurde. Sur ce point, les exemples
que nous offrent les démocraties contemporaines aussi bien que la république
soviétique, nous prouvent que, dans aucun de ces pays, l'organisation du
travail n'est établie sur des bases assez solides et justes pour être viables.
L'économie politique qui
dicte ses volontés organisatrices se trouve dans l'obligation d'inaugurer,
accidentellement, parfois des méthodes de dumping, d'autrefois elle s'intéresse
à la rationalisation et dans chaque cas elle constate l'offre surabondante du
travail pour une demande limitée à une seule catégorie de consommateurs
relativement restreinte par rapport aux moyens de produire.
Il est du devoir de
l'Economie Sociale de faire pressentir les funestes conséquences de cet état de
choses, en même temps qu'elle doit faire sentir la bonté des effets salutaires
qui résulteraient de l'organisation sociale qu'elle préconise. Actuellement
l'organisation de la veille ne répond plus aux besoins du lendemain et l'ordre
est toujours troublé ou sur le point de l'être.
- Elie SOUBEYRAN
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