rad. militer adj.
Qui fait la guerre, qui
combat. Une nation guerrière et militant, - Qui lutte, qui dispute une victoire
: La vie de l’homme est une vie militante. Politique militante : Politique de
lutte. - Substantiv. : Partisan de cette politique : Les militants. Église
militante (v.Église).
Mais il est un sens -
pour nous familier, et qui entre de plus en plus dans la terminologie courante
- sur lequel nous voulons, ici, nous étendre davantage. Qu’est-ce qu’un
militant ? Le militant tel que nous le comprenons s’apparente à ’apôtre, à
l’agitateur et à l’animateur. Comme l’apôtre il se voue à la propagation et à
la défense d’une doctrine, d’une idée, d’une cause, avec l’enthousiasme de la foi,
un prosélytisme ardent et le désintéressement d’une conviction inébranlable. Comme
l’agitateur, il est celui qui réveille les masses populaires et les entraîne à
la lutte contre les iniquités sociales. Comme l’animateur, il organise, éduque,
enflamme et galvanise ceux qui, comme lui, comprennent que leur émancipation totale
ne dépend que de leur effort, individuel et collectif. (Voir les mots
Agitateur, Apôtre).
Parlons de nos
militants. Par la parole, par l’écrit et par l’action les militants anarchistes,
dans le monde entier - et surtout à la fin du siècle dernier et au commencement
de celui-ci - ont donné l’exemple, parfois farouche et tragique, de l’esprit de
sacrifice entier à la cause révolutionnaire. Nombreux sont les justiciers, les
vengeurs, les généreux exaspérés qui ont remué les masses miséreuses et. terrifié
la bourgeoisie par leur propagande individuelle.
Leur admirable
apostolat n’a pas été couronné du succès tant espéré... Leur sacrifice n’a pas
amené le triomphe de l’anarchie ; mais l’espoir a jailli de partout et la philosophie
anarchiste s’est largement répandue parmi les exploités, elle a pénétré les
mouvements de revendication prolétarienne... Malgré, les persécutions, la discussion
des idées subversivespartout continue. Les idées et les militants les plus connus
de l’anarchie eurent des sympathies dans tous les milieux de la société.
L’objection qu’ils
rencontraient dans leur propagande était le plus souvent celle-ci : « Ce que
vous préconisez est trop beau pour une humanité si laide ! » Mais discuter une
idée, c’est vouloir la comprendre et la comprendre c’est commencer à l’adopter.
L’idée faisait donc son chemin. D’autant plus que partout les procès
retentissants de militants anarchistes passionnaient l’opinion publique. Des
propagandistes admirables réfutaient pied à pied les objections de l’éloquence
judiciaire au service de la justice bourgeoise. Quant aux responsables de «
propagande par le fait », leur attitude, simple ou crâne, fut toujours celle de
héros vaincus, mais non désespérés du triomphe de l’Idée et heureux de
l’occasion qui leur était donnée d’expliquer et de justifier leurs actes «
devant des ennemis et non des juges », comme ils disaient. L’activité de ces
militants, leur audace affolaient les bourgeois, mais réconfortaient les
travailleurs emportés par de tels exemples loin des pitreries des tréteaux politiques.
De cette propagande de
« l’époque héroïque » anarchiste, l’éducation populaire se ressentit fortement.
Une mentalité nouvelle se révélait. Les militants de l’anarchie, orateurs et
écrivains, développaient avec succès les généreuses idées de liberté et de fraternité
humaine. Ces idées se discutaient et les espoirs d’un avenir très prochain se
formulaient surtout parmi les travailleurs. Il s’agissait de favoriser et
d’amplifier cet acheminement vers la justice sociale par l’organisation de la
classe ouvrière. Ce fut le rôle des militants syndicalistes.
Les travailleurs
groupés en vue de revendiquer un meilleur salaire offraient en effet un terrain
merveilleux pour une propagande plus hardie et plus logique que celle de l’entente
des exploités avec leurs exploiteurs et, dans ces groupements, il était facile de
montrer la solidarité ouvrière s’effectuant dans l’action revendicatrice
autrement que par la mutualité.
Tout est mieux compris
entre frères de misère, entre compagnons de chaîne. Souffrir et espérer
ensemble prédispose singulièrement à avoir mêmes pensées. C’est pourquoi les
ouvriers affranchis du respect de l’autorité, imbus d’idées de justice sociale
et animés de saine révolte contre les iniquités furent aptes à se faire comprendre
parmi les travailleurs en leur parlant de la possibilité de conquérir (par l’union
et par l’action sur le terrain économique, dans le syndicat) le Bien-Être et la
Liberté. Loin de dénigrer le Travail, source de toute la richesse sociale dont
ne profitent point les travailleurs, ils en démontrèrent la nécessité et la
beauté à la condition que le Prolétariat - par son action énergique et
coordonnée - ait supprimé l’iniquité sociale sur laquelle est basée le régime
bourgeois : l’exploitation de ’homme par l’homme.
Ces militants
anarchistes ou libertaires surent se faire comprendre. Ils surent convaincre. A
leur contact les travailleurs prirent conscience de leur valeur et comprirent
qu’ils devaient rester unis pour être forts. C’est de cette éducation poursuivie
dans les syndicats que naquit la C. G. T. La propagande syndicaliste des militants
anarchisants nous semble la seule efficace pour aboutir à la « suppression du
Patronat et du Salariat », principe fondamental de la C. G. T. et but suprême
du syndicalisme. C’est du producteur, affranchi dans sa mentalité par
l’éducation, que surgira l’action prolétarienne propice à l’éclosion d’une
société nouvelle d’hommes libres sachant s’entendre et s’entr’aider pour la
vie...
Les militants
syndicalistes surent donner aux syndicats ouvriers une allure combative qui ne
fut pas sans alarmer les exploiteurs et leurs défenseurs. L’État mit au service
des patrons contre les ouvriers tous les moyens de répression possibles. Magistrature,
Police, Armée furent mobilisées contre la classe ouvrière en œuvre d’émancipation.
De nouvelles lois répressives furent vite bâclées et appliquées aux militants.
Une presse servile trompa sciemment l’opinion publique pour l’ameuter contre
l’ouvrier syndiqué et contre ceux qui, sans ambition personnelle, attaquaient droit
l’édifice d’iniquité.
Mais tout cela
n’empêchait nullement le syndicalisme d’être redoutable par sa tactique
révolutionnaire et ses formules d’action directe. Tout cela n’empêchait pas les
militants de continuer une propagande salutaire, exhortant les masses à opposer
la force ouvrière à la force patronale et combattant ardemment, par la parole
et par la plume, les actes de répression gouvernementale et les lâchetés
parlementaires. Les années de prison s’accumulaient sur la tête des militants
qui osaient qualifier, selon leurs mérites, les valets de la bourgeoisie
capitaliste. Ces militants avaient compris leur rôle. Ils savaient qu’ils ne
devaient plus s’arrêter en chemin ; puisqu’ils avaient mis le prolétariat sur
la voie de la révolution sociale, ils devaient l’accompagner jusqu’au bout,
dût, parfois, les interrompre un repos-forcé dans les prisons de l’État. Devant
les juges, eux aussi, revendiquaient hautement la part de responsabilité qu’ils
avaient dans l’effervescence révolutionnaire parmi les travailleurs. Ils
marchaient crânement sur les traces des syndicalistes américains que l’histoire
du mouvement ouvrier honore sous la dénomination de Martyrs de Chicago.
C’est sous l’influence
de militants libertaires que les syndicats se débarrassèrent de plus en plus de
complications paperassières, de règlements inutiles, d’obligations surannées et
remplacèrent les « sollicitudes législatives » à l’égard des syndicats, par des
moeurs ouvrières adéquates à la mentalité syndicaliste. La tactique d’action dans
les grèves fut également transformée. Ce n’est pas ici la place d’en décrire toute
l’efficacité, ni d’en dénombrer les résultats ailleurs exposés. Revenons au militant.
Définissons bien ce qu’est ou doit être le militant syndicaliste.
Contrairement à
l’opinion de certains anarchistes hostiles au syndicalisme, nous pensons que le
syndicat ne diminue pas la personnalité de l’anarchiste. S’il est ouvrier, sa
place est au syndicat. Il y doit faire nombre et oeuvrer pour revendiquer aussi
son droit à la vie meilleure. S’il veut devenir un militant syndicaliste digne
de ce nom, il lui suffira de ne pas se croire d’essence supérieure à ses
camarades, de n’afficher au milieu d’eux aucun pédantisme, de n’affecter aucun
dédain de leur ignorance, de se montrer, en un mot, pénétré d’affectueuse
tolérance et partisan d’une fraternelle égalité. Pour cela, sans aucune vanité,
il prendra plaisir à partager son savoir, à faire don de son érudition. Rien de
plus facile à un travailleur que de parler simplement à des travailleurs et de
se rendre sympathique à tous, par sa franchise et sa sincérité. Car si les
travailleurs manquent parfois d’éducation et trop souvent d’instruction, ils
ont, en général, bon sens et clairvoyance. Ils savent, peu à peu, reconnaître
la bonne foi et le désintéressement et apprennent à se défier de qui veut les
influencer pour les tromper. Les politiciens bavards ont dégoûté les travailleurs
et les intellectuels prétentieux les ont écoeuré ; du moins dans les syndicats
d’avant-guerre il en était ainsi.
Comment on devient
militant ? Ce sont les circonstances de la lutte ouvrière qui donnent
ordinairement l’occasion à un militant de se révéler, de sortir de l’ombre. Une
conviction forte étouffe vite des sentiments de modestie mal placés. L’ardeur avec
laquelle le militant se dispose à servir les intérêts de tous, en défendant énergiquement
la cause commune, n’échappe pas à ceux qui admirent ses qualités. D’instinct,
ils pressentent en lui l’homme qui serait un guide. Il est choisi. On le désigne
pour représenter ses camarades, pour les impulser, pour parler en leur nom. Il
ne séparera pasl’affranchissement de l’individu de l’émancipation des
travailleurs. Pourvu que nulle ambition mal placée ne se dévoile un jour chez
ce militant, le voilà qualifié et mis à même de besogner dans un milieu qui est
le sien, avec sa classe, en accord avec la collectivité si intéressante des
exploités, le voilà apte à mener dans la bonne voie révolutionnaire le
groupement ouvrier qui lui fait confiance. Il n’y faillira pas, si les
travailleurs qui l’ont choisi ne se sont pas trompés. Car, il faut bien
convenir qu’il n’y a pas toujours que des individus d’élite parmi les militants
ouvriers. Les événements nous l’ont prouvé. L’ambition, la vanité, la paresse
font vite de mauvais militants des profiteurs et des arrivistes. Il y a des
renégats partout. Il n’est pas de troupeaux, dit-on, où il n’y ait quelque
brebis galeuse. Pourtant, le syndicat devrait être le seul groupement
réfractaire à ces produits malsains, car il est ce que le font les syndiqués.
Ceux-ci ne doivent donc pas se désintéresser de leur syndicat (voir ce mot). Le
groupement syndical ne doit pas être la chose de quelques-uns ; il est un
groupement des intérêts de tous. C’est ce que le militant doit y répéter sans
cesse en agissant conformément à ce principe. Le militant sincère, sûr de
lui-même, exige toujours le contrôle de tous sur sa conduite, sur ses actes. Il
fait ainsi précisément comprendre qu’il est le représentant et non le dirigeant
du syndicat. De cette façon,, il se rend digne de là confiance qui lui est donnée
et s’abstient rigoureusement d’en abuser. Il reste l’égal de tous dans un groupement
de parfaite égalité... C’est un devoir d’agir en militant quand on en possède
les rares et précieuses dispositions et toutes les qualités. Mais comme nul n’est
obligé d’accepter ce rôle public, il faut, quand on y consent, l’être
loyalement, entièrement, fièrement et surtout proprement. Le syndicat vaut ce
que valent les syndiqués. Et les militants sont ce que leur tempérament, leur
conviction, leur honnêteté leur permettent d’être et de rester. Que l’on
choisisse bien l’homme qu’il
faut pour être militant
dans un groupement ouvrier. De lui dépend la bonne marche de l’organisation.
Surtout veillons à ce qu’il ne soit ou ne devienne pas un politicien. On sait
tout le mal fait par la politique et par les politiciens à la classe ouvrière
quand celle-ci fut sa proie (et comme elle marque, momentanément il faut l’espérer,
une fâcheuse tendance à le redevenir aujourd’hui). La politique, au syndicat,
c’est la division fatale entre travailleurs ; c’est alors le mépris mutuel faisant
place à l’estime réciproque des syndiqués entre eux. C’est la pire des déviations.
C’est, de plus, une absurdité à l’égal de celle d’un « syndicat confessionnel
». Le militant doit en dénoncer le péril à tous les syndiqués. La politique
divise les travailleurs, en fait des frères ennemis, finit par détruire le syndicat.
Il est peu logique de
se prétendre fervent syndicaliste en même temps que socialiste politique
convaincu. Il y a contradiction flagrante à dire aux syndiqués : « Faites vos
affaires vous-mêmes, et-ne comptez que sur vous pour conquérir votre affranchissement
social » et à proclamer, en réunion publique, devant des électeurs :
« C’est par la conquête
des Pouvoirs Publics, par le bulletin de vote, par l’envoi des vôtres aux
Assemblées législatives que vous serez les maîtres de vos destinées »..., étant
donné que toujours on a vu, par ce moyen, non pas ces bons apôtres conquérir les
Pouvoirs Publics, mais être conquis par eux... ce qui n’est pas du tout la même
chose. Que les ouvriers, dans leurs syndicats ne soient pas dupes de ces « trop
dévoués à la cause », ayant ordinairement deux visages et dont le «désintéressement
» est, de ce fait, suffisamment équivoque. Le syndicat ne doit pas servir de
plate-forme d’apprentissage aux arrivistes, de tremplin aux ambitieux. Le militant
syndicaliste doit savoir qu’il n’a rien à espérer d’autre en son apostolat que des
satisfactions morales, des consolations de sa conscience forte, dans le devoir accompli,
malgré les persécutions des gouvernants au service du patronat. Peut-être même
rencontrera-t-il l’ingratitude de ceux qui le devraient aimer, soutenir et encourager.
Le militant doit braver tout et tout subir stoïquement ou se retirer simplement
s’il craint de succomber sous la lassitude ou le dégoût.
Ce qui fait la force du
militant, tel que nous l’envisageons, c’est justement la faculté qu’il a de
reprendre sa place dans le rang, quand la charge de militant lui paraît trop lourde
à porter. Rien n’est plus réconfortant qu’un militant conscient de sa valeur et
soucieux de sa dignité qui sait se retirer « en beauté », sans un regret, sans
un reproche, tout en conservant intactes ses convictions, heureux de se
retremper dans
le milieu même, où il
pourra, sans rancune, savourer fièrement la joie d’avoir été un vrai militant,
ne boudant pas à l’heure, qui peut se représenter encore, où il sera, nécessaire
de tout braver dans l’intérêt commun.
Georges YVETOT.
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