3. Il faut s'en expliquer encore, sans doute. L'été, les travailleurs intermittents du spectacle - du théâtre, de la danse, de la musique, du cinéma et de la télévision, que, par commodité polémique, nous appellerons dorénavant: les travailleurs intermittents de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse - cessent d'être des intermittents pour être des travailleurs à temps (presque) plein. C'est pourquoi ceux-ci ne se mettent en grève qu'à l'été, faute que l'été dure assez pour que cesse leur intermittence.
9 Le "nouveau" capital montre en effet des raffinements dont l'"ancien" eût été incapable. Par exemple, il persuade ses salariés, c'est selon, qu'ils ne travaillent pas assez ou qu'ils gagnent trop ( parfois les deux). Il les invite alors à voter eux-mêmes une augmentation de leur temps de travail ou une diminution de leur salaire ( parfois les deux). Qu'il assortisse cette vocation d'un ultimatum - délocalisation de l'activité ou fermeture de l'entreprise- n'affecte pas significativement un progrès qu'on tiendra bientôt pour décisif dans la voie vers la démocratie participative de marché.
10 La grève des travailleurs intermittents de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse nous a donné l'occasion d'assister à des instants de la lutte de classes à tous égards inédits: ce sont, par exemple, des travailleurs bénévoles qui se sont faits, contre les travailleurs salariés, les défenseurs des prérogatives et des intérêts de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse.
11 Par exemple: à Carthaix, en Bretagne, où des milices, constituées de travailleurs bénévoles, mais participatifs, ont patrouillé pour empêcher que des travailleurs salariés, mais grévistes, perturbent le festival ( dit des "vieilles charrues") dont aurait dépendu - c'est aussitôt ce qu'ils ont dit, sans qu'on s'en étonne outre mesure, encore moins qu'on s'en offusque - la santé économique de la région auquel leur bénévolat sacrifiait ses loisirs.
12 L'idée que des personnes déclarativement bénévoles fassent de leurs loisirs le moyen que le loisir des autres permette la prospérité de la région à laquelle ils se sacrifient ainsi, est une idée manifestement nouvelle, dont devraient utilement s'inspirer tous ceux qui ont la prospérité à coeur, quelle qu'elle soit, d'une région ou d'une entreprise.
19 Qu'il n'y ait nulle part dont on ne puisse faire le lieu même qui, une fois animé, animera la région elle-même ( ses politiques, ses commerçants et ses intermittents), le quotidien régional ouest France en fournit un exemple édifiant qu'il y a lieu de reproduire ici avec un scrupule extrême : "Bâtie sur un promontoire, la forteresse domine la Sèvre nantaise [...]Nous sommes à Tiffauges, chez le terrible Gille de Rais. Seigneur de guerre, compagnon d'armes de Jeanne d'Arc, alchimiste et assassin de centaines d'enfants, le personnage n'a pas fini de fasciner les visiteurs [...]Plus grand site médiéval animé de la région, le château de Tiffauges recèle, en ses différentes salles et cours, plusieurs spectacles: expériences d'alchimie, théâtre d'ombres, récit de la vie de Gilles de Rais. Le spectateur devient acteur d'un spectacle mêlant histoire, humour et magie." (27 juillet 2003). Où l'on voit enfin sans mal ce que serait un monde qu'on confierait aux appétits incontinents des politiques territoriales, des petits commerçants et des travailleurs intermittents de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse: la figure par excellence de la pédophilie médiévale triomphante ainsi que son repère "s'animant" pour la plus grande satisfaction de la petite et moyenne bourgeoisies et de leurs enfants.
Etant donné l'accélération où tout est entrainé, la cave de Dutroux ne devrait pas attendre longtemps pour offrir à la Belgique les délectations touristiques auxquelles elle n'a pas moins droit.
Le rédacteur, ou la rédaction à sa place, ont titré, sans malice ni ironie selon toute vraisemblance : "Barbe bleue ravit les enfants!".
22 Le syndicalisme est toujours à la fin la trahison de la politique: qu'il s'agisse des travailleurs intermittents de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse ou qu'il s'agisse de n'importe quels travailleurs - de ceux du textile, par exemple, encore que, à la différence de ceux-là, ceux-ci n'aient pas à redouter les effets de quelque délocalisation que ce soit. La crainte n'a pas encore réellement percé, en effet, que des travailleurs de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse "étrangers" puissent venir occuper les emplois des travailleurs de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse "français"; nul doute, d'ailleurs, si cela devait se produire, qu'on en appellerait alors solennellement à l'exception culturelle française.
23 En d'autres termes, les travailleurs intermittents de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse disent, pour leur part: pourquoi alléguer encore les anciennes raisons de faire du théâtre s'il n'est plus possible d'en faire qu'en les oubliant?
Ce qu'on peut traduire ainsi, pour la nôtre: que le théâtre meure si c'est la condition pour qu'on vive indéfinitivement du théâtre!
24 Parce que, bien sûr, il n'y a rien comme ce qu'on a appelé il y a longtemps le "théâtre" qui pourra survivre à l'économisme auquel on veut qu'il s'accommode. Lequel économisme n'est aucunement économique, au sens entendu du terme. On ne demande rien au théâtre en soi: pas même d'être rentable - surtout pas d'être rentable ( on aurait tort de le prétendre). On veut bien que le théâtre continue de constituer la dépense qu'il a toujours été, une dépense somptuaire, mais à la condition qu'il génère les bénéfices secondaires (nuitées, couverts, etc) auxquels il n'est désormais pas moins soumis que, par exemple, un parc d'attractions. De ce point de vue, une fête du cidre, une journée de la bourrée, un stage de rempaillage, une randonnée pédestre, un vide-greniers, un concours de scrabble, un son et lumière, une reconstitution historique, etc sont en tout point identiques à: un concert de rock, un festival de jazz, une "folle journée musicale", un "marathon du livre". Ils constituent une économie sporadique intégrée à une économie durable, dont les succès nourriront ou non la prospérité générale.
(A un débat récent portant pour titre: "culture publique. La politique culturelle française " est invité un directeur adjoint "chargé de la culture, de l'environnement, de la jeunesse et des sports et du tourisme du conseil régional de...". Ce titre pléthorique dit avec exactitude que c'est aujourd'hui la même chose, du point de vue des administrations nationales et territoriales, que : laculture, l'environnement, la jeunesse, les sports et le tourisme. On ajoutera bientôt: le développement.)
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